Jean-Philippe Chauvin

Les ouvriers, ces « invisibles » de la mondialisation…

Pendant les élections législatives et après celles-ci, la question ouvrière est passée presque inaperçue, alors même que nombre d’entreprises annonçaient fermetures d’usines en France et délocalisations, y compris de marques emblématiques…


Poulain et Saupiquet, deux noms de marques qui résonnent encore dans les mémoires françaises des générations des Trente Glorieuses, et qui sont éminemment symboliques d’une France traditionnelle alors en voie de modernisation : et pourtant ! Aujourd’hui, ces deux marques emblématiques sont en voie de disparition, condamnées à la fermeture par des directions de groupe qui pensent « international » avant « social », et espèrent dégager plus de profit immédiat pour leurs actionnaires, au détriment, donc, des salariés considérés, en définitive, comme une simple variable d’ajustement : la profitabilité (1) prévaut sur toute autre considération et, il faut le répéter, ce n’est ni bon ni juste. Les arguments déployés par la direction du groupe propriétaire de la marque Poulain, née en 1848 à Blois, sont d’une simplicité et d’un cynisme absolus : « Le groupe Carambar & Co entend conserver la marque, mais veut produire le chocolat ailleurs- sans préciser encore où – et pour moins cher. (2)» C’est donc d’une délocalisation spéculative dont il s’agit, et qui garde la marque française comme argument (rassurant) de vente mais se débarrasse des travailleurs comme d’un papier d’emballage gênant, sans respect ni pour eux, ni pour le territoire concerné (le Blésois), dont on sait qu’il subira les conséquences négatives de cette disparition de ce qui est plus qu’une usine et une marque, mais un patrimoine industriel et un écosystème lié à la production du chocolat sous toutes ses formes (tablettes, poudres, etc.). Le plus choquant est aussi que c’est un groupe français (et non étranger) qui pratique cette politique du désastre, montrant ainsi le peu de cas que les dirigeants d’entreprise, quand ils n’ont pas ce sens de l’appartenance nationale (le fameux patriotisme économique, vanté par l’Etat mais moqué par les puissances d’argent et les techno-bureaucrates du pays légal ou de l’Union européenne) mais bien plutôt l’esprit de la mondialisation, celui d’un « seul monde » qui permet d’oublier leurs devoirs sociaux à l’égard de leurs propres concitoyens ! Comment « faire nation » quand les acteurs économiques ne pensent plus qu’à « faire profit » ? (3)

Dans le même temps, en ce début d’été agité, le cas de Saupiquet est aussi peu médiatisé que celui de Poulain : cette invisibilisation de la question ouvrière est révélatrice de la coupure entre des élites urbaines qui s’émeuvent beaucoup plus facilement du licenciement d’un humoriste controversé que de celui de centaines de gens sans histoires et n’ont pas un mot ni une larme pour ceux qui souffrent de l’abandon industriel, et un pays réel, le monde du travail dans les territoires périphériques de la métropolisation, qui se sent dépossédé de son identité professionnelle et de son patrimoine économique au nom d’une mondialisation antisociale dont, pourtant, il leur est dit, doctement, qu’ils en profitent en tant que consommateurs… Or, l’existence et la valeur d’une personne et d’une communauté ne se mesurent pas à leur pouvoir d’achat, fut-il élevé par rapport à tant d’autres de par le monde, mais à leur pouvoir de création et de production de ce qui peut leur permettre de vivre dignement et, surtout, d’être au monde : c’est ce que voulait signifier la philosophe Simone Weil (4) quand elle expliquait, en des temps où l’exploitation dévalorisait salement le travail et abêtissait les travailleurs en France (5), que « le travail est la grande chose, c’est par le travail qu’on s’affranchit, c’est par le travail qu’on est libre ». Priver des ouvriers de leur emploi, de leur travail, c’est les désarmer face au monde, c’est les désocialiser, les anonymer, voire les faire disparaître aux yeux des autres, tout en les culpabilisant le plus souvent, comme s’ils étaient responsables de la mauvaise gestion ou des appétits de leurs dirigeants d’entreprise ou d’usine. Dans ces cas-là, les syndicats contemporains ne sont que des pis-aller pourtant nécessaires, qui ont le mérite d’exister et de faire pression pour permettre au moins une indemnisation convenable (mais est-ce suffisant ? C’est douteux…), mais ils paraissent néanmoins impuissants face aux lourdes machines de guerre (économique et sociale) que sont les groupes mondialisés et face à l’esprit de fatalisme qui érode toute résistance sociale sur le long terme (sauf exception, dont la coopérative « 1336 » est l’illustration la plus significative tout autant qu’elle est particulièrement – du moins, pour l’instant – isolée (6)…).




Notes : (1) : Cette notion a été évoquée dans un précédent article, publié dans Le Bien Commun, revue royaliste de l’Action française de juin 2024.

(2) : Le Monde, mardi 18 juin 2024, page 15.

(3) : En y regardant de plus près, les groupes industriels ou financiers qui défendent plus que jamais « l’ouverture au monde » (sic) et la « nécessaire adaptation » des Français aux mécanismes de la mondialisation économique, apparaissent comme de véritables séparatistes parce qu’ils ne veulent plus participer à l’économie nationale et à ses nécessaires et fondamentales solidarités sociales (y compris fiscales, même si, sur ce point précis, il serait largement temps de remettre à plat tout le système, désormais inapproprié aux enjeux du moment et aux besoins de la France, en particulier sur le plan des initiatives et de l’inventivité, trop taxées pour les motiver sur le long terme). L’Argent prévaut, pour eux, sur toute autre considération, ce qui n’est évidemment pas nouveau et ce que condamnait fermement La Tour du Pin, persuadé qu’il faudrait, parfois, tordre le bras de ces mercenaires de si mauvaise volonté nationale pour faire respecter le simple équilibre social nécessaire…

(4) : Lors de l’épreuve de philosophie du mardi 18 juin 2024, un texte de Simone Weil extrait de « La condition ouvrière » (un recueil d’articles rédigés avant la guerre de 1939-45) fut donné aux candidats de Terminale, l’occasion de constater que la philosophe (décédée en 1943) n’était pas aussi connue qu’elle mériterait de l’être, nombre d’élèves l’ayant confondue avec l’ancienne ministre giscardienne des années 1970… Son ouvrage sur le travail à l’usine est, plus qu’un témoignage, une véritable réflexion sur la nature même de la société d’exploitation capitaliste, et sur ses effets sur les corps comme sur les esprits.

(5) : Il n’est pas interdit de penser que cette situation reste d’actualité dans nombre de pays où les Firmes Capitalistiques Transnationales implantent désormais leurs usines pour en diminuer le coût et améliorer les bénéfices, au détriment des conditions de travail et de l’environnement local…

(6) : 1336 est une coopérative née de la lutte des salariés de la marque l’Eléphant, propriété du groupe agroalimentaire Unilever. Là encore, ce groupe, pourtant bénéficiaire, décide de délocaliser et de déménager les machines de Gémenos (dans les Bouches-du-Rhône) vers la Pologne. Après un combat de 1336 jours, entre grève et occupation de l’usine (de 2010 à 2014), Unilever renonce à reprendre les machines et les ouvriers fondent une SCOP (Société coopérative et participative) dans la foulée. Depuis, cette entreprise fonctionne et ses produits se vendent dans toute la France. C’est ainsi la preuve qu’il n’y a pas de fatalité et qu’une lutte intelligente, enracinée dans un territoire et favorisée par des familles solidaires (à défaut de pouvoirs publics terriblement absents ou peu efficaces sur ce dossier), peut aboutir au maintien d’une production locale et sociale.

Solidarité royaliste avec les travailleurs !

En quelques semaines, la liste des usines menacées de délocalisation ou de fermeture n’a cessé de s’allonger tandis que la classe politicienne, le « pays légal », donnait le triste spectacle de son incompétence et de sa soif insatiable de pouvoir, se partageant les postes sans savoir même avec qui gouverner : dans ce jeu politicien, l’intérêt général et le souci des Français et de notre pays ont été négligés, voire carrément oubliés ! La Cinquième République, conçue par son fondateur pour empêcher le règne des partis et le désordre parlementaire, semble s’achever dans la confusion et, même, le déshonneur

Cette scandaleuse page politique de notre pays ne doit pas nous faire oublier le nécessaire combat social pour préserver les écosystèmes économiques locaux et les emplois industriels et tertiaires qui y sont liés : à Blois, l’usine Poulain de Villebarou (109 salariés) ; à Quimper, l’usine Saupiquet (155 emplois) ; dans le Loiret, le verrier Duralex (228 salariés) ; en Vendée, l’usine de meubles Gautier (700 emplois) ; à Nantes, l’usine de pompes à chaleur Saunier Duval (250 emplois supprimés) ; etc. Sans oublier l’entreprise Caddie, malheureusement en liquidation judiciaire depuis le jeudi 18 juillet qui laisse sur le carreau des centaines de salariés et leurs familles, dans une indifférence quasi-totale du « pays légal »…

Pour chacun des cas évoqués plus haut, les solutions économiques et sociales peuvent être évidemment différentes, et le combat engagé, en chaque lieu et par les travailleurs concernés (souvent soutenus par une grande part de la population locale), peut prendre diverses formes : mais, dans tous les cas, il faut soutenir les salariés pour maintenir les entreprises en France et éviter la désindustrialisation de multiples territoires, finalement préjudiciable à tous !

Mais, au-delà de ce nécessaire combat, il faut réfléchir aux conditions d’une réindustrialisation favorable aux intérêts du pays (Produire français pour consommer français) ; aux nécessités sociales (assurer un travail digne et utile à tous nos concitoyens) ; aux écosystèmes locaux (refaire un tissu industriel adapté à chaque région et bien intégré dans les territoires, mêmes périphériques). Il faut aussi penser aux conditions politiques favorables à ce grand mouvement de revitalisation productive du pays : au-delà des politiques de circonstances, une stratégie publique s’appuyant sur tous les atouts et acteurs de la France est nécessaire également. Une stratégie sur le long terme que ne permet pas une République prisonnière des jeux de partis et des calculs politiciens, piégée entre deux élections pour la désignation du Chef de l’Etat.

Tout l’avantage d’une Monarchie royale est de placer la magistrature suprême de l’Etat au-dessus des intérêts particuliers et partisans, et de la libérer de la querelle des ambitieux, préjudiciable à la qualité et à l’indépendance de la parole et de l’action de l’Etat. La Monarchie n’est pas un régime parfait (il n’y en a pas sur terre), mais celui qui permet d’utiliser au mieux toutes les compétences et tous les atouts sur le long terme, ce temps long obligatoire si l’on veut aller loin et bien. C’est aussi le régime qui place la justice au centre de ses préoccupations, en servant d’abord les hommes plutôt que l’Argent



Le retour de la Quatrième République.

« Tout désespoir en politique est une sottise absolue » : cette citation de Maurras a été confirmée dimanche par… la Gauche qui se l’est apparemment appropriée ! Effacée et fort minoritaire il y a un mois et encore la semaine dernière au soir du premier tour des élections législatives, elle sort première en nombre de sièges du second tour de ces mêmes élections grâce à un Front républicain fort opportuniste mais encore redoutablement efficace. En fait, cela confirme que, sans compromis viable (ce qui ne signifie pas durable ni même honnête) et alliance même saisonnière, aucun parti ne peut accéder au pouvoir, fut-il le premier de France en nombre d’électeurs : ce qui compte, c’est d’obtenir la majorité au second tour, pas forcément d’être en première position au premier. Le Rassemblement National, qui avait oublié ses règles simples de la démocratie représentative, vient d’être rappelé sèchement à l’ordre, et il revit quelques uns des épisodes précédents des élections régionales et municipales des années 2010-2020. Evidemment, pour ses électeurs, cela peut sembler injuste, voire peu démocratique, mais ce serait oublier que la majorité des électeurs français rejettent encore le RN, et cela de façon assez nette : presque deux tiers du corps électoral ne se reconnaît pas dans la formation de M. Bardella, et ce n’est pas rien. Ce qui peut être considéré comme injuste, néanmoins, c’est que la proportion de ceux qui se reconnaissent dans le président Macron ou dans les partis de gauche, tout en étant encore moins élevée que pour le RN, n’est pas un obstacle à leur victoire électorale aux législatives : c’est le jeu terrible de la démocratie électorale et de son Pays légal traditionnel qui ne souhaite pas être remplacé par un autre

Cela pose évidemment de nombreuses questions institutionnelles et politiques : la Cinquième République, conçue pour obtenir des majorités claires et nettes, n’est-elle pas en train de s’achever en Quatrième, dans le désordre parlementaire des coalitions incertaines et mouvantes, au gré d’une forme d’individualisme partitocratique peu compatible avec la stabilité nécessaire pour mener de grands projets et chantiers sur le long terme ? Quant au président Macron, par sa politique inconséquente, n’est-il pas en train d’affaiblir la fonction monarchique (à défaut d’être royale) du Chef de l’Etat et de se placer dans la situation du président Mac Mahon bientôt obligé de se démettre après s’être soumis (1) ? C’est ce même Emmanuel Macron qui, en 2015, évoquait les limites de la démocratie française : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. (2) » En quelques mots, tout est dit (ou presque) du mal français ! La République, même quand elle se pare des attributs de la Monarchie royale, n’est pas celle-ci, mais juste une tentative de synthèse entre Monarchie (3) et République qui, désormais, atteint ses limites, justement parce que son aspect monarchique « gaullien » s’est peu à peu estompé, passant de la grandeur et du service de l’Etat (notions proprement régaliennes) à simple gestion et mésusage de l’Etat : les trois derniers locataires de Mme de Pompadour ont dévalué la fonction du Chef de l’Etat plus qu’ils ne l’ont servie, et ils l’ont notablement dévalorisée, ce qui explique une moindre présence et influence de notre pays sur la scène européenne et, au-delà, mondiale.

Est-il trop tard pour réagir ? Certains se réfugient dans une sorte de fatalisme qui est bien le contraire terrifiant de l’espérance, et prédisent une fin terrible de la France dans les années à venir ; d’autres préfèrent se conformer aux modes du moment et pratiquer la politique de la feuille morte au fil de l’eau, en attendant que « l’Europe » reprenne la direction et la gouvernance (sic) de la France… C’est pourtant le moment de se rappeler la citation de Maurras évoquée en ouverture de cette note, et de l’appliquer pour sa propre gouverne ! D’autant plus que les royalistes ont quelques arguments forts sur l’Etat et la nécessaire indépendance de sa magistrature suprême à faire valoir










Notes : (1) : Le président Mac Mahon, monarchiste élu à la place de Thiers démissionnaire en 1873, avait échoué à obtenir une nouvelle majorité favorable à son projet royaliste après la dissolution de la Chambre des députés qu’il avait prononcée en 1877. Les républicains l’ayant alors emporté, il s’était, dans un premier temps, soumis tout en restant président de la République ; mais, en 1879, après la courte victoire républicaine au Sénat et l’épuration des cadres de l’armée pour raisons politiques voulue par les vainqueurs sortis des urnes, il avait pris la décision de se retirer totalement, laissant la place à un président totalement républicain, Jules Grévy. Ainsi, l’alternative menaçante de Gambetta (la soumission ou la démission) s’était-elle transformée en réalisation complète et malheureuse…

(2) : Entretien avec Emmanuel Macron publié par Le1, en juillet 2015.

(3) : Le terme de Monarchie est ici à saisir dans sa réalisation royale capétienne, c’est-à-dire héréditaire et successible, telle qu’elle fut depuis Hugues Capet jusqu’au XIXe siècle.


Les Royalistes, d’abord pour la France !

La période actuelle est pleine de surprises et d’inquiétudes, fondées ou non. La République, dans ses troubles et énervements, dans ses exclusions et passions parfois bien mauvaises, risque d’entraîner la France dans le fossé, et c’est elle et son « Pays légal » qui sont responsables et coupables de cette situation délétère qui dure déjà depuis si longtemps : dette publique qui étrangle la nation et ses producteurs ; insécurité sociale qui condamne à la précarité tant de nos concitoyens des villes et des campagnes, pourtant travailleurs et créateurs ; insécurité publique qui s’aggrave d’année en année, avec une délinquance sans complexe ; délocalisations spéculatives qui accentuent le sentiment d’injustice dans le pays…


Quand certains ne parlent que des « valeurs de la République », nous répondons : « valeurs de la France » ; patrimoines de notre nation et de ses peuples ; libertés provinciales, communales, professionnelles ; justice sociale et souci environnemental ; « la France puissance indépendante et souveraine, d’abord, sans méconnaître nos alliances traditionnelles et nos amitiés séculaires » !


La République est responsable et coupable du malaise français : nous, Royalistes sociaux, ne chercherons sûrement pas à la sauver, car, ce qui compte avant tout, c’est la France, les Français et l’avenir que nous souhaitons le meilleur possible pour celle-ci et ceux-ci !

La République fragilisée…

Les résultats des élections européennes ne sont pas vraiment une surprise, au contraire de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée et annoncée au beau milieu d’une soirée électorale jusque-là aussi ennuyeuse que d’habitude : tout d’un coup, l’on basculait de l’évocation et valorisation (pour certains, peu nombreux en fait) d’un bilan à une entrée en campagne, cette fois pour les élections législatives. Par cette décision pour le moins inattendue, M. Macron espère rejouer les lendemains de Mai 68, mais n’est pas de Gaulle qui veut, et il n’est pas certain que le réflexe des électeurs de juin 68, scandalisés ou apeurés par les émeutes et l’apparent triomphe des extrémistes, puisse être le même. Certes, la crainte de l’arrivée du Rassemblement National au pouvoir peut mobiliser nombre de citoyens jusque-là discrets ou absents des dernières consultations électorales, et lui barrer la route de Matignon, et il n’est pas interdit de penser, à trois semaines du premier tour, que c’est le scénario le plus plausible sinon le plus probable. D’autant plus que certains électeurs du RN, plus occasionnels (1) que fidèles, sont eux-mêmes effrayés de cette possibilité d’un Premier ministre issu des rangs de l’ancien Front National, un peu comme ces communistes qui, à l’heure de gloire du PCF, avouaient dans les sondages ne pas souhaiter l’installation d’un régime collectiviste en France (2)…

La période qui s’ouvre n’est pas rassurante, quels que soient les résultats du 30 juin et du 7 juillet : il semble bien que la Cinquième République, minée de l’intérieur par les multiples révisions constitutionnelles et par l’exercice incertain de ses derniers présidents (particulièrement des trois derniers) ainsi que par l’épuisement ou la fin des grands partis qui structuraient l’offre politique et récupéraient les inquiétudes autant qu’ils apprivoisaient les alternances, soit durablement fragilisée et qu’elle ne s’impose plus aussi naturellement dans l’esprit de nos concitoyens, sans qu’ils sachent vraiment par quoi la remplacer ou que cette dernière option leur paraisse, en définitive, peu souhaitable. L’habitude a remplacé l’adhésion…

Nous vivons, sans doute, l’entrée dans une crise de régime sans qu’elle soit forcément l’agonie de celui-ci. C’est, paradoxalement, l’actuel locataire de Mme de Pompadour qui avait saisi en quelques mots (et bien avant de penser même devenir, un jour, le premier magistrat de l’Etat) la contradiction interne de cette République : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie ne remplit pas l’espace. (3) » La situation présente confirme, fortement, gravement même, le propos.

Ainsi, la campagne électorale qui débute s’annonce violente, sans doute irrationnelle, parce que l’ancien pays légal, dominant depuis des décennies, se retrouve menacé, sur son terrain et dans ses positions, par le nouveau, ou par ceux qui aspirent à l’incarner à leur tour : en fait, les uns comme les autres ne cherchent pas exactement à bouleverser l’ordre des choses, ce « désordre établi » déjà dénoncé par Emmanuel Mounier dans les années 1930, mais à le diriger ou l’orienter (ou, plutôt, le réorienter). Il n’est pas certain que cela soit vraiment satisfaisant, ou simplement suffisant…


(à suivre)



Notes :

(1) : C’est le fameux « vote protestataire » qui est plus un vote « contre » qu’un vote positif de proposition.

(2) : J’ai le souvenir d’un sondage de la fin des années 1970 dans lequel la proportion d’électeurs communistes désireux d’un Etat proprement communiste ne dépassait pas la moitié des sondés ! Le vote communiste était plus un « vote de pression » qu’un « vote de révolution » : mais cela leur paraissait suffisant pour améliorer leur situation d’ouvriers ou de fonctionnaires sans avoir besoin de prendre le risque d’un basculement dans une société qui, au-delà du Rideau de fer, montrait ses limites et n’était guère attractive pour des Français bercés par la société de consommation et des loisirs. Le royaliste Pierre Debray résumait cela en évoquant « la victoire de Ford sur Marx », et ce n’était pas faux !

(3) : Entretien avec Emmanuel Macron, publié par Le1, en juillet 2015.



Le salaire décent, une réponse à la question sociale ?

Dans un précédent article, nous dénoncions l’hubris capitalistique de M. Tavares et des rémunérations peu raisonnables au regard de la décence sociale. Mais, que faire face à ces excès qui semblent devenus si naturels que l’on en oublie parfois ce que devraient être la mesure et, au-delà, la justice sociales ? Plutôt que d’évoquer, à nouveau, la politique d’Etat possible face à cette situation, il nous semble intéressant, cette fois-ci, de regarder ce que les grandes entreprises elles-mêmes peuvent faire pour remettre un peu de social dans l’économie : le cas de Michelin peut servir d’exemple utile et inciter à réfléchir à un « autre modèle »…


Certains, à la lecture des lignes précédentes (cf article précédent sur l’indécence sociale), hausseront les épaules et me taxeront peut-être d’utopiste (version sympathique) ou de démagogue (version classique), voire de dangereux gauchiste (version stupide). Et pourtant ! Si M. Tavares est le symbole d’une indécence sociale qu’il convient de dénoncer, sans doute parce qu’il représente et incarne le capitalisme dans ce qu’il peut avoir de plus odieux (1), il est des patrons qui n’ont pas son cynisme et son avidité, preuve s’il en faut que c’est un système idéologique et son esprit dominant qu’il faut combattre et non les chefs d’entreprise ou les cadres de celle-ci qui n’en sont, trop souvent (mais pas toujours, heureusement !), que le reflet ou les exécutants rendus dociles par l’intérêt ou la peur de ne plus valoir (ou paraître ?) aux yeux de la société contemporaine. Désavouer cette idéologie du capitalisme libéral sans limites ni devoirs et préparer une alternative crédible sur le plan économique et social en s’appuyant sur « les hommes de bonne volonté » tout en travaillant à l’instaurer par le moyen du politique (2), c’est évidemment nécessaire, et toutes les attitudes et initiatives qui améliorent les conditions de travail et de vie des salariés (mais aussi des travailleurs indépendants, bien sûr) sont bienvenues et à valoriser, même au sein du système actuel. Ainsi, les propos récents du patron de Michelin (3) en sont une bonne et bienheureuse illustration, véritable contrepied à la pratique de M. Tavares, et sont la preuve qu’il n’y a pas de fatalité sociale lorsque des valeurs supérieures à celles de l’argent animent les dirigeants industriels.

« Nous vivons dans un environnement turbulent. Nous passons d’un monde à l’autre, industriel à postindustriel (…). Face aux bouleversements de la société, à la question de la rémunération du travail, structurellement insuffisante, (…) les entreprises ont un rôle à jouer. Les gens qui travaillent doivent pouvoir vivre correctement de leur salaire. Il faut qu’ils puissent se projeter, sortir de la survie. (3) » Cette réaction du patron de Michelin à la smicardisation progressive (et éminemment inquiétante car elle témoigne de l’érosion de la valeur attribuée aux travailleurs et au travail lui-même par rapport à la finance et à ses jeux et stratégies) de notre pays est particulièrement intéressante et s’inscrit dans la logique d’une « économie au service des hommes et non l’inverse » telle que l’évoquait le pape Jean-Paul II dans son encyclique sur le travail et que la défendaient les catholiques et royalistes sociaux des temps de l’industrialisation. C’est aussi notre logique et notre combat contemporains pour la faire reconnaître et advenir, malgré l’idéologie franklinienne dominante…

Le salaire décent valorisé par M. Menegaux (salaire digne et juste, pour mieux préciser les choses) doit « permettre à une famille de quatre personnes, deux adultes et deux enfants, de se nourrir, mais aussi de se loger, de se soigner, d’assurer les études des enfants, de se constituer une épargne, d’envisager des loisirs et des vacances. » N’est-ce pas un bon résumé de ce qui devrait être assuré à tous, et pas seulement en France, et que souhaitait ardemment La Tour du Pin (1) ? Mais, à entendre certaines réactions agacées des libéraux de tout crin aux propos du patron de Michelin (4), c’est un véritable scandale, d’autant plus qu’il émane d’un patron d’une grande entreprise : mais ne sont-ce pas ces libéraux qui, par leurs offuscations, raniment ou entretiennent une sorte de lutte des classes (riches possédants façon Tavares contre producteurs de base salariés) que, par ailleurs, ils considèrent comme obsolète ou dangereuse ? Or, dans cette affaire, c’est bien du côté de M. Menegaux qu’il faut chercher la mesure et la justice sociale, celles qui ont manquées aux révolutionnaires de 1791 (5) et aux idéologues capitalistes du XIXe siècle : « Si notre activité économique se réalise au détriment du salaire décent, c’est que nous n’avons pas rempli notre mission. La performance de l’entreprise ne doit pas se construire sur la misère sociale » (3). La décence sociale pour tous, en somme, contre l’indécence sociale, en haut, de quelques uns…


Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Le capitalisme est odieux et absolument condamnable quand il oublie la fameuse formule du penseur royaliste La Tour du Pin : « Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme, et la condition essentielle d’un bon régime du travail est de fournir en suffisance d’abord au travailleur, puis à toute la société, les biens utiles à la vie. » En replaçant les personnes avant les profits, La Tour du Pin remet ainsi la société à l’endroit : il est fort dommage que cette citation soit si peu évoquée et, sans doute, si peu connue…

(2) : En cette occasion, il n’est pas inutile de rappeler tout l’intérêt du « Politique d’abord » évoqué par Maurras, en soulignant qu’il s’agit, non de dire que « tout est politique » (ce qui est le propre de toute pensée totalitaire, en somme), mais de reconnaître que c’est le moyen politique et son affirmation face à l’économique qui peuvent permettre de pérenniser une stratégie sociale digne de ce nom et privilégiant les hommes et leur société d’appartenance (dans toutes ses dimensions) plutôt que les individualismes égoïstes et souvent déconstructeurs.

(3) : Entretien avec Florent Menegaux, président du groupe Michelin, publié dans Le Parisien, jeudi 18 avril 2024.

(4) : L’économiste libéral Jean-Marc Daniel, dans l’émission de Nicolas Doze les experts (sur BFM Business) du jeudi 18 avril, a mené une charge terrible et fort injuste contre les affirmations de M. Menegaux, y voyant même un danger pour l’économie toute entière… En somme, « cachez ce souci social que je ne saurai voir » ! Triste, et tellement révélateur de cette idéologie libérale si peu sociale qui domine dans les milieux dirigeants occidentaux (entre autres)…

(5) : 1791, l’année maudite pour les travailleurs français : les lois d’Allarde et Le Chapelier de mars et de juin ont été écrites et validées au nom de la fameuse « liberté du travail » (si mal nommée, en fait) et que Maurras moquait en la surnommant, au regard de ses intentions comme de ses applications, « la liberté pour le travailleur de mourir de faim », le travail étant devenu le jouet du possédant (financier ou industriel) doté de capitaux quand l’ouvrier n’avait plus de « métier » en tant que tel, mais juste sa force de travail à louer, celle de ses bras, en espérant en tirer un prix lui permettant tout juste de survivre dans un monde industriel et urbain pourtant de plus en plus riche, mais surtout, alors, de plus en plus injuste…

L’indécence sociale, fruit du capitalisme sans mesure.

Quand le sportif Lionel Messi arriva au Paris-Saint-Germain, une petite affichette manuscrite fleurdelysée et signée des Royalistes sociaux fut apposée non loin du Parc des Princes : « Messi, 41 millions d’Euros annuels ! Combien pour une infirmière qui sauve des vies ? 1 300 fois moins ! Halte à l’indécence ! », proclamait-elle crânement, sachant que les fidèles soutiens de l’équipe de balle-au-pied s’en offusqueraient, ce qui ne manqua point d’arriver, effectivement. Depuis, chaque année au moment des transferts de joueurs et des enchères étonnantes autour de quelques uns d’entre eux, ainsi que lors des assemblées générales d’actionnaires des grandes Firmes financières ou industrielles, les mêmes causes entraînent les mêmes indignations, dans une sorte de rituel immuable où chacun, selon son étiquette politique, tient son rôle et entretient son discours. Mais, au bout du compte, malgré les grandes envolées lyriques et les « Plus jamais ça » gouvernementaux, rien ne change, si ce n’est les chiffres, toujours plus hauts, des rémunérations des heureux bénéficiaires des largesses des propriétaires de clubs ou des conseils d’administration des entreprises… Ainsi, ce printemps, c’est – encore – Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (entreprise automobile née de la fusion de Fiat et de PSA) qui anime cette chronique annuelle et perpétuelle, avec une rémunération de 36,5 millions d’euros pour l’année passée 2023 (votée par 70 % des actionnaires de Stellantis le 16 avril dernier), soit 13 millions de plus (soit 56 % en sus) que pour l’année précédente.

« Le trop est l’ennemi du bien », dit la sagesse populaire : cette formule s’applique tout à fait à la situation de M. Tavares, mais ne faut-il pas aller plus loin que cette indignation facile et poser ainsi quelques jalons d’une politique assumée de justice sociale, dans une mondialisation qui semble se rire des Etats et de leurs velléités sociales ? Tout d’abord, précisons notre point de départ : l’égalitarisme est une absurdité et les inégalités peuvent être protectrices quand elles prennent en compte les réalités et la diversité des situations possibles du travail et de ses revenus dans notre société ; ce ne sont donc pas les inégalités qui posent problème mais leur démesure sans justification crédible : elles deviennent alors des injustices sociales, et condamnables en tant que telles. De plus, ce n’est pas la richesse qui est choquante, et il est même fort heureux qu’une société ait un nombre de riches assez important pour oser investir et faire vivre nombre de métiers du luxe et de la qualité valorisée ; en revanche, ce qui scandalise, c’est l’accumulation abusive et statique des richesses aux mains de quelques uns, et l’irrespect des devoirs sociaux (et fiscaux) qui sont, pourtant, la contrepartie de la richesse et de sa reconnaissance dans une société équilibrée. C’est aussi, pour certaines fortunes, la malhonnêteté des moyens mis en action pour les acquérir, ou la violence économique et sociale qui y préside… Là encore, il convient de « savoir raison garder » et de faire la part des choses pour éviter de tomber dans une démagogie de mauvais aloi qui est souvent la marque d’une envie mortifère et la prémisse d’une destruction égalitaire inappropriée et forcément injuste.


Dans le cas spécifique de M. Tavares, certains diront que sa rémunération (six fois plus élevée que la moyenne de celles des grands patrons du CAC 40 français) reste néanmoins en-deçà de celles des grands dirigeants d’entreprises états-uniennes, argument pourtant peu compréhensible pour nombre de patrons et d’ouvriers français qui n’ont pas l’impression de démériter et se contentent de rémunérations beaucoup moins profitables. Bien sûr, l’on nous rétorquera qu’il faut prendre en compte l’importance de la firme multinationale que dirige M. Tavares et le nombre de salariés de celle-ci, ainsi que la situation de celle-ci sous sa direction, et il serait effectivement malhonnête de ne pas le reconnaître. Mais, dans le même temps, les salaires des cadres et des ouvriers n’ont pas connu la même progression, et la redistribution de 10 % des 19 milliards d’euros de bénéfices aux salariés du groupe (mais pas aux intérimaires) reste bien loin des 4,2 milliards d’euros versés aux actionnaires au titre des dividendes : le travail passe donc après la finance, une fois de plus, et cela paraît fort symbolique sans que cela soit dans le bon sens…

Dans une optique royaliste de justice sociale, c’est pourtant l’inverse qui devrait être la norme : le travail récompensé avant le capital investi ; les travailleurs avant les actionnaires, en somme, sans pour autant nier le rôle utile de ces derniers dans le financement de l’entreprise…



(à suivre : le salaire décent, une réponse à l’indécence sociale)






Pour des panneaux solaires français.

La transition énergétique se veut aussi une transition écologique, mais l’est-elle vraiment ? Il est permis d’en douter au regard de quelques éléments trop souvent négligés par ceux qui vantent l’écologie sans réfléchir à ses effets sociaux autant qu’environnementaux : l’incantation remplace trop souvent la réflexion et le court-termisme empêche de mener une véritable stratégie écologique, crédible et efficace. L’exemple des panneaux solaires est fort révélateur : vantés comme un moyen écologique de produire de l’électricité verte (ce qui n’est pas tout à fait exact si l’on considère l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication et la difficulté de leur entretien et de leur recyclage), ils sont aujourd’hui fabriqués en grande majorité en Chine (1), au risque de tuer toute la filière européenne et française du secteur, tout cela dans l’indifférence totale de ceux qui invoquent l’écologie pour les élections mais l’oublient dans la réalité ! Là encore, la distinction maurrassienne entre le légal et le réel peut s’appliquer sans trop de difficulté…

Dans la revue Transitions et énergies de ce mois-ci, un article met en garde contre l’extinction complète du secteur solaire en Europe : « Si rien n’est fait, l’industrie européenne des panneaux solaires va purement et simplement disparaître. (…) La situation est assez simple. Il y a une surproduction mondiale de panneaux qui a conduit à un effondrement des prix et l’industrie européenne est incapable de faire face à la déferlante depuis deux ans de productions chinoises à prix cassés. » Ce que confirme Le Figaro (sur internet) à propos du péril qui pèse sur « l’un des derniers producteurs français de panneaux photovoltaïques » (2), l’entreprise Systovi aujourd’hui menacée de disparition : « Cet été, un « retournement brutal » est survenu : « Les Chinois ont divisé leur prix par deux en quelques semaines », se souvient le patron, qui précise que leurs concurrents vendent à perte. (…) « L’opération commerciale des industriels chinois, dont j’estime qu’elle est subordonnée et coordonnée (je n’ai pas de preuves mais c’est trop simultané et rapide) a mis un coup énorme aux carnets de commande des industriels européens », regrette Paul Toulouse. Si, sur une installation solaire, le panneau ne représente que 10 à 20% du coût total, « sur un total de 8000 euros, par exemple, cela fait 1000 euros ». Un coût non négligeable qui en incite plus d’un à tirer un trait sur le « Made in France ». » Cet exemple devrait inciter à se prémunir contre la concurrence déloyale permise par un libre-échange et une mondialisation qui priorisent les consommateurs au détriment, trop souvent, des producteurs : le prix bas à l’achat, véritable carburant de la société de consommation comme peuvent l’être le « désir infini » évoqué par Daniel Cohen, et la néophilie permanente déjà dénoncée par Konrad Lorenz dans les années 1970, cache trop souvent une stratégie asociale (voire antisociale) des grands groupes transnationaux qui peuvent exploiter sans vergogne des populations ouvrières mal payées, ces fameuses « classes sacrificielles » qui servent de marchepied aux puissances émergentes et aux générations futures promises à l’embourgeoisement, à cette moyennisation pas toujours heureuse des sociétés de la mondialisation.

Dans cette logique de la mondialisation concurrentielle, les producteurs français et européens sont défavorisés et mal protégés, et trop souvent abandonnés par l’Etat ou par les clients qui raisonnent, surtout pour ces derniers, en consommateurs à court terme, fort peu civiques quand le porte-monnaie est en jeu. Mais l’Union européenne n’est-elle pas aussi responsable du malheur des industries des énergies renouvelables locales ? « Les institutions européennes semblent considérer qu’accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, pourrait permettre d’atteindre les objectifs impossibles de production d’électricité décarbonée renouvelable. Et cela vaut bien le sacrifice final de l’industrie solaire européenne… », s’inquiète Transitions et énergies. Mais alors, n’est-ce pas lâcher la proie pour l’ombre et s’en remettre à des acteurs étrangers qui, le jour venu, penseront d’abord à leurs intérêts plutôt qu’à ceux des pays européens et de la France en particulier ? Le patron de Systovi paraît bien plus responsable que les institutions européennes et que les zélateurs du libre-échange sans entraves : « Si on veut faire la transition énergétique, on ne peut pas la faire en dépendant intégralement de puissances étrangères qui peuvent décider du jour au lendemain de nous arrêter dans notre chemin. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on se donne les moyens d’être maître de notre destin », conclut celui qui a déjà lancé l’alerte depuis longtemps auprès des politiques ».

Il faut souhaiter que l’Etat français réagisse vite et qu’au lieu de dépenser à tout-va, il soutienne intelligemment les investissements dans les énergies renouvelables et les entreprises des secteurs stratégiques : sans tomber dans un étatisme jacobin de fort mauvais aloi, il appartient néanmoins à l’Etat de ne pas « laisser faire-laisser passer » quand l’avenir de nos industries vitales (3) est en jeu. Là aussi, l’indépendance industrielle française n’est pas une option souhaitable : elle est une absolue nécessité, y compris pour l’écologie.

Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : Le transport des panneaux solaires fabriqués en Chine n’est pas non plus une grande manifestation d’écologie : plus le lieu de production est loin du lieu d’implantation, plus l’empreinte environnementale du produit et de son transport est élevée…

(2) Le Figaro, site électronique, vendredi 22 mars 2024.

(3) : Ne dit-on pas, sur toutes les chaînes télévisées et radiophoniques que « l’énergie est notre avenir » ?






Quand l’oligarchie trahit la France.

La mondialisation contemporaine est aussi une affaire d’oligarques, sûrs d’eux et de leur pouvoir, et affligés de voir que le « bon peuple » ne les croit ni ne les aime (ce dont ils se fichent bien, en fait) : la colère paysanne, après le soulèvement des Gilets jaunes, les agace et ils n’ont de cesse de reprendre le contrôle, tout en vantant les mérites de l’ouverture à tout vent des sociétés et, surtout, des marchés. Ainsi, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC et ancien membre de la Commission européenne, qui dans un entretien publié ce lundi dans L’Opinion, soutient avec vigueur le fameux traité Mercosur que M. Macron (1) a fait échouer il y a quelques semaines, quand les tracteurs avaient envahi les routes et qu’ils faisaient entendre leur colère toute légitime contre un libre-échangisme qui favorise la déloyauté commerciale des grands groupes agroalimentaires et de quelques pays opportunistes. Et ce monsieur, qui se dit socialiste (sic), rappelle comment il avait humilié la France tout en expliquant ce que devrait faire la Commission européenne pour contourner le refus français du traité Mercosur : « Si la Commission a du courage, elle demandera un vote à la majorité qualifiée, quitte à séparer la partie commerciale de l’accord. Je l’ai fait lorsque j’étais Commissaire européen pour importer en provenance des pays les plus pauvres sans restrictions quantitatives ni droits de douane (2), la France a voté contre, à cause du sucre, et a été mise en minorité. » Et c’est ainsi que ce triste sire, qui devait son poste… à la France, a trahi son propre pays, au nom d’une mondialisation qui ne devait jamais être freinée et était censée être heureuse pour les pays émergents quand elle profitait, et c’est toujours le cas, aux féodalités financières et économiques beaucoup plus qu’aux populations locales…

Son cynisme n’a d’égal que son mépris à l’égard des petits quand, au détour d’une argumentation sur « l’ouverture des marchés » et sur la priorité donnée aux consommateurs au détriment des producteurs et propriétaires locaux, il déclare, en évoquant l’histoire de France : « D’où un grand nombre de petits agriculteurs. Trop d’ailleurs, on en paye encore les conséquences aujourd’hui »… Cette dernière phrase dit tout, ou presque : « trop de petits agriculteurs », évidemment, ce sont des paysans qui cherchent à vivre de leur travail et de leurs terres, et ne se pensent pas comme de simples employés de grandes entreprises agroalimentaires, et qui sont encore capables de se révolter contre ce désordre établi qu’est cette mondialisation oligarchique et libérale. Des gêneurs, sans doute, des « enracinés » et non des fétus de paille taillables et corvéables à merci…

En tout cas, ces quelques phrases de M. Lamy montrent bien qui est l’ennemi de notre agriculture et de son « peuple de la terre », selon la belle expression du philosophe Robert Redeker… Ce M. Lamy n’est pas une voix isolée, il est juste le porte-voix de ceux qui feront toujours passer leur mondialisation et leur « Europe » (sic) avant les intérêts de nos paysans, de nos ouvriers, de nos classes laborieuses, celles qui travaillent et non celles qui profitent du travail des autres !



Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : M. Lamy, dans une petite phrase pleine de fiel et de sous-entendus, rappelle que l’actuel président « est bien dans la culture politique française, et il n’a pas oublié son passage chez Jean-Pierre Chevènement » : en somme, en économie, M. Macron serait protectionniste, voire nationaliste… Si seulement c’était vrai, et pas seulement en économie ! Malheureusement, le chevènementisme supposé du président reste bien modeste, dans le meilleur des cas…

(2) : N’est-ce pas le cas pour l’Ukraine aujourd’hui, et son poulet produit en batterie dans des exploitations qui ne respectent pas exactement ce qui est obligatoire, au nom du bien-être animal, en France comme dans les autres pays de l’Union…




Les raisons de la colère paysanne.

Cela a commencé, cet automne, par des panneaux de communes retournés, et nombre de nos concitoyens ont d’abord cru à quelque plaisanterie d’adolescents… Puis, ce furent les échos, encore lointains, des manifestations d’agriculteurs d’Outre-Rhin ; et, tout d’un coup, un tronçon d’autoroute bloquée dans le Sud-Ouest, et des tracteurs que l’on entend plus près, plus insistants ; des ronds-points dans les campagnes à nouveau centres de toute l’attention des politiques et du gouvernement ; la grande peur du pays légal d’une nouvelle saison de Gilets colorés, cette fois verts…

« On marche sur la tête », voulaient signifier les panneaux retournés par des agriculteurs agacés avant que d’être véritablement en colère et en révolte : « pressés par des normes contradictoires, des taxes innombrables et une réglementation passablement complexe, – fruits de la nouvelle politique agricole commune (PAC) en vigueur depuis début 2023 – ils ont le sentiment de ne plus s’en sortir », écrit l’écrivain russe Olga Lossky dans les colonnes du Pèlerin (1), sage journal catholique dans lequel la question sociale n’est pourtant jamais oubliée au fil des numéros… N’est-ce qu’un sentiment, d’ailleurs ? Il me semble, à la lecture des témoignages des intéressés eux-mêmes, des analyses des économistes et des journalistes agricoles, et des chiffres nombreux qui accompagnent les articles de la presse (autant locale que nationale), que c’est plus encore une réalité, triste, vécue et subie surtout par des cultivateurs et des éleveurs français victimes d’un véritable système dont on ne sait plus trop où est le cœur (pour autant qu’il en ait un…).

Ce système nous est bien connu et il peut porter plusieurs noms pour le cerner et le définir : globalisation, mondialisation, gouvernance, capitalisme, libéralisme, société de consommation, individualisme de masse, règne de l’argent et du tout-économique, démocratie totale dite représentative mais, en fait, « d’apparence » (2)… C’est ce que les royalistes rennais du début des années 1990 avaient baptisé sous un terme englobant tous les autres : le globalitarisme, un système qui ressemble étrangement au monde parfait, lisse et intimement, infiniment, insidieusement violent que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce système n’est pas secret, il ne se cache pas, et il assume, avec le sourire et le langage, son côté obligatoire : « c’est pour votre bien », peut-il affirmer sans se départir de son masque de bienveillance qui n’est, justement, qu’un masque. Aujourd’hui, il se pare des atours de la transition écologique et de la lutte contre un dérèglement climatique qu’il a lui-même suscité depuis l’industrialisation du XIXe siècle et l’entrée dans la société de consommation au XXe siècle, deux modèles d’appropriation anthropique du monde poussée au-delà de ce que la nature elle-même peut supporter : un pompier pyromane, résumeraient certains sans se tromper, mais qui voudrait que les populations ne le voient que comme un sauveur suprême sans lequel plus rien ne peut exister de viable et de crédible… Pourtant, l’on aperçoit la mèche incendiaire qu’il traîne éternellement derrière lui !

La crise actuelle n’est ainsi qu’un élément d’un processus dévastateur déjà ancien et jamais terminé, et je crains que, une fois les tracteurs rentrés à la ferme et les élections européennes passées, le système ne reprenne sa terrible et destructrice marche en avant. L’Union européenne est, aujourd’hui, le vecteur de cette crise (mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? Sans doute pas…) qui n’est jamais que la poursuite de la mondialisation elle-même, « ce fait qui n’est pas bienfait » comme je l’ai déjà évoqué ici : « L’élément déclencheur de cette épidémie de panneaux retournés [avant même le soulèvement paysan de cette semaine] ? La signature de l’accord économique de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 22 novembre dernier. (…) Une autoroute commerciale privilégiée entre deux zones… situées à près de 20 000 km de distance ! De quoi avoir l’impression de marcher sur la tête, en effet : les marchandises venues des antipodes sont prioritaires sur le marché et ne respectent pas les critères environnementaux qu’on impose aux paysans français, ne fut-ce qu’à cause de l’empreinte carbone produite par leur transport. (3) » Ainsi, par pure idéologie économique libérale, l’Union sacrifie à la fois l’écologie et les paysans, derniers éléments, disent certains, du « monde ancien », celui qui était fondé sur la terre et les racines.

La présence pour l’heure pacifique des agriculteurs sur les routes et les ronds-points n’est-elle qu’un coup de semonce ou un baroud d’honneur, ou le début d’une « révolte prolongée » ? Les jours qui viennent donneront une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, il nous appartient de ne pas négliger cette contestation légitime et d’en tirer quelques leçons, non dans une simple perspective d’analyse, mais de proposition et d’action… La présence des royalistes (agriculteurs ou non) sur les barrages et au sein des cortèges agricoles ne doit pas se limiter à la dimension du témoignage mais prendre la forme d’un engagement concret pour la Cause paysanne.



Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Olga Lossky, dans Le Pèlerin, jeudi 18 janvier 2024.

(2) : le terme de démocratie n’est pas forcément un gros mot pour le royaliste que je suis, mais encore faut-il préciser de quelle démocratie l’on parle et quelle définition l’on en fait, et pour quel usage. Favorable à une forme de démocratie communale ou à la désignation par le suffrage de représentants (et non de gouvernants) de la nation, je ne le suis pas à ce qu’elle devienne un mode de gouvernement qui transformerait l’Etat en succursale d’un parti ou d’un autre, ou qu’elle ne soit que le masque d’une oligarchie qui ne voit dans les électeurs qu’une clientèle…

(3) : Olga Lossky, op. cité.