Jean-Philippe Chauvin

Hommage au roi Louis XVIII

Le 16 septembre 1824, il y a deux cents ans, s’éteignait le roi Louis XVIII.
Rendons hommage à ce roi qui sut mettre un terme à la période des guerres révolutionnaires et impériales, et rétablir la paix civile et la concorde nationale, tout en rappelant aux puissances étrangères que la France n’était pas à vendre et qu’elle restait la France, quoi qu’il en soit !


De plus, c’est le roi Louis XVIII qui rétablit le repos du dimanche (dès 1814) que la Révolution avait supprimé au grand dam des travailleurs urbains. Nous lui devons aussi, à sa demande, la création du livret d’épargne en 1818, aujourd’hui livret A…

La crise céréalière française : quels risques ?

Depuis la naissance de l’agriculture, les céréales ont toujours été à la base de l’alimentation et des échanges commerciaux entre nations, et la France, bien servie par ses milieux naturels, est, de longue date, une puissance céréalière de premier plan. Or, cette situation privilégiée est en train de disparaître peu à peu, et sans doute plus rapidement même que ce que l’on craignait il y a quelques années encore : ainsi, la production de blé, emblématique de notre agriculture et à la base de notre modèle alimentaire fondé sur le pain, est cette année en chute libre : environ 26 millions de tonnes pour le blé tendre, soit un quart de moins que la production moyenne de la période 2019-2023. C’est la plus mauvaise récolte depuis une quarantaine d’années ! Comble de malchance, comme le souligne Jean-Pierre Robin (1), « la contreperformance française est cette année totalement à contrecourant du marché mondial. Les Etats-Unis et la Russie, les deux plus gros exportateurs de la planète, ont enregistré d’excellentes récoltes, avec pour conséquences un effondrement des cours. La céréale du pain, qui se négociait plus de 400 euros la tonne sur les marchés internationaux en 2022, est tombée aux alentours de 210 euros à la mi-août. » Dans un cadre de libre marché, cette nouvelle de la chute des cours pourrait apparaître comme une bonne nouvelle pour le consommateur français qui verrait le prix du pain se maintenir, voire baisser. Mais, en fait, si la première option peut se défendre aisément, la seconde est plus problématique, au regard de l’économie générale de la France et, surtout, dans le cadre de la production elle-même et de la défense des intérêts des producteurs agricoles français : « Les céréaliers français, dont les coûts de production s’établissent entre 220 et 240 la tonne, subissent une double peine : ils perdent sur la quantité et sur le prix de vente. » Certes, dira-t-on, les céréaliers ont souvent été bénéficiaires (surtout les propriétaires des plus grandes exploitations, en Beauce par exemple) dans l’économie contemporaine, au risque parfois d’en oublier les autres aspects et secteurs de l’agriculture française, aujourd’hui bien mal en point (et c’est un aujourd’hui qui a commencé il y a déjà fort longtemps !). Mais, la situation actuelle met en péril la pérennité à moyen terme de notre production céréalière nationale, au risque de rendre la France dépendante des autres puissances productrices qui n’hésiteront évidemment pas à prendre la place vacante si les céréaliers français venaient à faire défaut ! Or, nous savons que la souveraineté alimentaire (dont le ministère de l’Agriculture se prévaut aussi dans son intitulé complet) est un élément essentiel de toute politique d’indépendance nationale, particulièrement pour la nation française : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », affirmait Sully, l’homme du renouveau économique de l’après-guerres de religion et fidèle ministre du roi Henri IV. Si la citation peut paraître aujourd’hui un peu limitative sur les capacités productives et d’entrées financières de la France (n’oublions pas l’industrie, les services, et le tourisme, par exemple), elle n’en reste pas moins parlante et avérée pour l’alimentation de nos concitoyens.

De plus, il ne faut pas négliger que si les prix sont tirés vers le bas au niveau mondial, mettant ainsi en difficulté nos propres céréaliers, c’est justement en raison d’une mondialisation qui repose d’abord sur une libre concurrence souvent faussée par des règles bien différentes selon les pays et par des coûts de main-d’œuvre comme de production bien inférieurs à ceux en cours dans notre pays. C’est en particulier le cas chez un pays producteur européen que la France aide militairement mais qui profite de la situation pour avancer ses pions au niveau agricole international, à nos dépens (2) : l’Ukraine, dont les normes environnementales sont loin d’être aussi rigoureuses que les normes appliquées en France, et qui semble bénéficier de coûts de production deux fois moins élevés qu’en France, en particulier grâce à l’immensité de ses exploitations (10 à 15.000 hectares) et la faible rétribution des travailleurs agricoles. Une concurrence en somme déloyale qui constitue un drôle de remerciement aux efforts financiers déjà consentis par la France et les autres pays de l’Union européenne pour la soutenir face aux armées de Vladimir Poutine… Et, en définitive, tout cela profite à… la Russie, trop contente aussi de voir la France en difficulté et de prendre sa place sur nombre de marchés méditerranéens et africains que la France ne peut plus fournir en céréales… C’est tout de même le comble !

Le prochain ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire devra s’atteler à soutenir les producteurs céréaliers français, non par de simples subventions (surtout en période de disette budgétaire…), mais par une politique de préservation des intérêts des agriculteurs français face aux désordres de la mondialisation concurrentielle : une pression – amicale mais certaine – sur le secteur de la distribution alimentaire pour privilégier les achats à bon prix aux producteurs nationaux, sans doute en supprimant ou en contournant quelques intermédiaires, serait la bienvenue. Il ne s’agit pas de remettre en cause la liberté des échanges mais de remettre un peu d’équité dans un système qui valorise trop souvent le moins-disant social pour vendre encore plus aux consommateurs, au risque de gaspillages fort peu écologiques le plus souvent… De plus, assurer des « prix protégés » pour nos céréaliers, au moins le temps de cette année, pour éviter la perte d’exploitations agricoles qui, en définitive, s’avère être à terme une perte de production et de productivité pour le pays tout entier. Là encore, en cette période de forte dette publique, il paraît plus que nécessaire de préserver ce qui existe pour assurer le lendemain et le redémarrage agricole à promouvoir pour que notre pays retrouve en ce domaine le chemin de l’excellence, tant sur les quantités que sur la qualité.

L’Union européenne oserait-elle s’opposer à cette politique française si elle était véritablement engagée ? Si tel était le cas, cela montrerait, en définitive, que cette Europe bruxelloise ne correspond pas exactement à ce qui est juste et bon pour nos producteurs nationaux et, donc, pour l’économie française.

Jean-Philippe Chauvin


(à suivre : Les causes climatiques ne sont pas les seules raisons à la crise de la production céréalière ; etc.)


Notes : (1) : Jean-Pierre Robin, Le Figaro, lundi 2 septembre 2024.

(2) : En fait, l’Ukraine ne fait que profiter d’une situation qu’elle n’a pas créée, et elle montre par là toute l’importance (voire la nécessité) d’un nationalisme économique qu’elle sait utiliser habilement dans le cadre de la mondialisation concurrentielle pour pouvoir poursuivre et financer sa construction et son renforcement étatique, cela même si elle est fortement menacée aujourd’hui par ses créanciers internationaux.




La république monocratique dessert la France.

La rentrée politique s’annonce compliquée, et la difficulté à trouver un titulaire pour le poste de Premier ministre n’augure rien de bon pour la suite qui, par principe en somme, ne satisfera pas grand-monde : la Gauche regroupée sous la marque « Nouveau Front Populaire » semble déjà hors-jeu, condamnée à jouer la carte de la rue pour peser encore ou, tout simplement, se faire entendre ; la Droite nationale, elle, pourra utiliser la menace de la censure (ou, au contraire, de sa non-censure, encore plus stressante pour ses adversaires…) pour continuer à exister parlementairement parlant ; les Républicains modérés, prisonniers de leurs contradictions et de leurs doutes, hésitent à franchir le pas de Matignon malgré les dénégations de leur chef de file Laurent Wauquiez… Les socialistes se divisent aussi, écartelés entre la radicalité robespierriste de Mélenchon, leur plus fidèle ennemi, et la modération radicale de Cazeneuve, l’éternel pince-sans-rire de la République…

Mais le désordre est aussi au sein du gouvernement en sursis dont l’actuelle ministre de l’éducation nationale remet en cause les aménagements de son prédécesseur devenu Premier ministre de plein exercice avant que d’être démissionnaire par la force des choses et la volonté présidentielle… Cela ajoute à l’impression désagréable de chaos institutionnel du moment ! Décidément, la Cinquième République ressemble de plus en plus à la Quatrième, au risque de finir comme elle, le discrédit pouvant bientôt mener à une agonie douloureuse si l’on n’y prend garde…

Ce qui est certain, c’est que la monocratie républicaine montre là toute sa différence d’avec une Monarchie royale : cette première, née en 1958, n’est que le pouvoir d’un homme élu, c’est-à-dire le résultat d’une soustraction (100 % des électeurs moins le nombre de suffrages exprimés pour ses adversaires si l’on ne compte que les suffrages exprimés…) quand le souverain royal ne compte pas ses soutiens et ses oppositions, mais incarne l’intégralité de la nation et de son corps électoral, au-delà de sa diversité et de ses querelles. Si le président Macron n’est pas suivi et si critiqué, c’est justement de par sa légitimité électorale, légalité certaine mais à laquelle il manque un enracinement dans le temps que peut représenter une dynastie dont le représentant du moment est un successeur tout comme un prédécesseur : la formule « le roi est mort… vive le roi ! » acte cet enracinement et cette continuité, mais aussi l’indépendance à l’égard des féodalités politiciennes qu’elle permet idéalement (la réalité étant néanmoins parfois plus complexe, sans remettre en cause le principe initial de cette liberté de parole et d’action autorisée au monarque), et qui autorise un choix du Premier ministre (par exemple) qui ne remet pas en cause la légitimité de la magistrature suprême de l’Etat, ni ne menace la pérennité de celle-ci.

La Cinquième République pensait avoir résolu la question institutionnelle en instaurant le scrutin uninominal à deux tours pour les élections législatives pour avoir des majorités parlementaires indiscutables et l’élection du président de la République au suffrage universel pour permettre un rapport direct entre le peuple (ici, le corps électoral français) et le Chef de l’Etat, et lui assurer une crédibilité incontestable (au moins sur le plan de la légitimité démocratique) : visiblement cette formule ne fonctionne plus… « Le charme est rompu », disait un constitutionnaliste il y a quelques années, et le psychodrame de la nomination d’un nouveau Premier ministre sans majorité parlementaire (un schéma que l’on pensait impossible sous la Cinquième…) le confirme chaque jour un peu plus. Bien sûr, le Président reste, malgré tout, le maître (contesté) du jeu, mais sa pratique machiavélienne de la Constitution l’a abimée et a gravement déconsidérée la fonction suprême de l’Etat, au risque de fragiliser la puissance politique face aux féodalités financières et économiques. Que le dirigeant du MEDEF veuille fonder une sorte de « Front économique » (qui ressemble plutôt à un simple front patronal, ce qui en atténue la portée et la possible crédibilité) en dit long sur le désordre institutionnel présent et (la nature ayant horreur du vide) sur cette volonté de l’Economique de s’imposer au Politique, au détriment, le plus souvent, du Social… Il est bon de rappeler que le Politique, bien au contraire, doit s’imposer à l’Economique pour éviter des injustices sociales que l’Economique, trop souvent, engendre quand il est laissé à lui-même ! Cela n’enlève rien évidemment à la nécessité de soutenir les activités économiques de notre pays pour dégager assez de moyens financiers pour pouvoir pratiquer une politique sociale digne de ce nom. Là encore, respectons l’ordre des choses pour les rendre plus efficaces : or, il semble que cet ordre soit bien oublié par ceux qui se targuent de vouloir gouverner le pays… Décidément, la République n’est pas le bon ordre ; en fait, elle n’est pas l’ordre du tout, juste un désordre établi…


La République des coupeurs de tête…

L’histoire est cruelle, et elle peut être sanglante, voire sanguinaire : la récente cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris (et non de France) nous l’a rappelé, en particulier à travers le tableau de la tête tranchée et sanguinolente de la reine Marie-Antoinette des fenêtres de la Conciergerie, qui fut sa dernière demeure de femme vivante. Doit-on, du coup, s’offusquer de cette représentation morbide, peu appropriée à l’esprit des Jeux Olympiques qui se veut pacifique et convivial ? Oui, si l’on considère que cette cérémonie rituelle n’a pas pour vocation de choquer mais de rassembler, au-delà des idées politiques ou des positions historiques ; non, si l’on revendique une histoire clivante et exclusive de la République, sans doute. C’est visiblement cette deuxième optique que les organisateurs ont choisie, voulant vanter une République disruptive et « audacieuse » : savaient-ils que, par ce choix, ils engageaient la République elle-même, en la rattachant à ce baptême de sang que fut la Révolution française, particulièrement à partir de sa phase républicaine des années 1792-1799 ? M. Mélenchon, que l’on peut difficilement accuser de sympathies contre-révolutionnaires, en a pourtant été gêné, saisissant sans doute que l’image, en fin de compte, pouvait être dévastatrice pour la République elle-même, y compris à l’étranger…


Les ouvriers, ces « invisibles » de la mondialisation…

Pendant les élections législatives et après celles-ci, la question ouvrière est passée presque inaperçue, alors même que nombre d’entreprises annonçaient fermetures d’usines en France et délocalisations, y compris de marques emblématiques…


Poulain et Saupiquet, deux noms de marques qui résonnent encore dans les mémoires françaises des générations des Trente Glorieuses, et qui sont éminemment symboliques d’une France traditionnelle alors en voie de modernisation : et pourtant ! Aujourd’hui, ces deux marques emblématiques sont en voie de disparition, condamnées à la fermeture par des directions de groupe qui pensent « international » avant « social », et espèrent dégager plus de profit immédiat pour leurs actionnaires, au détriment, donc, des salariés considérés, en définitive, comme une simple variable d’ajustement : la profitabilité (1) prévaut sur toute autre considération et, il faut le répéter, ce n’est ni bon ni juste. Les arguments déployés par la direction du groupe propriétaire de la marque Poulain, née en 1848 à Blois, sont d’une simplicité et d’un cynisme absolus : « Le groupe Carambar & Co entend conserver la marque, mais veut produire le chocolat ailleurs- sans préciser encore où – et pour moins cher. (2)» C’est donc d’une délocalisation spéculative dont il s’agit, et qui garde la marque française comme argument (rassurant) de vente mais se débarrasse des travailleurs comme d’un papier d’emballage gênant, sans respect ni pour eux, ni pour le territoire concerné (le Blésois), dont on sait qu’il subira les conséquences négatives de cette disparition de ce qui est plus qu’une usine et une marque, mais un patrimoine industriel et un écosystème lié à la production du chocolat sous toutes ses formes (tablettes, poudres, etc.). Le plus choquant est aussi que c’est un groupe français (et non étranger) qui pratique cette politique du désastre, montrant ainsi le peu de cas que les dirigeants d’entreprise, quand ils n’ont pas ce sens de l’appartenance nationale (le fameux patriotisme économique, vanté par l’Etat mais moqué par les puissances d’argent et les techno-bureaucrates du pays légal ou de l’Union européenne) mais bien plutôt l’esprit de la mondialisation, celui d’un « seul monde » qui permet d’oublier leurs devoirs sociaux à l’égard de leurs propres concitoyens ! Comment « faire nation » quand les acteurs économiques ne pensent plus qu’à « faire profit » ? (3)

Dans le même temps, en ce début d’été agité, le cas de Saupiquet est aussi peu médiatisé que celui de Poulain : cette invisibilisation de la question ouvrière est révélatrice de la coupure entre des élites urbaines qui s’émeuvent beaucoup plus facilement du licenciement d’un humoriste controversé que de celui de centaines de gens sans histoires et n’ont pas un mot ni une larme pour ceux qui souffrent de l’abandon industriel, et un pays réel, le monde du travail dans les territoires périphériques de la métropolisation, qui se sent dépossédé de son identité professionnelle et de son patrimoine économique au nom d’une mondialisation antisociale dont, pourtant, il leur est dit, doctement, qu’ils en profitent en tant que consommateurs… Or, l’existence et la valeur d’une personne et d’une communauté ne se mesurent pas à leur pouvoir d’achat, fut-il élevé par rapport à tant d’autres de par le monde, mais à leur pouvoir de création et de production de ce qui peut leur permettre de vivre dignement et, surtout, d’être au monde : c’est ce que voulait signifier la philosophe Simone Weil (4) quand elle expliquait, en des temps où l’exploitation dévalorisait salement le travail et abêtissait les travailleurs en France (5), que « le travail est la grande chose, c’est par le travail qu’on s’affranchit, c’est par le travail qu’on est libre ». Priver des ouvriers de leur emploi, de leur travail, c’est les désarmer face au monde, c’est les désocialiser, les anonymer, voire les faire disparaître aux yeux des autres, tout en les culpabilisant le plus souvent, comme s’ils étaient responsables de la mauvaise gestion ou des appétits de leurs dirigeants d’entreprise ou d’usine. Dans ces cas-là, les syndicats contemporains ne sont que des pis-aller pourtant nécessaires, qui ont le mérite d’exister et de faire pression pour permettre au moins une indemnisation convenable (mais est-ce suffisant ? C’est douteux…), mais ils paraissent néanmoins impuissants face aux lourdes machines de guerre (économique et sociale) que sont les groupes mondialisés et face à l’esprit de fatalisme qui érode toute résistance sociale sur le long terme (sauf exception, dont la coopérative « 1336 » est l’illustration la plus significative tout autant qu’elle est particulièrement – du moins, pour l’instant – isolée (6)…).




Notes : (1) : Cette notion a été évoquée dans un précédent article, publié dans Le Bien Commun, revue royaliste de l’Action française de juin 2024.

(2) : Le Monde, mardi 18 juin 2024, page 15.

(3) : En y regardant de plus près, les groupes industriels ou financiers qui défendent plus que jamais « l’ouverture au monde » (sic) et la « nécessaire adaptation » des Français aux mécanismes de la mondialisation économique, apparaissent comme de véritables séparatistes parce qu’ils ne veulent plus participer à l’économie nationale et à ses nécessaires et fondamentales solidarités sociales (y compris fiscales, même si, sur ce point précis, il serait largement temps de remettre à plat tout le système, désormais inapproprié aux enjeux du moment et aux besoins de la France, en particulier sur le plan des initiatives et de l’inventivité, trop taxées pour les motiver sur le long terme). L’Argent prévaut, pour eux, sur toute autre considération, ce qui n’est évidemment pas nouveau et ce que condamnait fermement La Tour du Pin, persuadé qu’il faudrait, parfois, tordre le bras de ces mercenaires de si mauvaise volonté nationale pour faire respecter le simple équilibre social nécessaire…

(4) : Lors de l’épreuve de philosophie du mardi 18 juin 2024, un texte de Simone Weil extrait de « La condition ouvrière » (un recueil d’articles rédigés avant la guerre de 1939-45) fut donné aux candidats de Terminale, l’occasion de constater que la philosophe (décédée en 1943) n’était pas aussi connue qu’elle mériterait de l’être, nombre d’élèves l’ayant confondue avec l’ancienne ministre giscardienne des années 1970… Son ouvrage sur le travail à l’usine est, plus qu’un témoignage, une véritable réflexion sur la nature même de la société d’exploitation capitaliste, et sur ses effets sur les corps comme sur les esprits.

(5) : Il n’est pas interdit de penser que cette situation reste d’actualité dans nombre de pays où les Firmes Capitalistiques Transnationales implantent désormais leurs usines pour en diminuer le coût et améliorer les bénéfices, au détriment des conditions de travail et de l’environnement local…

(6) : 1336 est une coopérative née de la lutte des salariés de la marque l’Eléphant, propriété du groupe agroalimentaire Unilever. Là encore, ce groupe, pourtant bénéficiaire, décide de délocaliser et de déménager les machines de Gémenos (dans les Bouches-du-Rhône) vers la Pologne. Après un combat de 1336 jours, entre grève et occupation de l’usine (de 2010 à 2014), Unilever renonce à reprendre les machines et les ouvriers fondent une SCOP (Société coopérative et participative) dans la foulée. Depuis, cette entreprise fonctionne et ses produits se vendent dans toute la France. C’est ainsi la preuve qu’il n’y a pas de fatalité et qu’une lutte intelligente, enracinée dans un territoire et favorisée par des familles solidaires (à défaut de pouvoirs publics terriblement absents ou peu efficaces sur ce dossier), peut aboutir au maintien d’une production locale et sociale.

Solidarité royaliste avec les travailleurs !

En quelques semaines, la liste des usines menacées de délocalisation ou de fermeture n’a cessé de s’allonger tandis que la classe politicienne, le « pays légal », donnait le triste spectacle de son incompétence et de sa soif insatiable de pouvoir, se partageant les postes sans savoir même avec qui gouverner : dans ce jeu politicien, l’intérêt général et le souci des Français et de notre pays ont été négligés, voire carrément oubliés ! La Cinquième République, conçue par son fondateur pour empêcher le règne des partis et le désordre parlementaire, semble s’achever dans la confusion et, même, le déshonneur

Cette scandaleuse page politique de notre pays ne doit pas nous faire oublier le nécessaire combat social pour préserver les écosystèmes économiques locaux et les emplois industriels et tertiaires qui y sont liés : à Blois, l’usine Poulain de Villebarou (109 salariés) ; à Quimper, l’usine Saupiquet (155 emplois) ; dans le Loiret, le verrier Duralex (228 salariés) ; en Vendée, l’usine de meubles Gautier (700 emplois) ; à Nantes, l’usine de pompes à chaleur Saunier Duval (250 emplois supprimés) ; etc. Sans oublier l’entreprise Caddie, malheureusement en liquidation judiciaire depuis le jeudi 18 juillet qui laisse sur le carreau des centaines de salariés et leurs familles, dans une indifférence quasi-totale du « pays légal »…

Pour chacun des cas évoqués plus haut, les solutions économiques et sociales peuvent être évidemment différentes, et le combat engagé, en chaque lieu et par les travailleurs concernés (souvent soutenus par une grande part de la population locale), peut prendre diverses formes : mais, dans tous les cas, il faut soutenir les salariés pour maintenir les entreprises en France et éviter la désindustrialisation de multiples territoires, finalement préjudiciable à tous !

Mais, au-delà de ce nécessaire combat, il faut réfléchir aux conditions d’une réindustrialisation favorable aux intérêts du pays (Produire français pour consommer français) ; aux nécessités sociales (assurer un travail digne et utile à tous nos concitoyens) ; aux écosystèmes locaux (refaire un tissu industriel adapté à chaque région et bien intégré dans les territoires, mêmes périphériques). Il faut aussi penser aux conditions politiques favorables à ce grand mouvement de revitalisation productive du pays : au-delà des politiques de circonstances, une stratégie publique s’appuyant sur tous les atouts et acteurs de la France est nécessaire également. Une stratégie sur le long terme que ne permet pas une République prisonnière des jeux de partis et des calculs politiciens, piégée entre deux élections pour la désignation du Chef de l’Etat.

Tout l’avantage d’une Monarchie royale est de placer la magistrature suprême de l’Etat au-dessus des intérêts particuliers et partisans, et de la libérer de la querelle des ambitieux, préjudiciable à la qualité et à l’indépendance de la parole et de l’action de l’Etat. La Monarchie n’est pas un régime parfait (il n’y en a pas sur terre), mais celui qui permet d’utiliser au mieux toutes les compétences et tous les atouts sur le long terme, ce temps long obligatoire si l’on veut aller loin et bien. C’est aussi le régime qui place la justice au centre de ses préoccupations, en servant d’abord les hommes plutôt que l’Argent



Le retour de la Quatrième République.

« Tout désespoir en politique est une sottise absolue » : cette citation de Maurras a été confirmée dimanche par… la Gauche qui se l’est apparemment appropriée ! Effacée et fort minoritaire il y a un mois et encore la semaine dernière au soir du premier tour des élections législatives, elle sort première en nombre de sièges du second tour de ces mêmes élections grâce à un Front républicain fort opportuniste mais encore redoutablement efficace. En fait, cela confirme que, sans compromis viable (ce qui ne signifie pas durable ni même honnête) et alliance même saisonnière, aucun parti ne peut accéder au pouvoir, fut-il le premier de France en nombre d’électeurs : ce qui compte, c’est d’obtenir la majorité au second tour, pas forcément d’être en première position au premier. Le Rassemblement National, qui avait oublié ses règles simples de la démocratie représentative, vient d’être rappelé sèchement à l’ordre, et il revit quelques uns des épisodes précédents des élections régionales et municipales des années 2010-2020. Evidemment, pour ses électeurs, cela peut sembler injuste, voire peu démocratique, mais ce serait oublier que la majorité des électeurs français rejettent encore le RN, et cela de façon assez nette : presque deux tiers du corps électoral ne se reconnaît pas dans la formation de M. Bardella, et ce n’est pas rien. Ce qui peut être considéré comme injuste, néanmoins, c’est que la proportion de ceux qui se reconnaissent dans le président Macron ou dans les partis de gauche, tout en étant encore moins élevée que pour le RN, n’est pas un obstacle à leur victoire électorale aux législatives : c’est le jeu terrible de la démocratie électorale et de son Pays légal traditionnel qui ne souhaite pas être remplacé par un autre

Cela pose évidemment de nombreuses questions institutionnelles et politiques : la Cinquième République, conçue pour obtenir des majorités claires et nettes, n’est-elle pas en train de s’achever en Quatrième, dans le désordre parlementaire des coalitions incertaines et mouvantes, au gré d’une forme d’individualisme partitocratique peu compatible avec la stabilité nécessaire pour mener de grands projets et chantiers sur le long terme ? Quant au président Macron, par sa politique inconséquente, n’est-il pas en train d’affaiblir la fonction monarchique (à défaut d’être royale) du Chef de l’Etat et de se placer dans la situation du président Mac Mahon bientôt obligé de se démettre après s’être soumis (1) ? C’est ce même Emmanuel Macron qui, en 2015, évoquait les limites de la démocratie française : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. (2) » En quelques mots, tout est dit (ou presque) du mal français ! La République, même quand elle se pare des attributs de la Monarchie royale, n’est pas celle-ci, mais juste une tentative de synthèse entre Monarchie (3) et République qui, désormais, atteint ses limites, justement parce que son aspect monarchique « gaullien » s’est peu à peu estompé, passant de la grandeur et du service de l’Etat (notions proprement régaliennes) à simple gestion et mésusage de l’Etat : les trois derniers locataires de Mme de Pompadour ont dévalué la fonction du Chef de l’Etat plus qu’ils ne l’ont servie, et ils l’ont notablement dévalorisée, ce qui explique une moindre présence et influence de notre pays sur la scène européenne et, au-delà, mondiale.

Est-il trop tard pour réagir ? Certains se réfugient dans une sorte de fatalisme qui est bien le contraire terrifiant de l’espérance, et prédisent une fin terrible de la France dans les années à venir ; d’autres préfèrent se conformer aux modes du moment et pratiquer la politique de la feuille morte au fil de l’eau, en attendant que « l’Europe » reprenne la direction et la gouvernance (sic) de la France… C’est pourtant le moment de se rappeler la citation de Maurras évoquée en ouverture de cette note, et de l’appliquer pour sa propre gouverne ! D’autant plus que les royalistes ont quelques arguments forts sur l’Etat et la nécessaire indépendance de sa magistrature suprême à faire valoir










Notes : (1) : Le président Mac Mahon, monarchiste élu à la place de Thiers démissionnaire en 1873, avait échoué à obtenir une nouvelle majorité favorable à son projet royaliste après la dissolution de la Chambre des députés qu’il avait prononcée en 1877. Les républicains l’ayant alors emporté, il s’était, dans un premier temps, soumis tout en restant président de la République ; mais, en 1879, après la courte victoire républicaine au Sénat et l’épuration des cadres de l’armée pour raisons politiques voulue par les vainqueurs sortis des urnes, il avait pris la décision de se retirer totalement, laissant la place à un président totalement républicain, Jules Grévy. Ainsi, l’alternative menaçante de Gambetta (la soumission ou la démission) s’était-elle transformée en réalisation complète et malheureuse…

(2) : Entretien avec Emmanuel Macron publié par Le1, en juillet 2015.

(3) : Le terme de Monarchie est ici à saisir dans sa réalisation royale capétienne, c’est-à-dire héréditaire et successible, telle qu’elle fut depuis Hugues Capet jusqu’au XIXe siècle.


Les Royalistes, d’abord pour la France !

La période actuelle est pleine de surprises et d’inquiétudes, fondées ou non. La République, dans ses troubles et énervements, dans ses exclusions et passions parfois bien mauvaises, risque d’entraîner la France dans le fossé, et c’est elle et son « Pays légal » qui sont responsables et coupables de cette situation délétère qui dure déjà depuis si longtemps : dette publique qui étrangle la nation et ses producteurs ; insécurité sociale qui condamne à la précarité tant de nos concitoyens des villes et des campagnes, pourtant travailleurs et créateurs ; insécurité publique qui s’aggrave d’année en année, avec une délinquance sans complexe ; délocalisations spéculatives qui accentuent le sentiment d’injustice dans le pays…


Quand certains ne parlent que des « valeurs de la République », nous répondons : « valeurs de la France » ; patrimoines de notre nation et de ses peuples ; libertés provinciales, communales, professionnelles ; justice sociale et souci environnemental ; « la France puissance indépendante et souveraine, d’abord, sans méconnaître nos alliances traditionnelles et nos amitiés séculaires » !


La République est responsable et coupable du malaise français : nous, Royalistes sociaux, ne chercherons sûrement pas à la sauver, car, ce qui compte avant tout, c’est la France, les Français et l’avenir que nous souhaitons le meilleur possible pour celle-ci et ceux-ci !

La République fragilisée…

Les résultats des élections européennes ne sont pas vraiment une surprise, au contraire de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée et annoncée au beau milieu d’une soirée électorale jusque-là aussi ennuyeuse que d’habitude : tout d’un coup, l’on basculait de l’évocation et valorisation (pour certains, peu nombreux en fait) d’un bilan à une entrée en campagne, cette fois pour les élections législatives. Par cette décision pour le moins inattendue, M. Macron espère rejouer les lendemains de Mai 68, mais n’est pas de Gaulle qui veut, et il n’est pas certain que le réflexe des électeurs de juin 68, scandalisés ou apeurés par les émeutes et l’apparent triomphe des extrémistes, puisse être le même. Certes, la crainte de l’arrivée du Rassemblement National au pouvoir peut mobiliser nombre de citoyens jusque-là discrets ou absents des dernières consultations électorales, et lui barrer la route de Matignon, et il n’est pas interdit de penser, à trois semaines du premier tour, que c’est le scénario le plus plausible sinon le plus probable. D’autant plus que certains électeurs du RN, plus occasionnels (1) que fidèles, sont eux-mêmes effrayés de cette possibilité d’un Premier ministre issu des rangs de l’ancien Front National, un peu comme ces communistes qui, à l’heure de gloire du PCF, avouaient dans les sondages ne pas souhaiter l’installation d’un régime collectiviste en France (2)…

La période qui s’ouvre n’est pas rassurante, quels que soient les résultats du 30 juin et du 7 juillet : il semble bien que la Cinquième République, minée de l’intérieur par les multiples révisions constitutionnelles et par l’exercice incertain de ses derniers présidents (particulièrement des trois derniers) ainsi que par l’épuisement ou la fin des grands partis qui structuraient l’offre politique et récupéraient les inquiétudes autant qu’ils apprivoisaient les alternances, soit durablement fragilisée et qu’elle ne s’impose plus aussi naturellement dans l’esprit de nos concitoyens, sans qu’ils sachent vraiment par quoi la remplacer ou que cette dernière option leur paraisse, en définitive, peu souhaitable. L’habitude a remplacé l’adhésion…

Nous vivons, sans doute, l’entrée dans une crise de régime sans qu’elle soit forcément l’agonie de celui-ci. C’est, paradoxalement, l’actuel locataire de Mme de Pompadour qui avait saisi en quelques mots (et bien avant de penser même devenir, un jour, le premier magistrat de l’Etat) la contradiction interne de cette République : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie ne remplit pas l’espace. (3) » La situation présente confirme, fortement, gravement même, le propos.

Ainsi, la campagne électorale qui débute s’annonce violente, sans doute irrationnelle, parce que l’ancien pays légal, dominant depuis des décennies, se retrouve menacé, sur son terrain et dans ses positions, par le nouveau, ou par ceux qui aspirent à l’incarner à leur tour : en fait, les uns comme les autres ne cherchent pas exactement à bouleverser l’ordre des choses, ce « désordre établi » déjà dénoncé par Emmanuel Mounier dans les années 1930, mais à le diriger ou l’orienter (ou, plutôt, le réorienter). Il n’est pas certain que cela soit vraiment satisfaisant, ou simplement suffisant…


(à suivre)



Notes :

(1) : C’est le fameux « vote protestataire » qui est plus un vote « contre » qu’un vote positif de proposition.

(2) : J’ai le souvenir d’un sondage de la fin des années 1970 dans lequel la proportion d’électeurs communistes désireux d’un Etat proprement communiste ne dépassait pas la moitié des sondés ! Le vote communiste était plus un « vote de pression » qu’un « vote de révolution » : mais cela leur paraissait suffisant pour améliorer leur situation d’ouvriers ou de fonctionnaires sans avoir besoin de prendre le risque d’un basculement dans une société qui, au-delà du Rideau de fer, montrait ses limites et n’était guère attractive pour des Français bercés par la société de consommation et des loisirs. Le royaliste Pierre Debray résumait cela en évoquant « la victoire de Ford sur Marx », et ce n’était pas faux !

(3) : Entretien avec Emmanuel Macron, publié par Le1, en juillet 2015.



Le salaire décent, une réponse à la question sociale ?

Dans un précédent article, nous dénoncions l’hubris capitalistique de M. Tavares et des rémunérations peu raisonnables au regard de la décence sociale. Mais, que faire face à ces excès qui semblent devenus si naturels que l’on en oublie parfois ce que devraient être la mesure et, au-delà, la justice sociales ? Plutôt que d’évoquer, à nouveau, la politique d’Etat possible face à cette situation, il nous semble intéressant, cette fois-ci, de regarder ce que les grandes entreprises elles-mêmes peuvent faire pour remettre un peu de social dans l’économie : le cas de Michelin peut servir d’exemple utile et inciter à réfléchir à un « autre modèle »…


Certains, à la lecture des lignes précédentes (cf article précédent sur l’indécence sociale), hausseront les épaules et me taxeront peut-être d’utopiste (version sympathique) ou de démagogue (version classique), voire de dangereux gauchiste (version stupide). Et pourtant ! Si M. Tavares est le symbole d’une indécence sociale qu’il convient de dénoncer, sans doute parce qu’il représente et incarne le capitalisme dans ce qu’il peut avoir de plus odieux (1), il est des patrons qui n’ont pas son cynisme et son avidité, preuve s’il en faut que c’est un système idéologique et son esprit dominant qu’il faut combattre et non les chefs d’entreprise ou les cadres de celle-ci qui n’en sont, trop souvent (mais pas toujours, heureusement !), que le reflet ou les exécutants rendus dociles par l’intérêt ou la peur de ne plus valoir (ou paraître ?) aux yeux de la société contemporaine. Désavouer cette idéologie du capitalisme libéral sans limites ni devoirs et préparer une alternative crédible sur le plan économique et social en s’appuyant sur « les hommes de bonne volonté » tout en travaillant à l’instaurer par le moyen du politique (2), c’est évidemment nécessaire, et toutes les attitudes et initiatives qui améliorent les conditions de travail et de vie des salariés (mais aussi des travailleurs indépendants, bien sûr) sont bienvenues et à valoriser, même au sein du système actuel. Ainsi, les propos récents du patron de Michelin (3) en sont une bonne et bienheureuse illustration, véritable contrepied à la pratique de M. Tavares, et sont la preuve qu’il n’y a pas de fatalité sociale lorsque des valeurs supérieures à celles de l’argent animent les dirigeants industriels.

« Nous vivons dans un environnement turbulent. Nous passons d’un monde à l’autre, industriel à postindustriel (…). Face aux bouleversements de la société, à la question de la rémunération du travail, structurellement insuffisante, (…) les entreprises ont un rôle à jouer. Les gens qui travaillent doivent pouvoir vivre correctement de leur salaire. Il faut qu’ils puissent se projeter, sortir de la survie. (3) » Cette réaction du patron de Michelin à la smicardisation progressive (et éminemment inquiétante car elle témoigne de l’érosion de la valeur attribuée aux travailleurs et au travail lui-même par rapport à la finance et à ses jeux et stratégies) de notre pays est particulièrement intéressante et s’inscrit dans la logique d’une « économie au service des hommes et non l’inverse » telle que l’évoquait le pape Jean-Paul II dans son encyclique sur le travail et que la défendaient les catholiques et royalistes sociaux des temps de l’industrialisation. C’est aussi notre logique et notre combat contemporains pour la faire reconnaître et advenir, malgré l’idéologie franklinienne dominante…

Le salaire décent valorisé par M. Menegaux (salaire digne et juste, pour mieux préciser les choses) doit « permettre à une famille de quatre personnes, deux adultes et deux enfants, de se nourrir, mais aussi de se loger, de se soigner, d’assurer les études des enfants, de se constituer une épargne, d’envisager des loisirs et des vacances. » N’est-ce pas un bon résumé de ce qui devrait être assuré à tous, et pas seulement en France, et que souhaitait ardemment La Tour du Pin (1) ? Mais, à entendre certaines réactions agacées des libéraux de tout crin aux propos du patron de Michelin (4), c’est un véritable scandale, d’autant plus qu’il émane d’un patron d’une grande entreprise : mais ne sont-ce pas ces libéraux qui, par leurs offuscations, raniment ou entretiennent une sorte de lutte des classes (riches possédants façon Tavares contre producteurs de base salariés) que, par ailleurs, ils considèrent comme obsolète ou dangereuse ? Or, dans cette affaire, c’est bien du côté de M. Menegaux qu’il faut chercher la mesure et la justice sociale, celles qui ont manquées aux révolutionnaires de 1791 (5) et aux idéologues capitalistes du XIXe siècle : « Si notre activité économique se réalise au détriment du salaire décent, c’est que nous n’avons pas rempli notre mission. La performance de l’entreprise ne doit pas se construire sur la misère sociale » (3). La décence sociale pour tous, en somme, contre l’indécence sociale, en haut, de quelques uns…


Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Le capitalisme est odieux et absolument condamnable quand il oublie la fameuse formule du penseur royaliste La Tour du Pin : « Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme, et la condition essentielle d’un bon régime du travail est de fournir en suffisance d’abord au travailleur, puis à toute la société, les biens utiles à la vie. » En replaçant les personnes avant les profits, La Tour du Pin remet ainsi la société à l’endroit : il est fort dommage que cette citation soit si peu évoquée et, sans doute, si peu connue…

(2) : En cette occasion, il n’est pas inutile de rappeler tout l’intérêt du « Politique d’abord » évoqué par Maurras, en soulignant qu’il s’agit, non de dire que « tout est politique » (ce qui est le propre de toute pensée totalitaire, en somme), mais de reconnaître que c’est le moyen politique et son affirmation face à l’économique qui peuvent permettre de pérenniser une stratégie sociale digne de ce nom et privilégiant les hommes et leur société d’appartenance (dans toutes ses dimensions) plutôt que les individualismes égoïstes et souvent déconstructeurs.

(3) : Entretien avec Florent Menegaux, président du groupe Michelin, publié dans Le Parisien, jeudi 18 avril 2024.

(4) : L’économiste libéral Jean-Marc Daniel, dans l’émission de Nicolas Doze les experts (sur BFM Business) du jeudi 18 avril, a mené une charge terrible et fort injuste contre les affirmations de M. Menegaux, y voyant même un danger pour l’économie toute entière… En somme, « cachez ce souci social que je ne saurai voir » ! Triste, et tellement révélateur de cette idéologie libérale si peu sociale qui domine dans les milieux dirigeants occidentaux (entre autres)…

(5) : 1791, l’année maudite pour les travailleurs français : les lois d’Allarde et Le Chapelier de mars et de juin ont été écrites et validées au nom de la fameuse « liberté du travail » (si mal nommée, en fait) et que Maurras moquait en la surnommant, au regard de ses intentions comme de ses applications, « la liberté pour le travailleur de mourir de faim », le travail étant devenu le jouet du possédant (financier ou industriel) doté de capitaux quand l’ouvrier n’avait plus de « métier » en tant que tel, mais juste sa force de travail à louer, celle de ses bras, en espérant en tirer un prix lui permettant tout juste de survivre dans un monde industriel et urbain pourtant de plus en plus riche, mais surtout, alors, de plus en plus injuste…