La glorieuse révolution vue par un Britannique

Monsieur Lewis Russel est un ancien éditorialiste du Daily Mail et du Daily Telegraph. Il a publié dans le Wall Street Journal Europe, à l’occasion de la fête nationale, ses réflexions sur la révolution.

En voici quelques bons extraits.

fraternitéLes français ont célébré dimanche (2002) le 213ème anniversaire de ce fameux jour de 1789 où le peuple de Paris s’est emparé de la Bastille. La prise de la prison royale symbolise le début de la révolution française. Elle est aujourd’hui considérée comme « une bonne chose ». La tyrannie féodale fut renversée et ce fut le début de la démocratie moderne. Pourtant, ce n’est pas ce que disent les faits. La révolution et les guerres napoléoniennes qui suivirent ont affaibli la France à un point tel que le pays n’a jamais retrouvé la prédominance qui fut la sienne en Europe sous la royauté. (…)

Il peut sembler étrange de dire que la France s’est engagée sur la voie du déclin alors même qu’elle se trouvait à la veille de ses plus grands succès militaires. Certes, Napoléon Bonaparte remporta de nombreuses victoires, mais il finit par perdre la guerre et le prix payé par le pays fut exorbitant. Dans la période qui comprend la révolution, la guerre civile et l’Empire, deux millions de français furent tués, en majorité des hommes jeunes. Presque autant qu’au cours des guerres mondiales, mais, à l’époque, la population était bien moins nombreuse.

L’adoption de la loi sur l’égalité successorale, consolidée dans le Code Napoléon, eut un effet encore plus désastreux : les paysans eurent moins d’enfants, pour éviter d’avoir à partager leurs terres. La France, qui avait été la nation la plus peuplée d’Europe, hormis la Russie, perdit la course démographique qui accompagna la révolution industrielle. A la fin du siècle, elle se retrouva loin derrière l’Allemagne, de taille équivalente. Les pertes de la France se mesurent également en termes de territoire. L’Empire français, florissant à une époque, perdit la Louisiane, qui était la dernière possession du pays en Amérique du Nord et représente aujourd’hui un gros morceau du Midwest américain.

Sans culotte 9Napoléon la vendit au président Thomas Jefferson (en 1803). Pendant ce temps, la Grande Bretagne, l’ennemie jurée de la France, se relevait de la perte de ses colonies américaines en 1776 et posait les fondations d’un empire voué à devenir le plus grand de l’histoire du monde. Les dégâts économiques que connut la France pendant la révolution et la période qui suivit furent irréparables. On pourrait croire que l’acquisition de terres par les paysans était une bonne chose, mais, comme ils n’avaient ni les outils ni le capital pour se développer, l’agriculture française n’évolua pas. Pendant ce temps, les propriétaires terriens britanniques menaient à bien une révolution agricole qui apporta les capitaux nécessaires à la croissance dans le reste de l’économie.
La France rata aussi le coche de la révolution industrielle. Certains historiens pensent qu’avant 1789 l’industrie française se développait plus vite que celle de la Grande-Bretagne. Le prix de la fièvre révolutionnaire, de l’effondrement de la monnaie et de la guerre fut si élevé qu’il fallut vingt ans aux manufactures pour retrouver leurs taux de production de 1789. L’industrie britannique, elle, connut une croissance de 23% entre 1800 et 1810 et de 39% entre 1810 et 1820. Il est notoire que Napoléon méprisait l’Angleterre, qu’il considérait comme une nation de commerçants. Le mépris pour les activités commerciales des meneurs révolutionnaires qui le précédèrent fut encore plus virulent.
Ceux-ci envoyèrent d’ailleurs à la guillotine bien plus de négociants que d’aristocrates (…) Le blocus (de plusieurs ports européens, dont celui de Cadix, qui entraîna la bataille de Trafalgar) mené par l’amiral Nelson ruina les ports français et fit sombrer le commerce du pays, qui dut attendre 1825 pour retrouver son niveau de 1789. Les pertes de la France firent le profit de la Grande-Bretagne.

En 1815, 90% des navires marchands de la planète battaient le pavillon rouge britannique, et la Grande-Bretagne avait établi des bases navales partout dans le monde. Le même constat s’applique à l’intérieur du pays. En 1789, la France possédait le meilleur réseau routier du monde. En 1815, le nouveau roi, Louis XVIII, pleura en voyant l’état dans lequel se trouvaient les routes de son royaume. Pendant ce temps, la Grande-Bretagne avait créé un magnifique réseau de routes à péage et un système de transport en diligence.

Certes, beaucoup continueront malgré tout à défendre la thèse que la révolution française a indiqué le chemin de la liberté aux peuples du monde entier et leur a montré comment briser les chaînes de la superstition et de l’oppression féodale. Or il s’agit là d’une interprétation erronée de l’Histoire. Les figures de proue de la révolution étaient aussi hostiles à la liberté d’opinion que les talibans. Lavoisiers, le brillant chimiste qui avait découvert la composition de l’air et le rôle de l’oxygène, fut condamné à mort par un tribunal révolutionnaire (en tant que fermier général sous la royauté). Lorsqu’il demanda un report de son exécution pour avoir le temps de terminer des expériences importantes, le président du tribunal refusa avec une sentence digne du mollah Omar : « La république n’a pas besoin de savants. » Dans le domaine politique, la principale création de la révolution fut un régime encore plus absolutiste que celui de Louis XIV : certes, les paysans furent libérés du poids des droits féodaux et des dîmes, et nombre d’entre eux devinrent propriétaires de leurs terres. Mais ils perdirent par la même occasion les droits de glaner dans les champs après la récolte.

Les paysans les plus riches et les spéculateurs en sortirent gagnants, et les plus pauvres encore plus pauvres qu’avant. Bien entendu, toutes les classes étaient égales devant l’appel aux armes et devant la guerre. Cette sujétion fut bien plus tyrannique que n’importe laquelle de celles qu’avait pu imposer cet Ancien Régime que l’on calomniait tant. De nombreuses autres nations l’adoptèrent, ce qui accéléra la marche vers la guerre totale. Pourtant, le legs le plus néfaste de la révolution française réside ailleurs. C’est l’idée que le recours à la violence est le meilleur moyen de résoudre les difficultés politiques et, dans ses pires implications, la doctrine selon laquelle une élite juste ou éclairée a le droit – pour le bien du peuple, bien entendu – d’imposer ses vues par la terreur. Un legs que nous regrettons tous encore aujourd’hui.

Lewis Russel

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