La Monarchie

La Monarchie que nous voulons…

La Monarchie royale que nous souhaitons et pour laquelle nous militons, n’est pas qu’un intermède entre deux élections, qu’elles soient présidentielles ou législatives (ou les deux à la fois…), elle s’enracine dans une histoire et un temps long dont la dynastie représente le tronc et les racines parfois tourmentées…

Contrairement à la monocratie macronienne, elle n’est pas le « Pouvoir-Tout » mais le Pouvoir central, axe des autres pouvoirs nationaux, de l’Assemblée nationale et du Sénat, et des pouvoirs provinciaux, communaux et socio-professionnels. Ce que nous nommons « les parlements », ce sont tous les conseils, assemblées, chambres des métiers, etc. qui innerve le pays dans toutes ses particularités et tous ses aspects politiques et sociaux : en somme, les « républiques françaises », au sens traditionnel du terme, et non idéologique ou républicaniste. Dans ce cadre général et « fédératif », l’exercice démocratique (le terme civique serait d’ailleurs plus approprié…) aurait plus de sens et de portée, grâce à une subsidiarité garantie par la Monarchie royale et fédérative, centrale et arbitrale, et non omniprésente et oppressante comme l’actuelle République monocratique

Car, si l’on veut rendre aux Français le goût de la politique au sens le plus positif et actif du terme sans qu’il soit la simple expression d’un individualisme de masse, c’est par la remise en ordre d’institutions locales dans lesquelles le citoyen ne soit pas qu’un pion, mais un acteur et un animateur : en somme, de nouvelles agoras ou, mieux, de nouvelles « ecclésias » (au sens athénien du terme) appliquées aux décisions communales, provinciales ou socio-professionnelles (corporatives, en somme) par le biais de référendums locaux et, pourquoi pas, d’initiative citoyenne, comme cela avait été réclamé il y a quelques années par des Gilets jaunes alors peu écoutés par la monocratie macronienne.


La leçon politique de Jeanne d’Arc.

Les royalistes, en particulier ceux du Groupe d’Action Royaliste et, bien avant lui (chronologiquement parlant) ceux de l’Action Française, ont toujours accordé une grande importance à Jeanne d’Arc et à son culte, plus politique que religieux, et cela dès les origines du mouvement maurrassien. Aussi, chaque année, le second dimanche du mois de mai, a lieu le « cortège traditionnel » d’hommage à Jeanne d’Arc dans un Paris désert et largement indifférent et oublieux, malheureusement. Un défilé qui, invariablement et logiquement, se termine devant la statue de la « Sainte de la Patrie », place des Pyramides.

Cette année, la préfecture de police a cru bon d’interdire ce cortège qui existe pourtant depuis plus d’un siècle ! Bien mal lui en prit, puisque la justice a annulé cette scandaleuse interdiction et que plusieurs centaines de royalistes ont ainsi défilé sous l’objectif des caméras de BFM-TV, pourtant peu soupçonnable de sympathies monarchistes… Nombre d’articles de presse ont relaté le déroulement de cette « manifestation » royaliste traditionnelle.

Du fait de ses mésaventures préfectorales et judiciaires, le cortège n’a pas, cette fois, été parasité par les différents groupes d’extrême droite qui, à défaut d’exister les autres jours, profitent de celui-là pour bomber le torse et jouer la provoc’. Ainsi, les royalistes, et peu importe le nombre quand il y a la ferveur et l’ardeur, ont-ils rendu à Jeanne d’Arc son sens éminemment politique et national, au-delà des caricatures et des récupérations en tout genre malheureusement habituelles.

En effet, Jeanne d’Arc était « politique d’abord » comme Charles Maurras l’a démontré maintes fois : alors que la stratégie militaire aurait nécessité la poursuite des Anglais après ses premières victoires, Jeanne ouvre d’abord la « voie du sacre » à Charles VII. Instinctivement, ou rationnellement, elle comprend qu’il faut d’abord « fonder le Pouvoir et forger l’Autorité » par cette reconnaissance de la condition politique de l’incarnation et de l’action libre de l’État par le Souverain. D’abord le Roi pour que vive, en sa personne et par sa liberté, la France.

Bien sûr, les temps ont changé mais les conditions d’un État libre et durable restent les mêmes et il faudra bien s’en convaincre pour poser, à nouveau, la question institutionnelle, au-delà des blocages inhérents au régime des partis et de l’impuissance d’un État qui s’est laissé lier les mains par une Union européenne oublieuse des libertés des nations et des peuples qui les constituent : c’est le meilleur hommage que nous pourrons rendre à Jeanne, celui de suivre sa leçon éminemment politique !




Macron, l’inverse d’un roi de France

Décidément, cette réforme des retraites nous rappelle que, en France, le temps compte parfois plus que les affaires d’argent, et vouloir reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (1) n’est pas politiquement crédible, comme le souligne le politologue Jérôme Fourquet dans les colonnes du Point cette semaine : « (…) le fond de la réforme est particulièrement impopulaire. Sur le sujet des retraites, il y avait déjà eu de grandes mobilisations contre la réforme de 2010 voulue par Nicolas Sarkozy. Mais, à l’époque, 53 % des Français jugeaient « acceptable » le recul de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. L’Ifop a posé la même question la semaine dernière, sur le recul de l’âge de 62 à 64 ans… Il n’y a plus que 37 % de Français à considérer que c’est acceptable. Cet écart de 16 points change la donne et illustre un degré d’acceptabilité bien plus faible. » Or, il n’y a pas de politique possible sur le long terme s’il n’y a pas un accord minimal des populations avec l’Etat chargé de la pratiquer durant le quinquennat : non pas que le sentiment populaire soit divin, mais il importe d’en écouter les murmures, les battements de cœur, les colères. La République eurofrançaise (maëstrichienne selon l’expression mille fois répétée du philosophe Michel Onfray) ne raisonne plus « du pays vers le monde » mais, a contrario, suivant une logique de mondialisation et d’adaptation à celle-ci, logique terrible qui place les personnes après les intérêts économiques. Non qu’il faille oublier les contraintes de l’économie et nos devoirs nationaux à l’égard de nos partenaires, que cela soit dans le cadre de l’Union européenne ou, plus largement, à l’échelle du monde et de l’histoire, mais il s’agit de remettre les priorités dans l’ordre.

Le soulèvement des Gilets jaunes avait marqué le premier quinquennat de M. Macron mais le président avait habilement manœuvré et il a su profiter de la « grande peur des bien-pensants » pour reprendre la main et se faire réélire en suivant la même stratégie, non celle de l’élan démocratique mais plutôt de la défense républicaine contre un hypothétique péril pour la République incarné par celle qui se rêve en Giorgia Meloni française… Mais aujourd’hui la contestation de la réforme Borne s’est muée, comme le signale à raison M. Fourquet, en une contestation de la présidence Macron, et le fusible primo-ministériel est déjà grillé, plaçant le locataire de Mme de Pompadour en première ligne ! La dyarchie républicaine (selon le droit constitutionnel…) ne préserve plus le souverain électoral présidentiel, et c’est la monocratie républicaine (souvent confondue à tort avec la Monarchie royale) qui apparaît désormais menacée, dans un schéma de crise des institutions qui dépasse ceux qui les occupent aujourd’hui : « (…) c’est très compliqué de se sortir d’un tel bourbier. J’ai tendance à penser qu’un remaniement ne produirait rien. On peut changer les fusibles en nommant un nouveau gouvernement. Mais remplacer des inconnus par d’autres inconnus, ça n’a jamais servi à grand-chose. Le point de crispation s’appelle Emmanuel Macron, et sa lecture très jupitérienne des institutions. » (2) Jupiter, en imposant à son Premier ministre Mme Borne de frapper l’Assemblée nationale d’un 49.3 (49.3 qui, par essence, a foudroyé toute discussion sur le débat en cours) s’est transformé, aux yeux de nombre de nos concitoyens, en un incendiaire irresponsable et a réactivé une contestation qui semblait en passe de s’épuiser. Et son discours de justification de mercredi dernier a prouvé à qui en doutait encore que n’est pas de Gaulle qui veut, ou alors celui de l’intervention télévisée ratée du vendredi 24 mai 1968…

Néanmoins, certains manifestants, dans leurs slogans, ont confondu le président avec un roi, et lui ont promis le sort de Louis XVI qui, pourtant, fut l’inventeur de la formule « justice sociale » en 1784 et celui qui, sans le dire expressément, a mis en place la première expérience française de suffrage universel en même temps qu’il demandait à tous les peuples de France, dans leurs paroisses et leurs métiers, de rédiger des cahiers de doléances (il y en eut alors 60.000 sur tout le royaume) : en fait, il y a un grand malentendu sur ce qu’est un roi, ce que le philosophe Marcel Gauchet avait compris et explicité en quelques lignes qu’il importe de reprendre ici : « Un roi, ce n’est pas un manager, pas un patron de start-up qui secoue ses employés pour qu’ils travaillent dix-huit heures par jour pour que les Français, par effet d’entraînement, deviennent tous milliardaires ! Dans la tradition française, un roi, c’est un arbitre. Quelqu’un qui est là pour contraindre les gouvernants à écouter les gouvernés. Quand les gens accusent Macron d’être le président des riches, ils lui reprochent surtout de ne pas être l’arbitre entre les riches et les pauvres. » (3). La fonction arbitrale de Chef de l’Etat est, aujourd’hui, une demande forte des citoyens, ne serait-ce que parce qu’un arbitre aurait l’avantage, majeur à leurs yeux, d’écouter les doléances du pays tout entier, au-delà même d’un pays légal qui ne leur apparaît pas forcément le plus légitime pour les représenter… Puisque la République ne semble plus en mesure de répondre à cette attente des citoyens, il n’est donc pas interdit de penser qu’une nouvelle forme institutionnelle de la magistrature suprême pourrait être pensée, voire établie : une nouvelle, une vraie Monarchie royale ? Pour ma part, le point d’interrogation est superflu : il s’agit désormais de le faire savoir, autant que faire se peut, à nos compatriotes…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Ce fameux report de l’âge légal de départ à la retraite que certains peuvent voir ou vivre, dans les professions les plus exposées aux risques industriels ou fonctionnels, comme un âge désormais létal… Il est vrai que l’espérance de vie des travailleurs de force, par exemple, est inférieure d’environ 7 ans à celle d’un professeur, voire de 12 ans si on la compare avec les classes les plus aisées de notre société.

(2) : Toujours Jérôme Fourquet, dans Le Point, 23 mars 2023.

(3) : Entretien avec Marcel Gauchet, dans le journal belge Le Soir, le 25 décembre 2018.


La Monarchie royale, forcément sociale.

Et si la Monarchie royale était ré-instaurée ? Bien sûr, cette situation semble relever, à ce jour, de l’hypothétique, mais cela ne préjuge en rien de la possibilité monarchique pour les prochaines années ou décennies. Il me semble d’ailleurs que, en l’évoquant, cela permet de la rendre plus compréhensible à ceux qui, pour l’heure, n’en connaissent rien d’autre que ce que les manuels scolaires d’histoire en disent ou, trop souvent, en médisent… En tout cas, il paraît nécessaire, autant que « faire la Monarchie », de la penser et d’en tracer les grands axes d’action et de projection. L’article ci-dessous porte ainsi sur la Monarchie sociale et sur ses raisons comme sur ses capacités propres.



La Monarchie française est éminemment sociale, ou a le devoir impérieux de l’être, ne serait-ce que pour légitimer sa nécessité et son autorité : c’est un élément que je ne cesse de mettre en avant, suscitant parfois une certaine circonspection de la part de mes contradicteurs mais aussi parfois des sympathisants monarchistes eux-mêmes…
 
Sans doute faut-il expliquer ce point de vue, et l’approfondir sans cesse, au regard de l’actualité, malheureusement cruelle aujourd’hui envers ceux qui travaillent ou qui cherchent un emploi : si la Monarchie n’est pas un remède miracle, elle est le régime qui peut permettre, avant tout, de garantir la justice sociale et de ne pas abandonner ceux qui souffrent d’une crise (en fait, d’un processus de mondialisation…) dont ils ne sont guère, en tant que tels, responsables !
 
L’indépendance de l’institution royale, de par le fait que la naissance ne doit rien à la fortune, lui donne l’occasion (qui est, en fait, un devoir) de parler au-dessus des simples intérêts privés, y compris des plus riches, que ceux-ci soient des individus ou des sociétés privées. Un Louis XIV n’hésita pas, en son temps, à embastiller Nicolas Fouquet, l’homme le plus riche du royaume, sans doute plus comme un rappel que l’Argent ne faisait pas le bonheur et, en tout cas, ne commandait pas à l’État royal en France, que comme le règlement d’une simple affaire de corruption…
 
De plus, le Roi n’est pas le représentant des classes dominantes (une sorte de suzerain capitaliste, en somme) mais un souverain qui s’impose à tous et encore plus à ceux qui possèdent, et qui a le devoir de n’oublier personne dans son souci politique. S’imposer ne veut pas dire être un dictateur qui terroriserait les riches et flatterait les autres, mais simplement rappeler à tous que l’État n’est pas « une place à prendre » mais un pays à servir, au-delà des différences et des libertés particulières qu’il faut organiser, ou plutôt laisser s’organiser dans le respect des équilibres sociaux et de la justice nécessaire à toute œuvre sociale. Dans un monde où l’Argent a pris une telle importance, cela ne sera sans doute pas facile mais la Monarchie a ainsi quelques atouts et il serait dommage pour le pays de ne pas les utiliser… L’indépendance royale, certes menacée par les jeux des groupes de pression financiers dans cette mondialisation qui cherchera à fragiliser l’État politique, est un levier important dans la capacité de l’État et de son gouvernement, quelle qu’en soit la couleur électorale, à faire accepter les réformes à ceux qui, d’ordinaire, cherchent à s’en abstraire ou à en fuir les conséquences quand elles ne leur conviennent pas. Mais la Monarchie n’oublie pas de permettre à tous, y compris les groupes de pression, de s’exprimer et de proposer, voire de contester : néanmoins, c’est bien aussi la Monarchie qui arbitre et préserve l’État et l’intérêt commun, tout en laissant le gouvernement faire son travail et œuvrer au quotidien.
 
La Monarchie active « à la française », de par son rôle majeur (sans être omnipotent ni même omniprésent) d’arbitrage politique et  de protecteur social, marque son territoire d’action par sa capacité de décision dans quelques grands domaines, ceux que l’on nomme régaliens (ce qui, d’ailleurs et même en République, veut dire … « royaux » !) : la grande finance, la diplomatie et les affaires militaires, et la garantie de « la protection de tous », en particulier sociale.
 
Si la Monarchie instaurée (le plus tôt sera le mieux !) veut s’enraciner sans se renier, il lui faudra assurer et assumer son rôle éminemment social : dans un monde incertain, face à une mondialisation menaçante, elle doit tracer un sillon social profond en rappelant aux puissants d’aujourd’hui, d’ici comme d’ailleurs, que toute politique crédible et efficace passe par la prise en compte des populations et par le souci de préserver la justice sociale, ciment des sociétés et facteur d’unité nationale. Il lui faudra aussi lancer le grand chantier d’une nouvelle organisation sociale, par le biais d’un syndicalisme vertical qui prenne en compte, dans ses structures, tous les échelons de la hiérarchie, et par la mise en place d’espaces de réflexion et de décision, voire de redistribution dans certains cas (intéressement, actionnariat salarial ou populaire, patrimoine « corporatif », etc.), espaces qui réunissent tous les acteurs de l’activité économique locale, communale, régionale ou nationale, y compris en y intégrant des acteurs extérieurs et étrangers (mais qui ne devront pas avoir vocation à diriger ce qui doit rester aux mains des producteurs locaux) comme les investisseurs ou les représentants des institutions internationales (ceux de l’Union européenne, par exemple) ayant une part dans l’activité économique concernée.
 
A l’heure où la République tremble devant les oukases de la Commission européenne et les injonctions d’un Marché devenu incontrôlable, il est temps d’en appeler, fortement, à l’instauration d’une Monarchie sociale pour la France, non par caprice ou utopie, mais par réalisme et nécessité !
 
C’est, d’ailleurs, sur le terrain social, que le royalisme a, aujourd’hui, le plus de chances de faire entendre sa « musique particulière », au travers de la contestation des mesures antisociales de cette « Europe-là » et de cette République (aujourd’hui macronienne après avoir été hollandaise et sarkozienne) si oublieuse de ses promesses électorales de justice sociale… Mais, au-delà de cette régence sociale que nous assumons, il faut poser, ici et maintenant, les conditions d’une vraie politique sociale inscrite dans le marbre des institutions à venir…

Jean-Philippe Chauvin
 
 

« La voie capétienne », par Axel Tisserand.

Dans un ouvrage fort complet et dans lequel l’auteur s’efface devant rois et princes de France, Axel Tisserand présente, par grands thèmes, la pensée capétienne au fil de l’histoire, non comme un recueil du passé mais comme des leçons pour aujourd’hui et, plus encore, pour demain.


Les programmes scolaires d’histoire comme les manuels de Sciences Politiques sont souvent fort ingrats à l’égard de notre histoire nationale et oublieux des raisons de celle-ci, travestissant notre mémoire politique en un récit officiel de la République qui, à l’image de son école, n’est pas toujours le plus juste ni le plus honnête qui soit. Déjà, en son temps, Marcel Pagnol ironisait sur les mensonges des livres d’histoire qu’il définissait comme les livrets de propagande de la République, à l’époque troisième du nom et du nombre. Pourtant, une simple et rapide plongée dans l’histoire de France nous rappelle que notre pays, cet ensemble de territoires ordonné autour d’un Etat, doit peu de choses au hasard mais beaucoup à la volonté inscrite dans la durée des rois qui se sont succédé sur un trône qui, sans être de fer, était bien celui du « faire », du « faire France » en particulier : quand Hugues Capet, roi « fondateur » dès 987, initie le mouvement d’enracinement de la magistrature suprême au-delà des seules règles féodales par la décision de pérenniser le domaine royal en un seul ensemble dirigé par un seul de ses fils (l’ainé) pour éviter la dispersion, et que Philippe-Auguste rassemble autour de son sceptre les classes productrices du royaume en ce que l’on n’appelle pas encore une nation mais qui se manifeste déjà par un sentiment d’appartenance à une même communauté de destin couronnée (et c’est la bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, bien avant Valmy), c’est la France qui, ainsi, naît et grandit, Etat et nation. Et ce sont bien les monarques sacrés à Reims qui, en huit siècles d’affilée, bâtissent la France sans négliger ce que Jacques Bainville dit d’elle et de ses habitants, en la page d’entrée lumineuse de son Histoire de France : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation. Unique en Europe, la conformation de la France se prêtait à tous les échanges de courants, ceux du sang, ceux des idées. (…) Le mélange s’est formé peu à peu, ne laissant qu’une heureuse diversité. De là viennent la richesse intellectuelle et morale de la France, son équilibre, son génie. »

Axel Tisserand, dans « la voie capétienne » (mais n’est-ce pas aussi la « voix » capétienne qui porte au-delà des siècles et à travers son ouvrage ?), ne dresse pas un catalogue des rois et des règnes, mais bien plutôt un manuel théorique et pratique de l’œuvre capétienne à travers les siècles passés et pour les siècles à venir, non en l’attente résignée d’une restauration hypothétique mais en l’espérance renouvelée d’une instauration nécessaire qu’il s’agit de penser aussi pour qu’elle advienne dans les meilleures conditions. L’originalité de cet ouvrage est aussi d’accorder une place importante aux écrits et paroles des princes n’ayant (malheureusement) pas régné mais ayant assumé les devoirs de leur charge politique, même dans les douleurs de l’exil : les trois Henri, du comte de Chambord à ceux de Paris, mais aussi Jean III, duc de Guise (1926-1940), et, en toute actualité, le présent comte de Paris, Jean IV de jure, qui porte, avec son fils le dauphin Gaston (auquel le livre est d’ailleurs dédié), les espérances d’une future et nouvelle aventure capétienne… Ainsi, la continuité capétienne perdure au-delà même des vicissitudes de l’histoire sans pour autant les méconnaître : d’ailleurs, comme le rappelle Axel Tisserand, les rois n’ont pas de revanche à prendre sur l’histoire, mais juste à l’assumer toute entière sans, pour autant, en accepter tous les aspects ou toutes les dérives dont la République, sous ses cinq numéros, a pu se rendre responsable et, même, coupable. Sans être historiens professionnels, les rois et princes français ont su tirer des leçons de l’histoire, en une forme d’empirisme qui, pour être utile et efficace, se devait d’être organisateur : les pages (citées et valorisées par l’auteur) consacrées à la Révolution française par le comte de Chambord, puis les comtes de Paris, montrent qu’ils ont bien saisi la source et la forme des principes qui ont défait le « faire-France » autant que la royauté qui en était le meilleur outil politique institutionnel. Le roi Louis XVI lui-même, victime du torrent révolutionnaire, avait pressenti, avant même la Révolution, les dangers de l’idéologie dominante de l’époque portée par les philosophes et leurs lecteurs plus ou moins bien intentionnés, tout comme il avait compris, sans doute mieux que quiconque, le sens et l’intérêt des fameux cahiers de doléances que les bourgeois urbains de la Révolution, ivres de leurs préjugés économiques et sociaux, s’empressèrent de remiser dans les caves de l’histoire et de leur régime « nouveau » : s’appuyant sur les écrits de l’historien Pichot-Bravard, Tisserand peut raisonnablement écrire que « La Révolution fut ainsi menée au nom du peuple, mais contre l’avis exprimé par ce même peuple. Car Louis XVI approuvait la plupart des réformes voulues par le peuple à travers les cahiers. En effet, le 23 juin, il se déclara favorable à une monarchie plus décentralisée encore, « tempérée par la consultation régulière des Etats généraux, appelés à se prononcer sur la levée des impôts ». Il approuvait également (…) une réforme générale de la fiscalité « permettant l’égalité de tous devant l’impôt », (…) la liberté de la presse, « sous réserve qu’elle respectât la religion et la morale ». « En réalité, Louis XVI semble être le seul à s’être préoccupé des attentes exprimées par les Français dans les cahiers de doléances. » ». Henri V, comte de Chambord, voulut reprendre ce grand mouvement de 1789, non pour « refaire 1793 » mais, justement, pour l’éviter et reprendre la route tracée par les rois précédents. Les années et les décennies s’écoulant, et la Révolution-fait s’éloignant sans pour autant éloigner la Révolution-principes, les princes des temps contemporains, ceux d’après 1848, n’ont eu de cesse de réfléchir sur les conditions nécessaires à l’unité et à la pérennité de la France, à cet « avenir que toute âme bien née souhaite à sa patrie ».

Et, justement, l’ouvrage d’Axel Tisserand dresse un véritable inventaire des qualités et de la valeur ajoutée de la monarchie royale « à la française », dans la lignée de cette « tradition critique » qui, avant même d’être théorisée par Maurras, inspirait et animait les politiques royales au fil de l’histoire. Dans le même mouvement, l’auteur a la judicieuse idée d’en finir avec quelques idées reçues qui, trop souvent, gênent la bonne perception de ce qu’a été et de ce que serait la monarchie : ainsi, sur la définition, par exemple, de la monarchie absolue, trop souvent confondue, plus par facilité ou par malhonnêteté que par raison, avec un régime autoritaire ou une dictature. En s’appuyant sur la mise au point contemporaine de l’actuel comte de Paris, de ses prédécesseurs, et du constitutionnaliste Maurice Jallut, Axel Tisserand souligne les fondamentaux de la monarchie : « C’est le prince Jean qui rappelle : « On parle de monarchie absolue, mais gare au contresens ! « Absolue » ne veut pas dire que le Prince se mêle de tout. Cela signifie simplement qu’il exerce un pouvoir indépendant des pressions et des passions. » En son ordre, en effet, mais uniquement en son ordre, la souveraineté est absolue, tout en étant, donc, limitée. (…) Comme le précise encore Maurice Jallut : « C’est au fond la structure même du corps politique et social de la France qui fait de la monarchie un gouvernement modéré. On peut dire qu’absolue dans son principe, elle est tempérée dans son application par les corps intermédiaires et limitée dans son extension par les libertés provinciales, municipales et corporatives. » » Nous voilà bien loin de cette République contemporaine capable de confiner sans contrôle toute une population sans que les régions, les communes ou les entreprises, et encore moins les citoyens, puissent avoir leur mot à dire et leurs raisons à avancer face à un Pouvoir discrétionnaire et parfois abusif ! La République semble avoir gravé la Liberté dans la pierre comme pour mieux la figer, quand la monarchie, plus respectueuse sans être faible, s’adresse aux libertés plurielles et vivantes… « Le roi n’est pas un monocrate », peut affirmer sans erreur l’auteur, et l’histoire de la monarchie ancienne comme de la République majusculaire contemporaine ne cesse de le démontrer à l’envi !

Les rois anciens n’ont pas seulement fondé, agrandi et pérennisé le royaume de France, ils ont façonné, non pas un « homme nouveau », rêve de tous les régimes « parfaits » (c’est-à-dire totalitaires, en fait), mais un ordre enraciné dans lequel la justice, la concorde civile, la paix ne sont pas de vains concepts mais de concrètes réalités, garanties par le pouvoir royal lui-même. Bien sûr, il y eut des difficultés, parfois des erreurs et des drames, mais le bilan n’est rien d’autre que la France, quasiment dans ses frontières métropolitaines présentes et dans sa civilisation qui doit plus à Reims et à Versailles qu’aux urnes et à leur sortie… Mais la monarchie n’est pas que politique dans le sens où elle peut être aussi la condition d’une justice sociale efficace et soucieuse de tous quand, aujourd’hui, la République prend de plus en plus les apparences d’une oligarchie méprisante et trop mondialisée pour savoir entendre les plaintes légitimes du pays réel, cette oligarchie qui s’appuie sur un pays légal né, en définitive, à la veille de la Révolution sous le « patronage » d’un Turgot et, plus tard, d’un Sieyès, comme le rappelle Axel Tisserand avec raison. L’œuvre des rois et les projets des princes depuis le comte de Chambord jusqu’au comte de Paris actuel vise à établir, en la magistrature suprême de l’Etat, l’arbitre-né, celui que nous regrettons, non comme une nostalgie, mais comme un ensemble d’occasions manquées, celles que la République incarne désormais, de notre diplomatie à notre politique énergétique, et qu’il nous faut surmonter…

L’ouvrage d’Axel Tisserand ne peut, en fait, être résumé et il mérite d’être lu de la première à la dernière ligne, non pour pouvoir nous vanter d’avoir raison, mais pour faire connaître les fortes raisons historiques, politiques mais aussi économiques et sociales, voire écologiques, qui font de la monarchie royale la meilleure réponse, venue du fond de notre mémoire nationale, aux enjeux et défis contemporains. Il nous rappelle aussi, d’une certaine manière, qu’il ne s’agit pas pour nous de mourir royaliste, mais de tout faire pour vivre en monarchie : non pour le simple plaisir de parader triomphalement un drapeau tricolore fleurdelysé en main, mais par devoir envers ceux qui ont fait de nous des héritiers et, peut-être plus encore, envers ceux à qui il s’agit de transmettre un héritage vivant, riche, prometteur…




La République ? Non merci…

La revue royaliste de l’Action Française a publié un fort dossier sur la Monarchie royale dans son numéro de l’été. Nous en publions ici quelques extraits sous forme de feuilleton.



L’actualité politique française de l’année écoulée a démontré, s’il en était encore besoin, les profondes fractures de notre pays et, au-delà même de la séparation entre un « bloc élitaire » et un « bloc populaire » (séparation théorisée par Jérôme Sainte-Marie), le fractionnement entre « trois France » électorales qui semblent se détester sans que cela n’empêche les alliances de circonstance, temporaires et le plus souvent par défaut. De plus et selon un mouvement plus lointain et profond lié à l’affirmation de la société de consommation et à son aggravation par le déracinement contemporain (aux formes multiples mais toujours malheureuses), la pluralité ancienne de la France issue de l’histoire cède la place à une logique diversitaire (qualifiée de « communautarisme », voire de séparatisme) qui, si l’on y prend garde, pourrait bien entraîner la France vers un éclatement fort peu souhaitable, ni pour les temps contemporains, ni pour les générations présentes et à venir. Sans négliger que, dans le même temps, près d’un Français sur deux prétend n’avoir aucun repère social ou identitaire, comme le signale une enquête du Cevipof de cette année, ce qui, selon le chercheur Luc Rouban, « révèle bien plus un isolement social qu’une capacité d’autonomie » : « La France, fragile et désunie, est-elle devenue une « République anomique », comme l’affirme Rouban ? « Si la République est menacée, elle l’est sans doute plus par cette anomie que par l’intégration de minorités dans des groupes séparatistes », avertit le politologue. D’où ces révoltes protéiformes, ces contestations violentes qui ponctuent l’actualité française depuis des années. » (1). Cette « déconstruction en marche » de la société française n’est pas un accident ni un hasard : elle est la conséquence de l’échec politique de la République contemporaine qui, désormais et malgré son centralisme toujours agressif (comme les Français ont pu le constater lors de la gestion de la crise sanitaire de 2020-2022), n’est plus le « liant » de la société française qu’elle prétendait être


La réélection à la présidence de la République de M. Macron, quant à elle, n’a rien résolu des problèmes qu’il n’a pas été en mesure de surmonter en son quinquennat précédent, si heurté et conflictuel malgré les espérances de sa nouveauté et de son irruption disruptive en 2017 dans le paysage si bien rangé jusqu’alors du pays légal (2). La campagne présidentielle elle-même a déçu ceux qui pensaient y trouver le moyen de « sortir le sortant » et qui y croyaient dur comme fer et qui, pour certains, ont du « aller à Canossa » en votant lors du second tour pour celui qu’ils disaient détester et combattre, en un vote de rejet et non de projet, dans un réflexe pavlovien de « défense républicaine » qui n’a jamais cessé d’être depuis Jules Simon et ses comparses des années 1870-1880… Nombre de déçus du macronisme, de contestataires du système libéral, de partisans nationalistes, socialistes, populistes ou écologistes, etc. l’ont été ensuite du résultat de l’élection présidentielle, voire du système de cette élection en attendant que cela soit de la République elle-même, pourrait rajouter le royaliste farceur et conséquent… « Les électeurs sont décevants », murmurent certains en ajoutant à leur acte d’accusation la Cinquième République mais en en proposant une Sixième, dans une logique qui, au regard de l’histoire, pourrait être considérée comme une forme de masochisme !


Non, la Sixième République n’est pas une solution ! A lire les programmes qui la revendiquent, elle ne serait en fait que le retour d’une sorte de synthèse de la Troisième et de la Quatrième, et guère plus nouvelle ni efficace que ces deux modèles anciens qui, dans l’un et l’autre cas, ont mené à l’échec le pays qui, pour se sauver, ne trouva d’autres maîtres, d’autres « dictateurs » au sens romain du terme, que des militaires, dans une geste qui reprenait, en somme, celle de la République initiale des années 1790 se livrant au sabre protecteur du général Bonaparte… Cette Sixième promise par M. Mélenchon et ses amis aurait tous les défauts de la République sans en avoir les avantages ou les atouts de la Cinquième, ces derniers étant liés à une lecture monarchique de l’État à défaut d’en être une pratique : c’est d’ailleurs cette semble-Monarchie (pour paraphraser Pierre Boutang) qui est attaquée avec le plus de virulence par les adeptes de la « République des républicains » qui caricature M. Macron sous les traits d’un Louis XVI sévère et insensible (ce que n’était pas l’original, comme l’ont largement démontré les événements et les historiens).






(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Le Figaro, lundi 17 janvier 2022, page 29.


(2) : Le pays légal peut se comprendre comme l’ensemble des groupes sociaux et politiques qui apparaissent dominants et structurants du régime en place, tout en profitant de l’existence de celui-ci et participant à celui-ci, parfois dans un cadre légal de conflictualité organisée (la sphère médiatique et les systèmes électoraux), mais préservé des atteintes du « dehors » (c’est-à-dire des groupes dissidents de l’ordre établi (2bis), marginalisés, voire ostracisés) : le pays légal de la République fait d’autant plus référence aux « valeurs de la République » que c’est lui qui les fixe et en garde jalousement la définition et le vocabulaire…

En 2017, le pays légal a procédé à une sorte de « purge » ou, plutôt, de réévaluation de lui-même, donnant l’apparence du changement quand il n’était que le transfert de pouvoir de « groupes déclinants » (les partis traditionnels de la Cinquième République) au bénéfice de « groupes ascendants » (la jeune génération européo-mondialisée issue principalement des études de Finance et de Commerce, entre autres…) : « Il faut que tout change pour que rien ne change », n’est-ce pas là la méthode du pays légal pour passer à travers les époques et les contestations sans se remettre vraiment en cause ?


(2bis) : L’ordre établi, ou plutôt, selon le personnaliste Emmanuel Mounier et le royaliste Bertrand Renouvin, le « désordre établi », l’ordre républicain n’étant souvent que la caricature grinçante de l’ordre au sens noble du terme…




Pour une Monarchie royale statutairement libre !

Une Monarchie royale « à la française », contrairement à la République macronienne, ne doit rien aux jeux de la Banque et des partis, parce que la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’Etat donne, par essence même, une indépendance statutaire au monarque : la naissance ne s’achète pas, quand l’élection se monnaye ! Ainsi, le Roi est-il libre de décider sans l’aval des puissances financières, ce qui ne signifie pas que le monarque du moment soit forcément indifférent aux affaires financières et économiques du pays. Mais l’économique, « l’intendance » comme l’appelait le général de Gaulle, doit suivre et non « être suivie » : c’est le politique qui décide, et « la politique de la France ne se décide pas à la Corbeille », pour citer encore le fondateur d’une Cinquième République qui s’est faite à nouveau éminemment républicaine quand son père est parti, chassé par le suffrage référendaire. Cela est sans doute plus facile à théoriser qu’à pratiquer mais, la volonté du général s’en étant allée en même temps que sa personne du faîte de l’Etat, il s’agit d’enraciner cette volonté par le statut même de la magistrature suprême de l’Etat, et seule la Monarchie héréditaire et successible peut le faire, détachée du « choix des autres » qui, souvent, n’est que le paravent de celui de quelques uns, comme l’a démontré la dernière élection présidentielle…

Cela signifie-t-il qu’en Monarchie royale sont bridées les expressions électorales et populaires ? Non, bien au contraire : la liberté statutaire de la magistrature suprême autorise les libertés réelles, citoyennes et professionnelles, provinciales et communales, et peut offrir plus de consistance aux pouvoirs locaux et sociaux. Cela pourrait redonner d’ailleurs du crédit à la discussion politique par la concrétisation locale de celle-ci à travers des décisions qui seraient prises conjointement par les administrés et les administrateurs communaux, professionnels, régionaux, après débats et expressions, y compris par le suffrage. C’était la motivation forte du royaliste La Tour du Pin quand il évoquait « la monarchie dans l’Etat, la démocratie dans la commune ».

En tout cas, la Monarchie royale doit profiter de sa situation au-delà des jeux économiques et politiciens (les uns étant souvent liés aux autres en République) pour imposer les conditions véritables de l’équilibre social et incarner la justice sociale, y compris au risque de mécontenter les puissances financières qu’il ne s’agit pas de détruire mais d’ordonner au bien commun, comme les rois capétiens et suivants surent le faire jusqu’au XVIIIe siècle : les Fouquet contemporains doivent vivre dans cette crainte salutaire d’un Louis XIV embastilleur. Cette crainte serait le commencement de la sagesse pour eux, et l’assurance de leur serviabilité au bénéfice du pays et de ses forces vives et populaires…


Louis XVIII face à la question sociale.

Il faudra bien écrire, un jour, un livre sur le roi Louis XVIII face à la question sociale, un thème peu abordé par les universitaires, ce qui est bien dommage. Voici ci-dessous une ébauche de réflexion sur ce sujet très révélateur de la façon dont un roi considère les travailleurs face au pouvoir de l’Argent…



« Si vous étudiez l’histoire sociale française, vous constaterez aisément que la Révolution française fut le pire moment « libéral » de l’histoire de France, en particulier à travers les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 qui détruisent les corporations et tout le modèle social corporatif quand les lois de 1790 contre l’Église avaient déjà entraîné une hausse immédiate de la pauvreté, en particulier dans les campagnes… Ces deux lois révolutionnaires interdisaient la grève et l’association ouvrière, et permettaient la « libéralisation » (sic) du temps de travail. Le dimanche, d’ailleurs, perd alors son statut de jour de repos pour les ouvriers et il faudra attendre le roi Louis XVIII pour qu’il le redevienne, en 1814, pour tous les travailleurs… Les royalistes sociaux ont été les premiers à lutter pour redonner des droits aux classes laborieuses qui en avaient été privés par la Révolution, la République et l’Empire, ce que Marx (pas vraiment royaliste…) a lui-même remarqué…



« Pourquoi le roi Louis XVIII n’a-t-il pas remis officiellement en cause les lois de 1791 ? Sans doute parce que la bourgeoisie, qui venait de « lâcher » l’empereur, ne s’est ralliée à la Monarchie que du bout des lèvres, craignant de tout perdre de ses nouveaux pouvoirs économiques et politiques acquis sous la Révolution et confortés par l’Empire, et que le roi, soucieux de refaire l’unité française plutôt que de raviver les blessures, a préféré contourner la bourgeoisie plutôt que de la braquer. En légalisant le repos dominical (1) par le biais d’une loi dite de « sanctification du dimanche », il semblait déplacer la question sur le terrain religieux sans s’en prendre directement à la bourgeoisie elle-même, et il permettait à cette dernière, peu conciliante sur ses « droits » issus de la « liberté du travail » de 1791, de ne pas perdre la face. En somme, une habileté royale en attendant que l’État monarchique restauré soit assez puissant pour imposer d’autres concessions à la bourgeoisie… Mais la Restauration, malgré certains de ses préfets qui alertent sur les terribles conditions de travail des ouvriers dans les régions minières et manufacturières (Villeneuve-Bargemont, en particulier), n’en aura ni l’occasion ni le temps, la révolution de 1830 renforçant la bourgeoisie tout en affaiblissant la Monarchie, désormais sous le risque permanent d’une nouvelle révolution libérale.




« Si la Monarchie n’a pas eu toute la latitude nécessaire pour agir sur la question sociale, elle en a au moins eu la conscience et ce n’est pas un hasard si les premières lois sociales visant à soulager les ouvriers, le plus souvent en « contournement » plutôt qu’en affrontement direct avec la bourgeoisie, sont votées et appliquées dès le roi Louis XVIII qui, en 1818, met aussi en place le livret d’épargne (aujourd’hui livret A) qui doit permettre à tous les Français de pouvoir « mettre de l’argent de côté » dans l’idée d’enraciner (au-delà des possédants et des bourgeois) les classes moyennes et les travailleurs (indépendants ou salariés) au cœur de la société : puisque les corporations protectrices n’existent plus, l’idée est de les remplacer (en attendant mieux…) par une épargne individualisée et garantie par l’État qui prend ainsi le relais des institutions professionnelles encore interdites. La stratégie royale est habile, n’est pas inutile, et nous en mesurons encore les effets aujourd’hui avec le recours massif à ce livret en période d’incertitudes, non pour « faire du profit » mais pour préserver « ce que l’on a » en attendant des jours meilleurs pour sortir cette épargne de son nid et permettre la reprise des activités économiques et commerciales dans les meilleures conditions qui soient, la prudence prévalant plutôt que l’avidité…



« Tout l’intérêt d’une Monarchie royale en France est de « prendre son temps » pour bien faire les choses. Mais, convenons-en, cela peut, dans les périodes de restauration, de nouvelle instauration ou de ré-instauration, être une faiblesse, parfois fatale : cela doit donc nous inciter à poser les bases théoriques avant que d’être pratiques d’une Monarchie royale qui doit mener, dès son avènement, une politique véritablement sociale et qui s’appuie sur les forces productives et pas seulement financières, ces dernières devant être sérieusement encadrées dès le premier jour si la Monarchie veut pouvoir s’enraciner vraiment. L’élément fort de la légitimation de la nouvelle Monarchie ne peut être, en ce domaine, que l’application « sanctoludovicienne » de la justice sociale. Le comte de Paris des années 1930 l’avait fort bien compris, lui dont l’un des premiers et plus importants écrits portera sur ce thème et s’intitulera « Le Prolétariat » qui aurait pu être sous-titré : « Comment mettre fin à l’indignité sociale par la Monarchie sociale… ».





(à suivre)





Notes : (1) : Napoléon 1er avait toujours refusé de remettre en place le repos dominical en prétextant que les ouvriers pouvaient travailler ce jour-là aussi puisqu’ils mangeaient bien tous les jours de la semaine… Argument désarmant de cynisme et de mauvaise foi, mais qui convenait à la part la plus libérale de la bourgeoisie !


Contre la présidentielle permanente.

« La fin de toute campagne présidentielle signifie le début de la prochaine », ironisait un lecteur du Figaro en réaction à un article sur le second tour de l’élection du Chef de l’Etat. Et, ce lundi 25 avril, un article publié en page 2 du quotidien L’Opinion confirme cette maxime en titrant « Macron devra composer avec l’après-Macron » : « Aujourd’hui, au sein du camp présidentiel, ils sont deux à pouvoir nourrir des ambitions pour 2027 – Edouard Philippe et Bruno Le Maire – et (…) d’autres, comme Gérald Darmanin, pourraient s’ajouter à la liste en chemin. » Ainsi, le bal des ambitieux ne se finit jamais en République Cinquième du nom, et il n’est pas certain que cela soit une bonne nouvelle pour la nation ni pour sa tranquillité. Sans compter que, dans les oppositions, les couteaux s’aiguisent déjà au sein de la Gauche radicale (qui pour succéder à M. Mélenchon dans 5 ans ?) et au sein de la Droite nationaliste, et chacun semble concevoir désormais les élections législatives de juin prochain comme une étape importante dans la construction d’un « appareil » politique crédible pour décrocher le précieux sésame du pavillon de Madame de Pompadour.

Un ancien ministre giscardien des années 1970 avait, étrangement, défendu la transmission dynastique de la Monarchie royale en expliquant que, sous la Royauté, « la première place est prise », et que cela réfrénait les ambitions et les mégalomanies de candidats dits républicains qui oubliaient trop souvent le sens du « bien commun et du service de l’Etat » pour accéder au Graal élyséen. Après tout, la transmission héréditaire a toujours cours dans une dizaine de pays européens, dont six membres de l’Union européenne, et nos pièces d’euros nous le rappellent parfois, avec les profils du roi d’Espagne, du grand duc du Luxembourg ou du roi des Belges. Bien sûr, ces monarchies ne sont que des exemples, pas des modèles pour nous, en France. Mais elles ont l’immense mérite de « surplomber » la nation (tout en l’incarnant de façon « historique »), sans empêcher les débats politiques (« démocratiques », selon l’acception courante) de se tenir et d’avoir une influence sur le cours des choses, même s’il n’est pas interdit de regretter que, parfois, cela soit aussi au détriment des nations concernées. Notre souhait monarchique est sans doute plus « complet » et original, combinant l’autorité arbitrale (et non arbitraire) de la magistrature suprême de l’Etat avec l’exercice des libertés locales, professionnelles et individuelles dans un cadre « corporatif » (c’est-à-dire de corps intermédiaires représentatifs et d’une subsidiarité ordonnée et dynamique) : en libérant la tête de l’Etat des jeux électoraux, la Monarchie « à la française » lui redonne à la fois l’indépendance nécessaire face aux groupes de pression (que l’on peut qualifier de « féodalités contemporaines », qu’elles soient financières, économiques ou politiciennes, partisanes) et la continuité sans le fixisme, les jeux politiques étant garantis par l’autorité suprême sans qu’ils puissent s’imposer à celle-ci.

Ne nous leurrons pas : cela sera sans doute plus complexe dans la réalité concrète, au moins dans la phase d’enracinement des institutions monarchiques durant laquelle est possible un bras de fer entre la magistrature suprême de l’Etat et les partis (ou ce qui en tiendra lieu) inquiets de perdre leur pouvoir de « faire et défaire » au gré des élections : ce sera tout l’enjeu de la Monarchie « renaissante » de s’imposer sans faiblir, et elle devra alors se faire éminemment politique, jouant de toutes les forces politiques du pays, non pour asservir l’Etat (comme certains en rêveraient en rétablissant une Quatrième – numérotée Sixième – République) mais pour mieux le servir… Un royaliste qui croirait que l’arrivée du roi sur le trône va, d’un coup de sceptre magique, résoudre tous les problèmes et dissoudre toutes les ambitions, se fourvoierait dans une sorte d’utopisme sans doute rassurant mais, en définitive, néfaste pour la Monarchie royale elle-même…

Le général de Gaulle, président de la République qu’il avait fondée, plaisantait lors d’une conférence de presse sur le fait que, pour lui succéder à la tête de l’Etat, ce n’est pas le vide qui était à craindre mais bien plutôt le trop-plein : nous avions, à l’automne dernier, quarante (au moins) postulants au titre élyséen avant que la sélection des 500 signatures n’en autorise « que » douze à concourir, dont la moitié ne pouvait espérer qu’une candidature de témoignage, selon la formule consacrée. Mais, au soir du premier tour, nombre d’électeurs se sentaient orphelins, condamnés à un vote de « second choix » ou à un vote de rejet plutôt que de projet. Cette frustration profonde et cette sourde désespérance civique que montrent les taux d’abstention élevés et la vigueur, vaine mais néanmoins puissante, des votes protestataires, devraient alerter sur les impasses d’une République qui, en « monarchisant » (1) sa place suprême, se transforme, non en Monarchie pleine et entière, mais en monocratie « insistante » et trop impérieuse pour pouvoir permettre le plein exercice des libertés que, pourtant, nombre de Français réclament d’année en année, de Bonnets rouges en Gilets jaunes…

S’il y a bien une raison forte et actuelle d’être royaliste aujourd’hui, c’est celle de vouloir redonner du souffle au « peuple » civique (et non politicien) et historique, à ce « pays réel » qui ne se reconnaît plus dans le « pays légal » de MM. Macron, Philippe et Woerth, entre autres… Être royaliste pour, en somme et légitimement, dénoncer et, si possible, éviter la prochaine « guerre de cinq ans » qui, déjà, a commencé hier soir…








Notes : (1) : En employant, à dessein, le terme « monarchisant », je tiens à le distinguer du terme de « royalisant », comme je distingue la Monarchie (qui peut être royale – et c’est d’ailleurs cette acception qui domine en France -, comme elle peut être républicaine, voire impériale ou dictatoriale, devenant alors, selon le mot du constitutionnaliste Maurice Jallut, une monocratie) de la Royauté qui est « plus » que la Monarchie simple, et qui intègre une certaine sacralité (religieuse ou politique) dans son histoire comme dans son exercice. La Monarchie serait plus « le Pouvoir » lui-même, dans son acception gouvernementale et décisionnaire, voire arbitraire, quand la Royauté serait plus « l’Autorité » qui permet et limite tout à la fois le Pouvoir-Minotaure, en étant décisionnelle et arbitrale…





La République : les uns contre les autres, encore.

Evidemment, ce dimanche n’est pas totalement comme les autres : ce second tour de l’élection présidentielle monopolise toutes les attentions médiatiques, mais ne semble pas vraiment intéresser mes voisins de café, pressés de se débarrasser de leur devoir électoral et (en même temps) sans empressement, quel que soit leur vote respectif, d’entendre le résultat final. L’indifférence a remplacé, non le civisme (les électeurs vont voter, quand même, du moins là où j’habite), mais l’intérêt pour l’élection du jour. Bien sûr, ce n’est pas le cas partout, loin de là, et les réseaux sociaux bruissent de rumeurs, de peurs, de conseils martiaux, et de mille illusions d’un côté, de mille renoncements de l’autre. J’avoue ne pas m’être senti motivé par une campagne de second tour qui a été dominée par le mécanisme de « rejet contre rejet », et non de « projet contre projet » comme c’était souvent le cas avant 2002.

De plus en plus, je crois que le système de l’élection présidentielle au suffrage universel direct n’est plus approprié à ce qu’est devenu, désormais, le débat politique, et qu’il n’est plus vraiment ce que le général de Gaulle avait voulu en faire, « la rencontre d’un homme et du peuple ». Il y avait un reste de monarchie dans les joutes présidentielles des années 1960-90 : non dans le combat mais dans son acte final, l’huile sainte et le consentement des Grands sous Hugues Capet juste remplacés par l’annonce de la « mort » du président précédent (« le Président ne l’est plus ») qui, parfois, renaissait par lui-même (« le Président est élu »), par la volonté des suffrages majoritaires qui effaçaient, comme par magie, ceux qui n’étaient « que » minoritaires. Si, durant la campagne d’entre-deux-tours, le pays se divisait en soutiens de l’un ou de l’autre, lorsque sonnait la dernière heure de l’élection à la magistrature suprême de l’Etat, et comme lors d’une sorte de « combat des chefs à la loyale », les candidats et leurs électeurs (et même largement au-delà) reconnaissaient la noblesse de la fonction convoitée et s’inclinaient, pour le perdant et ses partisans, devant le sort des urnes, transformant la victoire électorale en une forme de sacre institutionnel. Créon n’était pas Antigone, mais « l’élu » disposait d’une sorte d’état de grâce tout en étant désormais le seul à en avoir le « droit », héritage historique de l’ancien droit royal symbolisé par la main de justice… Bien sûr, les royalistes « hors-système » de l’époque étaient plus « réservés », rappelant que, malgré les apparences régaliennes, Créon n’était pas Antigone et que la République ne pouvait être confondue avec la Monarchie royale

Ce temps me semble bien révolu, et la République n’a plus cette « sacralité » qu’elle avait héritée, pas si étrangement que cela en fait, de l’ancienne Monarchie capétienne à cause de la personnalité particulière du fondateur de la Cinquième République et à sa légitimité qui, à l’origine, n’était pas vraiment issue du suffrage universel ni de la légalité républicaine… Désormais, l’élu du soir n’est souvent que l’élu du désespoir, ou de la peur des uns contre les autres. Il est possible de le regretter, mais c’est ainsi. Cela ne me donne que plus de raisons encore d’en appeler à une magistrature suprême qui fédère les différences plutôt que de les monter les unes contre les autres : en somme, une Monarchie royale capable d’incarner l’unité française sans étouffer les dissemblances. Assembler pour bâtir plutôt que diviser pour régner : n’est-ce pas le sens réel de la Monarchie royale et son devoir historique pour les temps de son retour et de son enracinement, temps encore trop lointains pour une Monarchie, elle, toujours et plus encore maintenant nécessaire ?

Jean-Philippe Chauvin