Agriculture & terroirs

Les raisons de la colère paysanne.

Cela a commencé, cet automne, par des panneaux de communes retournés, et nombre de nos concitoyens ont d’abord cru à quelque plaisanterie d’adolescents… Puis, ce furent les échos, encore lointains, des manifestations d’agriculteurs d’Outre-Rhin ; et, tout d’un coup, un tronçon d’autoroute bloquée dans le Sud-Ouest, et des tracteurs que l’on entend plus près, plus insistants ; des ronds-points dans les campagnes à nouveau centres de toute l’attention des politiques et du gouvernement ; la grande peur du pays légal d’une nouvelle saison de Gilets colorés, cette fois verts…

« On marche sur la tête », voulaient signifier les panneaux retournés par des agriculteurs agacés avant que d’être véritablement en colère et en révolte : « pressés par des normes contradictoires, des taxes innombrables et une réglementation passablement complexe, – fruits de la nouvelle politique agricole commune (PAC) en vigueur depuis début 2023 – ils ont le sentiment de ne plus s’en sortir », écrit l’écrivain russe Olga Lossky dans les colonnes du Pèlerin (1), sage journal catholique dans lequel la question sociale n’est pourtant jamais oubliée au fil des numéros… N’est-ce qu’un sentiment, d’ailleurs ? Il me semble, à la lecture des témoignages des intéressés eux-mêmes, des analyses des économistes et des journalistes agricoles, et des chiffres nombreux qui accompagnent les articles de la presse (autant locale que nationale), que c’est plus encore une réalité, triste, vécue et subie surtout par des cultivateurs et des éleveurs français victimes d’un véritable système dont on ne sait plus trop où est le cœur (pour autant qu’il en ait un…).

Ce système nous est bien connu et il peut porter plusieurs noms pour le cerner et le définir : globalisation, mondialisation, gouvernance, capitalisme, libéralisme, société de consommation, individualisme de masse, règne de l’argent et du tout-économique, démocratie totale dite représentative mais, en fait, « d’apparence » (2)… C’est ce que les royalistes rennais du début des années 1990 avaient baptisé sous un terme englobant tous les autres : le globalitarisme, un système qui ressemble étrangement au monde parfait, lisse et intimement, infiniment, insidieusement violent que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce système n’est pas secret, il ne se cache pas, et il assume, avec le sourire et le langage, son côté obligatoire : « c’est pour votre bien », peut-il affirmer sans se départir de son masque de bienveillance qui n’est, justement, qu’un masque. Aujourd’hui, il se pare des atours de la transition écologique et de la lutte contre un dérèglement climatique qu’il a lui-même suscité depuis l’industrialisation du XIXe siècle et l’entrée dans la société de consommation au XXe siècle, deux modèles d’appropriation anthropique du monde poussée au-delà de ce que la nature elle-même peut supporter : un pompier pyromane, résumeraient certains sans se tromper, mais qui voudrait que les populations ne le voient que comme un sauveur suprême sans lequel plus rien ne peut exister de viable et de crédible… Pourtant, l’on aperçoit la mèche incendiaire qu’il traîne éternellement derrière lui !

La crise actuelle n’est ainsi qu’un élément d’un processus dévastateur déjà ancien et jamais terminé, et je crains que, une fois les tracteurs rentrés à la ferme et les élections européennes passées, le système ne reprenne sa terrible et destructrice marche en avant. L’Union européenne est, aujourd’hui, le vecteur de cette crise (mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? Sans doute pas…) qui n’est jamais que la poursuite de la mondialisation elle-même, « ce fait qui n’est pas bienfait » comme je l’ai déjà évoqué ici : « L’élément déclencheur de cette épidémie de panneaux retournés [avant même le soulèvement paysan de cette semaine] ? La signature de l’accord économique de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 22 novembre dernier. (…) Une autoroute commerciale privilégiée entre deux zones… situées à près de 20 000 km de distance ! De quoi avoir l’impression de marcher sur la tête, en effet : les marchandises venues des antipodes sont prioritaires sur le marché et ne respectent pas les critères environnementaux qu’on impose aux paysans français, ne fut-ce qu’à cause de l’empreinte carbone produite par leur transport. (3) » Ainsi, par pure idéologie économique libérale, l’Union sacrifie à la fois l’écologie et les paysans, derniers éléments, disent certains, du « monde ancien », celui qui était fondé sur la terre et les racines.

La présence pour l’heure pacifique des agriculteurs sur les routes et les ronds-points n’est-elle qu’un coup de semonce ou un baroud d’honneur, ou le début d’une « révolte prolongée » ? Les jours qui viennent donneront une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, il nous appartient de ne pas négliger cette contestation légitime et d’en tirer quelques leçons, non dans une simple perspective d’analyse, mais de proposition et d’action… La présence des royalistes (agriculteurs ou non) sur les barrages et au sein des cortèges agricoles ne doit pas se limiter à la dimension du témoignage mais prendre la forme d’un engagement concret pour la Cause paysanne.



Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Olga Lossky, dans Le Pèlerin, jeudi 18 janvier 2024.

(2) : le terme de démocratie n’est pas forcément un gros mot pour le royaliste que je suis, mais encore faut-il préciser de quelle démocratie l’on parle et quelle définition l’on en fait, et pour quel usage. Favorable à une forme de démocratie communale ou à la désignation par le suffrage de représentants (et non de gouvernants) de la nation, je ne le suis pas à ce qu’elle devienne un mode de gouvernement qui transformerait l’Etat en succursale d’un parti ou d’un autre, ou qu’elle ne soit que le masque d’une oligarchie qui ne voit dans les électeurs qu’une clientèle…

(3) : Olga Lossky, op. cité.





2000 ans de tradition écologique et paysanne :

Dans un de ses premiers livres – Retour au réel, je crois – Gustave Thibon raconte qu’un jour il avait prêté les travaux et les jours du poète grec Hésiode à un vieux paysan de ses voisins et, qu’en lui rendant l’ouvrage ce dernier avait dit : « C’est curieux mais ces paysans qui vivaient il y a plusieurs millénaires pensaient et agissaient exactement comme nous il y a quelques années. C’est seulement depuis peu de temps que tout a changé. »

Je cite de mémoire car c’est un vieux souvenir de lecture et je n’ai plus le texte de Thibon sous les yeux mais je n’en trahis certainement pas l’esprit et je trouve cette réflexion admirable parce que profondément juste.

Pendant plusieurs dizaines de siècles, du roi-laboureur d’Eleusis à qui Cérès enseigna l’art de se servir de la charrue et la culture du blé jusqu’aux paysans du XXème siècle qui surent, à travers les générations et sur le même terroir, maintenir la fertilité de la terre et l’harmonie du paysage en passant par les moines défricheurs du Moyen-Âge, les manants du XIIIe siècle (le siècle d’or français) et les premiers agronomes de terrain des XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire tous ceux qui ont vraiment édifié la civilisation occidentale, tous ont respecté la nature et n’ont jamais transgressé ses lois.

(suite…)

Vers une nation paysanne ?

La France n’est plus un pays agricole, avec moins de 500.000 exploitants agricoles, mais peut-elle redevenir une « nation paysanne » ? Il ne s’agit pas de prôner un hypothétique retour à la terre, mais de penser le rapport du pays au monde des campagnes.
Loin de toute démagogie et de tout idéalisme, quelques propositions royalistes pour un nouvel enracinement paysan français, sans oublier que l’État, lui, reste un État urbain.


La France, vers une nation paysanne ?

Chaque année à la fin de l’hiver, la France se rappelle, quelques jours, qu’elle a été une grande nation paysanne, d’abord paysanne : c’est le Salon de l’Agriculture qui est l’occasion de ce rappel, de ce souvenir, de cette nostalgie même. Mais c’est aussi le temps des discours convenus des politiques et des officiels du Pays légal, qui viennent caresser les bêtes et leurs éleveurs dans le sens du poil, et qui les oublient la semaine suivante et toutes les autres, sauf, étrangement, en période électorale. De toute façon, le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer, et leur poids électoral avec : quand certaines communes bretonnes ne comptent plus un seul agriculteur en activité, que les néo-ruraux imposent leur mode de vie aux campagnes quand les résidences et les lotissements ont remplacé les près et les champs, comment les agriculteurs peuvent-ils se faire entendre et être entendus ? Il y a plus de noms de paysans sur les monuments aux morts de nos villages que dans les registres des Chambres d’agriculture et du Ministère de la même fonction… C’est d’ailleurs la guerre, et plus exactement la Grande, celle de 1914-1918, qui a désarmé, démographiquement parlant, le monde agricole et, au-delà, le monde rural, quand la société de consommation des Trente Glorieuses (les mal nommées, sans doute) va leur porter le coup de grâce ou, plus exactement, de disgrâce.

Aujourd’hui, la France compte environ 500.000 agriculteurs, ce qui représente 1,4 % de la population active, quand cette part était encore de 2,6 % (près du double) il y a vingt ans ; le nombre d’exploitations agricoles reconnues comme telles, lui, est passé en cinquante ans, de 1.588.000 (1970) à moins de 390.000 aujourd’hui… Ce processus d’effacement démographique de la population agricole n’est, semble-t-il, pas fini, et je me souviens que, dans un manuel de Géographie de 1ère il y a quelques années, il était expliqué que le nombre de 600.000 exploitants agricoles (à l’époque) était encore trop élevé au regard de l’objectif de 200.000 que le professeur narrateur considérait, à le lire, comme idéal : en fait, c’est bien l’objectif de la bureau-technocratie, qu’elle soit européenne ou parisienne, d’atteindre un tel chiffre dérisoire qui ferait de ce monde agricole une simple activité économique sans véritable enracinement ni visibilité humaine ou démographique. Une invisibilisation programmée en somme, pour effacer le mauvais souvenir pour la République d’un monde trop réactif ou trop rétif à ses commandements, comme l’histoire l’a abondamment prouvée depuis la Révolution française, de la réaction vendéenne de 1793 face à la levée en masse destinée à envoyer les jeunes paysans de l’Ouest faire la guerre loin de chez eux (ce que la Monarchie royale avait largement évité, malgré un tirage au sort léger mais toujours impopulaire) à la révolte des Bonnets rouges en 2013 ou à la résistance paysanne au projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en plein bocage !

Pourtant, la France a tous les atouts pour rester ou, plutôt, redevenir une nation paysanne. Ne nous méprenons pas sur le sens de ce propos, mais précisons-le, justement pour éviter tout malentendu : la France, comme Etat, s’est construite par l’action royale puis républicaine à partir des villes, Paris (ou Versailles au XVIIIe siècle) en étant le cœur, et, en cela, la France est une construction historique urbaine, comme l’était avant elle la plupart des grands Etats de l’Antiquité, d’Athènes à Rome ou à Constantinople. Mais la nation française, comme être sensible de l’histoire (fondé par celle-ci depuis le Moyen âge), est éminemment paysanne dans ses racines et son âme, dans son rapport à la vie longue de la société… C’est ce qui, longtemps, lui a permis de vivre et de survivre dans les moments les plus durs et malgré les malheurs, et pas seulement sur le plan nourricier : les campagnes ont été le lieu des sociabilités enracinées qui, sans se soucier de l’Etat (juste aperçu par les populations rurales à travers le profil des pièces de monnaie ou perçu, pas toujours positivement, à travers le percepteur) de la capitale (parfois itinérante, avant le temps de Versailles et de Paris), ont incarné la pluralité française, cette marqueterie de particularités dont l’Etat royal incarnait jadis l’unité sans se sentir obligé de tout repeindre d’uniformité…

Comment renouer avec cet esprit de nation paysanne ? Il ne s’agit pas d’obliger à un retour autoritaire à la terre, dont on comprend aisément les limites et les risques, comme l’a montré à l’envi la terrible expérience chinoise des années 1960 ; le fait de marteler « nation paysanne, nation paysanne… » suivant la méthode Coué n’est pas non plus souhaitable ni efficace ! En fait, c’est une politique d’Etat qui doit permettre d’atteindre cet objectif et d’assumer cet esprit sans tomber dans une forme d’exclusivisme qui oublierait la ville comme aujourd’hui la République oublie ou, au mieux, néglige le monde paysan.

L’Etat peut (doit, même !) favoriser ce que les royalistes qualifient de « redéploiement rural » : ce n’est pas la rurbanisation (1), bien au contraire, mais une intégration active des populations venues des villes dans les lieux et les fonctions des campagnes, sans en négliger la mémoire et le patrimoine bâti comme historique et spirituel. Cela doit s’accompagner d’une revitalisation de la petite et moyenne agriculture, par des aides à l’installation et la mise à disposition de nouveaux « communs », gérés par la commune ou par la Chambre d’agriculture locale, voire par une organisation syndicale agricole (2) ; une promotion des métiers de la terre (et pas seulement de production agricole) dès l’école primaire (en complément d’un éveil à la nature et aux enjeux environnementaux dès les premiers jours d’école maternelle) et avec une valorisation de ceux-ci tout au long du cycle scolaire jusqu’aux classes préparatoires ; une évocation plus affirmée dans les programmes scolaires de l’histoire rurale de la France (histoire des techniques agricoles, des communautés paysannes, de leurs cultures particulières, etc.), histoire aujourd’hui absente (ou très discrète…) dans les programmes et les manuels scolaires ; une mise en place de stages de travaux agricoles pour les élèves de lycées et de classes préparatoires, voire un « service civique et social agricole » en complément du Service National Universel, par exemple ; etc.

Dans un monde globalisé dominé par une métropolisation triomphante à défaut d’être mesurée et équilibrée, il importe que l’Etat reprenne sa place de serviteur des populations dont il a la charge, héritage de l’histoire et devoir de service obligent, et qu’il soutienne cet effort pour refaire de la France une nation qui, sans être esclave de la terre, des usages et des travaux de celle-ci, reconnaisse en chaque habitant du pays un héritier conscient et enraciné, et non un simple électeur nomade balloté au gré des besoins de l’économie mondiale et des promesses électorales…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : La rurbanisation est l’inverse même de l’esprit de nation paysanne et du redéploiement rural : elle est, en fait, l’imposition du mode de vie urbain et de la société de consommation de celui-ci au monde des campagnes, et une forme de volonté de domination des nouveaux venus sur un monde rural qui les précédait, sans beaucoup d’égards pour lui. La rurbanisation « remplit » les communes rurales mais elle ne les fait pas vraiment vivre : les rurbains préfèrent faire leurs courses à la ville voisine, dans les centres commerciaux plutôt que d’aller acheter ou manger dans les commerces et cafés-restaurants de la commune dans laquelle ils se sont installés… En fait, ils ne sentent pas obligés de s’intégrer à la commune d’accueil, mais sont très soucieux de leurs droits, parfois au détriment des traditions et des usages locaux, et ils ne supportent pas, le plus souvent, les contraintes ou les cycles de la vie à la campagne…

(2) : Je rappelle qu’il s’agit ici de propositions qui peuvent être discutées, complétées ou critiquées, pourvu que des arguments crédibles soient avancés…

Libérons l’agriculture française !

Aujourd’hui, l’agriculture française semble piégée par les jeux du Marché alors qu’elle a pour vocation de nourrir, le mieux possible (autant en quantité qu’en qualité) nos concitoyens. Cette logique du Marché (terme bien peu approprié à ce qui apparaît parfois comme le simple jeu de la concurrence et de la prédation) ne doit pas causer la ruine de nos agriculteurs, et il est important de protéger ceux-ci, en particulier de l’appétit des banques, souvent exagéré quand elles sont peu bienveillantes.


Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et de s’endetter éternellement, mais de placer toujours l’intérêt des hommes « nourriciers » avant les simples jeux d’argent et d’intérêts financiers.


« Le roi seul fort protégeait les petits », affirmait un vieux chant royaliste toujours actuel : contre les appétits démesurés des banques, l’Etat doit être capable de préserver les exploitants agricoles, leurs terres et leurs instruments de travail, et de valoriser une agriculture française diversifiée face aux féodalités de l’Agroalimentaire et de la Finance.

La république e(s)t le drame paysan :

« Jusqu’à l’aube de XXème siècle, la France était une nation paysanne. Depuis plus d’un millénaire, des générations de paysans français ont su, en pratiquant une agriculture respectueuse de la nature, diversifiée et adaptée aux multiples terroirs, créer une société harmonieuse et auto-suffisante : un monde cohérent. »
Jean-clair Davesnes – L’Agriculture assassinée

Nous allons analyser la façon dont la république, ainsi que ses valeurs issues du siècle dit des « Lumières », ont traité ce monde paysan multiséculaire.
Le 14 juillet 1789, la révolution dite « française » éclata à Paris ! A peine 4 ans plus tard, en mars 1793, éclateront les fameuses Guerres de Vendée. Les paysans, échaudés par l’exécution du roi Louis XVI et les mesures antireligieuses des révolutionnaires parisiens, assaillent les autorités municipales. Ces Guerres de Vendée ne sont ni plus ni moins, qu’une violente répression contre la France paysanne de cette époque. Pour tout dire, lorsque les Français ouvriront les archives, ils constateront que la révolution fut tout simplement une véritable révolte contre le peuple, bref qu’elle fut avant tout antisociale. La France réelle, largement incarnée par la paysannerie, s’opposa à une poignée d’agitateurs « bourgeois » sortis de l’idéologie de la secte jacobine, incarnée par les penseurs révolutionnaires parisiens.


Armés de faux et de fourches, résolus et enthousiastes, parce qu’ils défendaient leurs familles et leurs terres, les insurgés, dans un premier temps, chassent les « Bleus » (les soldats de la République étaient ainsi nommés en raison de leur uniforme) et rétablissent le culte catholique dans leurs villages. Culte renié car comme la monarchie, il empêchait le monde de la finance de détruire les protections ouvrières (corporations) et d’établir l’usure…
Prenant de l’assurance, ils constituent une « armée catholique et royale » avec environ 40 000 hommes indisciplinés et sans expérience militaire, issus de la terre, à l’exception d’une dizaine de milliers d’anciens soldats.
Cette résistance paysanne fut vaine face à un appareil d’Etat usant de tous les moyens, même les pires : l’armée vendéenne fut anéantie à Savenay le 23 décembre 1793. La république n’était donc plus en danger. Pourtant un plan d’extermination massive et systématique, fut alors mis en place par cette même République qui revendique sa légitimité au sein du peuple mais qui n’est que l’expression politique d’une large part de la bourgeoisie, d’abord soucieuse de ses propres intérêts. La manipulation de l’information ne date pas d’hier. Il suffit de rappeler la « prise de la Bastille » dans sa réalité, qui fut le massacre des invalides, avec la tête du gouverneur sur une pique, alors qu’il avait ouvert les portes ! Puis ce fut le mythe de la mort du petit « Bara », criant « vive la république », alors que l’affaire était un vol de chevaux et qu’il n’avait rien crié de politique, le tout instrumentalisé par Robespierre pour servir l’idéologie au pouvoir !

(suite…)

La paysannerie victime des multinationales destructrices de notre sol :

On ne nourrira pas le monde avec l’agriculture biologique : on entend souvent cette allégation au sujet de la sécurité alimentaire mondiale. Cette phrase revient comme un leitmotiv. Lydia et Claude Bourguignon microbilogistes des sols et fondateurs du LAMS (Laboratoire Analyses Microbiologiques Sols), donnent leurs points de vues. Alors info ou intox ?

Site internet du LAMS : www.lams-21.com

La souveraineté alimentaire est une nécessité absolue :

A l’automne 1991, le professeur Maurice Quénet déclarait, devant un amphithéâtre de la faculté de Droit de Rennes bondé d’étudiants attentifs et de quelques auditeurs libres, que désormais la France n’était plus en mesure de se nourrir par elle-même ! Le souvenir m’en est resté jusqu’à aujourd’hui, profondément ancré, et je l’évoque souvent devant mes propres élèves, en me désespérant de voir que, si j’en crois la lecture du dernier numéro de Marianne, les choses n’ont fait que s’aggraver, en ce domaine comme en d’autres. C’est Jean-Claude Jaillette qui en couronne son article d’un titre terrible : « Demain, la faim ? La France n’est plus capable de se nourrir elle-même. » Un article qu’il faudrait découper, plier et ranger soigneusement dans son portefeuille, et ressortir quand les candidats aux élections, avec grand sérieux, nous vantent les mérites de la mondialisation et de la modernité comme de la solution à toutes les crises ; un article pour fermer leur clapet à ceux qui, du haut de leurs grands principes libéraux, condamnent nos agriculteurs au nom du libre-échange et des prix bas nécessaires à leur société de consommation (société de consumation serait sans doute plus juste…), comme Pascal Lamy qui, socialiste moderne, a échangé la destruction de notre paysannerie contre quelques « promesses de bonnes affaires » : « Il a été l’initiateur des négociations portant sur les accords bilatéraux qui font craindre le pire aux paysans français et aux écologistes. L’idée du troc entre l’automobile et la chimie contre notre agriculture, c’est lui. Il n’en est pas peu fier, convaincu qu’il n’y a pas de commerce sans échanges « libres ». Oubliant que l’agriculture est une activité économique particulière, qui doit être protégée. Pour lui, le désarroi des paysans, la perte de souveraineté alimentaire, ce n’est qu’un tribut à payer à l’adaptation. Naïf et dangereux. » L’aveuglement des idéologues libéraux n’est qu’une cause de la catastrophe, mais c’est le libéralisme économique qui, en définitive, est la matrice de ce déni des réalités et de la destruction des économies réelles, celles qui doivent servir les hommes et non les asservir au règne infâme de la « Fortune anonyme et vagabonde » et de l’Argent-Seigneur (et saigneur…).

 

Car le libre-échange sans entraves qui définit la mondialisation économique est celui qui détruit notre agriculture et la souveraineté alimentaire qui sont les conditions de notre pérennité et, même, de notre propre survie physique : « notre agriculture ne parvient même plus à satisfaire les besoins intérieurs : en dix ans, les importations ont progressé de 87 %, celles de produits laitiers ont doublé en dix ans, un fruit sur deux et un légume sur deux ne sont pas produits en France, comme 34 % de la volaille et 25 % de la viande de porc. Même le bio, qui devrait être produit au plus près, est importé à 31 %. » Et dans le même temps, nous produisons pour l’exportation en oubliant que le premier marché de notre production agricole devrait être, d’abord et logiquement, la France et les Français… N’est-ce pas le monde à l’envers, en somme ?

 

La mondialisation est un fait, mais elle n’est pas un bienfait, et la question agricole le prouve à l’envi, poussant au suicide 605 agriculteurs français en 2015 (selon les chiffres bien documentés de la Mutualité sociale agricole) tandis que nombre d’autres, étranglés par les dettes et par la concurrence sauvage des produits étrangers, renoncent au travail de la terre. « En 2016, près de 20 % des exploitants ne pouvaient pas se verser de salaires alors que 30 % touchaient moins de 350 euros par mois », expliquait Le Figaro dans son édition du 10 octobre 2017. Comme le souligne M. Jaillette, « Dans ce contexte d’une concurrence où tous les coups sont permis, la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux encouragés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ouvre naïvement le marché de l’Europe à des contingents à prix cassés de viande bovine et porcine, de céréales, comme l’illustrent en particulier les accords obtenus avec l’Ukraine, le Chili, le Canada et plus récemment le Mercosur (Amérique du Sud). Combien de temps nos éleveurs de bovins résisteront-ils à l’arrivée des 99.000 t de bœuf brésilien ultraconcurrentiel, qui viendront s’ajouter aux 80.000 t bradées arrivées au nom des précédents accords ? » C’est là que l’on mesure le mieux la nécessité d’un état d’esprit civique et « national » en France et en Europe pour privilégier les viandes produites « au plus proche » (y compris nationalement parlant), même si cela a un coût immédiat parfois plus élevé que l’achat au prix le plus bas de viande industrielle étrangère à l’hypermarché du coin, mais aussi la nécessité d’un Etat digne de ce nom, soucieux de notre « souveraineté alimentaire d’abord », ce qui n’est pas incompatible, loin de là, avec la promotion d’une production de qualité plutôt que de simple quantité. Or, la République n’est pas le meilleur régime politique pour préserver et soutenir l’agriculture française, comme le montrent les dernières décennies et ce que, sans émettre de jugement sur ceux qui nous gouvernaient alors ni sur les institutions, le propos du professeur Quénet mettait en avant…

 

Une stratégie agricole d’Etat fondée sur la souveraineté alimentaire et la recherche de l’autosuffisance maximale est plus que jamais légitime et appropriée aux enjeux autant contemporains que futurs : « Depuis plus de cinquante ans, la France n’a pas connu de graves périodes de pénurie alimentaire. Au vu du déclin engagé, rien n’interdit de penser qu’elles pourraient faire leur réapparition. (…) Il suffit d’analyser les ratés du secteur de la pharmacie pour imaginer ce qui pourrait se passer dans l’agriculture. (…) Être dépendant, c’est être exposé au risque d’un embargo ou d’une rupture d’approvisionnement consécutive à une décision politique. C’est aussi importer des produits dont les standards de fabrication ne correspondent pas aux habitudes de consommation locale. Comment, dès lors, éviter dans l’alimentation ce qui se passe dans le médicament ? » Gouverner, c’est prévoir, et il apparaît de plus en plus nécessaire de se préserver des risques que le système de la mondialisation libérale fait aussi peser sur l’économie de notre pays et sur l’alimentation de ses habitants.

 

L’Etat doit renouer avec son rôle de « père nourricier », non pas en collectivisant l’agriculture française, mais en la soutenant et en orientant ses grandes productions tout en permettant ses plus petites et plus locales. Mais, comme le souligne l’auteur de l’article de Marianne, il faut aussi impliquer le consommateur dans cette stratégie de souveraineté alimentaire : « Chaque citoyen-consommateur a-t-il bien conscience que sa liberté de pouvoir choisir l’alimentation qu’il souhaite, dans les quantités qu’il espère et de la qualité qu’il exige, dans son propre pays, relève de ce principe fondamental qu’est la souveraineté alimentaire ? A-t-il conscience qu’elle n’est acquise que grâce à l’autosuffisance que lui confère une agriculture diversifiée, répartie sur tout le territoire, exploitée par des agriculteurs nombreux, qualifiés et donc correctement rémunérés ? » Car l’action de l’Etat, seule, ne peut pas tout faire s’il n’y a pas, aussi, une prise de conscience publique la plus générale possible des enjeux et des possibilités d’action, autant collective qu’individuelle et familiale. L’Etat ne peut, ne doit pas se substituer aux citoyens, mais il a le devoir politique de les éclairer et de leur montrer le chemin le plus approprié aux intérêts de tous et au Bien commun. Les royalistes ne lui demandent pas forcément plus, mais ils lui demandent au moins cela, dans une vision historique de ce qu’est le pouvoir régalien et de ce qu’il permet mais s’impose aussi à lui-même…

 

Jean-Philippe Chauvin

La république en lutte permanente contre la paysannerie :

Alors que nous descendons tous de ruraux, les paysans ne représentent plus que 4% de la population active et sont aussi oubliés des médias que piégés par l’endettement où conduit l’agriculture productiviste. Pourtant, au fond, l’impasse agricole n’est qu’une facette de l’impasse collective d’une société ayant perdu ses racines et son lien à la terre et, de ce fait, soumise à la mal-bouffe et à une vie urbaine largement pathogène. Le salut sera commun ou ne sera pas! + d’infos : le-cep.org

Non au CETA, dangereux pour notre agriculture, notre santé et l’environnement ! :

Ainsi, et malgré l’opposition forte d’une partie de l’opinion, de la classe politique et des agriculteurs français, déjà fort éprouvés ces derniers temps, le CETA, traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, a été voté par les députés français, et il devra aussi être ratifié par les autres pays de l’UE pour pouvoir entrer en plein exercice, même s’il est déjà appliqué en grande partie depuis deux ans. En fait, ce vote n’est pas une bonne nouvelle et il montre l’hypocrisie d’une République qui invite le midi une jeune Suédoise à parler de lutte contre le réchauffement climatique et vote, dans la foulée, pour un traité qui est un démenti à toute stratégie écologique crédible… D’ailleurs, l’étonnante hésitation de Greta Thunberg à l’égard de ce traité de libre-échange apparaît assez contradictoire avec le message d’alerte qu’elle est censée délivrer, elle qui dénonce avec force les excès de la société de consommation : car, n’est-ce pas la « fluidité » organisée de la mondialisation et favorisée par le libre-échange qui est la cause principale des rejets massifs de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? N’est-ce pas le fait de produire là-bas et loin pour vendre ici (dans une logique de bas coûts et de plus-values qui profite d’abord aux grandes sociétés transnationales et à leurs actionnaires) qui est mortifère pour l’environnement sous toutes ses formes ? A quoi servent les cris d’alarme si l’on refuse de voir et de combattre les causes de l’incendie ? Si je ne remets pas forcément en cause la sincérité de cette jeune fille, je crains que son message ne s’inscrive que trop bien dans la logique dominante contemporaine du capitalisme et de la mondialisation libérale, logique qu’il est pourtant nécessaire de dénoncer et de remplacer.

(suite…)

Pour une agriculture biologique à taille humaine ! :

Le Salon de l’Agriculture bat son plein, avec son lot de promenades électorales et de cris d’enfants devant les animaux exposés, et il accueillera sans doute plus de 650.000 visiteurs, heureux pour certains de retrouver des odeurs d’avant, de celles du temps où chacun avait un parent paysan, un temps de plus en plus lointain pour une nostalgie de plus en plus imaginaire… Pourtant, la France possède encore plus de 27 millions d’hectares de Surface agricole utile (SAU), dont 2 millions d’agriculture biologique, ce qui n’est pas si mal mais encore insuffisant et bien moins qu’il y a un siècle quand l’agriculture n’était pas encore chimique et pétrolière. Mais la conversion de nombreux cultivateurs et éleveurs au bio est freinée par les retards de l’administration pour financer les aides promises, ce qui fragilise certains de ces nouveaux convertis et provoque la colère (éminemment légitime) de nombre de ceux-ci. D’autre part, une autre menace pèse sur les producteurs en agriculture biologique, c’est l’industrialisation qui risque bien de changer la nature même de cette forme d’agriculture réputée (et espérée) plus respectueuse de la nature comme des productions elles-mêmes.

 

Les grandes multinationales et les adeptes du capitalisme libéral, souvent fanatiques du Tout-Marché, ont saisi tout l’intérêt, pour leurs revenus de demain, du bio, et l’offensive pour imposer leur modèle et mettre la main sur cette agriculture est largement commencée, au grand dam de ceux qui, comme les écologistes intégraux (1), préconisent une agriculture à taille humaine, vivante et « naturelle », une agriculture qui suit le rythme des saisons et laisse du temps au temps, une agriculture fondée sur le local et les circuits courts.

 

L’article de Jean-Francis Pécresse, paru dans Les échos (vendredi 22 février 2019), est tristement révélateur (et laudateur !) des appétits et des intentions du « capitalisme vert » qui n’est jamais que le même capitalisme « mondialisationniste » qui a gaspillé les ressources de la planète et ne raisonne qu’en termes de profits et de dividendes, selon la sinistre logique franklinienne du « Time is money ». Bien sûr, il se cache derrière le « consumérisme, défenseur des consommateurs », et il fera illusion, sans doute, profitant de la paresse intellectuelle d’un vaste public qui ne demande qu’à consommer encore et toujours en se donnant une vague bonne conscience « écologiste » (sic !). Et M. Pécresse, en bon libéral, nous fera encore et toujours le coup du « libre choix » qui, à bien y regarder, n’est jamais que le choix que le système agroalimentaire fera pour vous, « pour votre bien », forcément et faussement, en définitive… Eternelle ruse du globalitarisme !

 

« Puisque cette agriculture respectueuse de l’environnement arrive à maturité, qu’un modèle économique semble exister avec des consommateurs prêts à payer plus cher, pourquoi faudrait-il se priver d’industrialiser le bio ? » : M. Pécresse nous refait le coup de la modernisation des années 1960-80 qui a entraîné l’endettement massif des paysans ; l’emploi massif des intrants phytosanitaires et le remplacement de l’énergie animale par l’énergie fossile et pétrolière, fortement polluante de l’atmosphère comme des eaux et des terres ; la destruction des paysages agricoles traditionnels par le remembrement dévastateur et la construction de hangars infâmes pour concentration de volailles ou de porcins condamnés à ne jamais voir ni herbe ni soleil avant le jour de leur abattage ; la dépendance des producteurs aux grands groupes semenciers et aux fournisseurs d’énergie ; « la fin des paysans », en somme et selon la triste expression du sociologue Henri Mendras… Veut-on vraiment refaire les mêmes erreurs avec les mêmes conséquences mortifères pour l’agriculture et les agriculteurs, pour les petites et moyennes exploitations, pour l’équilibre même des zones rurales ? Cela ne me semble pas souhaitable et, au-delà, cela me paraît condamnable.

 

Mais, d’ailleurs, M. Pécresse ne se cache pas derrière son petit doigt et il souhaite la fin du modèle initial de l’agriculture biologique, trop rigoureux à son goût et, bien sûr, à celui des grands acteurs de l’agroalimentaire : « Au sein du monde agricole, la nouvelle ligne de démarcation (…) passe entre ceux qui veulent à tout prix conserver des exploitations bio de petite dimension, à taille humaine, obéissant à des cahiers de charges toujours plus stricts, et ceux qui entendent, au contraire, développer des exploitations bio à grande  échelle, soumises à des obligations et des contrôles un peu moins sévères qu’aujourd’hui. (…) Il y a certainement une forme d’idéalisme dans le combat des puristes du bio (…) qui aimeraient que le label garantisse mieux le bien-être animal ou l’exclusion de toute semence hybride. » Le propos de M. Pécresse est inquiétant et nous alarme sur la possible confiscation du bio par les grands profiteurs de l’agroalimentaire, avec des critères de moins en moins proches de la nature et du respect des paysages et de la biodiversité : car, qu’est-ce, par exemple, qu’une semence hybride, sinon une graine « dont la particularité est de ne pas repousser. De fait, les paysans deviennent dépendants des semences qu’ils doivent racheter car les variétés hybrides sont travaillées en laboratoire de manière artificielle afin de produire en grande quantité.(2) » Ainsi, l’agriculture bio tomberait complètement sous la coupe de grands groupes semenciers ou agroalimentaires, et cela ruinerait tous les efforts de ceux qui souhaitent une agriculture plus soucieuse de l’environnement, de la biodiversité végétale comme animale et d’un modèle plus familial, mais aussi de l’indépendance maximale des producteurs, quelle que soit la taille de leur exploitation ou, pour nombre de particuliers, de leur potager. Là encore, ce n’est pas souhaitable !

 

Et tout cela est annoncé et écrit par M. Pécresse sous le titre « Industrialiser le bio pour le démocratiser », qui nous rappelle, a contrario, la colère de Georges Bernanos qui avait bien saisi que la démocratie politique, celle qui se dit « représentative » dans nos sociétés contemporaines et loin des modèles antiques ou médiévaux, n’est rien d’autre que le règne légal du capitalisme, bien loin des libertés souhaitables et nécessaires des peuples de France. Il semble que les écologistes intégraux aient, aujourd’hui comme demain, le devoir de défendre le modèle d’une agriculture biologique fondé principalement (3) sur les petites unités, familiales ou villageoises, et sur la volonté de « redéploiement rural » sur notre territoire national, condition de la vie et de la respiration de notre nation, sans méconnaître pour autant mais sans forcément valoriser la métropolisation « jacobine » qui, depuis quelques décennies, « dessèche » la France…

 

Jean-Philippe Chauvin

 

Notes : (1) : formule synonyme de royalistes si l’on se réfère à la naissance de la théorie de l’écologisme intégral au début des années 1980 sous la plume de Jean-Charles Masson, dans la publication de l’époque de l’Union Royaliste Provençale.

 

(2) : extrait d’un article d’Anne-Sophie Novel, « Il y a bio et bio… », publié dans Le 1, 25 octobre 2017.

 

(3) : ce soutien à la petite et moyenne exploitation agricole ne signifie pas un refus des grands domaines, mais plutôt la volonté d’un équilibre et d’une équité territoriales comme sociales, et le souhait d’une présence agricole plus nombreuse en emplois et en activités dans des campagnes (et, pourquoi pas demain, au cœur des villes) aujourd’hui menacées de désertification humaine comme d’uniformisation paysagère.