Quand le sportif Lionel Messi arriva au Paris-Saint-Germain, une petite affichette manuscrite fleurdelysée et signée des Royalistes sociaux fut apposée non loin du Parc des Princes : « Messi, 41 millions d’Euros annuels ! Combien pour une infirmière qui sauve des vies ? 1 300 fois moins ! Halte à l’indécence ! », proclamait-elle crânement, sachant que les fidèles soutiens de l’équipe de balle-au-pied s’en offusqueraient, ce qui ne manqua point d’arriver, effectivement. Depuis, chaque année au moment des transferts de joueurs et des enchères étonnantes autour de quelques uns d’entre eux, ainsi que lors des assemblées générales d’actionnaires des grandes Firmes financières ou industrielles, les mêmes causes entraînent les mêmes indignations, dans une sorte de rituel immuable où chacun, selon son étiquette politique, tient son rôle et entretient son discours. Mais, au bout du compte, malgré les grandes envolées lyriques et les « Plus jamais ça » gouvernementaux, rien ne change, si ce n’est les chiffres, toujours plus hauts, des rémunérations des heureux bénéficiaires des largesses des propriétaires de clubs ou des conseils d’administration des entreprises… Ainsi, ce printemps, c’est – encore – Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (entreprise automobile née de la fusion de Fiat et de PSA) qui anime cette chronique annuelle et perpétuelle, avec une rémunération de 36,5 millions d’euros pour l’année passée 2023 (votée par 70 % des actionnaires de Stellantis le 16 avril dernier), soit 13 millions de plus (soit 56 % en sus) que pour l’année précédente.
« Le trop est l’ennemi du bien », dit la sagesse populaire : cette formule s’applique tout à fait à la situation de M. Tavares, mais ne faut-il pas aller plus loin que cette indignation facile et poser ainsi quelques jalons d’une politique assumée de justice sociale, dans une mondialisation qui semble se rire des Etats et de leurs velléités sociales ? Tout d’abord, précisons notre point de départ : l’égalitarisme est une absurdité et les inégalités peuvent être protectrices quand elles prennent en compte les réalités et la diversité des situations possibles du travail et de ses revenus dans notre société ; ce ne sont donc pas les inégalités qui posent problème mais leur démesure sans justification crédible : elles deviennent alors des injustices sociales, et condamnables en tant que telles. De plus, ce n’est pas la richesse qui est choquante, et il est même fort heureux qu’une société ait un nombre de riches assez important pour oser investir et faire vivre nombre de métiers du luxe et de la qualité valorisée ; en revanche, ce qui scandalise, c’est l’accumulation abusive et statique des richesses aux mains de quelques uns, et l’irrespect des devoirs sociaux (et fiscaux) qui sont, pourtant, la contrepartie de la richesse et de sa reconnaissance dans une société équilibrée. C’est aussi, pour certaines fortunes, la malhonnêteté des moyens mis en action pour les acquérir, ou la violence économique et sociale qui y préside… Là encore, il convient de « savoir raison garder » et de faire la part des choses pour éviter de tomber dans une démagogie de mauvais aloi qui est souvent la marque d’une envie mortifère et la prémisse d’une destruction égalitaire inappropriée et forcément injuste.
Dans le cas spécifique de M. Tavares, certains diront que sa rémunération (six fois plus élevée que la moyenne de celles des grands patrons du CAC 40 français) reste néanmoins en-deçà de celles des grands dirigeants d’entreprises états-uniennes, argument pourtant peu compréhensible pour nombre de patrons et d’ouvriers français qui n’ont pas l’impression de démériter et se contentent de rémunérations beaucoup moins profitables. Bien sûr, l’on nous rétorquera qu’il faut prendre en compte l’importance de la firme multinationale que dirige M. Tavares et le nombre de salariés de celle-ci, ainsi que la situation de celle-ci sous sa direction, et il serait effectivement malhonnête de ne pas le reconnaître. Mais, dans le même temps, les salaires des cadres et des ouvriers n’ont pas connu la même progression, et la redistribution de 10 % des 19 milliards d’euros de bénéfices aux salariés du groupe (mais pas aux intérimaires) reste bien loin des 4,2 milliards d’euros versés aux actionnaires au titre des dividendes : le travail passe donc après la finance, une fois de plus, et cela paraît fort symbolique sans que cela soit dans le bon sens…
Dans une optique royaliste de justice sociale, c’est pourtant l’inverse qui devrait être la norme : le travail récompensé avant le capital investi ; les travailleurs avant les actionnaires, en somme, sans pour autant nier le rôle utile de ces derniers dans le financement de l’entreprise…
(à suivre : le salaire décent, une réponse à l’indécence sociale)