Jean-Philippe Chauvin

Pour des panneaux solaires français.

La transition énergétique se veut aussi une transition écologique, mais l’est-elle vraiment ? Il est permis d’en douter au regard de quelques éléments trop souvent négligés par ceux qui vantent l’écologie sans réfléchir à ses effets sociaux autant qu’environnementaux : l’incantation remplace trop souvent la réflexion et le court-termisme empêche de mener une véritable stratégie écologique, crédible et efficace. L’exemple des panneaux solaires est fort révélateur : vantés comme un moyen écologique de produire de l’électricité verte (ce qui n’est pas tout à fait exact si l’on considère l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication et la difficulté de leur entretien et de leur recyclage), ils sont aujourd’hui fabriqués en grande majorité en Chine (1), au risque de tuer toute la filière européenne et française du secteur, tout cela dans l’indifférence totale de ceux qui invoquent l’écologie pour les élections mais l’oublient dans la réalité ! Là encore, la distinction maurrassienne entre le légal et le réel peut s’appliquer sans trop de difficulté…

Dans la revue Transitions et énergies de ce mois-ci, un article met en garde contre l’extinction complète du secteur solaire en Europe : « Si rien n’est fait, l’industrie européenne des panneaux solaires va purement et simplement disparaître. (…) La situation est assez simple. Il y a une surproduction mondiale de panneaux qui a conduit à un effondrement des prix et l’industrie européenne est incapable de faire face à la déferlante depuis deux ans de productions chinoises à prix cassés. » Ce que confirme Le Figaro (sur internet) à propos du péril qui pèse sur « l’un des derniers producteurs français de panneaux photovoltaïques » (2), l’entreprise Systovi aujourd’hui menacée de disparition : « Cet été, un « retournement brutal » est survenu : « Les Chinois ont divisé leur prix par deux en quelques semaines », se souvient le patron, qui précise que leurs concurrents vendent à perte. (…) « L’opération commerciale des industriels chinois, dont j’estime qu’elle est subordonnée et coordonnée (je n’ai pas de preuves mais c’est trop simultané et rapide) a mis un coup énorme aux carnets de commande des industriels européens », regrette Paul Toulouse. Si, sur une installation solaire, le panneau ne représente que 10 à 20% du coût total, « sur un total de 8000 euros, par exemple, cela fait 1000 euros ». Un coût non négligeable qui en incite plus d’un à tirer un trait sur le « Made in France ». » Cet exemple devrait inciter à se prémunir contre la concurrence déloyale permise par un libre-échange et une mondialisation qui priorisent les consommateurs au détriment, trop souvent, des producteurs : le prix bas à l’achat, véritable carburant de la société de consommation comme peuvent l’être le « désir infini » évoqué par Daniel Cohen, et la néophilie permanente déjà dénoncée par Konrad Lorenz dans les années 1970, cache trop souvent une stratégie asociale (voire antisociale) des grands groupes transnationaux qui peuvent exploiter sans vergogne des populations ouvrières mal payées, ces fameuses « classes sacrificielles » qui servent de marchepied aux puissances émergentes et aux générations futures promises à l’embourgeoisement, à cette moyennisation pas toujours heureuse des sociétés de la mondialisation.

Dans cette logique de la mondialisation concurrentielle, les producteurs français et européens sont défavorisés et mal protégés, et trop souvent abandonnés par l’Etat ou par les clients qui raisonnent, surtout pour ces derniers, en consommateurs à court terme, fort peu civiques quand le porte-monnaie est en jeu. Mais l’Union européenne n’est-elle pas aussi responsable du malheur des industries des énergies renouvelables locales ? « Les institutions européennes semblent considérer qu’accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, pourrait permettre d’atteindre les objectifs impossibles de production d’électricité décarbonée renouvelable. Et cela vaut bien le sacrifice final de l’industrie solaire européenne… », s’inquiète Transitions et énergies. Mais alors, n’est-ce pas lâcher la proie pour l’ombre et s’en remettre à des acteurs étrangers qui, le jour venu, penseront d’abord à leurs intérêts plutôt qu’à ceux des pays européens et de la France en particulier ? Le patron de Systovi paraît bien plus responsable que les institutions européennes et que les zélateurs du libre-échange sans entraves : « Si on veut faire la transition énergétique, on ne peut pas la faire en dépendant intégralement de puissances étrangères qui peuvent décider du jour au lendemain de nous arrêter dans notre chemin. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on se donne les moyens d’être maître de notre destin », conclut celui qui a déjà lancé l’alerte depuis longtemps auprès des politiques ».

Il faut souhaiter que l’Etat français réagisse vite et qu’au lieu de dépenser à tout-va, il soutienne intelligemment les investissements dans les énergies renouvelables et les entreprises des secteurs stratégiques : sans tomber dans un étatisme jacobin de fort mauvais aloi, il appartient néanmoins à l’Etat de ne pas « laisser faire-laisser passer » quand l’avenir de nos industries vitales (3) est en jeu. Là aussi, l’indépendance industrielle française n’est pas une option souhaitable : elle est une absolue nécessité, y compris pour l’écologie.

Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : Le transport des panneaux solaires fabriqués en Chine n’est pas non plus une grande manifestation d’écologie : plus le lieu de production est loin du lieu d’implantation, plus l’empreinte environnementale du produit et de son transport est élevée…

(2) Le Figaro, site électronique, vendredi 22 mars 2024.

(3) : Ne dit-on pas, sur toutes les chaînes télévisées et radiophoniques que « l’énergie est notre avenir » ?






Quand l’oligarchie trahit la France.

La mondialisation contemporaine est aussi une affaire d’oligarques, sûrs d’eux et de leur pouvoir, et affligés de voir que le « bon peuple » ne les croit ni ne les aime (ce dont ils se fichent bien, en fait) : la colère paysanne, après le soulèvement des Gilets jaunes, les agace et ils n’ont de cesse de reprendre le contrôle, tout en vantant les mérites de l’ouverture à tout vent des sociétés et, surtout, des marchés. Ainsi, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC et ancien membre de la Commission européenne, qui dans un entretien publié ce lundi dans L’Opinion, soutient avec vigueur le fameux traité Mercosur que M. Macron (1) a fait échouer il y a quelques semaines, quand les tracteurs avaient envahi les routes et qu’ils faisaient entendre leur colère toute légitime contre un libre-échangisme qui favorise la déloyauté commerciale des grands groupes agroalimentaires et de quelques pays opportunistes. Et ce monsieur, qui se dit socialiste (sic), rappelle comment il avait humilié la France tout en expliquant ce que devrait faire la Commission européenne pour contourner le refus français du traité Mercosur : « Si la Commission a du courage, elle demandera un vote à la majorité qualifiée, quitte à séparer la partie commerciale de l’accord. Je l’ai fait lorsque j’étais Commissaire européen pour importer en provenance des pays les plus pauvres sans restrictions quantitatives ni droits de douane (2), la France a voté contre, à cause du sucre, et a été mise en minorité. » Et c’est ainsi que ce triste sire, qui devait son poste… à la France, a trahi son propre pays, au nom d’une mondialisation qui ne devait jamais être freinée et était censée être heureuse pour les pays émergents quand elle profitait, et c’est toujours le cas, aux féodalités financières et économiques beaucoup plus qu’aux populations locales…

Son cynisme n’a d’égal que son mépris à l’égard des petits quand, au détour d’une argumentation sur « l’ouverture des marchés » et sur la priorité donnée aux consommateurs au détriment des producteurs et propriétaires locaux, il déclare, en évoquant l’histoire de France : « D’où un grand nombre de petits agriculteurs. Trop d’ailleurs, on en paye encore les conséquences aujourd’hui »… Cette dernière phrase dit tout, ou presque : « trop de petits agriculteurs », évidemment, ce sont des paysans qui cherchent à vivre de leur travail et de leurs terres, et ne se pensent pas comme de simples employés de grandes entreprises agroalimentaires, et qui sont encore capables de se révolter contre ce désordre établi qu’est cette mondialisation oligarchique et libérale. Des gêneurs, sans doute, des « enracinés » et non des fétus de paille taillables et corvéables à merci…

En tout cas, ces quelques phrases de M. Lamy montrent bien qui est l’ennemi de notre agriculture et de son « peuple de la terre », selon la belle expression du philosophe Robert Redeker… Ce M. Lamy n’est pas une voix isolée, il est juste le porte-voix de ceux qui feront toujours passer leur mondialisation et leur « Europe » (sic) avant les intérêts de nos paysans, de nos ouvriers, de nos classes laborieuses, celles qui travaillent et non celles qui profitent du travail des autres !



Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : M. Lamy, dans une petite phrase pleine de fiel et de sous-entendus, rappelle que l’actuel président « est bien dans la culture politique française, et il n’a pas oublié son passage chez Jean-Pierre Chevènement » : en somme, en économie, M. Macron serait protectionniste, voire nationaliste… Si seulement c’était vrai, et pas seulement en économie ! Malheureusement, le chevènementisme supposé du président reste bien modeste, dans le meilleur des cas…

(2) : N’est-ce pas le cas pour l’Ukraine aujourd’hui, et son poulet produit en batterie dans des exploitations qui ne respectent pas exactement ce qui est obligatoire, au nom du bien-être animal, en France comme dans les autres pays de l’Union…




Les raisons de la colère paysanne.

Cela a commencé, cet automne, par des panneaux de communes retournés, et nombre de nos concitoyens ont d’abord cru à quelque plaisanterie d’adolescents… Puis, ce furent les échos, encore lointains, des manifestations d’agriculteurs d’Outre-Rhin ; et, tout d’un coup, un tronçon d’autoroute bloquée dans le Sud-Ouest, et des tracteurs que l’on entend plus près, plus insistants ; des ronds-points dans les campagnes à nouveau centres de toute l’attention des politiques et du gouvernement ; la grande peur du pays légal d’une nouvelle saison de Gilets colorés, cette fois verts…

« On marche sur la tête », voulaient signifier les panneaux retournés par des agriculteurs agacés avant que d’être véritablement en colère et en révolte : « pressés par des normes contradictoires, des taxes innombrables et une réglementation passablement complexe, – fruits de la nouvelle politique agricole commune (PAC) en vigueur depuis début 2023 – ils ont le sentiment de ne plus s’en sortir », écrit l’écrivain russe Olga Lossky dans les colonnes du Pèlerin (1), sage journal catholique dans lequel la question sociale n’est pourtant jamais oubliée au fil des numéros… N’est-ce qu’un sentiment, d’ailleurs ? Il me semble, à la lecture des témoignages des intéressés eux-mêmes, des analyses des économistes et des journalistes agricoles, et des chiffres nombreux qui accompagnent les articles de la presse (autant locale que nationale), que c’est plus encore une réalité, triste, vécue et subie surtout par des cultivateurs et des éleveurs français victimes d’un véritable système dont on ne sait plus trop où est le cœur (pour autant qu’il en ait un…).

Ce système nous est bien connu et il peut porter plusieurs noms pour le cerner et le définir : globalisation, mondialisation, gouvernance, capitalisme, libéralisme, société de consommation, individualisme de masse, règne de l’argent et du tout-économique, démocratie totale dite représentative mais, en fait, « d’apparence » (2)… C’est ce que les royalistes rennais du début des années 1990 avaient baptisé sous un terme englobant tous les autres : le globalitarisme, un système qui ressemble étrangement au monde parfait, lisse et intimement, infiniment, insidieusement violent que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce système n’est pas secret, il ne se cache pas, et il assume, avec le sourire et le langage, son côté obligatoire : « c’est pour votre bien », peut-il affirmer sans se départir de son masque de bienveillance qui n’est, justement, qu’un masque. Aujourd’hui, il se pare des atours de la transition écologique et de la lutte contre un dérèglement climatique qu’il a lui-même suscité depuis l’industrialisation du XIXe siècle et l’entrée dans la société de consommation au XXe siècle, deux modèles d’appropriation anthropique du monde poussée au-delà de ce que la nature elle-même peut supporter : un pompier pyromane, résumeraient certains sans se tromper, mais qui voudrait que les populations ne le voient que comme un sauveur suprême sans lequel plus rien ne peut exister de viable et de crédible… Pourtant, l’on aperçoit la mèche incendiaire qu’il traîne éternellement derrière lui !

La crise actuelle n’est ainsi qu’un élément d’un processus dévastateur déjà ancien et jamais terminé, et je crains que, une fois les tracteurs rentrés à la ferme et les élections européennes passées, le système ne reprenne sa terrible et destructrice marche en avant. L’Union européenne est, aujourd’hui, le vecteur de cette crise (mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? Sans doute pas…) qui n’est jamais que la poursuite de la mondialisation elle-même, « ce fait qui n’est pas bienfait » comme je l’ai déjà évoqué ici : « L’élément déclencheur de cette épidémie de panneaux retournés [avant même le soulèvement paysan de cette semaine] ? La signature de l’accord économique de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 22 novembre dernier. (…) Une autoroute commerciale privilégiée entre deux zones… situées à près de 20 000 km de distance ! De quoi avoir l’impression de marcher sur la tête, en effet : les marchandises venues des antipodes sont prioritaires sur le marché et ne respectent pas les critères environnementaux qu’on impose aux paysans français, ne fut-ce qu’à cause de l’empreinte carbone produite par leur transport. (3) » Ainsi, par pure idéologie économique libérale, l’Union sacrifie à la fois l’écologie et les paysans, derniers éléments, disent certains, du « monde ancien », celui qui était fondé sur la terre et les racines.

La présence pour l’heure pacifique des agriculteurs sur les routes et les ronds-points n’est-elle qu’un coup de semonce ou un baroud d’honneur, ou le début d’une « révolte prolongée » ? Les jours qui viennent donneront une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, il nous appartient de ne pas négliger cette contestation légitime et d’en tirer quelques leçons, non dans une simple perspective d’analyse, mais de proposition et d’action… La présence des royalistes (agriculteurs ou non) sur les barrages et au sein des cortèges agricoles ne doit pas se limiter à la dimension du témoignage mais prendre la forme d’un engagement concret pour la Cause paysanne.



Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Olga Lossky, dans Le Pèlerin, jeudi 18 janvier 2024.

(2) : le terme de démocratie n’est pas forcément un gros mot pour le royaliste que je suis, mais encore faut-il préciser de quelle démocratie l’on parle et quelle définition l’on en fait, et pour quel usage. Favorable à une forme de démocratie communale ou à la désignation par le suffrage de représentants (et non de gouvernants) de la nation, je ne le suis pas à ce qu’elle devienne un mode de gouvernement qui transformerait l’Etat en succursale d’un parti ou d’un autre, ou qu’elle ne soit que le masque d’une oligarchie qui ne voit dans les électeurs qu’une clientèle…

(3) : Olga Lossky, op. cité.





Au-delà d’une COP28 peu convaincante.

Durant quelques jours, les regards vont se tourner vers Dubaï et sa COP 28, et nombre d’articles seront, une fois de plus, consacrés aux questions climatiques sans que l’on sorte vraiment, à quelques exceptions près, des lieux communs et des postures de circonstance : il n’est pas certain que la question écologique en soit plus éclairée ni le souci environnemental mieux considéré… Le bal des avions privés et des grands acteurs de ce monde précédera ce bal des hypocrites qui amuse désormais la galerie chaque automne, et le désistement de dernière minute du pape François, dont l’encyclique Laudato Si’ est aujourd’hui le texte écologiste le plus lu et diffusé au monde, paraît de mauvais augure : sa présence aurait eu l’immense mérite de rappeler à l’humanité (représentée par ses puissants du moment) la nécessaire humilité devant les forces qui lui échappent encore et toujours. Entre les discours catastrophistes des uns et le déni des autres, il serait pourtant bien temps (il n’est jamais trop tard, dit-on, mais il est quand même bien tard !) d’appliquer la saine formule capétienne de « toujours raison garder » : cette raison, cette mesure qui, par nature, s’oppose au système d’une société de consommation et de croissance qui oublie les limites de notre planète et l’épuise à trop vouloir en jouir sans entraves…

Le grand enjeu des années et décennies à venir va être de réussir à penser « la prospérité sans la croissance », cette dernière s’apparentant de plus en plus à une « croyssance », c’est-à-dire à la croyance en une croissance infinie et éternelle qui s’émanciperait (par la technique toujours triomphante de toutes les questions scientifiques) de toutes les contraintes environnementales et, même, de celles liées à la nature mortelle des êtres humains… La croyssance est une utopie, dangereuse comme toutes celles qui se veulent « seule vérité, seul espoir », et il n’est pas inutile de la dénoncer, non pour penser en homme a-scientifique, mais pour réfléchir à partir de ce qui est sans s’empêcher d’imaginer un autre destin que celui que voudraient nous imposer les technocrates ou les écolocrates des grandes institutions de la gouvernance mondiale.

L’écologisme intégral a pour ambition d’apporter quelques réponses aux questions écologiques contemporaines, et il est aussi l’occasion de rappeler que le combat à mener n’est pas seulement purement environnemental mais qu’il est, aussi et sans doute d’abord, politique et civilisationnel : négliger l’un de ces aspects serait condamner l’écologie préservatrice à l’impuissance ou à la seule « apparence ».


L’écologie et le Roi.

En cette veille de COP 28 qui risque bien d’être une farce malgré la présence (bienvenue) du pape François, il n’est pas inutile de rappeler pourquoi l’écologie sera intégrale et royale… ou ne sera pas !




« La question environnementale fait les beaux jours de quelques organisations dites « écologistes » à défaut d’être vraiment pratiquée par une République d’abord électoraliste…

Or, l’environnement, c’est beaucoup mieux que cela, c’est la vie même de notre planète, de nos sociétés, de nos proches.

Il est logique que les royalistes se sentent plus que concernés, puisque nous pensons, non seulement en termes de présent ou d’immédiateté, de passé et d’histoire, mais aussi en termes d’avenir, de cet « avenir que tout esprit bien né souhaite à sa patrie » et, au-delà, à nos propres successeurs.

Car nous pensons au-delà de nous-mêmes, soucieux de transmettre aux générations prochaines un patrimoine que nous espérons enrichir d’expériences et de bienfaits…

Si l’on en regarde la définition littérale, nous, royalistes, sommes des « traditionalistes politiques » et donc, à ce titre, respectueux de ce qui est nécessaire, et critiques, fortement et forcément critiques, de ce qui nous détruit, même dans le confort et dans la « joie » ludique de la « consommation à outrance ».

Deux formules de Charles Maurras peuvent à merveille résumer notre pensée de la transmission : la première, « Maintenir, c’est créer », c’est-à-dire préserver l’environnement sans en faire un musée (qui est la fossilisation de la vie) pour permettre la vie dans de bonnes conditions des générations futures et leur expression propre, leur épanouissement dans les formes qu’ils contribueront à créer, qu’ils pourront assumer…

La seconde, « La vraie tradition est critique », c’est-à-dire remettre en cause les principes de l’actuelle société de consommation qui « consume » ce qui a mis des millions d’années à se faire (pétrole, gaz, etc.), et qui détruit ce qui a mis des siècles à se forger (l’État, la nation, les traditions culturelles ou gastronomiques, le savoir-vivre et le mieux-vivre des générations qui se suivent sur notre terre, etc.).

Nous n’avons pas attendu les « Verts » pour savoir et dire qu’il ne fallait pas gaspiller le capital amassé au fil des siècles, qu’il ne fallait pas « enfumer » nos contemporains. Déjà, dans les années 1880, la revue satirique royaliste Le triboulet s’inquiétait des ravages de la pollution liée à une industrialisation anarchique et l’écrivain Paul Bourget, au début du XXe siècle, y consacrait des phrases terribles dans son récit d’un voyage en Angleterre. Et Maurras lui-même, dans les années 1950, s’en prenait à l’industrialisation sauvage des bords de l’étang de Berre. Que dirait-il s’il revenait !

Royalistes, nous inscrivons notre combat dans le temps long de l’histoire et du politique. Nous regardons au-delà des élections et des locataires de passage à l’Élysée.

Soyons clairs : aujourd’hui, pour incarner la véritable écologie, ce que l’on appelle parfois le « développement durable » (même si le terme reste ambigu et que nous lui préférons la sobriété, voire la décroissance), encore faut-il un « État durable », un État qui s’inscrive dans la durée, dans le long terme ; un État qui s’enracine dans la vie et la suite des générations.

Or, par essence, la Monarchie héréditaire c’est la suite même des générations à la magistrature suprême, c’est l’enracinement dans la longue durée.

Le Roi n’est que le maillon d’une longue chaîne humaine, fils de roi et père de roi : d’ailleurs, n’est-ce pas le plus naturel, le plus respectueux des cycles humains naturels, que cette transmission ininterrompue de père en fils ? Cela impose des devoirs au roi régnant, dont celui de préserver l’héritage, voire de l’améliorer… Il n’est pas indifférent de constater que le seul chef d’État, à ce jour, à s’être rendu pour un voyage d’étude sur le réchauffement climatique au Pôle Nord, est un souverain, le prince Albert II de Monaco, et qu’il avait été précédé par un autre prince, en attente de trône, le prince Jean de France, actuel Comte de Paris.

Quand la démocratie électorale promet le « toujours plus » pour gagner quelques places à brève échéance, qui prendra le risque, en particulier de l’impopularité (fût-elle passagère), pour mettre en place de vraies mesures écologiques dans notre pays, en particulier orientées vers une « société de sobriété » ?

Le Roi, lui, n’a pas à promettre, il doit agir, tenir et maintenir ce qui est et ce qui doit être par delà les élections et les discours, au nom des générations qui viennent.

L’arbre de Saint Louis n’est pas seulement celui de la justice, il est aussi le symbole même de cette vie qu’il s’agit de transmettre, et il incarne l’écologie intégrale, forcément royale en France si l’on veut qu’elle soit pleine et entière, efficace et crédible.

Bien sûr, le sceptre n’est pas une « baguette magique », mais instaurer la Monarchie en France, c’est donner un signal fort au monde et faire de notre pays un exemple, pourquoi pas un modèle, pour peser sur les décisions environnementales mondiales…
Ainsi, pour que vive la vie, nous crions, encore et toujours : Vive le Roi ! »




Le Roi, pour quoi faire ?

Le royalisme a un message original qui ne cherche pas à promettre mais à fonder, à refonder même, un pacte civique autour d’un État arbitral, fédéral et éminemment politique. Il ne s’agit pas de prendre une revanche sur une République qui, au cours de son histoire, a pu s’incarner en des personnalités fort différentes, d’un Danton corrompu à un de Gaulle détestant l’Argent, et en des idées parfois très antagonistes, de la Terreur liberticide à un conservatisme opportuniste plus prudent, de la Gauche socialiste (ou prétendue telle…) à une Droite libérale-libertaire, etc. mais de créer, d’instaurer un « autre État ».

S’il s’agit bien de remplacer la République, il n’est pas question de faire une chasse aux sorcières qui nous renverrait aux années Valls ou Castaner et à leurs limitations légales de libertés « au nom de la République » ! La Monarchie n’est pas une « contre-République » car elle ne se définit pas, d’abord, par la négation mais par la fondation et l’affirmation : elle n’aurait d’ailleurs aucun souci à utiliser les compétences de tel ou tel ministre de la République trépassée, ne lui demandant pas un passeport idéologique mais une pratique économique ou politique au service de la France.

S’il y avait un roi, pour ce qui est de la crise actuelle de confiance envers l’État, il ne se comporterait ni en magicien ni en charlatan, mais en réaliste et en « imaginatif » : pas de « sceptre magique » mais, parfois, des solutions simples et « de proximité » en exploitant les possibilités d’un véritable aménagement du territoire (vivier d’emplois encore sous-utilisé, par exemple), rendu possible par l’existence de ce fédérateur-né, statutaire, qu’est le roi. Une grande politique d’État, politique royale, impulserait cette réforme territoriale que la République, encore plus bloquante que bloquée, n’ose pas faire, de peur de déplaire aux féodalités locales qui la tiennent.
 
Là encore, le roi n’a pas toutes les solutions mais sa présence en permet plusieurs à la fois, puisqu’il symbolise l’unité du pays, assez fortement pour permettre toutes les initiatives provinciales, locales, nationales possibles : on retrouve là la notion de « levier monarchique » rendu possible par l’indépendance du roi, « né roi » donc libre des jeux électoraux et des pressions patronales ou syndicales

Ce 11 novembre qui nous oblige…

Le 11 novembre 1973, collégien de Sixième à Rennes, je fus chargé de porter le drapeau du « lycée de jeunes filles Jean-Macé », établissement qui n’était mixte que depuis la rentrée de 1969… C’était un grand honneur pour moi et c’était aussi la première fois que je participais directement à une commémoration de l’armistice de 1918, serrant la main de quelques octogénaires qui, plus d’un demi-siècle auparavant, avait connu la boue des tranchées et la mort de leurs camarades d’infortune et de gloire. Jusque là, c’est du haut d’un immeuble voisin de la place du Champ de Mars que je regardais le défilé militaire, contemplant les matériels qui, pour l’occasion, étaient de sortie, et je ne connaissais alors les anciens de 1914 qu’à travers les drapeaux qu’ils portaient et qui, d’ailleurs, les cachaient le plus souvent. Ce 11 novembre 1973, ils étaient là, devant moi, et pourtant je n’avais pas encore la nette conscience du temps qui était passé depuis le Grand drame, premier mais pas dernier du XXe siècle, malheureusement. Les années passant, quand les rangs des poilus survivants s’éclaircissaient de plus en plus jusqu’à disparaître entièrement, je n’oubliais jamais ce jour-là d’assister en spectateur à la cérémonie et, dans les années 1990, j’y ajoutais le rituel, la veille et au moment même du souvenir officiel, de lire quelques pages de Tombeaux, ce recueil d’articles nécrologiques écrits et publiés quelques années après l’armistice sous la forme d’un livre sans ordre apparent par le théoricien du nationalisme intégral, Charles Maurras.

Sous la couverture ornée d’une femme casquée et ailée symbolisant la France comme Athéna la cité antique de la mer Egée, c’est un grand cimetière, un véritable Panthéon de l’Ancienne France qui se déploie au fil des pages : en fait, la Grande guerre a été le tombeau de la France d’Ancien régime, de la France monarchique et rurale qui, tout compte fait, avait survécu à l’ouragan révolutionnaire et au XIXe siècle industrialiste et progressiste. Car, si la République est véritablement née en 1881 avec les lois scolaires de Jules Ferry, la Monarchie, elle, n’est vraiment morte qu’en 1914-1918, du moins celle qui vivait dans le sentiment et la continuité de l’histoire de France depuis ses origines rémoises et capétiennes : la guerre mondiale a été l’occasion d’une grande Tabula rasa que même les années de la Terreur n’avaient pas réussi à faire, car provoquant des résistances dont le souvenir reste vif autant que détesté et contesté par la doxa républicaine officielle, particulièrement dans l’usine de l’Education nationale. Les Bretons, descendants des Chouans de Bretagne, du Maine et de Normandie, payèrent un prix extrêmement lourd au premier conflit mondial, et trois de mes arrière-grands-pères y laissèrent la vie quand, dans le même temps, mon grand-père maternel passait quatre ans dans les tranchées, principalement comme brancardier, fonction ingrate et éminemment périlleuse… Personne ne dérogea à ce qui était présenté comme un devoir patriotique quand, à bien y regarder, les gagnants de la guerre ne furent pas forcément les soldats vainqueurs… A la fin de Tombeaux, Maurras rapporte une anecdote terrible, qui rappelle aussi les propos sévères d’Anatole France sur les profiteurs de guerre : de passage à Verdun en février 1921 pour l’inhumation définitive de Pierre Villard qui avait été, avant-guerre, l’un des dirigeants des étudiants d’Action française et qui lui légua personnellement une somme importante pour donner naissance à la Revue Universelle en 1920 (une revue qui existe toujours un siècle après, fidèle au royalisme maurrasso-bainvillien de ses origines), Maurras visite la ville et les bords de la Meuse, accompagné d’un guide qui lui présente les lieux, dévastés par les combats. Gravats, ruines, désolation : « Autour de nous, à perte de vue, s’étendait un paysage de pans de murs fauchés à hauteur d’homme, de maisons décoiffées ou bien rasées du haut en bas. Seule, neuve, presque riante, refaite de pied en cap, ailes et toiture, une grande boîte de brique, de pierre et d’ardoise carrait et étalait l’orgueil d’une renaissance égoïste qui, jusque dans cette demi-ombre, offensait.
Je demandai qui était cette Nouvelle Riche.
Le guide répondit : – La Banque.

Ce n’était pas pour établir la sale royauté de l’or ou du papier que sont tombés tant de héros pleins d’intelligence et de vie. Devant la dictature financière que prépare la République, le souvenir des morts, royalistes ou non, ordonne d’en finir au plus tôt avec ce régime.
»

Un siècle après, ces mots de colère et de dégoût résonnent bien étrangement… et ils nous engagent, d’une certaine manière : le souvenir des morts pour la France, que nous perpétuons dans ce temps malheureux d’amnésie confortable et conformiste, mérite plus que l’hommage ; il oblige à la réflexion et à l’action…




Jean-Philippe Chauvin

Les aspects contemporains de la question sociale.

Penser la question sociale aujourd’hui, au-delà des idéologies qui semblent s’imposer et s’opposer spectaculairement dans nos sociétés désunies et conflictuelles, tel est l’objet d’une nouvelle série d’articles sur ce site du Groupe d’Action Royaliste, aussi publiés dans la revue royaliste d’Action française Le Bien Commun.

La réforme des retraites est faite, en attendant la prochaine (2027 ?) si l’on en croit les économistes et l’ancien premier ministre Edouard Philippe, et sa contestation, pourtant nécessaire, est restée vaine : la République a eu le dernier mot, mais ce n’est pas forcément le bon… En cette rentrée, c’est l’inflation qui occupe et surtout préoccupe tous les esprits, et qui déprécie le porte-monnaie des Français, particulièrement des classes moyennes et populaires, et l’inquiétude du gouvernement comme des entrepreneurs porte aussi sur une possible conséquence sur les salaires, entraînant ceux-ci à la hausse, pourtant considérée comme le « meilleur » moyen de compenser celle des prix à la consommation mais aussi de répondre aux demandes de certains secteurs en tension (restauration, bâtiment, agriculture… qui ne trouvent pas assez de bras aujourd’hui) ; les salariés, eux, souhaitent cette amélioration salariale, souhaitable à bien des égards. L’enjeu des prochains mois va être de trouver la nécessaire conciliation entre les parties, considérant que l’économique et le social doivent s’accorder si l’on veut éviter la faillite de l’une et la colère de l’autre. Mais il n’est pas certain que la République soit en mesure de relever ce défi particulier et sensible, prisonnière de son allégeance à des règles « européennes » parfois kafkaïennes et désarmantes face aux puissances extra-européennes et toujours coincée entre deux élections, la France se retrouvant désormais en présidentielle permanente, ce qui ne peut qu’entraver toute stratégie politique, économique et sociale de long terme. De plus, les tensions géopolitiques, dans lesquelles la France se trouve parfois partie prenante, n’arrange guère la situation des prix, mais c’est toujours la mondialisation qui domine en économie, et cela même si elle tend aujourd’hui, dans cette nouvelle fragmentation du monde, à se « déglobaliser » : comme le dit Pierre-André de Chalendar (1), « les entreprises sont désormais confrontées à la géopolitique et doivent s’y adapter, ce qui est plus ou moins facile. Elles vont devoir raisonner multilocal plutôt que global. » Mais l’Etat n’a-t-il pas aussi son mot à dire et ses arbitrages à mener en ce domaine, sans tomber dans l’étatisme néfaste ? Il nous faudra y revenir dans les prochains mois.

Néanmoins, cette nouvelle donne internationale qui a des répercussions économiques et sociales jusqu’au tréfonds de notre pays change-t-elle fondamentalement le système socio-économique dominant ? C’est peu probable, en définitive : la société de consommation, le libre-échangisme mondialisé et l’idéologie de la croissance restent les fondements apparemment indestructibles du système qualifié, le plus souvent et sans beaucoup d’explications ni de nuances, de « libéral » ou, plutôt, de « néolibéral ». Or, ce système, dont la morale première est résumée par la terrible formule de Benjamin Franklin « Time is money » (c’est-à-dire « le temps c’est de l’argent »), néglige autant la nature que les hommes, le souci environnemental que la justice sociale et, au regard des archives royalistes disponibles, il est assez frappant et révélateur que parmi les premiers à s’en inquiéter vraiment en France, l’historien politique trouve rapidement les royalistes d’Action française… Une page tirée de l’Almanach de l’Action française pour 1929 évoquant le système socio-économique des Etats-Unis (pas encore complètement triomphant en Europe alors) mérite la citation et la lecture, mais aussi le commentaire : « Aux Etats-Unis, on a essayé de résoudre le problème social par l’octroi des hauts salaires en échange d’un rendement fortement amélioré, grâce à la taylorisation du travail et à la standardisation des fabrications. L’ouvrier qui accepte de produire son maximum reçoit une paye suffisamment élevée pour qu’il puisse se procurer non seulement le nécessaire mais un large superflu. Il lui est donc possible en principe d’économiser. Mais (…) les hauts salaires n’ont pas été accordés aux travailleurs par pure philanthropie ; on a exigé et obtenu d’eux un rendement inconnu dans la vieille Europe mais, en outre, on a cherché à en faire de nouveaux consommateurs afin que les usines puissent, grâce à l’augmentation de clientèle ainsi obtenue, travailler en grande série et par conséquent avec des prix de revient meilleurs. Tous les moyens : publicité, vente à crédit… ont donc été mis en œuvre pour éloigner l’ouvrier de la thésaurisation et le pousser au contraire à dépenser, non seulement au fur et à mesure de son gain, mais encore en spéculant d’avance sur ce gain. (2)» C’est bien le système même de la société de consommation qui est ainsi décrit et que résumera, pour mieux l’analyser et le critiquer, le maurrassien Pierre Debray : selon lui, Ford et ses imitateurs autant que ses successeurs (3) ont mis en pratique la logique même de la société de consommation, « Consommer pour produire » et, par la tentation valorisée (la publicité) et financée (le crédit, c’est-à-dire l’endettement organisé et contrôlé par les banques), ouvrent le temps du superflu et du gaspillage dénoncé dans la littérature dès 1931 par Aldous Huxley dans son fameux ouvrage « Le meilleur des mondes ».

S’il semble assurer, au moins un temps, une certaine prospérité matérielle aux pays qui l’adoptent et aux travailleurs qui y participent, ce système est-il, pour autant, juste et équilibré ? Rien n’est moins sûr. « Le travailleur qui tombe malade ou s’estropie par accident se trouve fortement endetté par des achats à crédit et n’a pour ainsi dire rien mis de côté. (4) » Ce qui est vrai, un siècle après, aux Etats-Unis, l’est-il de la même manière en France ? Les moyens d’épargne comme le livret d’épargne (5), aujourd’hui renommé livret A, peuvent permettre d’amortir le choc du chômage ou du malheur social lié aux maladies ou aux accidents du travail, tout comme l’Etat-providence français, souvent plus proche de l’assistanat que de l’assistance juste et légitime, ce qui en amoindrit sans doute à terme l’efficacité et la crédibilité sans satisfaire toutes les nécessités de la justice sociale. « La dure loi américaine n’estime les hommes que d’après leur seule valeur productive ; si celle-ci vient à diminuer momentanément ou définitivement, les services antérieurement rendus ne comptent guère », et cela, écrit pour les Etats-Unis des années 1920, définit aussi l’une des caractéristiques du système franklinien mondialisé contemporain, même si l’on peut y rajouter que c’est sans doute la valeur consommatoire (l’Avoir) qui compte encore plus que la valeur liée à la création de richesses matérielles, elle-même aujourd’hui dépassée par celle de richesses immatérielles, parfois complètement virtuelles et purement spéculatives. Or, ce système a fortement tendance à dévaloriser le travail et les travailleurs, les producteurs de base eux-mêmes, au seul profit de l’argent et de ses jeux parfois immoraux. La survalorisation de la possession financière dans le monde contemporain au détriment des valeurs de la justice, de la solidarité et du partage équitable des profits, n’est pas, en définitive, acceptable parce qu’elle néglige le sens et l’unité de ce qui fait société en préférant l’individualisme et la division permanente selon les seuls éléments matériels (et immatériels) de richesse : la formule « On ne prête qu’aux riches » n’a jamais été aussi si actuelle et si inappropriée à l’équilibre social ! L’exemple de l’accès à la propriété immobilière (et de son entretien pour les propriétaires à faibles revenus) est aujourd’hui le plus caractéristique et éminemment scandaleux : les jeunes couples des classes moyennes (entre autres) désireux de faire un premier achat immobilier se retrouvent déboutés par les banques qui prêtent de moins en moins, ou à des taux peu attractifs, au risque de geler toute possibilité de devenir propriétaire alors même que c’est un souhait manifesté très largement par les familles et citoyens français, et que c’est même, pour beaucoup, à la fois un idéal et une assurance contre les revers de fortune possibles… Voilà ainsi une situation malheureuse pour nombre de nos compatriotes qu’une politique de justice sociale réfléchie et appropriée doit chercher, absolument et le plus rapidement possible, à résoudre.

(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) Entretien publié dans Le Figaro, samedi 16- dimanche 17 septembre 2023. Pierre-André de Chalendar est le président de Saint-Gobain et s’affiche comme libéral, peu favorable au colbertisme d’Etat…

(2) : Pierre Chaboche, « La sécurité du travail », article publié dans l’Almanach de l’Action française pour 1929. M. Chaboche était le président de l’Union des Corporations Françaises (U.C.F.) de 1925 à 1930 et directeur de son journal La Production Française. Industriel royaliste, il poursuivit ensuite son combat corporatiste et social auprès du jeune comte de Paris, dans les années 1930.

(3) : Parmi les imitateurs et successeurs du tayloro-fordisme, il n’est pas inutile de citer son propre concurrent Alfred Pritchard Sloan, président de General Motors, qui « perfectionnera » le système initié par Ford en remplaçant l’unicité (de la voiture produite : la Ford T était fabriquée en une seule couleur – noire – et égalisait ainsi tous ses acheteurs, de l’ouvrier au banquier) par la diversité des équipements et de couleurs (mais sur le même châssis de base), les gammes réintroduisant ainsi la notion de hiérarchie sociale et créant de nouveaux désirs dont celui de s’approprier la voiture correspondant à l’échelon social supérieur à sa propre condition… La voiture redevient alors un marqueur social de première importance et, en tout cas, un élément de sa visibilité. La société de consommation devient alors une société de la séduction sociale et du désir de revendiquer un rang supérieur pour nombre de ses acheteurs, au risque de l’endettement (fatal, parfois) pour certains. Un excellent moyen, en somme, d’enraciner la société de consommation et d’en détourner la possible contestation par la tentation et l’illusion de monter, non dans l’échelle sociale, mais dans celle de la représentation sociale…

(4) : Pierre Chaboche, article cité plus haut.

(5) : C’est un héritage du règne du roi Louis XVIII, qui a suscité la création du livret d’épargne en 1818, justement pour permettre à tous les sujets du royaume de disposer d’un moyen sûr et garanti par l’Etat de pouvoir faire des économies en prévision, soit des jours moins heureux soit de futurs achats…

Les accidents du travail, ce fléau.

Cela n’arrive pas qu’aux autres ! Mais il y a aussi des métiers qui sont plus touchés que d’autres par le fléau des accidents du travail : les secteurs industriels, le monde de l’hôpital, les métiers du bâtiment, etc., se révèlent beaucoup plus accidentogènes que les professions dites intellectuelles, les activités bancaires ou commerciales. Cela explique en partie que l’espérance de vie en bonne santé (« sans incapacité », en langage administratif) soit inférieure chez les ouvriers d’une bonne dizaine d’années au regard de celle des cadres et des enseignants, par exemple. Or, les dernières études montrent que la France est l’un des pays au bilan le plus lourd en ce domaine, même si les modes de calcul de l’accidentologie ne se sont pas les mêmes d’un Etat à l’autre. Ainsi que le signale Thomas Engrand dans son article des pages économiques du Figaro publié lundi 4 septembre : « (La France) arrive en quatrième place des pays ayant le plus fort taux d’accidents de travail mortels par an, derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte, avec une fréquence de 3,32 pour 100 000 travailleurs en 2021, selon Eurostat. En Allemagne, ce taux n’est que de 0,84. En Suède, il tombe à 0,77 et à 0,33 aux Pays-Bas, le champion en la matière. » Quelles que soient les limites que les différences de mode de calcul d’un pays à l’autre peuvent entraîner dans la crédibilité de ces chiffres, ils n’en restent pas moins significatifs d’un véritable problème de santé publique dans le monde du travail, problème que les récents (et médiatisés) accidents mortels sur le chantier du Grand Paris Express (1) ont remis en valeur à défaut de le régler.

D’autres chiffres, plus parlants et non moins inquiétants, permettent de mieux saisir encore l’ampleur du problème qui, pour être peu abordé jusqu’alors dans les médias et encore moins dans les manuels scolaires et universitaires de nos établissements d’enseignement, mérite non seulement l’intérêt mais des réponses appropriées et, disons-le, urgentes : « Car la France a recensé 640 000 accidents du travail en 2021, dont « près de 35 000 se traduisent par une incapacité permanente », pointe Olivier Dussopt. Après avoir longtemps baissé, le chiffre connaît une stagnation depuis plusieurs années. Parmi eux, deux par jour sont mortels en moyenne – 693 en 2021 – (2), rien que sur le lieu de travail. Le chiffre est presque deux fois plus important si on ajoute les accidents de trajet domicile travail et les maladies professionnelles. » Sans oublier qu’un certain nombre « d’accidents moins graves passent sous les radars. La France est régulièrement classée parmi les pays où les accidents sont les plus nombreux en Europe. » Ce tableau sombre est d’autant plus inquiétant que notre pays traverse une « crise du travail » et que les jeunes générations, pour une large part, s’éloignent des métiers considérés comme « trop manuels » ou « trop éprouvants », au risque de renforcer les pénuries de main-d’œuvre déjà fort marquées dans certains secteurs de production et de service. Or, cette accidentologie trop élevée en France risque, si l’on n’y prend garde, d’accentuer la méfiance des nouveaux travailleurs à l’égard de secteurs déjà peu attractifs…

Le gouvernement a-t-il pris la mesure du problème ? Le fait qu’il engage une campagne de sensibilisation sur ce sujet dès la fin du mois de septembre peut le laisser entendre, à défaut de le croire… Mais cela sera-t-il suffisant et, au final, satisfaisant ? « Les branches professionnelles les plus accidentogènes vont être mobilisées pour améliorer la prévention, comme le bâtiment », nous est-il annoncé : l’intention est bonne, mais elle risque d’être freinée par le manque criant d’inspecteurs du travail (à peine 2 100 en France aujourd’hui pour une population active de plus de 31 millions de personnes…), pourtant nécessaires pour vérifier les avancées promises dans la sécurité des salariés. C’est aussi là que l’on mesure tout l’intérêt qu’il pourrait y avoir à disposer, en plus de l’Inspection du travail, de structures véritablement corporatives et régionales (voire communales pour certaines) ordonnées à définir et à créer les meilleures conditions de travail possibles, autant dans la recherche de la qualité que dans celle de la sécurité au travail et de sa préservation. En fait, ces structures corporatives ont pu exister dans le passé, sous un Ancien régime aussi décrié que largement méconnu sur le plan social, et elles ont été dissoutes irrémédiablement en 1791, par les lois d’Allarde et Le Chapelier, avant que de renaître, de façon incomplète, au fur et à mesure des XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, ne serait-il pas plus efficace de confier plus largement le contrôle des règles de sécurité et de qualité à des corps socio-professionnels autonomes que de le laisser au gré des disponibilités de services de l’Etat débordés et parfois kafkaïens ? Non qu’il faille « défaire » l’Inspection du travail (3), utile mais parfois maladroite (voire néfaste dans certains cas, ce qui est le comble au regard de sa mission première…), mais il paraît nécessaire de la compléter, de la décharger de certaines tâches pour la rendre plus efficace et crédible, à défaut d’être toujours populaire… (4)

Il y a sans doute une autre limite à la lutte, pourtant nécessaire, contre l’accidentologie au travail : c’est le système même de la mondialisation libérale qui met en concurrence les travailleurs du monde entier, concurrence qui transforme une saine émulation entre secteurs productifs en compétition sauvage favorable aux plus grands prédateurs économiques mondialisés pour qui le sort des travailleurs, où qu’ils soient, n’est qu’une variable d’ajustement. Ainsi, nombre de multinationales ne se soucient guère des conditions de travail des salariés, pourvu que les machines tournent et produisent. Or, la France, après une industrialisation brutale et fort peu sociale à partir de 1791, a recréé peu à peu, au fil des lois sociales et des luttes qui, souvent au XXe siècle, les ont permises, un climat de travail plus favorable aux ouvriers et employés, haussant d’autant le coût de celui-ci et de ses productions matérielles comme immatérielles : trop souvent, ce dernier élément (pourtant éminemment positif et bienvenu pour les salariés) a servi d’alibi à de grands groupes industriels pour expliquer et assumer la délocalisation de leurs usines vers des destinations moins regardantes sur les droits (et les salaires…) des producteurs de base… Cela explique sans doute aussi pourquoi, à l’inverse des délocalisations spéculatives évoquées auparavant mais pas dans un meilleur esprit social, nombre d’entreprises utilisent aussi en France des « travailleurs détachés » issus majoritairement des pays de l’Europe orientale, plus souvent victimes d’accidents du travail que les travailleurs locaux. D’où la prise en compte de cette donnée par l’Etat lui-même : « En parallèle de cette campagne de sensibilisation destinée à tous les Français, l’exécutif veut en mener une autre spécifiquement pour les travailleurs détachés, avec des outils de prévention déclinés en plusieurs langues. » C’est déjà cela, même si l’on peut légitimement s’interroger sur le statut même de « travailleur détaché », surtout quand ceux-ci s’avèrent trop peu francophones pour recevoir directement et comprendre immédiatement les consignes et conseils de leurs collègues de travail ou des structures d’accueil et d’hébergement…




(à suivre : Partie 2 : Réduire les accidents du travail, c’est possible, malgré tout !)




Notes : (1) : « Ces derniers mois ont ainsi été marqués par plusieurs accidents graves sur le chantier du Grand Paris Express (…). Dernier en date, début juillet, un ouvrier de 46 ans a été écrasé par un chariot télescopique. En avril, un apprenti de 22 ans était tué par la chute d’un bloc de béton. Au total, cinq ouvriers ont déjà trouvé la mort depuis le début des travaux en 2015. Bien qu’aucun métro n’y ait encore roulé, la ligne 16 compte déjà trois décès. » Des précisions apportées dans l’article de Thomas Engrand.

(2) : En 2018, le nombre d’accidents mortels était de 551, soit 142 de moins que trois ans après

(3) : L’inspection du travail est d’ailleurs un héritage indirect des études sur les difficiles conditions de vie et de travail ouvriers du docteur Villermé à la suite de celles du préfet royaliste Villeneuve-Bargemont. C’est aussi une institution qui reprend, à un niveau national et sous contrôle étatique, la mission de protection du travail et des travailleurs assumée jadis par les corporations …

(4) : La proposition d’une nouvelle forme sociale institutionnelle impliquant plus nettement des corps socio-professionnels (que l’on pourrait qualifier, peut-être, de « corporations », du moins dans l’esprit ordonné et positif du terme) n’est, je le précise, qu’une proposition (même si elle me semble fondée et bénéfique pour le monde du travail de demain à défaut d’immédiatement…) qui mérite étude, réflexion et discussion : je rappelle que je ne souhaite pas, bien au contraire, la disparition de l’Inspection du travail qui, dans son principe même, me semble plus qu’utile, véritablement nécessaire malgré ses limites et défauts actuels. Mais le statu quo ne me semble pas plus profitable, et une réponse corporative peut être ainsi envisagée…







Quelle politique scolaire pour la France ?

Les écoliers de France sont rentrés lundi 4 septembre et le lendemain mardi 5, après le retour des professeurs dès vendredi 1er septembre dans la plupart des cas. Un nouveau ministre, aux ambitions politiques plus ostentatoires que le précédent, préside (mais est-ce le terme exact dans une République si « présidentielle » ?) aux destinées de l’Education nationale, et ses annonces tonitruantes et martiales, populaires dans le pays, laissent néanmoins sceptiques les enseignants. Sans doute parce que le ministre, tout à ses occupations de communication, n’évoque guère ce qui, aujourd’hui, peut être considéré comme des plus inquiétants : le déclin des connaissances générales des élèves ; leur difficulté à se concentrer et à travailler, réfléchir, écrire sur le long terme ; la concurrence des modes alternatifs de socialisation, d’éducation et d’instruction via les réseaux sociaux… La matière grise est l’une des principales richesses de notre nation et elle semble se dessécher dangereusement depuis quelques décennies, plus rapidement que nos nappes phréatiques pourtant déjà bien mal en point : c’est cela qui devrait, d’abord, inquiéter le gouvernement, ce qui n’empêche évidemment pas d’autres motifs d’inquiétude…

Il semble bien que la République ne s’intéresse plus que marginalement à l’école, laissant désormais (presque) ouvertement d’autres acteurs (privés et, parfois, communautaristes) se charger des fonctions d’instruction, d’éveil et de formation des intelligences. Cela, d’ailleurs, n’est pas toujours inutile ou néfaste, et je ne suis pas hostile, a priori, à une certaine séparation de l’Ecole et de l’Etat, voie ouverte à une régionalisation de l’enseignement en France, mieux adaptée aux enjeux sociaux et économiques des différents territoires de France : que les nécessités scolaires, au-delà d’un tronc commun national qu’il s’agit d’organiser principalement autour des matières scientifiques et techniques, soient diversement abordées selon l’endroit considéré serait plutôt une bonne chose, et cela existe déjà (un peu, au gré de quelques professeurs fort investis et souvent enracinés) dans la pratique, à défaut de s’inscrire dans les programmes parisiens de l’Education nationale.

Mais, ici et maintenant, ce qui me semble importer avant tout (dans un temps de l’urgence qui ne doit néanmoins rien céder à la précipitation toujours mauvaise conseillère), c’est, d’une part un véritable renforcement et valorisation des savoirs et connaissances des élèves, d’autre part un (ré)enracinement de ces derniers dans la nation plurielle française, à la fois pour intégrer les jeunes populations dans « l’être français » aujourd’hui négligé au profit de la mondialisation et du « consommatorisme » prônés par les féodalités financières et industrielles, et pour « faire de la force française » dans un monde de plus en plus ensauvagé et « décivilisé » : l’avenir de la France mérite ce double effort, cette double politique, surtout au moment où nombre de nations, en particulier celles des « peuples jeunes », se réveillent et se créent, parfois artificiellement ou seulement idéologiquement, une identité conquérante (et la religion retrouve là, souvent, son rôle premier d’unification des groupes humains constitués autour de quelques idées simples – voire simplistes – d’une forte attractivité dans un monde déboussolé) et parfois fort intolérante. La matière grise et l’unité française (et non l’uniformité, qui est la négation même de l’unité historique de la France et de sa pluralité) sont les deux jambes sur lesquelles l’école devrait s’appuyer pour aller de l’avant et reprendre le terrain qu’elle a pu laisser aux féodalités mondialisées ou communautaristes. La République, qui n’a comme ligne d’horizon que la prochaine élection présidentielle (« ils » ne pensent plus qu’à cela et, déjà, les médias ne parlent plus de politique que par rapport à « 2027 »…), a montré, concrètement, qu’elle n’avait ni le ressort ni la volonté et sans doute même pas les moyens de mener cette nécessaire politique scolaire dont l’ambition doit être, encore et toujours, le service de la France et des Français, pour mieux aborder le vaste monde mais aussi y porter la parole de la France, puissance qui doit retrouver sa vocation première de grande médiatrice géopolitique et de modèle de civilisation


Jean-Philippe Chauvin