Jean-Philippe Chauvin

La République ? Non merci…

La revue royaliste de l’Action Française a publié un fort dossier sur la Monarchie royale dans son numéro de l’été. Nous en publions ici quelques extraits sous forme de feuilleton.



L’actualité politique française de l’année écoulée a démontré, s’il en était encore besoin, les profondes fractures de notre pays et, au-delà même de la séparation entre un « bloc élitaire » et un « bloc populaire » (séparation théorisée par Jérôme Sainte-Marie), le fractionnement entre « trois France » électorales qui semblent se détester sans que cela n’empêche les alliances de circonstance, temporaires et le plus souvent par défaut. De plus et selon un mouvement plus lointain et profond lié à l’affirmation de la société de consommation et à son aggravation par le déracinement contemporain (aux formes multiples mais toujours malheureuses), la pluralité ancienne de la France issue de l’histoire cède la place à une logique diversitaire (qualifiée de « communautarisme », voire de séparatisme) qui, si l’on y prend garde, pourrait bien entraîner la France vers un éclatement fort peu souhaitable, ni pour les temps contemporains, ni pour les générations présentes et à venir. Sans négliger que, dans le même temps, près d’un Français sur deux prétend n’avoir aucun repère social ou identitaire, comme le signale une enquête du Cevipof de cette année, ce qui, selon le chercheur Luc Rouban, « révèle bien plus un isolement social qu’une capacité d’autonomie » : « La France, fragile et désunie, est-elle devenue une « République anomique », comme l’affirme Rouban ? « Si la République est menacée, elle l’est sans doute plus par cette anomie que par l’intégration de minorités dans des groupes séparatistes », avertit le politologue. D’où ces révoltes protéiformes, ces contestations violentes qui ponctuent l’actualité française depuis des années. » (1). Cette « déconstruction en marche » de la société française n’est pas un accident ni un hasard : elle est la conséquence de l’échec politique de la République contemporaine qui, désormais et malgré son centralisme toujours agressif (comme les Français ont pu le constater lors de la gestion de la crise sanitaire de 2020-2022), n’est plus le « liant » de la société française qu’elle prétendait être


La réélection à la présidence de la République de M. Macron, quant à elle, n’a rien résolu des problèmes qu’il n’a pas été en mesure de surmonter en son quinquennat précédent, si heurté et conflictuel malgré les espérances de sa nouveauté et de son irruption disruptive en 2017 dans le paysage si bien rangé jusqu’alors du pays légal (2). La campagne présidentielle elle-même a déçu ceux qui pensaient y trouver le moyen de « sortir le sortant » et qui y croyaient dur comme fer et qui, pour certains, ont du « aller à Canossa » en votant lors du second tour pour celui qu’ils disaient détester et combattre, en un vote de rejet et non de projet, dans un réflexe pavlovien de « défense républicaine » qui n’a jamais cessé d’être depuis Jules Simon et ses comparses des années 1870-1880… Nombre de déçus du macronisme, de contestataires du système libéral, de partisans nationalistes, socialistes, populistes ou écologistes, etc. l’ont été ensuite du résultat de l’élection présidentielle, voire du système de cette élection en attendant que cela soit de la République elle-même, pourrait rajouter le royaliste farceur et conséquent… « Les électeurs sont décevants », murmurent certains en ajoutant à leur acte d’accusation la Cinquième République mais en en proposant une Sixième, dans une logique qui, au regard de l’histoire, pourrait être considérée comme une forme de masochisme !


Non, la Sixième République n’est pas une solution ! A lire les programmes qui la revendiquent, elle ne serait en fait que le retour d’une sorte de synthèse de la Troisième et de la Quatrième, et guère plus nouvelle ni efficace que ces deux modèles anciens qui, dans l’un et l’autre cas, ont mené à l’échec le pays qui, pour se sauver, ne trouva d’autres maîtres, d’autres « dictateurs » au sens romain du terme, que des militaires, dans une geste qui reprenait, en somme, celle de la République initiale des années 1790 se livrant au sabre protecteur du général Bonaparte… Cette Sixième promise par M. Mélenchon et ses amis aurait tous les défauts de la République sans en avoir les avantages ou les atouts de la Cinquième, ces derniers étant liés à une lecture monarchique de l’État à défaut d’en être une pratique : c’est d’ailleurs cette semble-Monarchie (pour paraphraser Pierre Boutang) qui est attaquée avec le plus de virulence par les adeptes de la « République des républicains » qui caricature M. Macron sous les traits d’un Louis XVI sévère et insensible (ce que n’était pas l’original, comme l’ont largement démontré les événements et les historiens).






(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Le Figaro, lundi 17 janvier 2022, page 29.


(2) : Le pays légal peut se comprendre comme l’ensemble des groupes sociaux et politiques qui apparaissent dominants et structurants du régime en place, tout en profitant de l’existence de celui-ci et participant à celui-ci, parfois dans un cadre légal de conflictualité organisée (la sphère médiatique et les systèmes électoraux), mais préservé des atteintes du « dehors » (c’est-à-dire des groupes dissidents de l’ordre établi (2bis), marginalisés, voire ostracisés) : le pays légal de la République fait d’autant plus référence aux « valeurs de la République » que c’est lui qui les fixe et en garde jalousement la définition et le vocabulaire…

En 2017, le pays légal a procédé à une sorte de « purge » ou, plutôt, de réévaluation de lui-même, donnant l’apparence du changement quand il n’était que le transfert de pouvoir de « groupes déclinants » (les partis traditionnels de la Cinquième République) au bénéfice de « groupes ascendants » (la jeune génération européo-mondialisée issue principalement des études de Finance et de Commerce, entre autres…) : « Il faut que tout change pour que rien ne change », n’est-ce pas là la méthode du pays légal pour passer à travers les époques et les contestations sans se remettre vraiment en cause ?


(2bis) : L’ordre établi, ou plutôt, selon le personnaliste Emmanuel Mounier et le royaliste Bertrand Renouvin, le « désordre établi », l’ordre républicain n’étant souvent que la caricature grinçante de l’ordre au sens noble du terme…




Quand la Chine communiste applique le « politique d’abord ».

Suite à ma dernière note, un de mes interlocuteurs semble me reprocher (courtoisement, et dans l’esprit de la « noble dispute ») de considérer que l’Occident est responsable de la montée en puissance de la Chine communiste et de minimiser les possibilités propres du grand pays asiatique qui, aujourd’hui, est devenu la grande préoccupation des Etats-Unis : en fait, et la précision s’impose, c’est la conjonction des deux phénomènes qui permet de saisir la situation présente, et le soutien de quelques autres éléments. Mais négliger les responsabilités de l’Occident dans ce processus débuté il y a une quarantaine d’années serait, plus qu’une erreur, ce serait une faute. Et je rappelle que Deng Xiao Ping, qui avait une conception du monde et de son avenir éminemment chinoise et communiste, a souligné lui-même ce que j’évoquais dans la note précédente (1) ! Il savait les faiblesses de l’Occident et il connaissait la « cupidité » des Occidentaux (ou plutôt de ceux qui, désormais, faisaient de l’Argent leur nouveau dieu, dans un double processus de sécularisation et de « triomphe de l’objet » en Europe, le supermarché remplaçant l’église ou le temple), d’où son appréciation des possibilités de développement de la Chine « grâce » à l’idéologie constitutive même de la société de consommation née en Occident et de son individualisme économique. D’ailleurs, la mise au point ce lundi 8 août de la firme Apple, qui fait suite à celle de Mars Wrigley et qui précède celle de toutes les firmes occidentales implantées sur le continent asiatique ou commerçant avec la puissance communiste, est révélatrice : elle reprend les termes mêmes du gouvernement chinois, et aucune, malgré les grands principes libéraux et « humanistes » qu’elles invoquent dans leurs chartes et communications (dont elles abreuvent les écrans publicitaires et « diversitaires » des pays d’Occident, un peu moins des pays du Sud…), n’évoque l’idée ou la trace même d’une indépendance ou d’une autonomie de Taïwan ! M. Mélenchon, qui a dit la même chose que toutes ces grandes entreprises multinationales occidentales, s’est fait lyncher, lui (surtout par les gens de Gauche, beaucoup plus virulents à l’égard de sa position que les gens de… Droite, étrangement muets), quand les firmes transnationales, elles, sont miraculeusement épargnées par les foudres de ces mêmes moralistes : quand les extrêmes se rejoignent, pourrait-on ironiser… Je pourrais attendre avec impatience l’appel des « libéraux » (je mets des guillemets car certains, rares néanmoins, sont plus attachés aux libertés civiques que les entreprises dont ils prônent la liberté…) à dénoncer et à boycotter toutes les firmes présentes en Chine, mais je risquerai de rester bien longtemps dans l’attente et, de toute façon, je ne suis pas certain que cela soit tout à fait efficace… Les féodalités économiques de la mondialisation n’ont que faire d’une île de 23 millions d’habitants, et s’il faut, à un moment ou à un autre, choisir entre sa liberté politique et les profits capitalistiques, le choix sera vite fait pour ces entreprises, sous la pression de leurs actionnaires eux-mêmes… La Chine le sait, et elle joue sur du velours. D’autant plus que, à bien y regarder, les Etats-Unis auraient bien du mal, désormais, à se passer de « l’atelier du monde » et de ses bas salaires, l’une des sources de la « mondialisation heureuse » vantée par les héritiers idéologiques de Ford et de Truman…

« Si la Chine s’est autant développée c’est tout simplement car elle a ouvert son économie, et qu’une nation travailleuse comme la Chine, première puissance démographique au monde, retrouve sa place « normale », dans le monde », souligne mon interlocuteur. Cela confirme exactement ce que j’explique plus haut, et cette « ouverture » est bien restée économique, évitant absolument une ouverture politique quelconque, la première confirmant la stratégie de Deng Xiao Ping de « faire de la force » et de se rendre indispensable à l’Occident… C’est même l’ouverture économique qui a financé la montée en puissance de la Chine communiste, puisque l’idée des libéraux (baignant dans cet optimisme qui consiste à croire que l’argent, en lui-même, est « le bien et le bonheur », en oubliant la sagesse des évangiles qui y voit un possible « bon serviteur » mais un « mauvais maître ») était, qu’à plus ou moins long terme, et reprenant la citation de Bernanos (mais dans un sens bien différent…), « la démocratie est (ndlr : ou plutôt serait, dans ce cas précis) la forme politique du capitalisme (2) ».

Que la Chine soit aussi une « nation travailleuse » (ou, plus exactement et complétement, commerçante « d’abord », si on se réfère à son histoire plurimillénaire), c’est indéniable (même s’il faut se méfier des préjugés…), mais c’est surtout, depuis 1979, un pays-atelier qui ne va pas se contenter trop longtemps de ce statut. Autant le XIXe siècle avait été le siècle du déclin, autant le XXIe pourrait bien être celui de l’hégémonie (3) : mais, attention à ne pas oublier la particularité chinoise qui préfère le contournement plutôt que l’affrontement direct ou la colonisation proprement territoriale. Et il est douteux que la Chine cherche à devenir le gendarme du monde comme les Etats-Unis depuis 1945 et, surtout, depuis 1991 (4) : il est plus intéressant pour elle, et correspondant mieux à sa conception de la puissance, de se rendre incontournable sans se soucier du sort du monde ou des autres pays. La sino-mondialisation n’est pas la globalisation occidentale, et c’est peut-être pour cela aussi que certains évoquent une « fin de la mondialisation » qui n’est, en fait, que la fin de la « mondialisation globalisante » autour du seul modèle états-unien affirmé au XXe siècle (5), la société capitaliste de consommation et de distraction motivée par l’individualisme de masse financiarisé…

Il y a aussi une formule de mon interlocuteur qui m’intrigue : c’est celle de la « place normale » que la Chine devrait occuper au regard de sa démographie, et qui, en fait, me semble survaloriser le nombre, la quantité en somme, au détriment des autres réalités sociales : en effet, la Chine est, pour quelques mois encore, la première puissance démographique, mais elle est en passe d’être doublée, en ce domaine, par l’Inde et, surtout, son taux de fécondité est devenu si bas qu’elle pourrait voir sa population diminuer dès 2025. C’est la conséquence de sa politique de l’enfant unique (1976-2016) et, malgré ses efforts pour inverser la tendance, rien n’y fait ! Cela n’empêche pas, néanmoins, qu’à elle seule, elle soit numériquement trois fois plus peuplée que l’Union européenne et quatre fois plus que les Etats-Unis : sans être déterminant, cet aspect-là de la démographie chinoise compte sur le plan géopolitique comme sur celui de l’économie, et il nous faudra en reparler, sans oublier, justement, que la démographie est éminemment politique. « Il n’est de richesses que d’hommes », disait le juriste français Jean Bodin : si cette formule peut être nuancée par le mode de développement et de société (2ème PIB mondial, la Chine n’est que vers le 20ème rang si l’on se réfère au PIB par habitant, par exemple), mais aussi par le niveau de puissance militaire (technologique en particulier), elle est tout de même une variable à prendre en compte dans la définition de la puissance.

Une fois ces choses dites, il faut souligner néanmoins que, dans l’histoire des derniers siècles, le nombre n’est pas toujours déterminant et, même, peut constituer un handicap s’il est mal maîtrisé par le pouvoir politique, comme la période de la décolonisation (1945-1962 environ) l’a amplement démontré alors, au détriment des pays nouvellement indépendants pourtant démographiquement très dynamiques. La Technique (et sa « domestication » d’abord pour des activités militaires, puis civiles dans un second temps) est sans doute plus importante que le nombre parce qu’elle le soumet à sa propre logique, et la Chine, d’ailleurs, a longtemps (au temps de notre Moyen âge) profité de celle-ci : mais c’est le pouvoir politique, en l’occurrence l’empereur, qui va mettre un terme à la conquête maritime que l’amiral navigateur Zheng He avait incarnée dans le premier tiers du XVe siècle en ordonnant la destruction de la flotte et des chantiers navals et en se repliant sur le continent depuis la Cité interdite… Ce sont les Européens qui allaient en tirer profit, et leur petit nombre ne fut en rien un inconvénient, comme le confirme ensuite la conquête des Amériques et la destruction totale des grands empires inca et aztèque au XVIe siècle !

Ainsi, la « place normale » de la Chine dans l’ordre du monde est, surtout, un effet d’optique qui peut, si l’on y prend garde, nous faire oublier l’histoire et la nécessité du politique dans cette valorisation de la Technique et du pays concerné : sans Deng Xiao Ping et ses successeurs formés à la même logique sino-marxiste (les manuels de formation du Parti Communiste Chinois devraient être lus par tous nos politiques et nos économistes pour bien la saisir !), il n’y a pas de puissance chinoise, même économique. Il semble bien que le doctrinaire français Maurras ait eu raison, dans ce cas chinois, quand il explique que le politique constitue le meilleur moyen pour atteindre à la prospérité économique, comme l’arc nécessaire pour que la flèche atteigne son but : « Politique d’abord ! », non comme fin, mais bien comme moyen (6) ! Une prospérité économique qui ne s’émancipe pas, dans la Chine communiste, du contrôle de l’Etat, ce dernier poursuivant un objectif : « 2049, la première place dans le monde » (7). Il n’est pas interdit d’en tirer quelques leçons pour la France ! Des leçons, pas forcément un modèle…



(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : D’où l’importance que j’accordais à la formule attribuée à Lénine sur ces capitalistes qui vendraient même la corde pour les pendre, selon une logique du profit financier et économique qui n’est pas celle de la liberté et du bien commun… La logique économique n’est pas, en soi, « morale », et le libéralisme économique n’est pas, fondamentalement, l’ami des libertés politiques : il peut l’être, à l’occasion, mais ce n’est pas une règle absolue, loin de là ! La seule étude de l’histoire économique et sociale de la France, en particulier des trois derniers siècles, le confirme douloureusement, comme je l’ai déjà rappelé à l’occasion de notes ou d’interventions sur les lois libérales de 1791, leur idéologie, leur application et leurs conséquences, en particulier sociales…

(2) : Quand Georges Bernanos formule cette idée, il veut signifier que la démocratie (comprise dans le sens politique libéral du terme) est le régime qui privilégie le profit économique, le plus souvent au détriment de la société elle-même et de son harmonie, la démocratie divisant le corps civique en « monades » et en oubliant la nécessité d’une unité supérieure et d’un « bien commun » antérieur aux citoyens eux-mêmes. (Cf la note du début août sur Athènes, qui aborde aussi ce thème-là, en évoquant Créon et Antigone, comme le font Michel de Jaeghere dans Front Populaire de l’été 2022 et Charles Maurras dans Antigone, Vierge-mère de l’Ordre, texte publié après la Seconde guerre mondiale).

(3) : Il faut être prudent sur ce point : l’histoire n’est pas un sens unique et il n’est pas sûr qu’elle soit toujours écrite avant d’avoir lieu. Deux exemples modernes nous incitent à l’humilité : à la veille de la Révolution française, l’idée générale en Europe était que le XIXe siècle à venir serait français ; idem pour la Russie à la veille de 1914, alors que les Etats-Unis, qui venaient de donner naissance à la société de consommation, semblaient trop endettés pour pouvoir rester la 1ère puissance industrielle qu’ils étaient devenus à la suite de la Deuxième Industrialisation… Dans l’un et l’autre des cas, on sait ce qu’il en fut vraiment !

(4) : Les Etats-Unis ont néanmoins connu nombre d’échecs qui montrent aussi la vacuité d’une telle ambition, mais qui permettent de comprendre que, ce qui importe pour les Etats-Unis n’est pas de « gagner à l’extérieur » mais de « préserver le Mainland (la « métropole », le « pays principal », l’intérieur des Etats-Unis) » : et le but est largement atteint depuis 1866, hormis en septembre 2001 qui a vu le « sanctuaire » frappé en son cœur symbolique, New-York.

(5) : Le modèle états-unien peut être symbolisé par six noms, auxquels l’avenir adjoindra peut-être encore quelques patronymes contemporains : Franklin, Taylor, Ford, Sloan, Rostow, Disney. J’en reparlerai dans une prochaine note.

(6) : Le moyen du politique est absolument nécessaire à la prospérité économique, même s’il n’est pas le seul élément qui la détermine : « Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis en 1830 au roi français. Mais, à son tour, l’économie devient un nouveau moyen, une fois sa dynamique et les fondements de la prospérité bien établis, ou plutôt une « preuve » de l’efficacité du pouvoir politique, et celui-ci s’appuie sur ce nouvel étai pour renforcer sa légitimité aux yeux de ses citoyens-contribuables… Est-ce toujours aussi simple ? N’y a-t-il pas des velléités d’émancipation des forces économiques à l’égard du pouvoir politique qu’elles voient désormais comme un obstacle à leur propre réussite ou épanouissement ? Ne veulent-elles pas, alors, le conquérir pour mieux le soumettre ? C’est là un des nœuds de… la Révolution française du XVIIIe siècle…

(7) : 2049, soit la célébration du centenaire de la conquête totale par Mao Tsé Toung de la Chine continentale et l’établissement de la République populaire de Chine en 1949…

Quand le libéralisme nourrit le communisme !

La République populaire de Chine existe en tant qu’Etat constitué depuis la victoire de Mao Tsé Toung sur les troupes « nationalistes » de Tchang Kaï Chek en 1949. La France l’a reconnue diplomatiquement en janvier 1964, par la bouche du général de Gaulle, à la grande colère des Etats-Unis : « Du fait que depuis quinze ans, la Chine presque toute entière est rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi et, qu’au dehors, elle se manifeste comme une puissance souveraine et indépendante, (…) le poids de l’évidence et de celui de la raison grandissant jour après jour, la République française a jugé, pour sa part, le moment venu de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique. » Dans cette reconnaissance, la morale et l’idéologie n’ont pas cours : de Gaulle ne se faisait aucune illusion sur la réalité totalitaire du communisme chinois, et il n’était pas communiste lui-même, seuls comptaient pour lui l’équilibre international d’une part, et l’indépendance française d’autre part, en dehors de toute autre considération. Reconnaître une réalité géopolitique n’est pas accepter l’idéologie du pays ainsi reconnu, et cela n’empêche aucunement aujourd’hui de s’émouvoir des souffrances des opposants et des autres habitants de la Chine, et de s’inquiéter de la volonté de mainmise de celle-ci sur Taïwan, là où s’étaient réfugiées les troupes de la Chine nationaliste après leur défaite continentale de 1949 : nous savons quel sort attend les populations taïwanaises après une éventuelle annexion pure et simple de cette terre (jadis nommée Formose) par la Chine dite populaire.

Oui, la puissance chinoise inquiète, et elle inquiète à juste titre : le totalitarisme communiste « brutal » du temps de Mao a laissé la place à un globalitarisme non moins assumé et tout aussi « intrusif », mais très attractif (car lucratif) pour les féodalités financières et économiques du monde occidental… Le vrai stratège révolutionnaire et éminemment marxiste (à la sauce locale chinoise…) n’est pas Mao, en fait, mais bien plutôt Deng Xiao Ping qui a sans doute beaucoup mieux appliqué l’esprit de la formule de Lénine, « Nous leur vendrons même la corde pour les pendre » (1), que son prédécesseur qui, lui, avait une conception plus « immédiate » de l’application de l’idéologie : Deng considérait que pour faire triompher le communisme, il fallait d’abord « faire de la force » et se rendre indispensable, voire incontournable sur la scène économique mondiale, et rendre, ainsi, les autres puissances dépendantes de la Chine pour pouvoir imposer « son » ordre sans avoir à tirer un seul coup de feu… La cupidité du capitalisme occidental, que connaissait bien Deng comme Lénine avant lui, a fait ainsi du nain économique chinois de 1979 le véritable géant de 2022 auquel il est désormais difficile de résister sans conséquences terribles pour les économies et les sociétés occidentales…

Durant cette période de « naissance » de la Chine contemporaine, l’illusion des économistes libéraux (2) mais aussi de nombre de démocrates de toutes les obédiences possibles, fut de croire que l’ouverture économique entraînerait forcément l’ouverture politique, une croyance que certains évoqueraient aujourd’hui comme un réflexe idéologique « colonial » qui négligeait les particularités proprement chinoises du pouvoir communiste de Pékin. Or, si l’économie chinoise devint l’une des principales du monde (la Chine devenant l’atelier du monde, comme l’Angleterre l’avait été au XIXe siècle), ce n’est pas la démocratie libérale qui sortit renforcée de cette forte croissance, mais bien le pouvoir politique du Parti Communiste, toujours au pouvoir aujourd’hui et cela sans sursis… Il y eut bien une tentative de « démocratisation à l’occidentale » lors de la première moitié de 1989 (le « printemps de Pékin »), mais elle finit sous les tirs et les chenilles des chars de l’Armée Populaire, sans que l’Occident ne bouge autrement que par quelques manifestations d’indignation vertueuse sans lendemain et une limitation du commerce des armes… Les entreprises occidentales continuèrent à délocaliser leurs usines européennes ou américaines vers la Chine sans coup férir, et la Chine devint l’Eldorado industriel pour un Occident soucieux de ne pas déchoir de son statut de société de consommation… Les pays les plus libéraux, des Etats-Unis aux pays de l’Union européenne, firent de l’économie chinoise un « miracle » : pour eux et en pensant à eux d’abord (ou à leurs classes dirigeantes, diraient certains esprits caustiques…), parce que les prix de production étaient bien plus bas que sur les territoires occidentaux qu’ils condamnaient eux-mêmes à la désindustrialisation (l’ouvrier français était devenu « trop cher », expliquaient doctement les économistes de la mondialisation heureuse pour justifier l’abandon des usines en France), et que cela assuraient des prix bas à la consommation pour leurs populations désormais dépendantes d’un consommatorisme constitutif de l’identité occidentale elle-même ; pour la Chine, qui sortit de la situation de précarité et d’impuissance, et devint, en moins d’une génération, la première puissance commerciale (depuis 2013) et la deuxième puissance économique mondiale, passant de l’imitation et du bas de gamme pour ses entreprises locales à l’invention et à l’indispensable technologique dans le même temps.

Je me souviens encore des avertissements du maurrassien Pierre Debray dans les colonnes de Je Suis Français (années 1980) et dans celles de L’Action Française (1994) sur la montée en puissance de la Chine et sur les illusions occidentales à son égard : mais, c’était peine perdue alors ! Malgré l’écrasement du printemps de Pékin, le « Made in China » s’imposa en quelques années et les économistes libéraux ne voyaient que le triomphe d’une nouvelle et simple forme de « libéralisme autoritaire » en oubliant que la Chine restait, encore et toujours, entre les mains du Parti Communiste et ne cédait rien, politiquement parlant, à l’idéologie de la démocratie occidentale. Mais, lorsqu’il m’arrivait, au détour d’une conversation, de le rappeler, l’on me rétorquait que ce n’était plus vraiment le communisme, que l’on ne pouvait pas se passer de la Chine, que les Chinois étaient désormais bien intégrés dans la mondialisation et que le modèle de société de consommation triomphait en Chine… Bref, la Chine était « acceptable » et la critiquer était faire preuve de « néocolonialisme » ou ne rien comprendre aux réalités économiques ! J’ai constaté alors, sans grande surprise il est vrai, que le libéralisme se conjuguait plus sur le plan économique que politique, et que les mêmes qui me parlaient droits de l’homme, démocratie, liberté (etc.), oubliaient leurs valeurs (du moins les morales, non les financières…) dès que la mondialisation était en jeu ou simplement évoquée…

Le résultat est là : la mondialisation capitaliste libérale a nourri le communisme chinois, et les capitalistes ont bien vendu la corde pour les pendre (à moins que ce ne soit nous, les pendus…) ou, du moins, pour les lier à cette Chine qui, aujourd’hui, leur permet d’avoir téléphones, ordinateurs ou panneaux solaires ! Et, malgré tous les remous actuels autour de Taïwan, qui parle de quitter le marché chinois ? Lorsque l’entreprise agroalimentaire Mars Wrigley commet « l’erreur » de parler de Taïwan comme d’un « pays » (c’est-à-dire, selon la définition usuelle, d’un ensemble territorial disposant d’un Etat souverain et d’une identité nationale, en somme) dans une de ses publicités pour des barres chocolatées, elle se sent obligée, suite aux réactions indignées des internautes chinois, de s’excuser et de rajouter qu’elle « respecte la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine », faisant alors fi de l’existence même de Taïwan sans provoquer, étrangement, de réaction particulière de Washington ni des capitales occidentales qui abritent la maison-mère et les filiales du géant Mars Wrigley. Le sommet de l’hypocrisie est atteint quand Snickers Chine (filiale chinoise de Mars Wrigley) publie sur son compte social le message explicite suivant : « Il n’y a qu’une seule Chine dans le monde et Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois » (3) … Nous parlons bien là d’une entreprise états-unienne dont le siège social est en Virginie, aux Etats-Unis et non à Pékin, et qui vante ses valeurs « libérales » à longueur de communications publicitaires et médiatiques !

D’ailleurs, quelle est l’entreprise occidentale, issue du monde libéral (ou se prétendant tel) et vivant de la mondialisation qui se veut tout aussi libérale (n’est-ce pas d’ailleurs là un excès de langage ? La question mériterait, en fait, d’être posée !), qui proteste contre le régime totalitaire communiste, contre les persécutions d’opposants (qu’ils soient catholiques, Tibétains ou Ouïghours musulmans…), contre l’exploitation des travailleurs et les conditions de logement de ceux-ci ? Bien sûr, il y a le respect de la souveraineté de chaque pays, et elle ne doit pas être négligée : cela n’empêche pas de s’inquiéter pour les populations locales et de favoriser, par la stratégie économique de production, d’échange et d’achat, les pays les plus proches du nôtre ou les plus socialement vertueux… Si les nations peuvent le faire, il n’est pas interdit aux consommateurs d’appliquer la même stratégie : « nos emplettes sont nos emplois », disait un slogan d’il y a quelques années, et la formule peut s’entendre aussi sur un plan plus politique et social, voire « humaniste »…




(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : La formule exacte est, selon les traductions existantes : « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons », mais elle est attribuée tantôt à Lénine, tantôt à d’autres dirigeants bolcheviques de l’époque de la NEP (années 1920). En fait, lorsque Lénine est censé la prononcer, il s’agit surtout pour lui de faire accepter l’aide alimentaire occidentale pour lutter contre la famine provoquée par les réquisitions abusives de produits agricoles au profit des villes, ou de légitimer la (légère) libéralisation incarnée par la NEP que les plus doctrinaires des bolcheviques considèrent comme un « recul idéologique » inacceptable…

(2) : Quand nous parlons des économistes libéraux, nous voulons dire ceux qui mettent à la base de leur idéologie la propriété privée des moyens de production, le libre-échange et, entre autres, la recherche libre et assumée du profit et, au-delà, de la profitabilité, considérant l’argent comme la valeur de détermination de la place dans la société… Cette définition basique n’empêche évidemment pas de la préciser et de la nuancer, et il serait faux de voir dans le courant libéral un ensemble totalement homogène, au-delà des éléments de définition évoqués plus haut : entre un Hayek et un Aron, que de différences malgré l’étiquette commune !

(3) : M. Mélenchon a soulevé une véritable tempête de réactions (principalement à gauche, d’ailleurs) l’accusant de complicité avec la dictature communiste pour des propos équivalents ! L’entreprise Mars, elle, n’a pas connu un tel hourvari : au fait, pourquoi ?






Quand le capitalisme oublie toute bonté sociale (Qatar 2022).

L’exploitation des travailleurs au Qatar, dans la perspective de la prochaine Coupe du monde de balle-au-pied, n’émeut toujours pas les grandes consciences de la « mondialisation heureuse » qui semblent penser que « cela ira mieux demain, avec quelques réglages » et qui raisonnent en termes statistiques plutôt qu’en termes humains, sociaux et civilisationnels, au risque de ne pas saisir le scandale que constitue, en définitive, la vision purement capitalistique du monde et de ses développements à travers celui-ci. Il y a bien sûr un débat possible sur les définitions du capitalisme et sur ses variantes, du capitalisme « familial » (qu’il est possible de défendre, voire de promouvoir sans déchoir) au capitalisme monstrueux des gigastructures et des mégaprofits, ce capitalisme de l’hubris qui est le règne nuisible des féodalités de « l’Avoir », appuyé sur l’idéologie franklino-fordiste (1) animant et encadrant le monde contemporain (2). Mais il n’y a pas que les conditions de travail qui sont concernées par l’exploitation capitaliste : les conditions du « hors-travail », c’est-à-dire les conditions de vie sont tout aussi importantes à évoquer, parce qu’elles sont à la fois les conséquences de cette exploitation au travail, et parce qu’elles déterminent aussi l’état général des travailleurs et leur capacité à produire, à conduire, à servir, ici dans le cadre de la construction des infrastructures sportives et touristiques du Qatar. Elles ne sont donc pas négligeables également pour saisir l’état de la question sociale dans le pays envisagé.

Dans l’édition du jeudi 7 juillet dernier du quotidien La Croix, les conditions de logement des travailleurs étrangers sont ainsi évoquées, et elles ne sont guère à la hauteur de ce que l’on aurait pu attendre dans un pays rentier aussi riche : « (…) Trois préfabriqués empilés comme des Lego. C’est là que vivent les 200 salariés de Beton W.L.L., qui se vante d’avoir contribué aux plus grandes infrastructures du pays.
« Raja dort dans le troisième bloc. Son lieu de vie partagé avec deux autres ouvriers ne dépasse pas les 15 m2, malgré la réglementation prévoyant 6 m2 minimum par salarié. S’y entassent deux lits superposés, interdits par la loi, et un lit simple.
» Ces conditions d’habitat rappellent celles qui existaient en France jusqu’aux années 1950 pour les travailleurs français et celles qui, osons le dire, persistent encore dans notre pays pour nombre d’ouvriers agricoles étrangers au moment des récoltes et des vendanges, sans oublier les exploités des ateliers textiles (à peine) clandestins dans certains quartiers de Paris et de ses proches périphéries : de toute façon, quels que soient les lieux, cela reste des conditions indignes au regard des possibilités de nos sociétés et des richesses de celles-ci ! Il me semble juste que, lorsque des entreprises (minières, agricoles, industrielles, ou de service) font appel à de la main-d’œuvre (même temporaire), elles assurent un logement décent à ceux qui travaillent pour elles : c’est une question de principe !

Certains verront dans mes derniers propos une nostalgie des corporations anciennes qui assuraient le gîte et le couvert à leurs apprentis, et fixaient parfois des règles très contraignantes aux patrons sur cet aspect-là de l’accueil des ouvriers, avec des nuances plus ou moins importantes selon les métiers considérés et les lieux d’exercice de ceux-ci. Nostalgie ? Pas complètement : il n’est pas interdit de penser que les défauts avérés du capitalisme contemporain et le désir, fort, de justice sociale qui parcourt les classes productives du pays puissent susciter une réflexion sur la (re)création de corps intermédiaires professionnels chargés de veiller, au-delà de l’Etat lui-même, au respect de la qualité de l’ouvrage et du bien-être nécessaire des travailleurs produisant selon les codes de cette qualité.

Nous en sommes bien loin au Qatar, en tout cas, comme le montre le témoignage évoqué plus haut ! Mais il y a quelques remarques à faire néanmoins, pour éviter quelques erreurs d’appréciation sur ce sujet. Tout d’abord, l’organisation d’une coupe du monde de balle-au-pied offerte au Qatar est une occasion pour soulever la question sociale dans cet émirat qui cherche une reconnaissance internationale et qui veille à offrir, aux yeux des spectateurs et des opinions publiques étrangères, une image crédible et honorable : du coup, le Qatar, jusque-là peu réputé pour son respect des conditions de travail et de vie des ouvriers (principalement étrangers, au demeurant), a fait quelques efforts en ce domaine : « La fin du système de kafala [système de parrainage du travailleur étranger par un employeur local, qui rappelle le statut de métèque à Athènes, avec le parrainage des commerçants ou des ouvriers étrangers par un citoyen pour pouvoir gagner sa vie dans la cité et être protégé au sein de celle-ci], longtemps décrit comme un outil de servitude, la hausse du salaire minimum (230 Euros) et des obligations sur le logement ont été annoncées en grande pompe. Un effort visant à rassurer la communauté internationale et la Fifa. L’an dernier, le ministère du travail a mis en place une plateforme en ligne permettant aux travailleurs de signaler des abus de leur entreprise de manière anonyme. » Une leçon peut en être tirée, qui était déjà celle faite par les catholiques sociaux français au XIXe siècle, après la dérégulation libérale (et antisociale) de 1791 : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit », s’écriait Lacordaire en 1848 (3), à rebours d’un libéralisme qu’il défendait pourtant sur le plan politique (et beaucoup moins sur le plan économique !). Même si « la loi » qu’il évoque est la loi divine (et non politique et parlementaire), la citation peut tout à fait éclairer notre propos et notre sentiment : la liberté économique sans frein, qui n’appartient réellement qu’à ceux qui ont les moyens financiers de l’assumer dans une économie de marché où c’est l’argent qui « offre le travail », est un asservissement des ouvriers qui n’ont, eux, que leurs forces physiques à offrir dans une société où le travail n’est plus considéré que comme une « marchandise de moyen » (souvent standardisé comme les produits sortis d’usines, que l’on pourrait qualifier de « marchandises de résultat »)… Il n’est donc pas inutile que les institutions politiques, ou sociales (corporatives, par exemple, si l’on veut éviter que l’Etat ne prenne trop de place), interviennent, non pour « faire » l’économie ou pour en supprimer toutes les libertés, mais pour préserver celles des travailleurs, et leur assurer des conditions dignes si les entreprises ne les assurent pas naturellement ou spontanément.

Dans ce cas précis du Qatar, qui doit nous interpeller et nous permettre de nous interroger aussi sur les questions sociales en général, le pouvoir politique a fait évoluer le droit local pour améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers, y compris étrangers, comme les premières lois sociales du XIXe siècle ont permis de limiter, un peu, les effets des lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791, ces lois révolutionnaires et bourgeoises d’une « liberté du travail » qui n’était nullement celle des travailleurs. Mais, comme en France et comme pour prouver que la liberté capitaliste est aussi trop souvent un libertarisme insoucieux des personnes, les entreprises du Qatar ne respectent pas le nouveau droit du travail, et jouent de l’insuffisance des moyens mis en œuvre par l’Etat pour faire respecter celui-ci : comme le souligne un agent de sécurité ougandais au journaliste de La Croix, « Rien n’a évolué, malgré les réformes. On ne peut toujours pas changer de travail comme bon nous semble. Les heures supplémentaires ne sont pas payées et il faut se battre pour obtenir son salaire. Les patrons font encore la loi. » Un autre exemple de la duplicité des entreprises envers les ouvriers, dans le témoignage de Raja, déjà cité : « La loi qatarienne oblige son employeur, Beton W.L.L., à payer ses soins médicaux et son indisponibilité. « Les médecins qatariens m’ont conseillé de rentrer au Népal pour ma rééducation. L’entreprise m’a dit que ce serait moins cher. Mais lorsque je suis rentré au pays, j’ai découvert qu’elle avait déduit 12 000 riyals qatariens (plus de 3 000 euros, NDLR) de mes salaires et congés payés en attente, au titre du paiement des frais d’hôpital au Qatar. » Raja dit avoir vendu des terres pour financer sa coûteuse rééducation et être revenu au Qatar pour payer notamment ses frais d’assurance. » Cela rappelle ces patrons français qui faisaient travailler leurs ouvriers le dimanche malgré l’ordonnance royale du 7 juin 1814, repris par la loi du 18 novembre 1814 (loi dite de « sanctification du dimanche »), et cela à partir de 1830, après la chute de Charles X, considérant que cette loi de la monarchie déchue « violait » la liberté du travail établie par les lois de 1791 : La Tour du Pin, le théoricien du corporatisme royaliste français, en avait déduit qu’il était vain d’attendre du patronat français une quelconque bonté sociale et qu’il faudrait lui « tordre le bras » pour faire progresser les droits des travailleurs… Le même raisonnement pourrait s’appliquer, visiblement, aux entrepreneurs présents au Qatar ! Egoïsme des possédants sûrs de ne pas être contredits, sans doute… (Mais jusqu’à quand ?)

C’est pour cela que, plutôt que de dénoncer en vain l’émirat du Qatar (pour lequel j’avoue n’avoir aucune sympathie particulière), il me paraît plus efficace de dénoncer un système économique « grand-capitaliste » qui permet une telle indécence sociale de la part des grandes entreprises y travaillant, et de faire pression sur le Qatar lui-même pour qu’il s’engage à faire respecter les lois sociales qu’il a, timidement, mises en place, en lui indiquant (fermement…) qu’il a tout à gagner à l’application visible et réelle des lois sociales plutôt qu’à l’indifférence qui pourrait nourrir les colères du lendemain à son égard, y compris en son sein. Après tout, ces quelques lois sociales (insuffisantes, certes), c’est toujours mieux que rien, et je ne suis pas partisan d’une politique du pire – « la pire des politiques » selon Maurras – qui revendiquerait « tout » pour n’avoir, en fin que compte, que… « rien du tout » ! Le meilleur moyen d’aider les ouvriers qui œuvrent et souffrent là-bas, c’est de ne pas les oublier et de faire savoir que nous ne les oublions pas, non par l’imprécation mais par l’information et la pression qui peut prendre de multiples formes ici comme là-bas…



Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : L’idéologie franklino-fordiste, qu’il conviendrait de définir plus précisément, peut se résumer en quelques termes et formules : celle de Benjamin Franklin, « Time is Money », qui financiarise le temps et sacralise l’argent, au détriment de la liberté du travailleur et des activités non-économiques considérées comme « futiles » (1bis) ; l’individualisme de masse ; la société de consommation et de loisirs ; la croissance obligatoire ; etc.

(1bis) : Du temps de Franklin, c’est le travail et éventuellement son exploitation par les puissances de l’argent qui « rapportaient » et créaient de la valeur financière. Aujourd’hui, c’est aussi le temps libre qui est devenu créateur de richesses monétaires, sous le nom de « loisirs » (au pluriel), désormais payants et souvent addictifs… Le temps gratuit a-t-il disparu pour autant ? Non : regarder un coucher de soleil reste un loisir sans prix et d’une beauté « non-quantifiable »…

(2) : Une prochaine note évoquera à nouveau, et de façon plus approfondie, la grande question du capitalisme…

(3) : Lacordaire, religieux dominicain français et journaliste catholique, républicain vite déçu par la République en 1848, fut l’un des « animateurs » du catholicisme « libéral et social » au milieu du XIXe siècle.



Le combat royaliste du G.A.R.

Le combat royaliste est éminemment politique et même « politique d’abord ! ». Il ne se rattache pas, en tant que tel, à une église ou à une autre même si, en France, nos racines sont éminemment chrétiennes et plus précisément catholiques sans l’être exclusivement, et nombre de royalistes, au sein du Groupe d’Action Royaliste comme des autres mouvements monarchistes, peuvent s’en réclamer sans que cela engage les structures militantes. Le Groupe d’Action Royaliste est un groupe politique et non confessionnel : toutes les croyances et non-croyances peuvent s’y croiser et se retrouver dans le combat commun pour la France et le Roi.

Néanmoins, le combat royaliste est aussi celui de tous ceux qui croient que « l’individu » n’est pas, en soi, suffisant pour créer une communauté de vie et de destin. C’est un combat pour la pérennité de la nation historique et de la civilisation française, un combat pour la dignité des Français et pour les traditions sociales de protection du travail et des travailleurs, contre la dictature de l’argent et des féodalités, qu’elles soient financières, économiques ou politiciennes. En cela, le G.A.R. s’inscrit aussi dans une perspective corporatiste et dans le souci permanent de la justice sociale, formule « inventée » par le roi Louis XVI lui-même !

Le combat pour la pérennité de la France est aussi un combat « écologiste intégral », une doctrine née dans les milieux royalistes dès les années 1980 et que le G.A.R. fait sienne depuis ses origines. Préserver l’environnement, les paysages, la faune et la flore, c’est aussi sauver la France et assurer un avenir aux générations qui nous suivront sur la terre du royaume de France !

Le Groupe d’Action Royaliste n’est pas un mouvement en tant que tel, mais une structure qui publie articles, argumentaires, brochures, vidéos, mais aussi affiches, autocollants, papillons… De quoi permettre à chacun, selon ses moyens, ses besoins ou son cadre de vie, de « faire royalisme » là où il est, là où il passe, là où il parle.

Et pour que vive la France, vienne le Roi !!

Jean-Philippe Chauvin

La servitude ouvrière au Qatar.

Dans quelques mois aura lieu la coupe du monde de balle-au-pied et elle se déroulera au… Qatar ! En fait, plus que les jeux de ballon, ce sont ceux d’argent et d’influence qui semblent compter d’abord, et peu importe les moyens pourvu que le grand public occidental connaisse son ivresse de sensations et de suspense. Le sport médiatique contemporain est un opium qui étourdit les masses et enrichit les puissants, et cette compétition à venir n’échappe pas à la règle : « panem et circenses » (1), disait-on à Rome, et l’oligarchie républicaine puis impériale en a largement et longtemps abusé. Désormais, ce sont quelques riches Etats émergents et des milliardaires (groupes ou personnalités) qui jouent les mécènes intéressés : mais, au-delà du spectacle des passes et des courses effrénées vers les filets adverses, il n’est pas inutile de considérer les hommes qui construisent les stades de ce que La Croix qualifie de « Mondial de la démesure » (2). Or, les ouvriers sont ceux que l’on ne voit jamais, sauf sur quelques photos lointaines ou mal éclairées, alors même que, sans eux, les paysages et les arènes de béton seraient restés à l’état de projets et de maquettes idéalisées… Comme le rappelle le quotidien chrétien, « Des milliers de travailleurs pauvres venus d’Asie et d’Afrique occupent une place centrale dans la réussite de l’Etat gazier » : n’est-ce pas l’occasion d’évoquer alors la question sociale qui, en fait, ne se limite pas aux seules frontières de l’émirat mais nous renvoie aussi indirectement à nos propres histoires et politiques sociales ?

Le grand article de La Croix mériterait d’être cité tout entier, et il est surprenant que les grands médias, si prompts à l’indignation et à l’ire vengeresse pour les plus « à gauche », ne l’aient pas repris, relayé, commenté : comme si les affaires qataries n’étaient pas parties intégrantes de la mondialisation dont, trop souvent, les seuls aspects sportifs ou positifs sont valorisés ! La coupe du monde de balle-au-pied est une formidable vitrine pour le pays organisateur mais aussi pour la mondialisation elle-même qui, sous les aspects festifs du ballon rond, reste l’idéologie de l’uniformisation, du « présent global » et du « Time is Money » de Benjamin Franklin. Même dans les pays qui refusent l’usure, l’argent est devenu « la » valeur majeure, et provoque les mêmes appétits, et (trop souvent) les mêmes comportements des féodalités financières comme économiques, au détriment des équilibres sociaux et environnementaux. Les producteurs de base que sont les ouvriers, sont trop souvent sacrifiés sur l’autel de la profitabilité et leur exploitation nourrit un système dont, pour l’heure, nous profitons aussi largement en tant que consommateurs et spectateurs occidentaux, mais beaucoup moins que ceux qui se trouvent au sommet des pyramides sociales et économiques des pays inscrits dans la « globalosphère » mondiale.

Les conditions de travail au Qatar sont celles d’une servitude ignoble, mais aussi consentie et sacrificielle pour les ouvriers, ce qui est terrible et, dans le même temps, difficilement compréhensible pour des Français du XXIe siècle : les travailleurs, quasi-exclusivement étrangers au pays, espèrent ainsi subvenir aux besoins de la famille restée dans leur patrie originelle, et, dans un second temps (à l’échelle d’une génération ou de deux, pensent-ils), atteindre le niveau de vie d’un « consommateur moyen », sur le modèle de la société de consommation initiée au XXe siècle par les Etats-Unis et étendue à la planète entière selon des calendriers différents. Cela explique que, malgré leur grand nombre (800.000 environ dans la zone de Doha), aucune révolte de masse, aucune grève ni même manifestation, ne soit signalée… La simple crainte de perdre son emploi (donc, ici, son gagne-pain au sens fort du terme) suffit à étouffer dans l’œuf toute velléité de protestation ou de revendication. Ce sont les organisations étrangères qui alertent sur cette situation sociale scandaleuse mais dans une indifférence qui, d’ailleurs, se teinte parfois d’hostilité, en particulier chez ceux qui ne veulent voir que le sport et le spectacle, selon la logique romaine antique évoquée plus haut…

Le témoignage d’un ouvrier népalais au Qatar montre toute la duplicité des entreprises qatariennes mais peut réveiller en nos contemporains français soucieux de l’histoire sociale (et de sa poursuite contemporaine) des souvenirs de l’industrialisation des XIXe et XXe siècles en France, rapportés par nombre d’études et de témoignages (de Villeneuve-Bargemont (3) et Villermé (4) aux travaux de Noiriel (5) ou de Geslin (6), sans oublier celui de la philosophe Simone Weil dans les années 1930 (7), entre autres). Car ce que connaissent aujourd’hui les travailleurs au Qatar, c’est la même situation d’exploitation abusive et de misère sociale que celle connue par leurs prédécesseurs français dans les temps de l’industrialisation triomphante et du triomphe du « capital sans frein » dénoncé par la Royale (8) en son deuxième couplet… « Le Qatar et les patrons nous utilisent pour construire les stades puis nous jettent lorsque notre corps ne suit plus. C’est dangereux de travailler ici, on le sait tous. Mais il faut bien envoyer de l’argent à la famille. J’ai une femme à nourrir et une fille à envoyer à l’école », assure le témoin qui ne peut que rester très discret pour éviter les représailles patronales et le renvoi, voire la prison comme cet « agent de sécurité kényan, incarcéré en 2021 pour avoir publié des billets anonymes sur ses conditions de vie et de travail. La peur a cousu les bouches d’une majorité des travailleurs toujours précaires. » Même un simple témoignage peut mener aux geôles qataries… Qui s’en émeut en France et ailleurs ? Le sport avant tout, dira-t-on… Et pourtant… L’intérêt pour le sport de ballon et le soutien à l’équipe nationale n’interdisent pas, ne doivent pas interdire le souci pour les ouvriers et leur sort !

Sur les chantiers des stades et des nouveaux quartiers bâtis pour l’occasion de la coupe du monde, les accidents du travail sont nombreux et souvent cachés avant que d’être oubliés ou niés, tout simplement : « Raja dit avoir été témoin d’un grave accident de travail de collègues dans les nouveaux quartiers de Lusail, où seront logés les milliers de supporteurs du Mondial. « L’échafaudage a craqué, précipitant dans le vide sept ouvriers. Tous sont morts. Cet accident n’a été rapporté nulle part à ma connaissance. Je ne sais pas comment les entreprises masquent les accidents de ce genre, mais je sais que les promesses de compensation faites aux familles ne sont que des mots. » ». Nous pourrions espérer que, en 2022, ce genre de situation et de scandale social appartienne au passé, celui des débuts rudes de l’industrialisation occidentale contemporaine, et que les puissances émergentes ou les pays rentiers riches, en recherche de respectabilité et de crédibilité, aient tiré des leçons des malheurs ouvriers des siècles passés pour assurer à ceux qui travaillent aujourd’hui sur leurs chantiers et dans leurs usines des conditions dignes et une reconnaissance sociale favorable : il faut bien reconnaître que, dans le cas des exploités des entreprises au Qatar, il n’en est rien ! Pourtant, c’est vers le Qatar que, dans quelques mois, tous les regards seront tournés et les stades flambants neufs ne diront rien, par les images retransmises sur tous les écrans du monde, de cette indignité de la condition ouvrière au Qatar… Il n’y aura plus, pour le spectateur sportif, que la balle qui virevolte, le score qui évolue quand les filets tremblent, les cris de joie et les larmes de désespoir, la victoire et la défaite.

La société du spectacle couvre de ses voiles de délices et délires le malheur des travailleurs qui souffrent en espérant, malgré tout, une vie meilleure pour bientôt. Si le spectacle de la Coupe du monde de balle-au-pied peut être beau (pourquoi méconnaître ce qui apparaît ainsi aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, pour de bonnes ou de mauvaises raisons ?), il nous appartient de ne pas en être dupe et de ne pas oublier ce qui l’a permis ou le permet aujourd’hui comme demain : le sang et la sueur des travailleurs. Mais le plus important est, avant même le spectacle, de réfléchir aux moyens d’améliorer les conditions de travail des ouvriers, et pas seulement au Qatar… Si nous n’avons guère de poids sur la situation des classes laborieuses de cet émirat lointain, il n’est pas impossible de réfléchir au moins, là aussi, aux moyens de pression possibles pour inciter ce pays à améliorer, législativement et concrètement, les conditions de travail et de vie de ceux qu’il s’agit de ne pas oublier, même s’ils resteront invisibles aux yeux des spectateurs…


(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) : « Du pain et des jeux ».

(2) : La Croix, jeudi 7 juillet 2022.

(3) : Préfet du département du Nord sous le roi Charles X, puis député royaliste légitimiste sous la Monarchie de Juillet, Alban Villeneuve-Bargemont fut l’un des premiers à évoquer et dénoncer la misère des ouvriers d’usines.

(4) : Médecin, Louis-René Villermé va rédiger un Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie en 1840, et sera le promoteur d’une médecine du travail pour les ouvriers que la Bourgeoisie capitaliste du moment verra souvent d’un mauvais œil, comme une « excuse à la paresse »…

(5) : Gérard Noiriel, historien contemporain anciennement communiste, a consacré de nombreux travaux aux ouvriers en France, comme Les Ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), qui méritent lecture… et critique, parfois !

(6) : Claude Geslin, historien ayant enseigné dans les universités de Bretagne, a publié en 1990 (et réédité en 2014 aux Presses Universitaires de Rennes) un ouvrage (devenu un classique incontournable) à l’histoire du syndicalisme ouvrier en Bretagne, qui est aussi une mine de renseignements sur les conditions de travail et de vie des ouvriers des XIXe et XXe siècles.

(7) : « La condition ouvrière », de Simone Weil, ouvrage composé après sa mort et regroupant les articles et les notes de la philosophe, jusqu’alors seulement publiés à l’origine dans des revues d’extrême-gauche, cette même mouvance politique l’ignorant largement désormais à cause de ses évolutions et engagements ultérieurs…

(8) : La Royale est l’hymne de l’Action française, et elle dénonce le côté antisocial de la République et rappelle le rôle de l’Etat royal dans la protection des classes ouvrières, dans son deuxième couplet… « Tu n’étais pas un prolétaire, libre artisan des métiers de jadis. A l’atelier comme à la terre, le Roi seul fort protégeait les petits. Abandonné, l’ouvrier peine, esclave hier, forçat demain, entre les dictateurs de haine et ceux du capital sans frein ».




Vers une politique océanique française ?

L’Océan a, le 8 juin, sa journée mondiale parrainée par l’ONU et, du 27 juin au 1er juillet, s’est tenu à Lisbonne un sommet de la même institution sur ce thème majeur pour l’avenir de la planète. A cette occasion, comme le rapporte Le Figaro dans son édition du samedi 2 juillet, a été rappelé l’objectif d’un « océan durable », ce qui, en creux, signifie qu’il est désormais menacé de disparaître en tant qu’espace de vie et de biodiversité, mais aussi qu’il est un enjeu entre puissances (n’est-ce pas le cas depuis l’Antiquité et la naissance de la thalassocratie athénienne ?) et que ses richesses connues et inconnues risquent bien de faire son malheur et celui des générations à venir. La France n’était pas absente de cette conférence internationale et le président lui-même est venu y porter la parole officielle de la nation française le jeudi 1er juillet, dans une certaine indifférence médiatique et démocratique, malheureusement révélatrice du peu d’importance des questions environnementales pour les opinions publiques composées avant tout de « consommateurs » plus encore que de citoyens ou d’électeurs. Et pourtant ! La France détient la deuxième superficie maritime du monde grâce à sa Zone économique exclusive (ZEE) qui couvre plus de 11 millions de kilomètres carrés de mer et qui permet à notre pays de pouvoir peser sur les négociations concernant l’avenir de l’océan : la création d’un ministère de la Mer en 1981, au début du règne présidentiel de François Mitterrand, n’a malheureusement pas été suivie d’une grande politique de la mer digne de ce nom que notre histoire et notre destin appellent pourtant aussi bien naturellement que politiquement. Que le député costarmoricain Hervé Berville, titré ce lundi 4 juillet 2022 secrétaire d’Etat à la Mer, soit placé sous la tutelle directe du Premier ministre, est-il une bonne nouvelle ou la marque d’une absence d’ambition ? Les prochains mois nous le diront. Ce qui est certain, c’est que la mer va devenir, dans les années suivantes, un des champs de bataille majeurs des relations internationales (et pas seulement entre les Etats-Unis et la Chine…) et de la préservation de la planète : le méconnaître serait laisser à d’autres le soin de dominer, voire de s’approprier ce qui est vital pour l’avenir de notre pays et, bien au-delà, de la Terre toute entière.

Les tensions actuelles sur les ressources énergétiques pourraient entraîner une surexploitation de l’océan, ne serait-ce que parce que les fonds marins sont riches de minerais (les fameuses « terres rares » nécessaires à la transition énergétique vers le « tout-électrique » promu par l’Union européenne et l’Occident en général) et d’hydrocarbures. Or, cela n’est pas vraiment souhaitable : l’épuisement des ressources de la planète, leur exploitation démesurée (aussi polluante à l’extraction qu’à la consommation), le système « consommatoire » dans lequel elle s’inscrit, etc., menacent, à terme (et parfois plus court qu’il n’est possible de l’imaginer), les équilibres marins comme la qualité de vie sur la planète. Le Chef de l’Etat français en est-il conscient ? A le lire, ce n’est pas impossible mais sa versatilité symbolisée par le « en même temps » (formule qui reflète plus l’instabilité que la nuance ou la conciliation, quand il faudrait à la magistrature suprême de l’Etat le sens de la décision et la continuité de l’action…) peut aussi faire craindre l’impuissance. Pourtant, ce qu’il a affirmé à Lisbonne l’autre jeudi n’est ni anodin ni infondé : lorsqu’il demande « d’élaborer un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer et de ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger des écosystèmes (marins) », il a effectivement raison et ses propos doivent être entendus et défendus.

Mais, de la posture et des paroles faciles aux réalités concrètes, il y a parfois un large fossé, et l’article du Figaro évoque les prochaines échéances des négociations océaniques sans marquer trop d’illusion sur l’attitude possible de M. Macron : « Matthew Gianni, cofondateur de la coalition pour la haute mer, souligne que l’annonce d’Emmanuel Macron est « majeure ». Mais, « il faudra le prouver par des actes, dès la prochaine réunion du conseil de l’Autorité internationale des fonds marins qui débute le 18 juillet. Que dira la France à propos du projet de réglementation de l’exploration et de l’exploitation des fonds marins qui doit y être examinée ? » ». Une remarque, à cet égard : dans l’histoire humaine contemporaine, l’exploration n’est jamais l’assouvissement d’une simple curiosité mais le prélude à une nouvelle exploitation, et c’est particulièrement vrai dans le cadre des ressources minières et énergétiques, d’autant plus aujourd’hui en cette période de confrontation entre l’Occident et les nouvelles puissances émergées (ou ré-émergentes, dans le cas de la Russie) et du fait de l’impossibilité constatée de rompre, dans nos sociétés de consommations, avec l’inextinguible soif de « nos désirs consommatoires »… La difficulté à évoquer la simple « sobriété » parmi nos contemporains n’est pas rassurante pour la suite !

Le 18 juillet sera, en somme, l’épreuve de vérité pour les intentions proclamées de M. Macron dont on sait désormais qu’elles n’engagent que ceux qui y croient, selon le mot malin de feu Charles Pasqua. S’il s’en tient à son discours du 1er juillet, il se heurtera évidemment aux pays attachés au projet de réglementation qui n’est nullement un projet d’interdiction et à peine de modération ! « Si ce texte passait, il autoriserait de facto l’exploitation des nodules métalliques contenant les terres rares tant recherchées par les industriels. La France pourrait-elle conduire des négociations diplomatiques, avec l’Australie par exemple, afin d’empêcher son adoption ? » Là encore se pose la question de la puissance française et de sa capacité à peser dans des négociations : les bonnes intentions ne suffisent pas, il y faut le poids ! Le conseil de Maurras, « faire de la force », est alors plus que jamais d’actualité… Mais cela nécessite une véritable volonté politique : une stratégie d’ensemble ambitieuse qui reposerait sur le renforcement de nos capacités navales, sur la Recherche & Développement dans le secteur énergétique et maritime (entre autres), sur des investissements ciblés et massifs sans être inutilement dispendieux, etc.

M. Berville sera-t-il le Sartine dont la France a besoin en ce domaine ? Le temps lui sera-t-il donné de mener une véritable politique française de la Mer, mais la magistrature suprême de l’Etat sera-t-elle à la hauteur de l’enjeu océanique français et international ? J’ai comme un doute… Pour qu’il y ait un Sartine comme pour qu’il y ait un Colbert ou un Vergennes, il faut bien qu’il y ait… un roi !

Jean-Philippe Chauvin

Sortir de la monocratie républicaine par la Monarchie fédérative.

Le président M. Macron est-il en difficulté ? La perte de sa majorité absolue à l’Assemblée nationale et la multiplicité des oppositions auxquelles il doit faire face au lendemain de sa victoire présidentielle et de l’échec de ses troupes aux législatives pourraient le laisser entendre, mais il semble n’y prêter qu’une attention réduite, préférant se concentrer sur les questions internationales et européennes, et distillant quelques notes de politique intérieure entre deux avions… Contrairement à ce que certains pourraient penser, rien de très régalien dans cette attitude, qui semble plutôt d’éloignement que d’écoute et de proximité à l’égard du pays réel qui a, pour une part, usé de son bulletin de vote comme d’un pavé dans la vitrine présidentielle : l’éviction de quelques « poids lourds » de la République macronienne tels MM. Blanquer, Ferrand, Castaner, ainsi que Mmes de Montchalin et Bourguignon, a réjoui nombre d’électeurs frustrés de ne pas avoir été entendus durant le quinquennat précédent. A défaut de pouvoir directement évincer le président (réélu par rejet plutôt que sur projet quelques semaines auparavant), l’élimination des caciques du champ parlementaire du pays légal prive le président de quelques uns de ses fidèles sans, malheureusement, remettre en cause l’ordre général du système de la République macronienne : la forte personnalisation de la République actuelle en a fait une monocratie incarnée en « un seul », le président Macron et, tant qu’il est en place, la monocratie demeure, quels que soient les chocs et les défaites politiques qu’il puisse subir.



Dans le même temps, l’absence d’une majorité claire à l’Assemblée nationale et les jeux d’appareil, en particulier autour des alliances possibles et des postes à pourvoir, rappellent (sans en avoir, pour l’heure, les mêmes effets délétères) les us et coutumes de la Troisième et de la Quatrième Républiques, celles-là mêmes dont M. Mélenchon, dans son aveuglement idéologique (ou sa « mauvaise foi » ?) souhaite rétablir le parlementarisme partisan qui a, pourtant, fait tant de mal à la France et à l’efficacité de l’État dans le passé. Pour autant, certains peuvent y voir un moyen de sortir de la monocratie et de rétablir une activité démocratique plus attractive et motivante pour les citoyens : n’est-ce pas la meilleure façon de faire reculer l’abstention, pourraient-ils arguer de bonne foi ? Mais ce n’est sans doute qu’une illusion, et il me semble nécessaire de sortir de la fausse alternative « Monocratie ou parlementarisme », non pour les rejeter dans leur entièreté mais pour les ordonner et les concilier, dans leurs aspects utiles, voire nécessaires, en en défalquant les nuisances et les erreurs fondamentales. Ni monocratie, ni parlementarisme, mais Monarchie et Parlements, comme fondations politiques, pourrait-on dire succinctement : encore faut-il en préciser le sens et la portée…



La Monarchie royale que je souhaite et pour laquelle je milite, n’est pas qu’un intermède entre deux élections, qu’elles soient présidentielles ou législatives (ou les deux à la fois…), elle s’enracine dans une histoire et un temps long dont la dynastie représente le tronc et les racines parfois tourmentées… Contrairement à la monocratie macronienne, elle n’est pas le « Pouvoir-Tout » mais le Pouvoir central, axe des autres pouvoirs nationaux, de l’Assemblée nationale et du Sénat, et des pouvoirs provinciaux, communaux et socio-professionnels. Ce que je nomme « les parlements », ce sont tous les conseils, assemblées, chambres des métiers, etc. qui innerve le pays dans toutes ses particularités et tous ses aspects politiques et sociaux : en somme, les « républiques françaises », au sens traditionnel du terme, et non idéologique ou républicaniste. Dans ce cadre général et « fédératif », l’exercice démocratique (le terme civique serait d’ailleurs plus approprié…) aurait plus de sens et de portée, grâce à une subsidiarité garantie par la Monarchie royale et fédérative, centrale et arbitrale, et non omniprésente et oppressante comme l’actuelle République monocratique… Car, si l’on veut rendre aux Français le goût de la politique au sens le plus positif et actif du terme sans qu’il soit la simple expression d’un individualisme de masse, c’est par la remise en ordre d’institutions locales dans lesquelles le citoyen ne soit pas qu’un pion, mais un acteur et un animateur : en somme, de nouvelles agoras ou, mieux, de nouvelles « ecclésias » (au sens athénien du terme) appliquées aux décisions communales, provinciales ou socio-professionnelles (corporatives, en somme) par le biais de référendums locaux et, pourquoi pas, d’initiative citoyenne, comme cela avait été réclamé il y a quelques années par des Gilets jaunes alors peu écoutés par la monocratie macronienne.



Bien sûr, il est encore hasardeux de décrire précisément les institutions locales qui seront mises ainsi en place car, au-delà du cadre général évoqué ci-dessus, chaque territoire provincial et communal s’organisera lui-même, avec la garantie de l’État et dans l’unité française, mais sans être forcément la copie du voisin, dans une pluralité peut-être audacieuse mais qui devra être tentée, sans que cela n’empêche les évolutions et les corrections. Une France nouvelle ? Pourquoi pas, mais la condition de son advenue est, encore et toujours, la clé de voûte royale… Sans elle, rien ne tient, rien de durable ne peut se faire

Jean-Philippe Chauvin





Contre la Sixième République, pour la Nouvelle Monarchie !

Certains républicains extrêmes veulent une Sixième République, pâle resucée de la Troisième et de la Quatrième, celles qui ont laissé un si mauvais souvenir au pays dans son histoire.

Mais, nous y sommes, en fait, et cela depuis dimanche soir : chambre introuvable, République ingouvernable, jeux des partis qui reprennent le pouvoir, un « pays légal » éclaté mais bien décidé à imposer son règne quand 54 % des électeurs ne sont pourtant pas allés voter !! C’est le retour du règne des partis auquel la Cinquième était censée mettre un terme définitif

Alors, nous, Royalistes, affirmons haut et fort notre refus de ce retour en arrière et nous prônons une Nouvelle Monarchie royale, qui rende aux Français libertés et pouvoirs au sein des cadres provinciaux et communaux, socio-professionnels et corporatifs, etc., par le biais de « votations » locales et corporatives entre autres.

Cette Nouvelle Monarchie, qui sera « active », arbitrale et fédérale, est le meilleur remède aux blocages de la République, Cinquième ou Sixième…

Echec de la République macronienne…

Le temps des urnes est fini, après une année de double campagne électorale. Dimanche 19 juin, les électeurs ont jeté un pavé dans la mare et ont signifié leur défiance à l’égard du président qu’ils avaient pourtant reconduit quelques semaines auparavant…

La France est-elle ingouvernable ? Pour diriger la France, il faut un Chef d’Etat, c’est-à-dire un Chef et un Etat : la République, aujourd’hui, désarme l’Etat et apparaît comme une monocratie piégée par un « pays légal » qu’elle croyait acquise ou domptée. Le vote de ce dimanche n’est-il pas, en filigrane, la revanche du « pays réel » (surtout au-delà des métropoles, qui se partagent encore entre Nupes et Ensemble (sic), anciennement LREM), un pays réel tant méprisé ces dernières années par les classes dominantes de la métropolisation élitaire ? En ce sens, l’élimination de MM. Castaner, symbole de la répression contre les Gilets jaunes et de la montée de l’insécurité en France, et Ferrand est un signal fort et bienvenu !!

Mais, cela peut-il déboucher sur un véritable changement bienheureux pour la France et les Français ? Il est permis d’en douter car la République ne se remet en cause que par de nouveaux numéros et non par une réflexion véritable sur ce que devrait être le Bien commun, le bien de la nation et celui des générations présentes et à venir.

Sans doute est-il temps, enfin, de reposer la question des institutions dans notre pays : la République ne parvient pas à sortir de ses contradictions et de ses tensions, et ce n’est ni une Sixième ni une Dixième qui changeront les choses.

Alors, oui : « osons le Roi ! ». Non par idéologie, mais par raison et sentiments : un Etat enraciné dans la durée à travers une Famille royale peut assurer la continuité de la magistrature suprême sans rien devoir à une féodalité financière ou partisane quand l’Assemblée nationale sera, elle, divisée et le gouvernement, parfois, empêché… La Monarchie royale n’est pas un « sceptre magique » mais un Etat médiateur qui pourra, sinon réconcilier tout le monde, au moins concilier les uns et les autres au sein d’instances de débat institutionnalisées et autour de quelques grands projets fédérateurs, et en appeler à d’autres modes de représentation politique, par des conseils locaux et des initiatives d’autant plus proches des gens que la France sera « fédéralisée » sans être uniformisée ou hypercentralisée comme c’est le cas aujourd’hui.

C’est le moment de le dire, c’est le moment de le faire savoir !