Agriculture & terroirs

La Tour du Pin… contre le traité Mercosur !

En relisant les textes du marquis René de La Tour du Pin (véritable théoricien du royalisme social et du corporatisme français) décédé il y a tout juste cent ans, le 4 décembre 1924, quelques lignes me sautent aux yeux, et me paraissent d’une grande actualité en ces temps de débats sur les traités de libre-échange dont celui avec le Mercosur n’est que le dernier exemple en date. Après avoir évoqué la nature du contrat de travail en France et ce qu’il pourrait (et devrait) être, La Tour du Pin souligne, à raison, que « les traités internationaux doivent être conclus, non pas dans l’intérêt du fisc, ni même dans celui du consommateur, mais avant tout en vue de la protection morale et matérielle que le travailleur doit rencontrer dans l’Etat chrétien » (1). Au-delà du temps, cette phrase écrite en 1882 n’a rien perdu de sa valeur, et il n’est pas inutile de la rappeler, mais aussi d’en montrer, en quelques lignes, le sens et la portée, tout en la contextualisant et, pourquoi pas, en la réactualisant.

Dans sa pensée, qui est profondément enracinée dans une foi catholique très vive, La Tour du Pin place l’homme-producteur, l’homme créateur de richesses, maître de sa production sans en être forcément le destinataire, avant celui qui doit en profiter par l’achat et l’usage, l’homme-consommateur : c’est, aujourd’hui, l’exact inverse dans notre société de consommation qui privilégie la consommation au détriment des conditions de travail et de vie du producteur lui-même, mais aussi au dépens de la nature, des ressources d’icelle, qu’elles soient souterraines et extraites du sous-sol ou de surface et récoltées, récupérées ou prélevées. Dans ce système dans lequel il s’agit de « consommer pour produire » et de « faire consommer pour produire », le producteur de base est trop souvent négligé, voire largement exploité et considéré, dans les temps de crise de consommation, comme une variable d’ajustement susceptible d’être éjecté socialement du système et de la possibilité d’être à son tour et en rétribution de sa peine, un consommateur…

Dans la logique contemporaine du libre-échange, s’applique le terrible principe de la « liberté du travail » qui, l’histoire et la philosophie économiques le rappellent à l’envi, n’est nullement la liberté des travailleurs ni la qualité du travail elle-même, mais la liberté du capital qui s’impose au travail et aux travailleurs, en salariant ces derniers selon les nécessités des propriétaires de capitaux et selon les revenus qu’ils espèrent en tirer, dans une logique de profit qui, parfois, ne tourne qu’au désir d’une profitabilité toujours plus grande, voire démesurée au regard des conditions de travail et de salaire imposées aux travailleurs, parfois très éloignés du marché final de consommation, dans le grand et terrible jeu de la mondialisation. C’est vrai dans le monde de l’industrie, ça l’est aussi dans celui de l’agriculture désormais intégrée quasi-totalement (en particulièrement dans les pays développés, du Nord comme du Sud) à la globalisation commerciale, au risque de favoriser les grandes féodalités de l’agroalimentaire et d’étouffer les petits et moyens producteurs, cultivateurs comme éleveurs.

Or, les grandes puissances économiques étatiques (2), souvent de moins en moins politiques et de plus en plus gestionnaires, s’abandonnent aux facilités de la fiscalité comme une excuse à leur propre impuissance face aux acteurs dominants de la mondialisation, et elles espèrent ainsi donner l’illusion de la maîtrise d’un système que, généralement, elles ne contrôlent plus. En fait, ce constat est surtout vrai dans les Etats les plus anciennement industrialisés et démocratiques (à des degrés divers, selon les histoires particulières des Etats et de leur entrée dans la modernité consommatoire) et la France, qui longtemps resta fidèle à cette double idée que sa politique ne se faisait pas à la Corbeille (3) et que « l’intendance suivra » (4), paraît désormais moins assurée sur cette logique pourtant nécessaire : le fait d’avoir déléguée une part de sa souveraineté à des institutions monétaires européennes et de se retrouver apparemment incapable de préserver son pré carré législatif et éco-diplomatique à cause de ses engagements « européens », contredit la citation de La Tour du Pin, sans l’invalider dans sa nécessité, bien au contraire !

Le traité Mercosur, qui risque bien d’être imposé par l’Union européenne à la France d’ici peu, et cela malgré le refus affiché du président de la République et des parlementaires français il y a quelques jours encore, en est la triste démonstration : ce traité de libre-échange, qui n’est ni écologique ni social (5), est souvent vanté par ses promoteurs comme le meilleur moyen de faire des affaires pour les consommateurs européens mais aussi sud-américains, quand la question du sort des producteurs de base (¬6) est trop souvent éludée, voire évacuée. L’on sait pourtant que ce traité se traduira aussi par des désespérances paysannes et par des dévastations écologiques, au nom d’un Développement qui ne peut être durable, et cela par essence même…

Face à cela, il ne nous est pas possible d’être indifférents ou neutres, et nos prédécesseurs nous donnent quelques clés d’explication et nous fixent quelques devoirs militants. La Tour du Pin, dont il paraît tout à fait utile de relire les principaux textes regroupés dans quelques ouvrages dont le fameux « Vers un ordre social chrétien », souvent évoqué par son sous-titre « Jalons de route », s’inscrit dans cette logique que l’Eglise rappellera à sa suite dans l’encyclique Rerum Novarum de 1891 et qui veut que le travail assure au travailleur le pain quotidien (et un peu plus même) pour toute la famille, et qu’il ne doit pas être source de malheur et d’exploitation mais d’accomplissement… Est-ce choquant de vouloir ce qui semble de bon aloi et de bonne justice, éminemment sociale ? Dans un monde capitaliste qui, comme le souligne aussi La Tour du Pin, semble être, avant tout, « la souveraineté de l’argent », le combat pour une bonne pratique de la justice sociale n’est pas un « divertissement d’activiste », il est la condition même d’une vie sociale équilibrée. La Tour du Pin, en catholique conséquent, évoque l’Etat chrétien protecteur du travailleur : au regard de l’histoire de la France, cet Etat ne peut être que royal. Et il n’est obligatoire d’être soi-même chrétien pour le reconnaître et l’approuver : le souci politique de la justice sociale suffit à conclure de la même manière pour une Monarchie royale éminemment sociale, non par conjoncture mais par nature

Jean-Philippe Chauvin






Notes : (1) : Extraits de « Vers un Ordre social chrétien ; Jalons de route, 1882-1907 », Marquis de La-Tour-du-Pin La Charce, édité à la Nouvelle Librairie Nationale, 1907.

(2) : Je précise étatiques, car désormais les grandes puissances économiques sont, surtout, des FCT (Firmes Capitalistiques Transnationales), peu enclines à se soumettre (sauf honorables exceptions) aux Etats eux-mêmes et à leurs règles sociales : nous voici revenus au temps des grands féodaux qui s’émancipent des nécessaires devoirs sociaux qui, normalement, incombent aux puissants envers les moins aisés ou les plus fragiles, et, au-delà, envers le bien commun…

(3) : Le surnom de la Bourse, dans des temps pas si anciens que cela…

(4) : Selon la fameuse formule attribuée au général de Gaulle qui, en lecteur ancien de Maurras et en conformité avec la tradition capétienne – au moins sur ce plan… – considérait que le bon usage du « politique d’abord » était le meilleur moyen d’assumer et d’assurer les charges et devoirs de l’Etat et la protection de la nation et de ses citoyens, et de faire « de bonnes finances »…

(5) : Ce n’est d’ailleurs pas la motivation ni le but d’un tel accord…

(6) : Je ne parle donc pas des grandes sociétés soucieuses de s’ouvrir de nouveaux marchés à moindres frais, au bénéfice de leurs propriétaires comme de leurs actionnaires, mais bien plutôt des petits et moyens agriculteurs, qu’ils soient français, européens ou, de l’autre côté de l’Atlantique, brésiliens ou uruguayens, qui risquent de faire les frais de ces échanges inégaux et, finalement, économiquement comme socialement injustes.



Le traité Mercosur, nous n’en voulons pas !

La reprise de la contestation agricole ces derniers jours n’est pas vraiment une surprise : les promesses faites aux agriculteurs l’hiver dernier sont largement restées lettre morte, d’autant plus depuis la dissolution hâtive et désordonnée de l’assemblée nationale en juin dernier par le président de la République ! La résistance de la France face à la perspective de la signature du traité dit du Mercosur par l’Union européenne est-elle suffisante pour amoindrir la colère paysanne ? Il semble bien que cela ne puisse plus suffire car la Commission européenne et l’Allemagne (entre autres) sont bien décidées à ne pas tenir compte de la position française sur ce plan-là comme sur beaucoup d’autres ces dernières années : que fera la République française si, d’aventure, le traité est signé ces heures prochaines ? S’inclinera-t-elle (ou, plutôt, s’humiliera-t-elle…) pour respecter les règles d’une Union européenne qu’elle entend ne pas remettre en cause quoiqu’il advienne ? Sacrifiera-t-elle ainsi une grande partie de nos éleveurs (entre autres) auxquels cette même Union impose des règles et des normes qui, pour ne pas être toutes inutiles, sont le plus souvent comminatoires et fort peu appropriées aux enjeux du moment, particulièrement sociaux et, ici, ruraux et agricoles ?

Ce projet d’accord avec les pays d’Amérique du Sud révèle à l’envi toute l’hypocrisie d’une Union qui se veut écologiquement irréprochable chez elle (ce qui peut prêter à sourire, en fait) mais accepte toutes les dérives loin du continent européen, comme si l’éloignement garantissait l’impunité aux destructeurs de la forêt amazonienne et de la savane du Cerrado : en somme, l’Union européenne délocalise les productions agricoles de son propre continent après avoir laissé les grandes entreprises délocaliser notre industrie depuis plus de quarante ans, avec les conséquences économiquement et socialement désastreuses que l’on connaît… L’environnement des pays sud-américains et les emplois des agricultures européennes seront les principales victimes de cet accord « bœuf brésilien contre voitures allemandes », mais qu’importe aux idéologues de la mondialisation libérale qui ne jurent que par le libre-échange et en oublient les producteurs de base !

Il est pourtant bien possible que nous arrivions à la fin d’un cycle, et que le temps du libre-échange incontesté soit en passe d’être révolu : le durcissement probable de la politique d’extrême protectionnisme des Etats-Unis dans les mois prochains et la prise de conscience de nombre d’Etats qu’un protectionnisme raisonnable est d’abord préservateur de leurs propres intérêts et qu’il tend aussi à diminuer les effets d’une circulation trop intensive (et fortement carbonée…) des produits autour de la planète, sont autant de signes annonciateurs de cette dévaluation dans les esprits de la logique (et de la pratique ?) de la mondialisation sans entrave. L’empressement allemand à signer le traité avec le Mercosur se conjugue désormais avec la peur de la désindustrialisation Outre-Rhin, ce processus qui a commencé tranquillement en 2016 sans, alors, alerter la chancelière Merkel ni les acteurs publics allemands persuadés de l’éternité de l’industrie triomphante allemande.

Les agriculteurs français ne doivent pas faire les frais de l’aveuglement des élites mondialisées qui siègent à Bruxelles ou à Francfort, ni de la faiblesse et de la bêtise d’une République française qui a, depuis plus de quarante ans, si systématiquement désarmé industriellement et productivement le pays, au risque d’une dévitalisation économique et d’une explosion de l’endettement (public comme privé) français. « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », affirmait crânement le baron Louis au pouvoir royal en 1830 : sa formule devrait inspirer tous ceux qui se targuent aujourd’hui de se mêler de politique et des affaires de l’Etat : cela leur éviterait quelques errements…






Le traité Mercosur contre l’agriculture française.

L’agriculture française sera-t-elle sacrifiée au libre-échange par la Commission européenne ? Après vingt ans de négociations, la possibilité d’un accord de l’Union européenne avec les quatre pays d’Amérique du Sud qui constituent le Mercosur (1), se précise, au grand dam des agriculteurs de notre pays qui s’en alarment et contre l’avis de la France qui s’y oppose toujours, pour des raisons à la fois sociales et environnementales. Mais la présidente de le Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, et la plupart des Etats européens souhaitent accélérer le processus d’accord, pour l’annoncer officiellement lors du prochain sommet du G20 qui se tiendra les 18 et 19 novembre au… Brésil ! Dans certains journaux libéraux, la position française est fustigée et les inquiétudes balayées d’un revers de la main, avec un dédain fort peu aimable pour ces « sceptiques » qui remettent en cause les « bienfaits » du libre-échange qui, pourtant, mérite au moins une remise en cause avant une remise en ordre des relations commerciales internationales et de leurs aspects, aussi bien sociaux qu’environnementaux. Mais, aussi surprenant que cela puisse être, il est possible d’y trouver quelques articles moins laudateurs de ce fameux traité Mercosur, comme dans L’Opinion (2), sous un titre évocateur : « L’agriculture européenne face à un rouleau compresseur ». Il faudrait le citer en entier, tant il décrypte les pièges de l’accord et en prévient des conséquences probables, mais je n’en retiendrai ici que quelques éléments, significatifs et révélateurs (3).

Les seuls intertitres, en eux-mêmes, nous signalent quelques unes des particularités négatives du traité annoncé : « Bœuf : le raz-de-marée » ; « Poulet : des antibiotiques dans la recette » ; « Sucre et éthanol : attention, tangage » ; « Maïs : la foire aux pesticides » ; « De rares gagnants »… Rien de très rassurant, n’est-ce pas ? L’introduction de l’article est tout aussi inquiétante : « Un accord « Vaches contre bagnoles » ? « C’est juste », selon Alexandra Kirsch, agro-économiste à la tête du think tank Agriculture stratégies. « En 2020, la balance commerciale de l’Union européenne avec le Mercosur était positive de 25 milliards d’euros pour les services et les biens industriels – les voitures allemandes -… et négatives de 15 milliards sur les produits agricoles. L’accord Mercosur va creuser cet écart. » Ainsi, c’est bien la stratégie industrielle d’une Allemagne en cours de désindustrialisation sur son propre territoire qui semble dominer le débat (et les prises de décision ?) au sein de la Commission : ainsi, au lieu d’être une solidarité constructive comme elle le proclame à longueur de temps (4), l’Union européenne prend ici la forme d’une domination acceptée et assumée de l’un au détriment de l’autre, comme du temps de la ligue de Délos qui, d’alliance des cités grecques, s’est rapidement transformée en dictature d’Athènes sur ses alliés jusqu’à son éclatement et la guerre qui allaient préparer le triomphe futur de Philippe et d’Alexandre de Macédoine… Il n’est donc pas certain que ce modèle soit sain et éternellement durable : sans doute prépare-t-il, même, les conflits et les paralysies de demain, à moins qu’il n’explique, en fait, ceux d’aujourd’hui !

Pourtant, si la Commission européenne et l’Allemagne décidaient de passer outre l’opposition de la France sur ce dossier, le système du vote à la majorité qualifiée que pourrait utiliser Mme von der Leyen leur donnerait sans doute satisfaction, et la France serait, une fois de plus, la dupe de cette manœuvre institutionnellement légale à défaut d’être complètement honnête. Cela ne rendrait que plus impopulaire auprès de l’opinion française cette Union européenne déjà peu appréciée du pays réel, celui du travail et de la proximité : mais les populations aisées et déracinées des métropoles s’en rendent-elles compte, tout à leur idéologie de la mondialisation obligatoire et de l’Europe sans frontières ? La grande fracture entre le pays réel enraciné et le pays légal mondialisé, déjà béante depuis des décennies, risque de s’élargir encore…

Les agriculteurs français alertent l’opinion publique, mais sont-ils écoutés ? Crise après crise, ils sont de moins en moins nombreux, de plus en plus méconnus ou ignorés par des consommateurs qui s’intéressent plus aux prix qu’aux hommes ou à l’écologie et qui veulent qu’ils soient forcément bas, même si, dans ce cas-là et le plus souvent, la qualité n’est pas au rendez-vous. La société de consommation fonctionne ainsi, c’est sa logique même, et il paraît peu probable qu’il soit possible de changer cela de façon significative. Cela explique d’ailleurs que, après une embellie liée au confinement et à une sorte de moment – éphémère – de grâce (les consommateurs semblant retrouver le sens du « bien-manger » autant sur le plan gustatif que sur celui de la santé), les produits issus de l’agriculture biologique sont désormais à nouveau boudés par le grand public, et particulièrement par les plus jeunes, ce qui n’est guère rassurant (5). De plus, la Grande Distribution ne fait pas grand-chose, à part quelques effets d’annonce, pour privilégier les produits français ou locaux, et il suffit de se promener dans les rayons alimentaires des super- ou hyper-marchés pour le constater de visu. Les promotions, et l’écoute des messages publicitaires le confirment tout autant que la promenade dans les centres commerciaux.

L’argument des partisans du traité Mercosur serait que les avantages marchands seraient plus importants que les inconvénients, et qu’il forcerait notre agriculture à devenir « de plus en plus compétitive » : est-il sûr que cette compétition-là soit de bon aloi ? Car nous parlons bien de ce qui doit remplir nos assiettes (entre autres, la question des bio-carburants et celle des nouveaux matériaux végétaux de construction ne devant pas être négligées), ce qui nous incite à réfléchir aussi à la qualité sanitaire des produits agricoles et pas seulement aux quantités produites et vendables. De plus, le souci environnemental doit aussi intervenir dans les choix politiques et économiques agricoles, ainsi que le maintien des écosystèmes historiques et la possibilité d’un redéploiement rural, à mon sens absolument nécessaire, pour les générations françaises présentes et à venir. Or, comme le soulignent Marine Colli (spécialiste des politiques publiques agricoles) et Franck Laborde (agriculteur et président de l’Association générale des producteurs de maïs) dans un récent article publié par le Journal du Dimanche (6), « le différentiel de compétitivité entre l’agro-industrie exportatrice brésilienne et la ferme France ne se joue pas sur quelques normes qu’il s’agirait d’abaisser, mais bien sur une véritable opposition structurelle de modes de production. (…) Les agriculteurs européens ne souhaitent en aucun cas reproduire, sur leur territoire, ce modèle brésilien qui ignore les enjeux environnementaux et sanitaires. » Ce modèle, effectivement, n’est guère plaisant, comme le rappellent les auteurs de l’article : « (…) ces exploitations du Mato Grosso qui cultivent soja et maïs OGM sur des surfaces pouvant atteindre jusqu’à 500 000 hectares – soit la superficie d’un département français ! – là où, plus tôt, se tenait la savane du Cerrado (…). 77,5 % des substances actives utilisées au Brésil et en Argentine sur maïs sont strictement interdites en France (…). Les élevages de volailles brésiliens sont cinquante fois plus grands que nos élevages français (…). Les animaux y sont dopés avec des antibiotiques utilisés comme accélérateurs de croissance. » Un modèle à ne surtout pas imiter, au moment où les abus du productivisme agricole contemporain montrent leurs terribles conséquences en France avec des sols tellement dégradés que beaucoup ne peuvent plus produire sans l’apport de produits chimiques et que les grands élevages sont régulièrement frappés par des pandémies redoutables qui entraînent l’holocauste de basses-cours et de troupeaux entiers ! Alors que la France sort peu à peu de ce modèle mortifère, il serait tout de même sacrément paradoxal et scandaleux que le traité Mercosur permette aux grosses sociétés agro-industrielles sud-américaines d’écouler leurs productions issues de la destruction des écosystèmes naturels et paysans locaux !

« Face à la menace du Mercosur, c’est bien la survie de nos exploitations et de notre agriculture qui est en jeu » : il faut donc souhaiter que l’Etat français ne cède pas aux pressions « européennes » et libre-échangistes… Mais, Etat faible face aux féodalités financières et économiques, encore affaibli par une situation politique chaotique depuis la dissolution de juin dernier, la République saura-t-elle résister ? La réponse n’est pas certaine…


Jean-Philippe Chauvin





Notes : (1) : Le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay.

(2) : L’Opinion, 23 octobre 2024, sous la plume d’Emmanuelle Ducros.

(3) : Il est possible que d’autres extraits en soient présentés ici au fil de l’actualité des prochaines semaines…

(4) : Proclamation n’est pas forcément raison, ni action…

(5) : La vague Greta Thunberg des années 2018-2019 avait quelque peu atteint une petite frange, très médiatisée, des jeunesses occidentales, et j’en avais vu quelques effets bénéfiques (car il y en a eu !) dans certaines classes de mon lycée versaillais : une plus grande attention portée par les élèves aux questions environnementales (au-delà même de la problématique climatique) ; un certain engagement pour consommer moins et mieux ; une orientation vers une alimentation plus saine, plus naturelle, plus biologique. Tout cela n’a duré qu’un temps très court – une année, tout au plus – et les anciennes habitudes de gaspillage et de malbouffe ont ensuite vite repris le dessus… On peut sincèrement le regretter !

(6) : Le Journal du Dimanche, 3 novembre 2024.


La crise céréalière française : quels risques ?

Depuis la naissance de l’agriculture, les céréales ont toujours été à la base de l’alimentation et des échanges commerciaux entre nations, et la France, bien servie par ses milieux naturels, est, de longue date, une puissance céréalière de premier plan. Or, cette situation privilégiée est en train de disparaître peu à peu, et sans doute plus rapidement même que ce que l’on craignait il y a quelques années encore : ainsi, la production de blé, emblématique de notre agriculture et à la base de notre modèle alimentaire fondé sur le pain, est cette année en chute libre : environ 26 millions de tonnes pour le blé tendre, soit un quart de moins que la production moyenne de la période 2019-2023. C’est la plus mauvaise récolte depuis une quarantaine d’années ! Comble de malchance, comme le souligne Jean-Pierre Robin (1), « la contreperformance française est cette année totalement à contrecourant du marché mondial. Les Etats-Unis et la Russie, les deux plus gros exportateurs de la planète, ont enregistré d’excellentes récoltes, avec pour conséquences un effondrement des cours. La céréale du pain, qui se négociait plus de 400 euros la tonne sur les marchés internationaux en 2022, est tombée aux alentours de 210 euros à la mi-août. » Dans un cadre de libre marché, cette nouvelle de la chute des cours pourrait apparaître comme une bonne nouvelle pour le consommateur français qui verrait le prix du pain se maintenir, voire baisser. Mais, en fait, si la première option peut se défendre aisément, la seconde est plus problématique, au regard de l’économie générale de la France et, surtout, dans le cadre de la production elle-même et de la défense des intérêts des producteurs agricoles français : « Les céréaliers français, dont les coûts de production s’établissent entre 220 et 240 la tonne, subissent une double peine : ils perdent sur la quantité et sur le prix de vente. » Certes, dira-t-on, les céréaliers ont souvent été bénéficiaires (surtout les propriétaires des plus grandes exploitations, en Beauce par exemple) dans l’économie contemporaine, au risque parfois d’en oublier les autres aspects et secteurs de l’agriculture française, aujourd’hui bien mal en point (et c’est un aujourd’hui qui a commencé il y a déjà fort longtemps !). Mais, la situation actuelle met en péril la pérennité à moyen terme de notre production céréalière nationale, au risque de rendre la France dépendante des autres puissances productrices qui n’hésiteront évidemment pas à prendre la place vacante si les céréaliers français venaient à faire défaut ! Or, nous savons que la souveraineté alimentaire (dont le ministère de l’Agriculture se prévaut aussi dans son intitulé complet) est un élément essentiel de toute politique d’indépendance nationale, particulièrement pour la nation française : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », affirmait Sully, l’homme du renouveau économique de l’après-guerres de religion et fidèle ministre du roi Henri IV. Si la citation peut paraître aujourd’hui un peu limitative sur les capacités productives et d’entrées financières de la France (n’oublions pas l’industrie, les services, et le tourisme, par exemple), elle n’en reste pas moins parlante et avérée pour l’alimentation de nos concitoyens.

De plus, il ne faut pas négliger que si les prix sont tirés vers le bas au niveau mondial, mettant ainsi en difficulté nos propres céréaliers, c’est justement en raison d’une mondialisation qui repose d’abord sur une libre concurrence souvent faussée par des règles bien différentes selon les pays et par des coûts de main-d’œuvre comme de production bien inférieurs à ceux en cours dans notre pays. C’est en particulier le cas chez un pays producteur européen que la France aide militairement mais qui profite de la situation pour avancer ses pions au niveau agricole international, à nos dépens (2) : l’Ukraine, dont les normes environnementales sont loin d’être aussi rigoureuses que les normes appliquées en France, et qui semble bénéficier de coûts de production deux fois moins élevés qu’en France, en particulier grâce à l’immensité de ses exploitations (10 à 15.000 hectares) et la faible rétribution des travailleurs agricoles. Une concurrence en somme déloyale qui constitue un drôle de remerciement aux efforts financiers déjà consentis par la France et les autres pays de l’Union européenne pour la soutenir face aux armées de Vladimir Poutine… Et, en définitive, tout cela profite à… la Russie, trop contente aussi de voir la France en difficulté et de prendre sa place sur nombre de marchés méditerranéens et africains que la France ne peut plus fournir en céréales… C’est tout de même le comble !

Le prochain ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire devra s’atteler à soutenir les producteurs céréaliers français, non par de simples subventions (surtout en période de disette budgétaire…), mais par une politique de préservation des intérêts des agriculteurs français face aux désordres de la mondialisation concurrentielle : une pression – amicale mais certaine – sur le secteur de la distribution alimentaire pour privilégier les achats à bon prix aux producteurs nationaux, sans doute en supprimant ou en contournant quelques intermédiaires, serait la bienvenue. Il ne s’agit pas de remettre en cause la liberté des échanges mais de remettre un peu d’équité dans un système qui valorise trop souvent le moins-disant social pour vendre encore plus aux consommateurs, au risque de gaspillages fort peu écologiques le plus souvent… De plus, assurer des « prix protégés » pour nos céréaliers, au moins le temps de cette année, pour éviter la perte d’exploitations agricoles qui, en définitive, s’avère être à terme une perte de production et de productivité pour le pays tout entier. Là encore, en cette période de forte dette publique, il paraît plus que nécessaire de préserver ce qui existe pour assurer le lendemain et le redémarrage agricole à promouvoir pour que notre pays retrouve en ce domaine le chemin de l’excellence, tant sur les quantités que sur la qualité.

L’Union européenne oserait-elle s’opposer à cette politique française si elle était véritablement engagée ? Si tel était le cas, cela montrerait, en définitive, que cette Europe bruxelloise ne correspond pas exactement à ce qui est juste et bon pour nos producteurs nationaux et, donc, pour l’économie française.

Jean-Philippe Chauvin


(à suivre : Les causes climatiques ne sont pas les seules raisons à la crise de la production céréalière ; etc.)


Notes : (1) : Jean-Pierre Robin, Le Figaro, lundi 2 septembre 2024.

(2) : En fait, l’Ukraine ne fait que profiter d’une situation qu’elle n’a pas créée, et elle montre par là toute l’importance (voire la nécessité) d’un nationalisme économique qu’elle sait utiliser habilement dans le cadre de la mondialisation concurrentielle pour pouvoir poursuivre et financer sa construction et son renforcement étatique, cela même si elle est fortement menacée aujourd’hui par ses créanciers internationaux.




Quand l’oligarchie trahit la France.

La mondialisation contemporaine est aussi une affaire d’oligarques, sûrs d’eux et de leur pouvoir, et affligés de voir que le « bon peuple » ne les croit ni ne les aime (ce dont ils se fichent bien, en fait) : la colère paysanne, après le soulèvement des Gilets jaunes, les agace et ils n’ont de cesse de reprendre le contrôle, tout en vantant les mérites de l’ouverture à tout vent des sociétés et, surtout, des marchés. Ainsi, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC et ancien membre de la Commission européenne, qui dans un entretien publié ce lundi dans L’Opinion, soutient avec vigueur le fameux traité Mercosur que M. Macron (1) a fait échouer il y a quelques semaines, quand les tracteurs avaient envahi les routes et qu’ils faisaient entendre leur colère toute légitime contre un libre-échangisme qui favorise la déloyauté commerciale des grands groupes agroalimentaires et de quelques pays opportunistes. Et ce monsieur, qui se dit socialiste (sic), rappelle comment il avait humilié la France tout en expliquant ce que devrait faire la Commission européenne pour contourner le refus français du traité Mercosur : « Si la Commission a du courage, elle demandera un vote à la majorité qualifiée, quitte à séparer la partie commerciale de l’accord. Je l’ai fait lorsque j’étais Commissaire européen pour importer en provenance des pays les plus pauvres sans restrictions quantitatives ni droits de douane (2), la France a voté contre, à cause du sucre, et a été mise en minorité. » Et c’est ainsi que ce triste sire, qui devait son poste… à la France, a trahi son propre pays, au nom d’une mondialisation qui ne devait jamais être freinée et était censée être heureuse pour les pays émergents quand elle profitait, et c’est toujours le cas, aux féodalités financières et économiques beaucoup plus qu’aux populations locales…

Son cynisme n’a d’égal que son mépris à l’égard des petits quand, au détour d’une argumentation sur « l’ouverture des marchés » et sur la priorité donnée aux consommateurs au détriment des producteurs et propriétaires locaux, il déclare, en évoquant l’histoire de France : « D’où un grand nombre de petits agriculteurs. Trop d’ailleurs, on en paye encore les conséquences aujourd’hui »… Cette dernière phrase dit tout, ou presque : « trop de petits agriculteurs », évidemment, ce sont des paysans qui cherchent à vivre de leur travail et de leurs terres, et ne se pensent pas comme de simples employés de grandes entreprises agroalimentaires, et qui sont encore capables de se révolter contre ce désordre établi qu’est cette mondialisation oligarchique et libérale. Des gêneurs, sans doute, des « enracinés » et non des fétus de paille taillables et corvéables à merci…

En tout cas, ces quelques phrases de M. Lamy montrent bien qui est l’ennemi de notre agriculture et de son « peuple de la terre », selon la belle expression du philosophe Robert Redeker… Ce M. Lamy n’est pas une voix isolée, il est juste le porte-voix de ceux qui feront toujours passer leur mondialisation et leur « Europe » (sic) avant les intérêts de nos paysans, de nos ouvriers, de nos classes laborieuses, celles qui travaillent et non celles qui profitent du travail des autres !



Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : M. Lamy, dans une petite phrase pleine de fiel et de sous-entendus, rappelle que l’actuel président « est bien dans la culture politique française, et il n’a pas oublié son passage chez Jean-Pierre Chevènement » : en somme, en économie, M. Macron serait protectionniste, voire nationaliste… Si seulement c’était vrai, et pas seulement en économie ! Malheureusement, le chevènementisme supposé du président reste bien modeste, dans le meilleur des cas…

(2) : N’est-ce pas le cas pour l’Ukraine aujourd’hui, et son poulet produit en batterie dans des exploitations qui ne respectent pas exactement ce qui est obligatoire, au nom du bien-être animal, en France comme dans les autres pays de l’Union…




Les raisons de la colère paysanne.

Cela a commencé, cet automne, par des panneaux de communes retournés, et nombre de nos concitoyens ont d’abord cru à quelque plaisanterie d’adolescents… Puis, ce furent les échos, encore lointains, des manifestations d’agriculteurs d’Outre-Rhin ; et, tout d’un coup, un tronçon d’autoroute bloquée dans le Sud-Ouest, et des tracteurs que l’on entend plus près, plus insistants ; des ronds-points dans les campagnes à nouveau centres de toute l’attention des politiques et du gouvernement ; la grande peur du pays légal d’une nouvelle saison de Gilets colorés, cette fois verts…

« On marche sur la tête », voulaient signifier les panneaux retournés par des agriculteurs agacés avant que d’être véritablement en colère et en révolte : « pressés par des normes contradictoires, des taxes innombrables et une réglementation passablement complexe, – fruits de la nouvelle politique agricole commune (PAC) en vigueur depuis début 2023 – ils ont le sentiment de ne plus s’en sortir », écrit l’écrivain russe Olga Lossky dans les colonnes du Pèlerin (1), sage journal catholique dans lequel la question sociale n’est pourtant jamais oubliée au fil des numéros… N’est-ce qu’un sentiment, d’ailleurs ? Il me semble, à la lecture des témoignages des intéressés eux-mêmes, des analyses des économistes et des journalistes agricoles, et des chiffres nombreux qui accompagnent les articles de la presse (autant locale que nationale), que c’est plus encore une réalité, triste, vécue et subie surtout par des cultivateurs et des éleveurs français victimes d’un véritable système dont on ne sait plus trop où est le cœur (pour autant qu’il en ait un…).

Ce système nous est bien connu et il peut porter plusieurs noms pour le cerner et le définir : globalisation, mondialisation, gouvernance, capitalisme, libéralisme, société de consommation, individualisme de masse, règne de l’argent et du tout-économique, démocratie totale dite représentative mais, en fait, « d’apparence » (2)… C’est ce que les royalistes rennais du début des années 1990 avaient baptisé sous un terme englobant tous les autres : le globalitarisme, un système qui ressemble étrangement au monde parfait, lisse et intimement, infiniment, insidieusement violent que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce système n’est pas secret, il ne se cache pas, et il assume, avec le sourire et le langage, son côté obligatoire : « c’est pour votre bien », peut-il affirmer sans se départir de son masque de bienveillance qui n’est, justement, qu’un masque. Aujourd’hui, il se pare des atours de la transition écologique et de la lutte contre un dérèglement climatique qu’il a lui-même suscité depuis l’industrialisation du XIXe siècle et l’entrée dans la société de consommation au XXe siècle, deux modèles d’appropriation anthropique du monde poussée au-delà de ce que la nature elle-même peut supporter : un pompier pyromane, résumeraient certains sans se tromper, mais qui voudrait que les populations ne le voient que comme un sauveur suprême sans lequel plus rien ne peut exister de viable et de crédible… Pourtant, l’on aperçoit la mèche incendiaire qu’il traîne éternellement derrière lui !

La crise actuelle n’est ainsi qu’un élément d’un processus dévastateur déjà ancien et jamais terminé, et je crains que, une fois les tracteurs rentrés à la ferme et les élections européennes passées, le système ne reprenne sa terrible et destructrice marche en avant. L’Union européenne est, aujourd’hui, le vecteur de cette crise (mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? Sans doute pas…) qui n’est jamais que la poursuite de la mondialisation elle-même, « ce fait qui n’est pas bienfait » comme je l’ai déjà évoqué ici : « L’élément déclencheur de cette épidémie de panneaux retournés [avant même le soulèvement paysan de cette semaine] ? La signature de l’accord économique de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 22 novembre dernier. (…) Une autoroute commerciale privilégiée entre deux zones… situées à près de 20 000 km de distance ! De quoi avoir l’impression de marcher sur la tête, en effet : les marchandises venues des antipodes sont prioritaires sur le marché et ne respectent pas les critères environnementaux qu’on impose aux paysans français, ne fut-ce qu’à cause de l’empreinte carbone produite par leur transport. (3) » Ainsi, par pure idéologie économique libérale, l’Union sacrifie à la fois l’écologie et les paysans, derniers éléments, disent certains, du « monde ancien », celui qui était fondé sur la terre et les racines.

La présence pour l’heure pacifique des agriculteurs sur les routes et les ronds-points n’est-elle qu’un coup de semonce ou un baroud d’honneur, ou le début d’une « révolte prolongée » ? Les jours qui viennent donneront une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, il nous appartient de ne pas négliger cette contestation légitime et d’en tirer quelques leçons, non dans une simple perspective d’analyse, mais de proposition et d’action… La présence des royalistes (agriculteurs ou non) sur les barrages et au sein des cortèges agricoles ne doit pas se limiter à la dimension du témoignage mais prendre la forme d’un engagement concret pour la Cause paysanne.



Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Olga Lossky, dans Le Pèlerin, jeudi 18 janvier 2024.

(2) : le terme de démocratie n’est pas forcément un gros mot pour le royaliste que je suis, mais encore faut-il préciser de quelle démocratie l’on parle et quelle définition l’on en fait, et pour quel usage. Favorable à une forme de démocratie communale ou à la désignation par le suffrage de représentants (et non de gouvernants) de la nation, je ne le suis pas à ce qu’elle devienne un mode de gouvernement qui transformerait l’Etat en succursale d’un parti ou d’un autre, ou qu’elle ne soit que le masque d’une oligarchie qui ne voit dans les électeurs qu’une clientèle…

(3) : Olga Lossky, op. cité.





2000 ans de tradition écologique et paysanne :

Dans un de ses premiers livres – Retour au réel, je crois – Gustave Thibon raconte qu’un jour il avait prêté les travaux et les jours du poète grec Hésiode à un vieux paysan de ses voisins et, qu’en lui rendant l’ouvrage ce dernier avait dit : « C’est curieux mais ces paysans qui vivaient il y a plusieurs millénaires pensaient et agissaient exactement comme nous il y a quelques années. C’est seulement depuis peu de temps que tout a changé. »

Je cite de mémoire car c’est un vieux souvenir de lecture et je n’ai plus le texte de Thibon sous les yeux mais je n’en trahis certainement pas l’esprit et je trouve cette réflexion admirable parce que profondément juste.

Pendant plusieurs dizaines de siècles, du roi-laboureur d’Eleusis à qui Cérès enseigna l’art de se servir de la charrue et la culture du blé jusqu’aux paysans du XXème siècle qui surent, à travers les générations et sur le même terroir, maintenir la fertilité de la terre et l’harmonie du paysage en passant par les moines défricheurs du Moyen-Âge, les manants du XIIIe siècle (le siècle d’or français) et les premiers agronomes de terrain des XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire tous ceux qui ont vraiment édifié la civilisation occidentale, tous ont respecté la nature et n’ont jamais transgressé ses lois.

(suite…)

Vers une nation paysanne ?

La France n’est plus un pays agricole, avec moins de 500.000 exploitants agricoles, mais peut-elle redevenir une « nation paysanne » ? Il ne s’agit pas de prôner un hypothétique retour à la terre, mais de penser le rapport du pays au monde des campagnes.
Loin de toute démagogie et de tout idéalisme, quelques propositions royalistes pour un nouvel enracinement paysan français, sans oublier que l’État, lui, reste un État urbain.


La France, vers une nation paysanne ?

Chaque année à la fin de l’hiver, la France se rappelle, quelques jours, qu’elle a été une grande nation paysanne, d’abord paysanne : c’est le Salon de l’Agriculture qui est l’occasion de ce rappel, de ce souvenir, de cette nostalgie même. Mais c’est aussi le temps des discours convenus des politiques et des officiels du Pays légal, qui viennent caresser les bêtes et leurs éleveurs dans le sens du poil, et qui les oublient la semaine suivante et toutes les autres, sauf, étrangement, en période électorale. De toute façon, le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer, et leur poids électoral avec : quand certaines communes bretonnes ne comptent plus un seul agriculteur en activité, que les néo-ruraux imposent leur mode de vie aux campagnes quand les résidences et les lotissements ont remplacé les près et les champs, comment les agriculteurs peuvent-ils se faire entendre et être entendus ? Il y a plus de noms de paysans sur les monuments aux morts de nos villages que dans les registres des Chambres d’agriculture et du Ministère de la même fonction… C’est d’ailleurs la guerre, et plus exactement la Grande, celle de 1914-1918, qui a désarmé, démographiquement parlant, le monde agricole et, au-delà, le monde rural, quand la société de consommation des Trente Glorieuses (les mal nommées, sans doute) va leur porter le coup de grâce ou, plus exactement, de disgrâce.

Aujourd’hui, la France compte environ 500.000 agriculteurs, ce qui représente 1,4 % de la population active, quand cette part était encore de 2,6 % (près du double) il y a vingt ans ; le nombre d’exploitations agricoles reconnues comme telles, lui, est passé en cinquante ans, de 1.588.000 (1970) à moins de 390.000 aujourd’hui… Ce processus d’effacement démographique de la population agricole n’est, semble-t-il, pas fini, et je me souviens que, dans un manuel de Géographie de 1ère il y a quelques années, il était expliqué que le nombre de 600.000 exploitants agricoles (à l’époque) était encore trop élevé au regard de l’objectif de 200.000 que le professeur narrateur considérait, à le lire, comme idéal : en fait, c’est bien l’objectif de la bureau-technocratie, qu’elle soit européenne ou parisienne, d’atteindre un tel chiffre dérisoire qui ferait de ce monde agricole une simple activité économique sans véritable enracinement ni visibilité humaine ou démographique. Une invisibilisation programmée en somme, pour effacer le mauvais souvenir pour la République d’un monde trop réactif ou trop rétif à ses commandements, comme l’histoire l’a abondamment prouvée depuis la Révolution française, de la réaction vendéenne de 1793 face à la levée en masse destinée à envoyer les jeunes paysans de l’Ouest faire la guerre loin de chez eux (ce que la Monarchie royale avait largement évité, malgré un tirage au sort léger mais toujours impopulaire) à la révolte des Bonnets rouges en 2013 ou à la résistance paysanne au projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en plein bocage !

Pourtant, la France a tous les atouts pour rester ou, plutôt, redevenir une nation paysanne. Ne nous méprenons pas sur le sens de ce propos, mais précisons-le, justement pour éviter tout malentendu : la France, comme Etat, s’est construite par l’action royale puis républicaine à partir des villes, Paris (ou Versailles au XVIIIe siècle) en étant le cœur, et, en cela, la France est une construction historique urbaine, comme l’était avant elle la plupart des grands Etats de l’Antiquité, d’Athènes à Rome ou à Constantinople. Mais la nation française, comme être sensible de l’histoire (fondé par celle-ci depuis le Moyen âge), est éminemment paysanne dans ses racines et son âme, dans son rapport à la vie longue de la société… C’est ce qui, longtemps, lui a permis de vivre et de survivre dans les moments les plus durs et malgré les malheurs, et pas seulement sur le plan nourricier : les campagnes ont été le lieu des sociabilités enracinées qui, sans se soucier de l’Etat (juste aperçu par les populations rurales à travers le profil des pièces de monnaie ou perçu, pas toujours positivement, à travers le percepteur) de la capitale (parfois itinérante, avant le temps de Versailles et de Paris), ont incarné la pluralité française, cette marqueterie de particularités dont l’Etat royal incarnait jadis l’unité sans se sentir obligé de tout repeindre d’uniformité…

Comment renouer avec cet esprit de nation paysanne ? Il ne s’agit pas d’obliger à un retour autoritaire à la terre, dont on comprend aisément les limites et les risques, comme l’a montré à l’envi la terrible expérience chinoise des années 1960 ; le fait de marteler « nation paysanne, nation paysanne… » suivant la méthode Coué n’est pas non plus souhaitable ni efficace ! En fait, c’est une politique d’Etat qui doit permettre d’atteindre cet objectif et d’assumer cet esprit sans tomber dans une forme d’exclusivisme qui oublierait la ville comme aujourd’hui la République oublie ou, au mieux, néglige le monde paysan.

L’Etat peut (doit, même !) favoriser ce que les royalistes qualifient de « redéploiement rural » : ce n’est pas la rurbanisation (1), bien au contraire, mais une intégration active des populations venues des villes dans les lieux et les fonctions des campagnes, sans en négliger la mémoire et le patrimoine bâti comme historique et spirituel. Cela doit s’accompagner d’une revitalisation de la petite et moyenne agriculture, par des aides à l’installation et la mise à disposition de nouveaux « communs », gérés par la commune ou par la Chambre d’agriculture locale, voire par une organisation syndicale agricole (2) ; une promotion des métiers de la terre (et pas seulement de production agricole) dès l’école primaire (en complément d’un éveil à la nature et aux enjeux environnementaux dès les premiers jours d’école maternelle) et avec une valorisation de ceux-ci tout au long du cycle scolaire jusqu’aux classes préparatoires ; une évocation plus affirmée dans les programmes scolaires de l’histoire rurale de la France (histoire des techniques agricoles, des communautés paysannes, de leurs cultures particulières, etc.), histoire aujourd’hui absente (ou très discrète…) dans les programmes et les manuels scolaires ; une mise en place de stages de travaux agricoles pour les élèves de lycées et de classes préparatoires, voire un « service civique et social agricole » en complément du Service National Universel, par exemple ; etc.

Dans un monde globalisé dominé par une métropolisation triomphante à défaut d’être mesurée et équilibrée, il importe que l’Etat reprenne sa place de serviteur des populations dont il a la charge, héritage de l’histoire et devoir de service obligent, et qu’il soutienne cet effort pour refaire de la France une nation qui, sans être esclave de la terre, des usages et des travaux de celle-ci, reconnaisse en chaque habitant du pays un héritier conscient et enraciné, et non un simple électeur nomade balloté au gré des besoins de l’économie mondiale et des promesses électorales…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : La rurbanisation est l’inverse même de l’esprit de nation paysanne et du redéploiement rural : elle est, en fait, l’imposition du mode de vie urbain et de la société de consommation de celui-ci au monde des campagnes, et une forme de volonté de domination des nouveaux venus sur un monde rural qui les précédait, sans beaucoup d’égards pour lui. La rurbanisation « remplit » les communes rurales mais elle ne les fait pas vraiment vivre : les rurbains préfèrent faire leurs courses à la ville voisine, dans les centres commerciaux plutôt que d’aller acheter ou manger dans les commerces et cafés-restaurants de la commune dans laquelle ils se sont installés… En fait, ils ne sentent pas obligés de s’intégrer à la commune d’accueil, mais sont très soucieux de leurs droits, parfois au détriment des traditions et des usages locaux, et ils ne supportent pas, le plus souvent, les contraintes ou les cycles de la vie à la campagne…

(2) : Je rappelle qu’il s’agit ici de propositions qui peuvent être discutées, complétées ou critiquées, pourvu que des arguments crédibles soient avancés…

Libérons l’agriculture française !

Aujourd’hui, l’agriculture française semble piégée par les jeux du Marché alors qu’elle a pour vocation de nourrir, le mieux possible (autant en quantité qu’en qualité) nos concitoyens. Cette logique du Marché (terme bien peu approprié à ce qui apparaît parfois comme le simple jeu de la concurrence et de la prédation) ne doit pas causer la ruine de nos agriculteurs, et il est important de protéger ceux-ci, en particulier de l’appétit des banques, souvent exagéré quand elles sont peu bienveillantes.


Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et de s’endetter éternellement, mais de placer toujours l’intérêt des hommes « nourriciers » avant les simples jeux d’argent et d’intérêts financiers.


« Le roi seul fort protégeait les petits », affirmait un vieux chant royaliste toujours actuel : contre les appétits démesurés des banques, l’Etat doit être capable de préserver les exploitants agricoles, leurs terres et leurs instruments de travail, et de valoriser une agriculture française diversifiée face aux féodalités de l’Agroalimentaire et de la Finance.

La république e(s)t le drame paysan :

« Jusqu’à l’aube de XXème siècle, la France était une nation paysanne. Depuis plus d’un millénaire, des générations de paysans français ont su, en pratiquant une agriculture respectueuse de la nature, diversifiée et adaptée aux multiples terroirs, créer une société harmonieuse et auto-suffisante : un monde cohérent. »
Jean-clair Davesnes – L’Agriculture assassinée

Nous allons analyser la façon dont la république, ainsi que ses valeurs issues du siècle dit des « Lumières », ont traité ce monde paysan multiséculaire.
Le 14 juillet 1789, la révolution dite « française » éclata à Paris ! A peine 4 ans plus tard, en mars 1793, éclateront les fameuses Guerres de Vendée. Les paysans, échaudés par l’exécution du roi Louis XVI et les mesures antireligieuses des révolutionnaires parisiens, assaillent les autorités municipales. Ces Guerres de Vendée ne sont ni plus ni moins, qu’une violente répression contre la France paysanne de cette époque. Pour tout dire, lorsque les Français ouvriront les archives, ils constateront que la révolution fut tout simplement une véritable révolte contre le peuple, bref qu’elle fut avant tout antisociale. La France réelle, largement incarnée par la paysannerie, s’opposa à une poignée d’agitateurs « bourgeois » sortis de l’idéologie de la secte jacobine, incarnée par les penseurs révolutionnaires parisiens.


Armés de faux et de fourches, résolus et enthousiastes, parce qu’ils défendaient leurs familles et leurs terres, les insurgés, dans un premier temps, chassent les « Bleus » (les soldats de la République étaient ainsi nommés en raison de leur uniforme) et rétablissent le culte catholique dans leurs villages. Culte renié car comme la monarchie, il empêchait le monde de la finance de détruire les protections ouvrières (corporations) et d’établir l’usure…
Prenant de l’assurance, ils constituent une « armée catholique et royale » avec environ 40 000 hommes indisciplinés et sans expérience militaire, issus de la terre, à l’exception d’une dizaine de milliers d’anciens soldats.
Cette résistance paysanne fut vaine face à un appareil d’Etat usant de tous les moyens, même les pires : l’armée vendéenne fut anéantie à Savenay le 23 décembre 1793. La république n’était donc plus en danger. Pourtant un plan d’extermination massive et systématique, fut alors mis en place par cette même République qui revendique sa légitimité au sein du peuple mais qui n’est que l’expression politique d’une large part de la bourgeoisie, d’abord soucieuse de ses propres intérêts. La manipulation de l’information ne date pas d’hier. Il suffit de rappeler la « prise de la Bastille » dans sa réalité, qui fut le massacre des invalides, avec la tête du gouverneur sur une pique, alors qu’il avait ouvert les portes ! Puis ce fut le mythe de la mort du petit « Bara », criant « vive la république », alors que l’affaire était un vol de chevaux et qu’il n’avait rien crié de politique, le tout instrumentalisé par Robespierre pour servir l’idéologie au pouvoir !

(suite…)