Royalisme social

L’indécence sociale, fruit du capitalisme sans mesure.

Quand le sportif Lionel Messi arriva au Paris-Saint-Germain, une petite affichette manuscrite fleurdelysée et signée des Royalistes sociaux fut apposée non loin du Parc des Princes : « Messi, 41 millions d’Euros annuels ! Combien pour une infirmière qui sauve des vies ? 1 300 fois moins ! Halte à l’indécence ! », proclamait-elle crânement, sachant que les fidèles soutiens de l’équipe de balle-au-pied s’en offusqueraient, ce qui ne manqua point d’arriver, effectivement. Depuis, chaque année au moment des transferts de joueurs et des enchères étonnantes autour de quelques uns d’entre eux, ainsi que lors des assemblées générales d’actionnaires des grandes Firmes financières ou industrielles, les mêmes causes entraînent les mêmes indignations, dans une sorte de rituel immuable où chacun, selon son étiquette politique, tient son rôle et entretient son discours. Mais, au bout du compte, malgré les grandes envolées lyriques et les « Plus jamais ça » gouvernementaux, rien ne change, si ce n’est les chiffres, toujours plus hauts, des rémunérations des heureux bénéficiaires des largesses des propriétaires de clubs ou des conseils d’administration des entreprises… Ainsi, ce printemps, c’est – encore – Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (entreprise automobile née de la fusion de Fiat et de PSA) qui anime cette chronique annuelle et perpétuelle, avec une rémunération de 36,5 millions d’euros pour l’année passée 2023 (votée par 70 % des actionnaires de Stellantis le 16 avril dernier), soit 13 millions de plus (soit 56 % en sus) que pour l’année précédente.

« Le trop est l’ennemi du bien », dit la sagesse populaire : cette formule s’applique tout à fait à la situation de M. Tavares, mais ne faut-il pas aller plus loin que cette indignation facile et poser ainsi quelques jalons d’une politique assumée de justice sociale, dans une mondialisation qui semble se rire des Etats et de leurs velléités sociales ? Tout d’abord, précisons notre point de départ : l’égalitarisme est une absurdité et les inégalités peuvent être protectrices quand elles prennent en compte les réalités et la diversité des situations possibles du travail et de ses revenus dans notre société ; ce ne sont donc pas les inégalités qui posent problème mais leur démesure sans justification crédible : elles deviennent alors des injustices sociales, et condamnables en tant que telles. De plus, ce n’est pas la richesse qui est choquante, et il est même fort heureux qu’une société ait un nombre de riches assez important pour oser investir et faire vivre nombre de métiers du luxe et de la qualité valorisée ; en revanche, ce qui scandalise, c’est l’accumulation abusive et statique des richesses aux mains de quelques uns, et l’irrespect des devoirs sociaux (et fiscaux) qui sont, pourtant, la contrepartie de la richesse et de sa reconnaissance dans une société équilibrée. C’est aussi, pour certaines fortunes, la malhonnêteté des moyens mis en action pour les acquérir, ou la violence économique et sociale qui y préside… Là encore, il convient de « savoir raison garder » et de faire la part des choses pour éviter de tomber dans une démagogie de mauvais aloi qui est souvent la marque d’une envie mortifère et la prémisse d’une destruction égalitaire inappropriée et forcément injuste.


Dans le cas spécifique de M. Tavares, certains diront que sa rémunération (six fois plus élevée que la moyenne de celles des grands patrons du CAC 40 français) reste néanmoins en-deçà de celles des grands dirigeants d’entreprises états-uniennes, argument pourtant peu compréhensible pour nombre de patrons et d’ouvriers français qui n’ont pas l’impression de démériter et se contentent de rémunérations beaucoup moins profitables. Bien sûr, l’on nous rétorquera qu’il faut prendre en compte l’importance de la firme multinationale que dirige M. Tavares et le nombre de salariés de celle-ci, ainsi que la situation de celle-ci sous sa direction, et il serait effectivement malhonnête de ne pas le reconnaître. Mais, dans le même temps, les salaires des cadres et des ouvriers n’ont pas connu la même progression, et la redistribution de 10 % des 19 milliards d’euros de bénéfices aux salariés du groupe (mais pas aux intérimaires) reste bien loin des 4,2 milliards d’euros versés aux actionnaires au titre des dividendes : le travail passe donc après la finance, une fois de plus, et cela paraît fort symbolique sans que cela soit dans le bon sens…

Dans une optique royaliste de justice sociale, c’est pourtant l’inverse qui devrait être la norme : le travail récompensé avant le capital investi ; les travailleurs avant les actionnaires, en somme, sans pour autant nier le rôle utile de ces derniers dans le financement de l’entreprise…



(à suivre : le salaire décent, une réponse à l’indécence sociale)






Pour des panneaux solaires français.

La transition énergétique se veut aussi une transition écologique, mais l’est-elle vraiment ? Il est permis d’en douter au regard de quelques éléments trop souvent négligés par ceux qui vantent l’écologie sans réfléchir à ses effets sociaux autant qu’environnementaux : l’incantation remplace trop souvent la réflexion et le court-termisme empêche de mener une véritable stratégie écologique, crédible et efficace. L’exemple des panneaux solaires est fort révélateur : vantés comme un moyen écologique de produire de l’électricité verte (ce qui n’est pas tout à fait exact si l’on considère l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication et la difficulté de leur entretien et de leur recyclage), ils sont aujourd’hui fabriqués en grande majorité en Chine (1), au risque de tuer toute la filière européenne et française du secteur, tout cela dans l’indifférence totale de ceux qui invoquent l’écologie pour les élections mais l’oublient dans la réalité ! Là encore, la distinction maurrassienne entre le légal et le réel peut s’appliquer sans trop de difficulté…

Dans la revue Transitions et énergies de ce mois-ci, un article met en garde contre l’extinction complète du secteur solaire en Europe : « Si rien n’est fait, l’industrie européenne des panneaux solaires va purement et simplement disparaître. (…) La situation est assez simple. Il y a une surproduction mondiale de panneaux qui a conduit à un effondrement des prix et l’industrie européenne est incapable de faire face à la déferlante depuis deux ans de productions chinoises à prix cassés. » Ce que confirme Le Figaro (sur internet) à propos du péril qui pèse sur « l’un des derniers producteurs français de panneaux photovoltaïques » (2), l’entreprise Systovi aujourd’hui menacée de disparition : « Cet été, un « retournement brutal » est survenu : « Les Chinois ont divisé leur prix par deux en quelques semaines », se souvient le patron, qui précise que leurs concurrents vendent à perte. (…) « L’opération commerciale des industriels chinois, dont j’estime qu’elle est subordonnée et coordonnée (je n’ai pas de preuves mais c’est trop simultané et rapide) a mis un coup énorme aux carnets de commande des industriels européens », regrette Paul Toulouse. Si, sur une installation solaire, le panneau ne représente que 10 à 20% du coût total, « sur un total de 8000 euros, par exemple, cela fait 1000 euros ». Un coût non négligeable qui en incite plus d’un à tirer un trait sur le « Made in France ». » Cet exemple devrait inciter à se prémunir contre la concurrence déloyale permise par un libre-échange et une mondialisation qui priorisent les consommateurs au détriment, trop souvent, des producteurs : le prix bas à l’achat, véritable carburant de la société de consommation comme peuvent l’être le « désir infini » évoqué par Daniel Cohen, et la néophilie permanente déjà dénoncée par Konrad Lorenz dans les années 1970, cache trop souvent une stratégie asociale (voire antisociale) des grands groupes transnationaux qui peuvent exploiter sans vergogne des populations ouvrières mal payées, ces fameuses « classes sacrificielles » qui servent de marchepied aux puissances émergentes et aux générations futures promises à l’embourgeoisement, à cette moyennisation pas toujours heureuse des sociétés de la mondialisation.

Dans cette logique de la mondialisation concurrentielle, les producteurs français et européens sont défavorisés et mal protégés, et trop souvent abandonnés par l’Etat ou par les clients qui raisonnent, surtout pour ces derniers, en consommateurs à court terme, fort peu civiques quand le porte-monnaie est en jeu. Mais l’Union européenne n’est-elle pas aussi responsable du malheur des industries des énergies renouvelables locales ? « Les institutions européennes semblent considérer qu’accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, pourrait permettre d’atteindre les objectifs impossibles de production d’électricité décarbonée renouvelable. Et cela vaut bien le sacrifice final de l’industrie solaire européenne… », s’inquiète Transitions et énergies. Mais alors, n’est-ce pas lâcher la proie pour l’ombre et s’en remettre à des acteurs étrangers qui, le jour venu, penseront d’abord à leurs intérêts plutôt qu’à ceux des pays européens et de la France en particulier ? Le patron de Systovi paraît bien plus responsable que les institutions européennes et que les zélateurs du libre-échange sans entraves : « Si on veut faire la transition énergétique, on ne peut pas la faire en dépendant intégralement de puissances étrangères qui peuvent décider du jour au lendemain de nous arrêter dans notre chemin. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on se donne les moyens d’être maître de notre destin », conclut celui qui a déjà lancé l’alerte depuis longtemps auprès des politiques ».

Il faut souhaiter que l’Etat français réagisse vite et qu’au lieu de dépenser à tout-va, il soutienne intelligemment les investissements dans les énergies renouvelables et les entreprises des secteurs stratégiques : sans tomber dans un étatisme jacobin de fort mauvais aloi, il appartient néanmoins à l’Etat de ne pas « laisser faire-laisser passer » quand l’avenir de nos industries vitales (3) est en jeu. Là aussi, l’indépendance industrielle française n’est pas une option souhaitable : elle est une absolue nécessité, y compris pour l’écologie.

Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : Le transport des panneaux solaires fabriqués en Chine n’est pas non plus une grande manifestation d’écologie : plus le lieu de production est loin du lieu d’implantation, plus l’empreinte environnementale du produit et de son transport est élevée…

(2) Le Figaro, site électronique, vendredi 22 mars 2024.

(3) : Ne dit-on pas, sur toutes les chaînes télévisées et radiophoniques que « l’énergie est notre avenir » ?






Deux siècles d’histoire sociale à la lumière des monarchistes :

Deux siècles d’histoire sociale à la lumière des monarchistes.Olivier Pichon reçoit le professeur d’Histoire Jean-Philippe Chauvin (membre du Groupe d’Action Royaliste) afin d’étudier la dimension sociale de la monarchie française, antithèse de la République libérale d’aujourd’hui.Entretien à retrouver sur TVL

Les aspects contemporains de la question sociale.

Penser la question sociale aujourd’hui, au-delà des idéologies qui semblent s’imposer et s’opposer spectaculairement dans nos sociétés désunies et conflictuelles, tel est l’objet d’une nouvelle série d’articles sur ce site du Groupe d’Action Royaliste, aussi publiés dans la revue royaliste d’Action française Le Bien Commun.

La réforme des retraites est faite, en attendant la prochaine (2027 ?) si l’on en croit les économistes et l’ancien premier ministre Edouard Philippe, et sa contestation, pourtant nécessaire, est restée vaine : la République a eu le dernier mot, mais ce n’est pas forcément le bon… En cette rentrée, c’est l’inflation qui occupe et surtout préoccupe tous les esprits, et qui déprécie le porte-monnaie des Français, particulièrement des classes moyennes et populaires, et l’inquiétude du gouvernement comme des entrepreneurs porte aussi sur une possible conséquence sur les salaires, entraînant ceux-ci à la hausse, pourtant considérée comme le « meilleur » moyen de compenser celle des prix à la consommation mais aussi de répondre aux demandes de certains secteurs en tension (restauration, bâtiment, agriculture… qui ne trouvent pas assez de bras aujourd’hui) ; les salariés, eux, souhaitent cette amélioration salariale, souhaitable à bien des égards. L’enjeu des prochains mois va être de trouver la nécessaire conciliation entre les parties, considérant que l’économique et le social doivent s’accorder si l’on veut éviter la faillite de l’une et la colère de l’autre. Mais il n’est pas certain que la République soit en mesure de relever ce défi particulier et sensible, prisonnière de son allégeance à des règles « européennes » parfois kafkaïennes et désarmantes face aux puissances extra-européennes et toujours coincée entre deux élections, la France se retrouvant désormais en présidentielle permanente, ce qui ne peut qu’entraver toute stratégie politique, économique et sociale de long terme. De plus, les tensions géopolitiques, dans lesquelles la France se trouve parfois partie prenante, n’arrange guère la situation des prix, mais c’est toujours la mondialisation qui domine en économie, et cela même si elle tend aujourd’hui, dans cette nouvelle fragmentation du monde, à se « déglobaliser » : comme le dit Pierre-André de Chalendar (1), « les entreprises sont désormais confrontées à la géopolitique et doivent s’y adapter, ce qui est plus ou moins facile. Elles vont devoir raisonner multilocal plutôt que global. » Mais l’Etat n’a-t-il pas aussi son mot à dire et ses arbitrages à mener en ce domaine, sans tomber dans l’étatisme néfaste ? Il nous faudra y revenir dans les prochains mois.

Néanmoins, cette nouvelle donne internationale qui a des répercussions économiques et sociales jusqu’au tréfonds de notre pays change-t-elle fondamentalement le système socio-économique dominant ? C’est peu probable, en définitive : la société de consommation, le libre-échangisme mondialisé et l’idéologie de la croissance restent les fondements apparemment indestructibles du système qualifié, le plus souvent et sans beaucoup d’explications ni de nuances, de « libéral » ou, plutôt, de « néolibéral ». Or, ce système, dont la morale première est résumée par la terrible formule de Benjamin Franklin « Time is money » (c’est-à-dire « le temps c’est de l’argent »), néglige autant la nature que les hommes, le souci environnemental que la justice sociale et, au regard des archives royalistes disponibles, il est assez frappant et révélateur que parmi les premiers à s’en inquiéter vraiment en France, l’historien politique trouve rapidement les royalistes d’Action française… Une page tirée de l’Almanach de l’Action française pour 1929 évoquant le système socio-économique des Etats-Unis (pas encore complètement triomphant en Europe alors) mérite la citation et la lecture, mais aussi le commentaire : « Aux Etats-Unis, on a essayé de résoudre le problème social par l’octroi des hauts salaires en échange d’un rendement fortement amélioré, grâce à la taylorisation du travail et à la standardisation des fabrications. L’ouvrier qui accepte de produire son maximum reçoit une paye suffisamment élevée pour qu’il puisse se procurer non seulement le nécessaire mais un large superflu. Il lui est donc possible en principe d’économiser. Mais (…) les hauts salaires n’ont pas été accordés aux travailleurs par pure philanthropie ; on a exigé et obtenu d’eux un rendement inconnu dans la vieille Europe mais, en outre, on a cherché à en faire de nouveaux consommateurs afin que les usines puissent, grâce à l’augmentation de clientèle ainsi obtenue, travailler en grande série et par conséquent avec des prix de revient meilleurs. Tous les moyens : publicité, vente à crédit… ont donc été mis en œuvre pour éloigner l’ouvrier de la thésaurisation et le pousser au contraire à dépenser, non seulement au fur et à mesure de son gain, mais encore en spéculant d’avance sur ce gain. (2)» C’est bien le système même de la société de consommation qui est ainsi décrit et que résumera, pour mieux l’analyser et le critiquer, le maurrassien Pierre Debray : selon lui, Ford et ses imitateurs autant que ses successeurs (3) ont mis en pratique la logique même de la société de consommation, « Consommer pour produire » et, par la tentation valorisée (la publicité) et financée (le crédit, c’est-à-dire l’endettement organisé et contrôlé par les banques), ouvrent le temps du superflu et du gaspillage dénoncé dans la littérature dès 1931 par Aldous Huxley dans son fameux ouvrage « Le meilleur des mondes ».

S’il semble assurer, au moins un temps, une certaine prospérité matérielle aux pays qui l’adoptent et aux travailleurs qui y participent, ce système est-il, pour autant, juste et équilibré ? Rien n’est moins sûr. « Le travailleur qui tombe malade ou s’estropie par accident se trouve fortement endetté par des achats à crédit et n’a pour ainsi dire rien mis de côté. (4) » Ce qui est vrai, un siècle après, aux Etats-Unis, l’est-il de la même manière en France ? Les moyens d’épargne comme le livret d’épargne (5), aujourd’hui renommé livret A, peuvent permettre d’amortir le choc du chômage ou du malheur social lié aux maladies ou aux accidents du travail, tout comme l’Etat-providence français, souvent plus proche de l’assistanat que de l’assistance juste et légitime, ce qui en amoindrit sans doute à terme l’efficacité et la crédibilité sans satisfaire toutes les nécessités de la justice sociale. « La dure loi américaine n’estime les hommes que d’après leur seule valeur productive ; si celle-ci vient à diminuer momentanément ou définitivement, les services antérieurement rendus ne comptent guère », et cela, écrit pour les Etats-Unis des années 1920, définit aussi l’une des caractéristiques du système franklinien mondialisé contemporain, même si l’on peut y rajouter que c’est sans doute la valeur consommatoire (l’Avoir) qui compte encore plus que la valeur liée à la création de richesses matérielles, elle-même aujourd’hui dépassée par celle de richesses immatérielles, parfois complètement virtuelles et purement spéculatives. Or, ce système a fortement tendance à dévaloriser le travail et les travailleurs, les producteurs de base eux-mêmes, au seul profit de l’argent et de ses jeux parfois immoraux. La survalorisation de la possession financière dans le monde contemporain au détriment des valeurs de la justice, de la solidarité et du partage équitable des profits, n’est pas, en définitive, acceptable parce qu’elle néglige le sens et l’unité de ce qui fait société en préférant l’individualisme et la division permanente selon les seuls éléments matériels (et immatériels) de richesse : la formule « On ne prête qu’aux riches » n’a jamais été aussi si actuelle et si inappropriée à l’équilibre social ! L’exemple de l’accès à la propriété immobilière (et de son entretien pour les propriétaires à faibles revenus) est aujourd’hui le plus caractéristique et éminemment scandaleux : les jeunes couples des classes moyennes (entre autres) désireux de faire un premier achat immobilier se retrouvent déboutés par les banques qui prêtent de moins en moins, ou à des taux peu attractifs, au risque de geler toute possibilité de devenir propriétaire alors même que c’est un souhait manifesté très largement par les familles et citoyens français, et que c’est même, pour beaucoup, à la fois un idéal et une assurance contre les revers de fortune possibles… Voilà ainsi une situation malheureuse pour nombre de nos compatriotes qu’une politique de justice sociale réfléchie et appropriée doit chercher, absolument et le plus rapidement possible, à résoudre.

(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) Entretien publié dans Le Figaro, samedi 16- dimanche 17 septembre 2023. Pierre-André de Chalendar est le président de Saint-Gobain et s’affiche comme libéral, peu favorable au colbertisme d’Etat…

(2) : Pierre Chaboche, « La sécurité du travail », article publié dans l’Almanach de l’Action française pour 1929. M. Chaboche était le président de l’Union des Corporations Françaises (U.C.F.) de 1925 à 1930 et directeur de son journal La Production Française. Industriel royaliste, il poursuivit ensuite son combat corporatiste et social auprès du jeune comte de Paris, dans les années 1930.

(3) : Parmi les imitateurs et successeurs du tayloro-fordisme, il n’est pas inutile de citer son propre concurrent Alfred Pritchard Sloan, président de General Motors, qui « perfectionnera » le système initié par Ford en remplaçant l’unicité (de la voiture produite : la Ford T était fabriquée en une seule couleur – noire – et égalisait ainsi tous ses acheteurs, de l’ouvrier au banquier) par la diversité des équipements et de couleurs (mais sur le même châssis de base), les gammes réintroduisant ainsi la notion de hiérarchie sociale et créant de nouveaux désirs dont celui de s’approprier la voiture correspondant à l’échelon social supérieur à sa propre condition… La voiture redevient alors un marqueur social de première importance et, en tout cas, un élément de sa visibilité. La société de consommation devient alors une société de la séduction sociale et du désir de revendiquer un rang supérieur pour nombre de ses acheteurs, au risque de l’endettement (fatal, parfois) pour certains. Un excellent moyen, en somme, d’enraciner la société de consommation et d’en détourner la possible contestation par la tentation et l’illusion de monter, non dans l’échelle sociale, mais dans celle de la représentation sociale…

(4) : Pierre Chaboche, article cité plus haut.

(5) : C’est un héritage du règne du roi Louis XVIII, qui a suscité la création du livret d’épargne en 1818, justement pour permettre à tous les sujets du royaume de disposer d’un moyen sûr et garanti par l’Etat de pouvoir faire des économies en prévision, soit des jours moins heureux soit de futurs achats…

Les accidents du travail, ce fléau.

Cela n’arrive pas qu’aux autres ! Mais il y a aussi des métiers qui sont plus touchés que d’autres par le fléau des accidents du travail : les secteurs industriels, le monde de l’hôpital, les métiers du bâtiment, etc., se révèlent beaucoup plus accidentogènes que les professions dites intellectuelles, les activités bancaires ou commerciales. Cela explique en partie que l’espérance de vie en bonne santé (« sans incapacité », en langage administratif) soit inférieure chez les ouvriers d’une bonne dizaine d’années au regard de celle des cadres et des enseignants, par exemple. Or, les dernières études montrent que la France est l’un des pays au bilan le plus lourd en ce domaine, même si les modes de calcul de l’accidentologie ne se sont pas les mêmes d’un Etat à l’autre. Ainsi que le signale Thomas Engrand dans son article des pages économiques du Figaro publié lundi 4 septembre : « (La France) arrive en quatrième place des pays ayant le plus fort taux d’accidents de travail mortels par an, derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte, avec une fréquence de 3,32 pour 100 000 travailleurs en 2021, selon Eurostat. En Allemagne, ce taux n’est que de 0,84. En Suède, il tombe à 0,77 et à 0,33 aux Pays-Bas, le champion en la matière. » Quelles que soient les limites que les différences de mode de calcul d’un pays à l’autre peuvent entraîner dans la crédibilité de ces chiffres, ils n’en restent pas moins significatifs d’un véritable problème de santé publique dans le monde du travail, problème que les récents (et médiatisés) accidents mortels sur le chantier du Grand Paris Express (1) ont remis en valeur à défaut de le régler.

D’autres chiffres, plus parlants et non moins inquiétants, permettent de mieux saisir encore l’ampleur du problème qui, pour être peu abordé jusqu’alors dans les médias et encore moins dans les manuels scolaires et universitaires de nos établissements d’enseignement, mérite non seulement l’intérêt mais des réponses appropriées et, disons-le, urgentes : « Car la France a recensé 640 000 accidents du travail en 2021, dont « près de 35 000 se traduisent par une incapacité permanente », pointe Olivier Dussopt. Après avoir longtemps baissé, le chiffre connaît une stagnation depuis plusieurs années. Parmi eux, deux par jour sont mortels en moyenne – 693 en 2021 – (2), rien que sur le lieu de travail. Le chiffre est presque deux fois plus important si on ajoute les accidents de trajet domicile travail et les maladies professionnelles. » Sans oublier qu’un certain nombre « d’accidents moins graves passent sous les radars. La France est régulièrement classée parmi les pays où les accidents sont les plus nombreux en Europe. » Ce tableau sombre est d’autant plus inquiétant que notre pays traverse une « crise du travail » et que les jeunes générations, pour une large part, s’éloignent des métiers considérés comme « trop manuels » ou « trop éprouvants », au risque de renforcer les pénuries de main-d’œuvre déjà fort marquées dans certains secteurs de production et de service. Or, cette accidentologie trop élevée en France risque, si l’on n’y prend garde, d’accentuer la méfiance des nouveaux travailleurs à l’égard de secteurs déjà peu attractifs…

Le gouvernement a-t-il pris la mesure du problème ? Le fait qu’il engage une campagne de sensibilisation sur ce sujet dès la fin du mois de septembre peut le laisser entendre, à défaut de le croire… Mais cela sera-t-il suffisant et, au final, satisfaisant ? « Les branches professionnelles les plus accidentogènes vont être mobilisées pour améliorer la prévention, comme le bâtiment », nous est-il annoncé : l’intention est bonne, mais elle risque d’être freinée par le manque criant d’inspecteurs du travail (à peine 2 100 en France aujourd’hui pour une population active de plus de 31 millions de personnes…), pourtant nécessaires pour vérifier les avancées promises dans la sécurité des salariés. C’est aussi là que l’on mesure tout l’intérêt qu’il pourrait y avoir à disposer, en plus de l’Inspection du travail, de structures véritablement corporatives et régionales (voire communales pour certaines) ordonnées à définir et à créer les meilleures conditions de travail possibles, autant dans la recherche de la qualité que dans celle de la sécurité au travail et de sa préservation. En fait, ces structures corporatives ont pu exister dans le passé, sous un Ancien régime aussi décrié que largement méconnu sur le plan social, et elles ont été dissoutes irrémédiablement en 1791, par les lois d’Allarde et Le Chapelier, avant que de renaître, de façon incomplète, au fur et à mesure des XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, ne serait-il pas plus efficace de confier plus largement le contrôle des règles de sécurité et de qualité à des corps socio-professionnels autonomes que de le laisser au gré des disponibilités de services de l’Etat débordés et parfois kafkaïens ? Non qu’il faille « défaire » l’Inspection du travail (3), utile mais parfois maladroite (voire néfaste dans certains cas, ce qui est le comble au regard de sa mission première…), mais il paraît nécessaire de la compléter, de la décharger de certaines tâches pour la rendre plus efficace et crédible, à défaut d’être toujours populaire… (4)

Il y a sans doute une autre limite à la lutte, pourtant nécessaire, contre l’accidentologie au travail : c’est le système même de la mondialisation libérale qui met en concurrence les travailleurs du monde entier, concurrence qui transforme une saine émulation entre secteurs productifs en compétition sauvage favorable aux plus grands prédateurs économiques mondialisés pour qui le sort des travailleurs, où qu’ils soient, n’est qu’une variable d’ajustement. Ainsi, nombre de multinationales ne se soucient guère des conditions de travail des salariés, pourvu que les machines tournent et produisent. Or, la France, après une industrialisation brutale et fort peu sociale à partir de 1791, a recréé peu à peu, au fil des lois sociales et des luttes qui, souvent au XXe siècle, les ont permises, un climat de travail plus favorable aux ouvriers et employés, haussant d’autant le coût de celui-ci et de ses productions matérielles comme immatérielles : trop souvent, ce dernier élément (pourtant éminemment positif et bienvenu pour les salariés) a servi d’alibi à de grands groupes industriels pour expliquer et assumer la délocalisation de leurs usines vers des destinations moins regardantes sur les droits (et les salaires…) des producteurs de base… Cela explique sans doute aussi pourquoi, à l’inverse des délocalisations spéculatives évoquées auparavant mais pas dans un meilleur esprit social, nombre d’entreprises utilisent aussi en France des « travailleurs détachés » issus majoritairement des pays de l’Europe orientale, plus souvent victimes d’accidents du travail que les travailleurs locaux. D’où la prise en compte de cette donnée par l’Etat lui-même : « En parallèle de cette campagne de sensibilisation destinée à tous les Français, l’exécutif veut en mener une autre spécifiquement pour les travailleurs détachés, avec des outils de prévention déclinés en plusieurs langues. » C’est déjà cela, même si l’on peut légitimement s’interroger sur le statut même de « travailleur détaché », surtout quand ceux-ci s’avèrent trop peu francophones pour recevoir directement et comprendre immédiatement les consignes et conseils de leurs collègues de travail ou des structures d’accueil et d’hébergement…




(à suivre : Partie 2 : Réduire les accidents du travail, c’est possible, malgré tout !)




Notes : (1) : « Ces derniers mois ont ainsi été marqués par plusieurs accidents graves sur le chantier du Grand Paris Express (…). Dernier en date, début juillet, un ouvrier de 46 ans a été écrasé par un chariot télescopique. En avril, un apprenti de 22 ans était tué par la chute d’un bloc de béton. Au total, cinq ouvriers ont déjà trouvé la mort depuis le début des travaux en 2015. Bien qu’aucun métro n’y ait encore roulé, la ligne 16 compte déjà trois décès. » Des précisions apportées dans l’article de Thomas Engrand.

(2) : En 2018, le nombre d’accidents mortels était de 551, soit 142 de moins que trois ans après

(3) : L’inspection du travail est d’ailleurs un héritage indirect des études sur les difficiles conditions de vie et de travail ouvriers du docteur Villermé à la suite de celles du préfet royaliste Villeneuve-Bargemont. C’est aussi une institution qui reprend, à un niveau national et sous contrôle étatique, la mission de protection du travail et des travailleurs assumée jadis par les corporations …

(4) : La proposition d’une nouvelle forme sociale institutionnelle impliquant plus nettement des corps socio-professionnels (que l’on pourrait qualifier, peut-être, de « corporations », du moins dans l’esprit ordonné et positif du terme) n’est, je le précise, qu’une proposition (même si elle me semble fondée et bénéfique pour le monde du travail de demain à défaut d’immédiatement…) qui mérite étude, réflexion et discussion : je rappelle que je ne souhaite pas, bien au contraire, la disparition de l’Inspection du travail qui, dans son principe même, me semble plus qu’utile, véritablement nécessaire malgré ses limites et défauts actuels. Mais le statu quo ne me semble pas plus profitable, et une réponse corporative peut être ainsi envisagée…







1791, année maudite pour les travailleurs français (2)

Il est un autre effet néfaste et souvent méconnu des lois révolutionnaires libérales de 1791 : c’est la destruction de l’apprentissage qui, pourtant, avait permis au monde du Travail d’Ancien régime d’assurer et de s’assurer une qualité particulière et reconnue du monde entier, et qui garantissait la transmission des savoir-faire d’une génération à l’autre, avec toujours l’idée de rajouter, à chacune d’entre elles, quelques éléments supplémentaires. 1791, c’est la volonté de briser cette longue suite de « maîtrise de l’art du métier », propriété et fierté des travailleurs, quelles que soient leur fonction et leur place dans la hiérarchie professionnelle. Désormais, le seul maître, c’est celui qui finance et tire profit de la production, et non plus celui qui la fait, concrètement, à la force de son poignet et de ses muscles, au gré de son intelligence, avec l’aide de ses outils et avec l’expérience des anciens et la sienne propre, avec un rythme de travail qui est d’abord le sien et qui n’est pas imposé par « l’horloge du patron ».

1791 a marqué la victoire du libéralisme anglosaxon et de l’idéologie franklinienne, et les luttes sociales françaises du XIXe et du XXe siècles n’ont été que la réponse, parfois maladroite et violente, à la terrible violence « légale » des lois d’Allarde et Le Chapelier. Car, si les syndicats ont constitué, à partir de 1884, des formes de substitutions aux anciennes associations corporatives, ils n’ont jamais pu, en tant que « sociétés professionnelles » se constituer un « patrimoine corporatif » qui aurait pu leur permettre, au-delà de l’Etat et des subventions, de recréer un rapport de forces durable, en particulier dans les périodes de mondialisation qui ont accéléré leur déclin et révélé leur impuissance un temps masquée par les avantages octroyés (mais parfois conquis grâce à des mobilisations d’ampleur mais trop souvent éphémères, et à une situation géopolitique qui faisait craindre aux possédants une « lutte finale » qui leur serait défavorable…) par le soutien d’un Etat qui avait encore, s’il le voulait (ce qui n’était pas toujours le cas…), la force et les moyens de s’imposer au monde des féodalités économiques et financières.

Bien sûr, il est trop tard pour empêcher Le Chapelier de faire voter sa loi et pour raccompagner fermement les révolutionnaires libéraux de la fin du XVIIIe siècle à la porte de l’Assemblée constituante de 1791, et ce qui est fait, même mal, est fait : mais cela n’empêche pas de dénoncer les fondements de ce qui, aujourd’hui, fait le malheur du peuple des ronds-points et sa colère… Cette dénonciation ne doit pas non plus empêcher la proposition d’une nouvelle fondation sociale, dans laquelle les associations socio-professionnelles, les travailleurs eux-mêmes et les dirigeants d’entreprise, les communes et les régions (à travers leurs institutions propres ou une forme de Conseil économique et socio-professionnel local, plus ou moins large mais toujours enraciné dans les territoires et les populations), avec la bienveillance et sous la surveillance arbitrale de l’Etat, joueraient un rôle majeur dans la garantie de la justice sociale, « premier droit des travailleurs au travail ».

Que l’on ne s’étonne pas que la Monarchie sociale soit, par sa situation de grand arbitrage et de par sa légitimité qui ne doit rien aux féodalités financières et aux oukases de la « gouvernance », son régime et ses institutions politiques la mieux placée (et j’emploie ce qualificatif à dessein) pour surmonter les crises sociales que la mondialisation contemporaine et le libéralisme dominant nourrissent aux dépens de nos concitoyens et des classes moyennes… Si le Roi politique n’a pas de sceptre magique pour dissoudre les causes du malaise social, il est symboliquement porteur de cette Main de justice qui rappelle que, sans ce devoir social assumé et garanti par la magistrature suprême de l’Etat, il n’y a pas d’ordre légitime qui puisse s’affirmer et tenir dans la durée…

(à suivre)

1791, année maudite pour les travailleurs français (1)

Au-delà du processus de la révolution politique initiée en 1789, il y a un autre processus à évoquer, c’est celui de la « dépossession professionnelle », permise et même imposée par le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de l’année 1791, véritable année de naissance du Prolétariat, à la fois comme condition et comme situation.

Le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier sont deux textes que l’on peut rattacher au libéralisme des Lumières, marqué par l’individualisme et la Liberté économique, et qu’il faut sans doute replacer dans le contexte de l’émancipation des « possédants économiques » à l’égard des corps constitués et d’une Eglise catholique qui, malgré ses défauts et ses avanies, conserve encore une certaine réserve à l’égard de « l’Argent-Seigneur ». Ces deux textes se complètent en une logique certaine et infernale, si l’on veut bien en mesurer les effets immédiats sur le plan social : le premier supprime les corporations, corps socio-professionnels qui encadrent le travail autant sur le plan de ses conditions pour les travailleurs que sur celui de la qualité de la production ; le second interdit toute possibilité pour les travailleurs de se regrouper pour défendre leurs intérêts communs, la liberté individuelle primant désormais, aux yeux des constituants, sur toute communauté autre que la Nation. Ces deux textes sont l’application rigoureuse de la fameuse « Liberté du travail », qui n’est rien d’autre que « la liberté de l’Argent sur le monde du Travail », et ils sont votés dans un contexte de fébrilité sociale, au moment où les ouvriers, parfois assemblés en « coalitions ouvrières », revendiquent des augmentations de salaires et la protection de leurs droits, de plus en plus menacés par une bourgeoisie soucieuse d’appliquer la formule de Franklin sans égards pour ceux qui travaillent dans les ateliers et fabriques. Ces deux lois sont marquées, dès l’origine, par un véritable esprit de lutte des classes imposée, dans le monde du Travail, par les « possédants » et non par les ouvriers : elles ouvrent la voie à plus d’un siècle d’oppression sociale du monde des travailleurs manuels des usines et des mines, au nom d’une Liberté qui apparaît bien comme « celle du renard libre dans le poulailler libre » selon l’expression célèbre. Mais elles légaliseront aussi toutes les répressions contre les ouvriers et artisans quand ceux-ci réclameront leur juste dû et le respect de leur dignité, bafouée par un libéralisme importé du monde anglosaxon…

Cette destruction des corporations et des libertés ouvrières au profit de la « Liberté du Travail » et de la domination capitalistique est aussi la défaite d’un modèle français, certes en crise d’adaptation face aux nouvelles conditions de l’industrialisation en cours au XVIIIe siècle : ce modèle ancien, né au Moyen âge dans les villes d’Occident, devait beaucoup à l’Etat (surtout depuis la fin de la Guerre de Cent ans) autant qu’aux villes qui l’avaient vu naître et aux professions qui l’avaient suscité, et il assurait une certaine justice sociale par l’équilibre qu’il établissait au sein du monde du Travail, dans le cadre d’une hiérarchie rigoureuse mais qui n’empêchait pas l’ascension sociale et l’inventivité professionnelle. Bien sûr, ce modèle n’était pas parfait mais il restait perfectible et, surtout, il préservait les travailleurs et la qualité de leur travail « malgré la concurrence », plaçant les hommes de l’atelier et de la mine avant le seul profit de quelques uns qui maniaient plutôt les pièces d’argent que celles des métiers et des outils… De 1791 date la rupture entre le travailleur et celui qui en tire profit : et cette situation s’est bien aggravée depuis, comme on peut encore le constater avec les émoluments de quelques grands patrons peu soucieux d’autre chose que de l’intérêt des actionnaires et n’hésitant pas à sacrifier des milliers d’emplois pour engranger plus de bénéfices.



(à suivre)

Pour une Monarchie sociale !


L’économie française ne crée plus de véritables emplois pérennes, constataient Le Figaro et Les échos il y a quelques mois : cela n’est guère rassurant, car cela signifie que le travail précaire se renforce au détriment des métiers enracinés et des emplois stables. Le triomphe du « nomadisme industriel » se marque aussi par des délocalisations de plus en plus fréquentes et des drames sociaux qui touchent, directement ou indirectement, de plus en plus de familles et de personnes, peut-être demain à Rennes avec les risques qui pèsent sur l’usine d’automobiles Stellantis, de La Janais. Certains, au nom du « Libre Marché », se satisfont de cette situation en comptant sur l’auto-régulation de l’économie: c’est faire preuve d’un grand optimisme, pas exactement confirmé par les faits jusqu’à présent.


Une Monarchie sociale « à la française » ne laisserait pas faire les seules forces du Marché, ne serait-ce que pour une raison simple: la Monarchie, qui repose sur la transmission familiale, sur le caractère le plus naturel de la condition humaine (la naissance au sein d’une famille), peut résumer son éthique sociale par la formule « L’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse« . Cela signifie que la Monarchie, dont le principal devoir est d’assurer la protection (diplomatique et militaire, comme économique et sociale) du pays et de ses habitants, ne peut accepter que l’Economique s’impose au Politique et néglige ses obligations sociales premières.


Cela signifie-t-il dire que la Monarchie ne respecterait pas la « liberté économique » ou imposerait une « dictature étatiste » ? Bien sûr que non ! Mais il s’agit pour l’Etat monarchique de faire respecter et de valoriser, par l’action déterminée et raisonnée de ses institutions, conseils et organes, les grandes valeurs humanistes et personnalistes (au sens premier du terme, fort distinct de l’individualisme propre à l’idéologie libérale) et l’intérêt commun de notre pays et de ses citoyens.


Mais comment faire ? Sans doute l’une des premières tâches de la Monarchie sociale sera-t-elle d’impulser une grande politique d’Aménagement du territoire et de « relocalisation des activités productives » (y compris dans le domaine agricole, qui peut s’avérer très intéressant au regard des nouvelles tendances alimentaires et énergétiques) : il n’est pas à négliger que la France dispose d’un vaste territoire, doté d’un réseau fort complet de voies de communications et de transports, et d’un maillage communal qu’il serait dommage de ne pas mettre en valeur. Plutôt que regarder délocaliser les entreprises à l’étranger ou d’accepter qu’elles partent sans retour, il s’agirait, par une politique d’incitation fiscale ou financière plus audacieuse que celle d’aujourd’hui, de les maintenir sur notre territoire, et pas forcément dans les seuls grands centres urbains aux loyers trop élevés (en particulier pour les populations ouvrières). Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres propositions: ce ne sont pas les idées qui manquent en France, mais la volonté politique pour les mettre en pratique, pour briser un certain nombre de carcans administratifs inadaptés aux enjeux contemporains et pour « faire bouger les lignes »…


La Monarchie serait, non une fracture, mais une rupture avec la politique de la Démission propre à l’Etat actuel. Sans doute devra-t-elle prendre des risques, mais la Monarchie active « à la française » n’a pas vocation à l’immobilisme et à la facilité, et ce sera particulièrement vrai dans les premiers temps de « l’Instauration monarchique ». Face à la globalisation et au néo-nomadisme financier et industriel, la Monarchie, de par la continuité inscrite dans son principe dynastique, peut « parler de plus haut » et agir, non contre les forces économiques, mais au-delà des féodalités financières.


Dans l’Histoire de notre pays, l’Etat royal a montré, maintes fois et parfois contre le cours même de l’idéologie dominante (hier religieuse, aujourd’hui économique), ses capacités d’adaptation et d’action: c’est d’ailleurs ainsi qu’il a fondé la France, qui n’était pas encore une évidence au Moyen-âge, et qu’il a forgé sa puissance. La Monarchie, pour réussir son Instauration populaire, se devra d’être sociale. Les Français ne lui pardonneraient pas de renoncer à sa principale mission, à ce qui peut fonder une nouvelle légitimité: la justice sociale.


Le chaos et l’injustice sociale…

Le Chaos et l’injustice sociale : l’échec de la République…


« Que pèse le profond sentiment d’injustice de cette personne aux revenus modestes qui découvre au petit matin la carcasse calcinée de sa voiture ? Son assurance la remboursera à la valeur du bien, c’est-à-dire souvent pas grand-chose. Qui perçoit sa colère silencieuse ?
« Cette injustice-là, aussi, doit être prise en compte. Combien sont-elles ces personnes anonymes,victimes des dégradations, et qui une fois le calme revenu, les colères apaisées, garderont en elles le sentiment d’être considérées comme quantité négligeable ?
 »

Ouest-France, samedi 8 juillet 2023, en page 1.


Dans ces temps d’incertitude, de haine et de chaos, nous pourrions désespérer mais il importe de toujours penser au bien de la France et au bien commun des Français, d’abord !

Ce que tout le monde peut constater, du Blosne à Rennes aux quartiers de Nanterre, c’est l’impuissance de la République à résoudre les problèmes qu’elle a contribué à créer et à entretenir, d’une présidence à l’autre.

En 2005, déjà, la crise des banlieues avait montré l’aveuglement et l’imprévoyance de la République : après le chaos, les promesses de « plus jamais ça ! » avaient fleuri dans les discours du « pays légal », mais rien n’a changé… La France paye aujourd’hui le prix de la lâcheté et du renoncement, de l’hypocrisie et de l’inconstance de la République.

Dans l’immédiat, il importe de préserver ce qui doit l’être et de soutenir les efforts des pouvoirs publics pour rétablir la sécurité des biens et des personnes.

Mais il importe de ne pas oublier, au-delà du moment le plus violent de la crise, les causes profondes de ce chaos (immigration mal contrôlée ; entassement des populations déracinées en des cités de béton ; francisation abandonnée ; éducation négligée… et autorité toujours désavouée, au nom de l’enfant-roi…)
et d’évoquer les moyens, en particulier institutionnels (renforcement de l’instruction publique ; respect des valeurs civiques ; restauration de l’autorité et valorisation de la justice sociale… et un État digne de ce nom et de ses fonctions régaliennes…), d’y répondre et de refonder cet « ordre français » nécessaire à la pérennité de la nation et à la concorde nationale.







Groupe d’Action Royaliste.

La Révolution française, cauchemar social pour les travailleurs ?

Nombre des contestataires de la réforme Borne-Macron des retraites et de sa mesure emblématique du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans nous interrogent sur la Question sociale, et c’est l’occasion de préciser les raisons de notre royalisme social. Au regard de l’histoire de notre pays, il est d’ailleurs bien dommage, tout compte fait, que la Gauche et ses extrêmes cherchent à monopoliser un terrain qui, en définitive, pourrait bien ne pas leur appartenir… Voici donc un texte « royaliste social » initialement publié au printemps 2016, et qui nous paraît répondre à quelques interrogations historiques mais aussi contemporaines de tous ceux qui s’intéressent à la Question sociale…



(…) Bien sûr, depuis quelques années, le Groupe d’Action Royaliste a publié bon nombre de textes, de brochures et de vidéos sur ce thème, mais c’est un travail de bénédictin qui attend celui qui voudra faire une synthèse complète des positions et des politiques monarchistes du XIXe au XXIe siècle qui se veulent sociales (1), et il ne faudra pas oublier, aussi, les réticences ou l’indifférence de certains de ceux-ci devant des avancées sociales qui, parfois, semblaient « socialistes »… Effectivement, s’il y aura bien un Mouvement Socialiste Monarchiste qui, entre 1944 et 1946, fera référence au « socialisme » de René de La Tour du Pin et vantera, furtivement, les expériences sociales des monarchies du Nord de l’Europe, il ne connaîtra qu’un succès éphémère et tout relatif, et sera largement incompris du public qu’il était censé attirer…

Et pourtant ! Si la question sociale ne naît pas avec la Révolution, loin s’en faut, ce sont des royalistes qui vont, dès la fin du XVIIIe siècle, dénoncer les conditions nouvelles faites au monde des artisans et ouvriers par le libéralisme triomphant à travers le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier. Car la date de naissance « légale » de la condition de « prolétaire » en France est bien cette année 1791 avec ses deux textes aujourd’hui « oubliés » des manuels scolaires et qui, tout le XIXe siècle, permettront l’oppression en toute légalité et au nom de « la liberté du travail » (qui n’est pas vraiment la liberté des travailleurs…) des populations ouvrières de notre pays.

Étrangement, le philosophe maoïste Alain Badiou paraît (mais paraît seulement…) rejoindre les monarchistes sociaux dans leur critique d’un libéralisme triomphant à la fin du XVIIIe siècle, de ce « franklinisme » qui sacralise l’Argent à travers la fameuse formule « le temps c’est de l’argent » écrite et expliquée par celui qui a été reçu comme un véritable héros (héraut, plutôt, et d’abord des idées libérales) à Versailles par les élites du moment et particulièrement par la grande bourgeoisie. Ainsi, dans son dernier essai intitulé « Notre mal vient de plus loin », Badiou écrit, en cette année 2016, ce qu’un Maurras du début du XXe siècle n’aurait pas désavoué : « Depuis trente ans, ce à quoi l’on assiste, c’est au triomphe du capitalisme mondialisé.
« Ce triomphe, c’est d’abord, de façon particulièrement visible, le retour d’une sorte d’énergie primitive du capitalisme, ce qu’on a appelé d’un nom contestable le néolibéralisme, et qui est en fait la réapparition et l’efficacité retrouvée de l’idéologie constitutive du capitalisme depuis toujours, à savoir le libéralisme. Il n’est pas sûr que « néo » soit justifié. Je ne crois pas que ce qui se passe soit si « néo » que ça, quand on y regarde de près. En tout cas, le triomphe du capitalisme mondialisé, c’est une espèce d’énergie retrouvée, la capacité revenue et incontestée d’afficher, de façon maintenant publique et sans la moindre pudeur, si je puis dire, les caractéristiques générales de ce type très particulier d’organisation de la production, des échanges, et finalement des sociétés tout entières, et aussi sa prétention à être le seul chemin raisonnable pour le destin historique de l’humanité. Tout cela, qui a été inventé et formulé vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et qui a dominé ensuite sans partage pendant des décennies, a été retrouvé avec une sorte de joie féroce par nos maîtres d’aujourd’hui.
»

Maurras évoquait « le triomphe des idées anglaises et genevoises » pour qualifier la Révolution française et, comme Badiou, il ne faisait guère de distinction entre libéralisme économique et libéralisme politique, l’un permettant l’autre et réciproquement… J’aurai, quant à moi, tendance à déplacer un peu le curseur de l’autre côté de l’Atlantique, comme je le fais à travers ma critique de la philosophie « profitariste » de Benjamin Franklin.

Disons-le tout net : la France aurait pu éviter de tomber dans le travers d’un capitalisme que Maurras dénoncera comme « sans frein » quand il aurait pu être maîtrisé et, pourquoi pas, bénéfique s’il avait intégré les fortes notions de « mesure » et de partage en son sein, ce qui ne fût pas le cas, malheureusement.

Oui, il y aurait pu y avoir « une autre industrialisation », mais la Révolution a tout gâché et la République plus encore une fois débarrassée de la Monarchie et de ses structures fédératives et corporatives (ces deux dernières étant mises à mal et pratiquement à bas dès l’été 1789). Je m’explique : avant le grand tumulte de 1789, la France est la première puissance d’Europe (voire du monde ?) et elle maîtrise désormais les mers, au moins en partie, depuis ses victoires navales du début des années 1780 face à l’Angleterre, thalassocratie marchande en plein doute depuis sa défaite américaine. Elle est la première puissance industrielle et la première diplomatie mondiale, mais, alors que le pays est riche et apparaît tel aux yeux des étrangers, pays comme individus, l’État, lui, est pauvre et en butte aux pressions de plus en plus fortes des élites frondeuses, aristocratie parlementaire et bourgeoisie économique (même si le pluriel pourrait bien être employé pour cette dernière, plus protéiforme qu’on le croit généralement). Si l’on s’en tient aux aspirations de la noblesse libérale et financière et à celles de la bourgeoisie économique, elles sont simples : prendre le Pouvoir politique, au nom du Pouvoir économique, en arguant que ceux qui font prospérer les capitaux sont les plus aptes à l’exercice de l’État, ravalé (dans leur logique) à un simple rôle de gestionnaire et non plus d’arbitre ou de décideur politique. En somme, indexer le Pouvoir politique sur le seul Économique, au risque d’en oublier l’importance d’une politique sociale d’équilibre… Ce qui arriva dès que la Révolution prit les rênes du gouvernement au détriment de l’autorité royale elle-même, et qui provoqua l’explosion de la pauvreté en France dès le début des années 1790 et l’effondrement de l’économie française, bientôt aggravé par la guerre et la fin de la Marine française.

Ainsi, le XIXe siècle que, quelques années avant la Révolution, l’on annonçait « français », sera en définitive « anglais » et c’est le modèle capitaliste « sans frein » qui triompha, la France s’y étant « ralliée », en sa haute (et pas seulement) bourgeoisie et par les textes législatifs de 1791 (aggravés par Napoléon et son fameux « livret ouvrier » si défavorable aux travailleurs), puis par un « mimétisme nécessaire » pour ne pas être décrochée dans la compétition économique mondiale de l’après-Révolution…

J’en suis persuadé : si 1789 n’avait pas eu lieu tel qu’il a eu lieu, trahissant l’esprit même des états généraux et des cahiers de doléances voulus par le roi Louis XVI, et laissant l’Économique s’emparer du Politique, « 1791 » n’aurait pas été cette défaite du monde du travail et la France n’aurait pas perdu le combat civilisationnel face au « Time is money » anglo-saxon

Est-il définitivement trop tard ? Un disciple de La Tour du Pin, ce penseur majeur du royalisme social et corporatiste, était persuadé du contraire et, crânement, il déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (la Bourse) » tout en rappelant aussi le « Politique d’abord » (comme moyen et non comme fin) par la formule, simple mais efficace : « l’intendance suivra ! »… Mais c’était toujours la République et l’effort d’un moment n’a pas suffi et ne suffit pas si les institutions elles-mêmes ne l’enracinent pas dans la longue durée, celle qui permet de traverser les siècles et d’aider les générations qui se succèdent. La République n’est pas la Monarchie, tout simplement, même s’il lui arrive de l’imiter, dans un hommage involontaire du vice à la vertu









Notes : (1) : Depuis la première publication de cette note (2016) sont parus deux livres qui comblent en grande partie le vide sur le XIXe et le début du XXe siècle : « Le catholicisme social, de la Restauration à la Première Guerre mondiale », de Léo Imbert, éditions Libres, 2017 ; « Actions et doctrines sociales des catholiques. 1830-1930 », de Daniel Moulinet, Cerf, 2021. D’autres ouvrages avaient précédé, comme ceux de Xavier Vallat, d’Antoine Murat et, entre autres, de Jean-Baptiste Duroselle. Mais rien n’existe vraiment sur les royalistes sociaux de la fin des années 1940 à nos jours…


Postface : Une nouvelle écriture de cette note me conduira sans doute à présenter aussi les idées des physiocrates (en prenant appui sur le dernier livre de Jean-Marc Daniel, « Redécouvrir les physiocrates », livre qui s’inscrit dans une perspective libérale et dont il me faudra préciser les limites, voire les erreurs de sens et de portée…) et les réformes de Turgot sous Louis XVI ainsi que celles de Choiseul qui les précédent dès 1763, et qui inaugurent un « cycle libéral » (encore contrarié sous la Monarchie d’Ancien Régime) dont l’apogée légale et pratique sera, en somme, les lois de 1791 et leur application au XIXe siècle.




Jean-Philippe Chauvin