Corporatisme

La Révolution française, cauchemar social pour les travailleurs ?

Nombre des contestataires de la réforme Borne-Macron des retraites et de sa mesure emblématique du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans nous interrogent sur la Question sociale, et c’est l’occasion de préciser les raisons de notre royalisme social. Au regard de l’histoire de notre pays, il est d’ailleurs bien dommage, tout compte fait, que la Gauche et ses extrêmes cherchent à monopoliser un terrain qui, en définitive, pourrait bien ne pas leur appartenir… Voici donc un texte « royaliste social » initialement publié au printemps 2016, et qui nous paraît répondre à quelques interrogations historiques mais aussi contemporaines de tous ceux qui s’intéressent à la Question sociale…



(…) Bien sûr, depuis quelques années, le Groupe d’Action Royaliste a publié bon nombre de textes, de brochures et de vidéos sur ce thème, mais c’est un travail de bénédictin qui attend celui qui voudra faire une synthèse complète des positions et des politiques monarchistes du XIXe au XXIe siècle qui se veulent sociales (1), et il ne faudra pas oublier, aussi, les réticences ou l’indifférence de certains de ceux-ci devant des avancées sociales qui, parfois, semblaient « socialistes »… Effectivement, s’il y aura bien un Mouvement Socialiste Monarchiste qui, entre 1944 et 1946, fera référence au « socialisme » de René de La Tour du Pin et vantera, furtivement, les expériences sociales des monarchies du Nord de l’Europe, il ne connaîtra qu’un succès éphémère et tout relatif, et sera largement incompris du public qu’il était censé attirer…

Et pourtant ! Si la question sociale ne naît pas avec la Révolution, loin s’en faut, ce sont des royalistes qui vont, dès la fin du XVIIIe siècle, dénoncer les conditions nouvelles faites au monde des artisans et ouvriers par le libéralisme triomphant à travers le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier. Car la date de naissance « légale » de la condition de « prolétaire » en France est bien cette année 1791 avec ses deux textes aujourd’hui « oubliés » des manuels scolaires et qui, tout le XIXe siècle, permettront l’oppression en toute légalité et au nom de « la liberté du travail » (qui n’est pas vraiment la liberté des travailleurs…) des populations ouvrières de notre pays.

Étrangement, le philosophe maoïste Alain Badiou paraît (mais paraît seulement…) rejoindre les monarchistes sociaux dans leur critique d’un libéralisme triomphant à la fin du XVIIIe siècle, de ce « franklinisme » qui sacralise l’Argent à travers la fameuse formule « le temps c’est de l’argent » écrite et expliquée par celui qui a été reçu comme un véritable héros (héraut, plutôt, et d’abord des idées libérales) à Versailles par les élites du moment et particulièrement par la grande bourgeoisie. Ainsi, dans son dernier essai intitulé « Notre mal vient de plus loin », Badiou écrit, en cette année 2016, ce qu’un Maurras du début du XXe siècle n’aurait pas désavoué : « Depuis trente ans, ce à quoi l’on assiste, c’est au triomphe du capitalisme mondialisé.
« Ce triomphe, c’est d’abord, de façon particulièrement visible, le retour d’une sorte d’énergie primitive du capitalisme, ce qu’on a appelé d’un nom contestable le néolibéralisme, et qui est en fait la réapparition et l’efficacité retrouvée de l’idéologie constitutive du capitalisme depuis toujours, à savoir le libéralisme. Il n’est pas sûr que « néo » soit justifié. Je ne crois pas que ce qui se passe soit si « néo » que ça, quand on y regarde de près. En tout cas, le triomphe du capitalisme mondialisé, c’est une espèce d’énergie retrouvée, la capacité revenue et incontestée d’afficher, de façon maintenant publique et sans la moindre pudeur, si je puis dire, les caractéristiques générales de ce type très particulier d’organisation de la production, des échanges, et finalement des sociétés tout entières, et aussi sa prétention à être le seul chemin raisonnable pour le destin historique de l’humanité. Tout cela, qui a été inventé et formulé vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et qui a dominé ensuite sans partage pendant des décennies, a été retrouvé avec une sorte de joie féroce par nos maîtres d’aujourd’hui.
»

Maurras évoquait « le triomphe des idées anglaises et genevoises » pour qualifier la Révolution française et, comme Badiou, il ne faisait guère de distinction entre libéralisme économique et libéralisme politique, l’un permettant l’autre et réciproquement… J’aurai, quant à moi, tendance à déplacer un peu le curseur de l’autre côté de l’Atlantique, comme je le fais à travers ma critique de la philosophie « profitariste » de Benjamin Franklin.

Disons-le tout net : la France aurait pu éviter de tomber dans le travers d’un capitalisme que Maurras dénoncera comme « sans frein » quand il aurait pu être maîtrisé et, pourquoi pas, bénéfique s’il avait intégré les fortes notions de « mesure » et de partage en son sein, ce qui ne fût pas le cas, malheureusement.

Oui, il y aurait pu y avoir « une autre industrialisation », mais la Révolution a tout gâché et la République plus encore une fois débarrassée de la Monarchie et de ses structures fédératives et corporatives (ces deux dernières étant mises à mal et pratiquement à bas dès l’été 1789). Je m’explique : avant le grand tumulte de 1789, la France est la première puissance d’Europe (voire du monde ?) et elle maîtrise désormais les mers, au moins en partie, depuis ses victoires navales du début des années 1780 face à l’Angleterre, thalassocratie marchande en plein doute depuis sa défaite américaine. Elle est la première puissance industrielle et la première diplomatie mondiale, mais, alors que le pays est riche et apparaît tel aux yeux des étrangers, pays comme individus, l’État, lui, est pauvre et en butte aux pressions de plus en plus fortes des élites frondeuses, aristocratie parlementaire et bourgeoisie économique (même si le pluriel pourrait bien être employé pour cette dernière, plus protéiforme qu’on le croit généralement). Si l’on s’en tient aux aspirations de la noblesse libérale et financière et à celles de la bourgeoisie économique, elles sont simples : prendre le Pouvoir politique, au nom du Pouvoir économique, en arguant que ceux qui font prospérer les capitaux sont les plus aptes à l’exercice de l’État, ravalé (dans leur logique) à un simple rôle de gestionnaire et non plus d’arbitre ou de décideur politique. En somme, indexer le Pouvoir politique sur le seul Économique, au risque d’en oublier l’importance d’une politique sociale d’équilibre… Ce qui arriva dès que la Révolution prit les rênes du gouvernement au détriment de l’autorité royale elle-même, et qui provoqua l’explosion de la pauvreté en France dès le début des années 1790 et l’effondrement de l’économie française, bientôt aggravé par la guerre et la fin de la Marine française.

Ainsi, le XIXe siècle que, quelques années avant la Révolution, l’on annonçait « français », sera en définitive « anglais » et c’est le modèle capitaliste « sans frein » qui triompha, la France s’y étant « ralliée », en sa haute (et pas seulement) bourgeoisie et par les textes législatifs de 1791 (aggravés par Napoléon et son fameux « livret ouvrier » si défavorable aux travailleurs), puis par un « mimétisme nécessaire » pour ne pas être décrochée dans la compétition économique mondiale de l’après-Révolution…

J’en suis persuadé : si 1789 n’avait pas eu lieu tel qu’il a eu lieu, trahissant l’esprit même des états généraux et des cahiers de doléances voulus par le roi Louis XVI, et laissant l’Économique s’emparer du Politique, « 1791 » n’aurait pas été cette défaite du monde du travail et la France n’aurait pas perdu le combat civilisationnel face au « Time is money » anglo-saxon

Est-il définitivement trop tard ? Un disciple de La Tour du Pin, ce penseur majeur du royalisme social et corporatiste, était persuadé du contraire et, crânement, il déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (la Bourse) » tout en rappelant aussi le « Politique d’abord » (comme moyen et non comme fin) par la formule, simple mais efficace : « l’intendance suivra ! »… Mais c’était toujours la République et l’effort d’un moment n’a pas suffi et ne suffit pas si les institutions elles-mêmes ne l’enracinent pas dans la longue durée, celle qui permet de traverser les siècles et d’aider les générations qui se succèdent. La République n’est pas la Monarchie, tout simplement, même s’il lui arrive de l’imiter, dans un hommage involontaire du vice à la vertu









Notes : (1) : Depuis la première publication de cette note (2016) sont parus deux livres qui comblent en grande partie le vide sur le XIXe et le début du XXe siècle : « Le catholicisme social, de la Restauration à la Première Guerre mondiale », de Léo Imbert, éditions Libres, 2017 ; « Actions et doctrines sociales des catholiques. 1830-1930 », de Daniel Moulinet, Cerf, 2021. D’autres ouvrages avaient précédé, comme ceux de Xavier Vallat, d’Antoine Murat et, entre autres, de Jean-Baptiste Duroselle. Mais rien n’existe vraiment sur les royalistes sociaux de la fin des années 1940 à nos jours…


Postface : Une nouvelle écriture de cette note me conduira sans doute à présenter aussi les idées des physiocrates (en prenant appui sur le dernier livre de Jean-Marc Daniel, « Redécouvrir les physiocrates », livre qui s’inscrit dans une perspective libérale et dont il me faudra préciser les limites, voire les erreurs de sens et de portée…) et les réformes de Turgot sous Louis XVI ainsi que celles de Choiseul qui les précédent dès 1763, et qui inaugurent un « cycle libéral » (encore contrarié sous la Monarchie d’Ancien Régime) dont l’apogée légale et pratique sera, en somme, les lois de 1791 et leur application au XIXe siècle.




Jean-Philippe Chauvin

Rendre vie et pouvoir(s) aux corps intermédiaires.

La République macronienne peut-elle se réjouir du passage en force d’une réforme des retraites qui, si l’on en croit quelques ultras du libéralisme et les experts de la Commission européenne, ne peut être que provisoire et considérée, ainsi, comme inachevée ? Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est pourtant rejeté par 93 % des Français actifs (1), ce qui est révélateur du malaise social ambiant et de la défiance du monde des travailleurs à l’égard du gouvernement. Mais ce qui est encore plus marquant dans cette confrontation entre les promoteurs de la réforme et ses opposants, c’est l’absence de considération du pouvoir en place et de son premier magistrat à l’égard des corps intermédiaires, dans une logique similaire à ce que fut celle des constituants de la Révolution française quand ils rédigèrent et votèrent les lois d’Allarde et Le Chapelier en cette triste année 1791, la pire pour les travailleurs sur le plan social de toute notre histoire contemporaine : même les syndicats et les revues économiques commencent à le reconnaître à nouveau, après un long déni de plus d’un siècle et demi (2), et c’est toujours cela de gagné, ne serait-ce que pour la compréhension de la question sociale en France.

C’est ainsi, ce mois d’avril 2023, la revue Alternatives économiques (3) qui évoque la difficulté d’établir des compromis sociaux en France depuis la Révolution française : « C’est une longue histoire qui remonte à la Révolution française. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, celle-ci fut avant tout un grand moment de libéralisme sur le terrain économique et social. Une des premières tâches que se donnèrent les révolutionnaires fut en effet d’abolir les corporations qui freinaient le dynamisme économique du pays. (4)
« Mais, avec elles, ils interdirent aussi toutes les formes de syndicalisme naissant et de négociation contractuelle avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier adoptés en 1791. Devant la Convention, Isaac Le Chapelier posait clairement les enjeux : « Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. » Entre l’Etat et le citoyen, la République ne veut connaître aucun « corps intermédiaire ». » Il y aurait quelques précisions à apporter à ces extraits, en particulier sur le fait que la Révolution, d’abord individualiste et libérale, ne pouvait faire autrement, en bonne logique, que de supprimer les libertés concrètes et les protections du monde des travailleurs pour assurer le plein triomphe d’une Liberté du travail qui n’était rien d’autre que la liberté de celui qui avait les moyens de le financer : désormais, l’Argent l’emporte sur le Travail, et ce dernier change, en définitive, de fonction sociale. C’est aussi l’une des causes du mal-être au travail pour nombre de salariés aujourd’hui et de sa dévalorisation, y compris aux yeux de ceux qui en tirent un profit financier (autre que le simple revenu du travailleur lui-même) : ceux-ci se moquent bien que ce soit un être humain ou un être d’acier et de plastique qui produise pourvu que ce qui est produit leur soit le plus bénéfique possible, qu’ils soient actionnaires ou dirigeants d’entreprise (souvent à la façon d’un mercenaire, recruté pour optimiser la valeur de l’entreprise sans avoir d’autre lien avec celle-ci que le contrat qui l’attache, provisoirement, à l’histoire de l’entreprise).

Mais les syndicats n’ont pas remplacé les corporations, et cela même si leur action peut être bénéfique en certains cas, au cœur des entreprises ou des administrations, pour assurer la défense des droits des travailleurs : ne les accuse-t-on pas alors, d’ailleurs, de « corporatisme », comme si c’était un crime (et cela le serait aux yeux de M. Le Chapelier…) de défendre les intérêts des travailleurs d’une branche d’activité professionnelle en faisant appel à la mobilisation d’un corps constitué (sur des intérêts communs à un groupe socioprofessionnel) se voulant représentant de ceux-ci ? Mais la lutte des classes que, longtemps, les syndicats ont promue de façon plus idéologique et mécanique que véritablement pratique et efficace, a parfois limité la portée de leur existence même. Vecteurs de grandes mobilisations qui ont eu leur utilité, et c’est encore vrai aujourd’hui (5), les syndicats souffrent d’une marginalisation croissante dans une société dominée par l’individualisme et la balkanisation des appartenances : environ 7 % seulement des salariés sont officiellement syndiqués dans notre pays, ce qui peut servir d’argument pour décrédibiliser la parole des syndicats, même si certains d’entre eux se décrédibilisent très bien tout seul par des actions irréfléchis et, parfois, irresponsables, au risque de fragiliser, au-delà de leur propre image, l’activité économique elle-même des entreprises ou l’efficacité des services et des administrations.

Ainsi, si les syndicats sont plus que jamais nécessaires à la vie sociale de notre pays, il paraît tout aussi nécessaire de repenser le cadre de leur action et les institutions ou instances de discussion et de proposition qui puissent jouer un rôle de médiation entre les autorités politiques et les forces actives du monde du travail : en somme, il s’agit de rendre aux corps intermédiaires une organisation qui leur permette de dédramatiser les situations de crise, voire de les désenfler ou de les désarmer avant qu’il ne soit trop tard et que le ressentiment n’empêche toute concorde nationale et toute possibilité de sortie de crise honorable et juste pour chacun des acteurs engagés dans un bras de fer social. Néanmoins, le rôle de l’Etat ne doit pas être d’imposer une organisation socio-professionnelle qui serait « à sa main », mais bien plutôt de susciter cette organisation (éventuellement de lui fournir un cadre institutionnel légal) qui doit être l’œuvre des acteurs sociaux eux-mêmes, des syndicats de salariés aux associations patronales, des entreprises aux conseils de consommateurs, etc. En revanche, l’Etat pourrait réfléchir à la valorisation de l’actuel Conseil économique, social et environnemental sous la forme d’une sorte de « sénat des métiers et services » qui pourrait se combiner au sénat actuel.

En fait, ce ne sont pas les idées et propositions qui manquent, mais bien plutôt le manque de volonté politique, au-delà même de quelques blocages idéologiques, autant du côté de l’individualiste pro-Le Chapelier qu’est le président actuel que de celui des jacobins qui l’entourent mais aussi chez certains syndicalistes marqués par le refus des compromis (confondant ceux-ci avec les compromissions) et du dépassement de la lutte des classes, cette dernière devenant nihiliste et contre-productive quand elle se fige en dogme définitif… (6)

Certains diraient que la société est bloquée : en fait, c’est plutôt la République actuelle qui est bloquante, et le comprendre, c’est déjà ouvrir le champ des possibles vers d’autres perspectives institutionnelles, non comme une fin, mais bien plutôt comme un moyen, un simple moyen mais un moyen nécessaire pour débloquer ce qui doit l’être, et permettre l’épanouissement des corps intermédiaires et des libertés socio-professionnelles et corporatives…




Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : C’est une étude publiée en janvier dernier par l’Institut Montaigne, pas particulièrement de gauche, qui l’affirme, en se basant sur un échantillon représentatif de 5001 actifs (et non de retraités ou de jeunes en cours de formation…) : cette quasi-unanimité pose problème sur l’acceptabilité de la réforme qui, si elle est appliquée, se heurtera sans doute à un effet d’effort décroissant de la part des travailleurs les plus proches du moment de départ. La productivité générale pourrait s’en trouver affectée, ce qui serait dévastateur, d’une part à cause d’une création de valeur plus coûteuse sans être plus efficace, d’autre part à cause de l’impossibilité de faire appel à de nouvelles énergies dans les professions concernées par le souci évoqué auparavant sans alourdir les frais de fonctionnement des entreprises et des administrations.

(2) : En fait, le déni n’était pas si complet que cela, et les socialistes et les syndicalistes de la première moitié du XIXe siècle dénonçaient la loi Le Chapelier et l’interdiction de toute grève et toute association ouvrières qu’elle portait en ses articles 2 et 8… Mais la politique, peu à peu, l’a emporté sur le social, et la Révolution est devenue, aux yeux des partisans de gauche, un « bloc » dont il était désormais malvenu de critiquer quelque aspect qu’il soit : du coup, les lois autorisant la grève (loi Ollivier de 1864) et les syndicats (loi Waldeck-Rousseau de 1884) firent oublier les causes législatives et révolutionnaires du malheur ouvrier français du temps de l’industrialisation…

(3) : L’article d’Alternatives économiques de ce mois d’avril est signé par Guillaume Duval, pages 28-31.

(4) : Cette assertion sur le frein au dynamisme économique que les corporations constitueraient n’est pas exactement vérifiée par l’histoire économique et sociale de notre pays : mais elles limitaient effectivement les appétits des puissances d’argent (réelles ou potentielles) par l’exigence de l’appartenance au Métier de ceux qui souhaitaient en tirer profit financier et par celle de l’obligation de qualité, autant de production que de service, et de respect de bonnes conditions de travail des ouvriers (respect parfois plus théorique que réel, mais néanmoins contrôlé par les corporations elles-mêmes et juridiquement confirmé à l’occasion…). Ce modèle économique et social particulier de celle qui était alors la première puissance économique d’Europe était, en tout cas, un frein au capitalisme débridé et aurait pu constituer, si la Révolution française, ne l’avait pas détruit légalement et juridiquement, une véritable alternative au modèle anglo-saxon qui devint ouvertement dominant depuis le XIXe siècle…

(5) : Le rôle des syndicats dans la contestation de la réforme des retraites est important et nécessaire, et la négligence du gouvernement et du président à leur égard peut expliquer le surprenant sondage de ce mercredi 5 avril 2023 qui évoque une possible (et nette !) victoire de Mme Le Pen face à M. Macron si le second tour de la présidentielle avait eu lieu aujourd’hui est éminemment révélateur ! « Tout se paye », dit le proverbe…

(6) : La lutte des classes est un fait dans les sociétés dites capitalistes, et il n’est pas certain, qu’en suivant sa logique jusqu’au bout, à la fin, ce soit forcément les travailleurs qui gagnent… D’où la nécessité de la suivre parfois, mais de toujours penser qu’elle doit être dépassée et qu’il s’agit de construire une société politique où ce soit plutôt la conciliation des classes (et non leur confusion ou disparition) qui l’emporte, dans l’intérêt de tous et, au-delà, du pays lui-même et de son avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », selon l’heureuse formule maurrassienne…


Accidents du travail : ne pas accepter la fatalité !

L’insécurité sociale contemporaine, c’est aussi le risque au travail et ses formes les plus dramatiques, les accidents du travail. Un livre récent de 2021 vient nous le redire, intitulé : « Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles », souligné d’un sous-titre terrible : « 14 morts, 12.500 blessés par semaine en France » (livre signé de Véronique Daubas-Letourneux, 310 pages, édité chez Bayard) ! Chiffres terribles, jamais évoqués dans les grands médias audiovisuels à ma connaissance, et qui peuvent (et doivent) inciter à la réflexion, sans négliger le recueillement possible pour les victimes de ces drames !
Un petit calcul montrera aussi l’ampleur de cette question, celui qui consiste à rapporter ces chiffres hebdomadaires à l’année entière : plus de 700 morts et environ 650.000 blessés sur le lieu du travail chaque année… Bien sûr, tous les métiers ne sont pas concernés de la même manière : peu de cadres et de professeurs, mais nombre d’ouvriers (principalement du bâtiment avec 14 % des accidents et 19 % des décès, des transports et de l’agroalimentaire), ainsi que de la main-d’œuvre féminine des services de soins.

Quelles causes à ces accidents du travail beaucoup trop fréquents aujourd’hui ? Selon l’enseignante Véronique Daubas-Letourneux citée par La Croix L’Hebdo (22-23 janvier 2022), « la montée, depuis quelques décennies, d’un management « à l’objectif » – et les cadences qui vont avec – comme la précarisation des statuts, en particulier chez les jeunes, accroissent la pression sur les travailleurs et les rendent plus vulnérables. Ce qui explique sans doute pourquoi, après une baisse continue du nombre d’accidents de 1950 à 2000, l’indice de fréquence et le taux de gravité ont tendance à repartir à la hausse. »

Que faire, dès maintenant, pour éviter au maximum que la mortalité au travail n’augmente ? Multiplier les interventions de l’inspection du travail qui, en 2019, « ont ainsi mis fin à 4 632 chantiers jugés dangereux », est une nécessité mais qui ne peut se faire efficacement que s’il existe une véritable stratégie de recrutement et de formation de nouveaux inspecteurs du travail, ainsi qu’une mise sous pression des entreprises qui utilisent des sous-traitants, en améliorant la « traçabilité » de ces derniers et leur encadrement pour leur éviter une trop grande exposition aux dangers ; retracer les contours d’une véritable politique de santé et de prévention des risques liés aux activités professionnelles ; responsabiliser les entreprises, leur direction et leur encadrement, pour mieux sécuriser les espaces de travail et préserver les travailleurs eux-mêmes ; etc. (liste de propositions non exhaustive, évidemment).

Bien sûr, toute activité professionnelle comporte des risques et le « zéro accident » est impossible, ne serait-ce que parce qu’il y aura toujours cette part d’impondérable et du « triste hasard », qui s’avère parfois mortel. Mais, il est tout à fait possible de faire baisser le nombre d’accidents professionnels et de limiter les risques (ou de les prévenir). Il ne s’agit pas d’entraver la vie des chantiers ou des usines par des lois supplémentaires mais juste de faire appliquer celles qui existent déjà, sans tomber dans un formalisme inutile et contre-productif. Mais, au-delà, il est une philosophie qu’il faut appliquer au monde du Travail, dans un esprit à la fois corporatif et « personnaliste » : considérer que l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse (ce qu’a rappelé le pape Jean-Paul II, dans l’encyclique Laborem Exercens sur le travail, en 1981), et qu’elle ne doit pas négliger ce qui fait, aussi, l’équilibre d’une société, c’est-à-dire l’intégrité physique et mentale des travailleurs.


Jean-Philippe Chauvin

Quel rôle souhaitable pour l’Etat dans l’économie française ?

Les mauvaises nouvelles sociales semblent désormais tellement habituelles que les médias ne leur accordent que quelques lignes rapides et quelques secondes d’antenne sauf, peut-être, dans la presse régionale, celle de la proximité, celle dont quelques uns des lecteurs et des auditeurs sont les victimes de cette grande saison de « lessivage » au détriment des salariés : Meccano à Calais, Fleury Michon à Plélan-le-Grand (près de Rennes), San Marina dans tout le pays après Camaïeu et quelques autres, sans parler des boulangeries étranglées par la hausse des prix de l’énergie nécessaire à la cuisson du pain, entre autres. C’est un massacre social et cela malgré le maintien (pour combien de temps encore ?) du niveau d’emploi en France, même si celui-ci peut s’accompagner d’une grande part de précariat, forme contemporaine du prolétariat d’antan. Ce qui est rageant, c’est que, le plus souvent (mais pas forcément toujours, faut-il souligner), les coupables de cette situation ne sont pas les ouvriers ou les employés eux-mêmes, dont le travail et le savoir-faire sont, paradoxalement, appréciés avant que d’être licenciés malgré tout, mais les directions et les actionnaires responsables de mauvais choix stratégiques ou de cynisme profiteur pour certains : les syndicats, souvent dénigrés sans beaucoup de nuance (pour de bonnes, mais parfois aussi pour de mauvaises raisons), ont généralement alertés en amont la direction de l’entreprise des risques devenus inquiétudes puis faillites. Dans la plupart des cas, il leur a été répondu de ne pas s’alarmer, que la situation était sous contrôle, que les emplois n’étaient pas menacés, etc. Il est d’ailleurs frappant de constater que le jour fatal venu, ils sont ménagés par la direction, ne serait-ce que pour permettre des négociations de fin d’activité et d’indemnisation des travailleurs qui se fassent dans le calme, sans casse et sans scandale…

Et l’Etat là-dedans ? Si son objectif est bien d’atténuer les conséquences sociales des fermetures d’entreprise, il semble bien peu capable de prévenir ces crises multiples et d’en prémunir, autant que faire se peut, les salariés et les populations (1), malgré ses grandes déclarations lyriques du moment de visibilité, surtout médiatique, de la crise. D’ailleurs, doit-il forcément intervenir dans l’économie ou dans la vie (et la mort) des entreprises ? En fait, l’Etat, s’il veut être efficace là où il doit être, ne doit pas « tout faire » et il n’est pas bon de tout attendre de lui, car l’étatisme n’est ni une solution ni même souhaitable : son rôle, son devoir régalien est de favoriser les initiatives économiques les plus utiles au pays (et elles ne manquent pas en France), éventuellement de les orienter pour permettre d’atteindre le plus possible à la prospérité sans l’excès des profits et sans l’hubris d’une profitabilité qui peut vite tourner à « l’économie barbare » (2), néfaste pour les salariés et, souvent, pour l’environnement lui-même (3).

En ces temps de mondialisation, sans doute faut-il repenser le rôle de chacun des acteurs dans l’organisation de la vie économique et sociale, sans le déni des caractéristiques de l’économie contemporaine mais sans l’acceptation des conditions de celles-ci quand elles sont indignes : si le moralisme n’a guère sa place en économie, cela n’empêche nullement de fixer des limites aux excès de cette activité de production et d’échange, et c’est d’abord dans le cadre national (en espérant qu’il puisse servir d’exemple, voire de modèle aux autres pays du monde, y compris ceux qui aujourd’hui semblent peu sensibles aux questions de justice sociale…) que cela peut se faire. Mais ce cadre, nécessaire et doté de moyens législatifs et judiciaires qui peuvent être fort efficaces pour autant que l’Etat le veuille vraiment (4), doit aussi favoriser la vie d’institutions socio-professionnelles susceptibles d’organiser, de coordonner, de valoriser les productions et leur intégration au Marché sans négliger la qualité des biens et des services fournis, et sans méconnaître les intérêts des travailleurs, des cadres et des dirigeants d’entreprise (5) : que l’on nomme « branches » ou « corporations » ces cadres institutionnels renforcés (sous la forme de personnalités juridiques pourvues d’un patrimoine propre et « cogéré » par les acteurs de celles-ci) n’a en définitive guère d’importance, pourvu qu’ils soient efficients et, socialement comme économiquement, efficaces…






Notes : (1) : Un salarié, en tant que consommateur inscrit dans un écosystème local, représente plus de valeur que sa seule production industrielle ou tertiaire, en particulier s’il est parent ou grand-parent, et sa précarisation entraîne un affaiblissement, non seulement de sa famille, mais aussi de sa commune d’installation et des commerces, mais aussi associations (y compris sportives) et services locaux. Une lecture purement individualisée ou individualiste du salariat est une erreur souvent commise par les économistes « généralistes », erreur qu’il s’agit de ne pas reproduire…

(2) : L’hubris de la profitabilité c’est, entre autres, l’exploitation brutale des travailleurs pour dégager le plus de profits pour l’entreprise et ses actionnaires, exploitation qui fait de l’économie une activité financièrement spéculative quand elle doit, d’abord, permettre la prospérité de ceux qui créent, produisent, transforment et échangent biens et services. La prospérité de tous n’est pas l’égalitarisme ni une hypothétique égalité économique, mais une redistribution des fruits du travail selon les qualités et les efforts de chacun dans le cadre socio-professionnel et économique, sans négliger la hiérarchie sociale qui, mesurée et légitime, est la traduction économique de la justice sociale. Dans cette logique, l’inventeur est valorisé, tout comme le producteur « de base » est reconnu dans sa dignité de producteur, maître d’un savoir-faire et d’une valeur ajoutée liée à celui-ci et au temps de sa production.

(3) : L’environnement est, ici, un cadre de vie et de production qu’il paraît bien nécessaire de préserver pour permettre aux générations futures d’en jouir à leur tour…

(4) : Les Etats-Unis en sont la démonstration la plus frappante, parfois au sens purement littéral du terme…

(5) : Les intérêts des producteurs de base, des personnels d’encadrement et de commercialisation, et des dirigeants d’entreprise ne sont pas toujours les mêmes et, parfois, peuvent donner lieu à des incompréhensions, à des tensions, voire à des antagonismes que certains s’empresseraient de qualifier de « lutte des classes ». Sans tomber dans la démagogie ou l’utopie, il est possible de chercher à accorder les souhaits de chaque catégorie, en rappelant l’intérêt de tous qui est de voir l’entreprise perdurer et prospérer pour que chacun y trouve satisfaction : la récente réussite de La Redoute qui, après des années très difficiles, a réussi à rebondir au point de verser à ses salariés actionnaires un dividende de 100.000 euros par personne (pour une mise de départ de… cent euros !), prouve à l’envi que la motivation vaut mieux que l’exploitation…






Jean-Philippe Chauvin

Réponses aux objections sur le corporatisme :

0:34 – Le corporatisme est un système obsolète qui a fait son temps et qui a fini par se scléroser expliquant sa suppression !
5:09 – Réinstaurer un régime corporatif en France à ce jour est totalement utopique !
9:58 – Les corporations risqueraient au fil du temps de favoriser essentiellement leurs intérêts privés au détriment du Bien commun.
11:31 – Le régime corporatif n’a-t-il pas été celui des régimes totalitaires du XXè siècle ?
12:40 – Le corporatisme aujourd’hui n’a plus de raison d’être, car le syndicalisme se suffit à lui-même pour l’épanouissement et la défense des travailleurs, des métiers et de l’industrie.
17:51 – Le régime corporatif ne s’oppose-t-il pas à l’industrie ?

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Histoire des libertés sociales :

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Depuis des années l’historiographie officielle, Gauche en tête, sous la complaisance servile d’une « droite » molle, maintient la légende d’une libération sociale, fruit d’années de lutte consommées par ses idées ! Les travaux de Maître Murat et d’autres permirent de remettre en lumière la réalité sur ces acquisitions sociales, que nous bénéficions aujourd’hui. Les grands noms comme les dates sont retranscrits et vérifiables pour tout esprit curieux, en quête de vérité. Le lecteur sera alors devant cette épopée, ces aventures d’une poignée d’hommes oubliés, parce que contraire à l’idéologie dominante du « prêt à penser ». Ils forment cette permanence historique de l’alliance entre l’aristocratie et le peuple nous venant du fond des âges. Cette étude représente une approche permettant de comprendre ce qui fait l’esprit Français et le sens communautaire qui permit de traverser les écueils des drames historiques comme de survivre aux idéologies mortifères qui nous gangrènent encore aujourd’hui. Notre passé est une base de travail afin de comprendre notre présent pour anticiper l’avenir et c’est nous, comme le disait Bernanos, qui faisons cette histoire.

Notre jour viendra !

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Le corporatisme. Notre avenir pour nos métiers :

Corporatisme ! S’il y a bien un mot qui est totalement galvaudé à ce jour, c’est bien celui-là. Dans l’esprit de beaucoup de personnes, il est synonyme de communautarisme sectaire ou caste oeuvrant essentiellement pour ses intérêts privés au détriment du bien commun. Pourtant, au-delà de cette définition erronée, que désigne véritablement ce mot ?
Le sociologue René de la Tour du Pin a formulé lui-même une réponse simple et claire sur ce que désigne avant tout le corporatisme. Il définit le corporatisme comme étant la troisième école d’économie politique. Selon lui, il y a :
« Celle où l’on considère l’homme comme une chose », c’est le libéralisme.
« Celle où on le considère comme une bête », c’est le socialisme.
« Celle ou on le considère comme un frère », il s’agit alors du corporatisme.

C’est de cette troisième école d’économie politique dont il est question dans ce livre. Nous allons vous faire découvrir une approche différente de la gestion du monde du travail, au-delà des doctrines libérales ou marxisantes qui ont, depuis trop longtemps déjà, façonné notre vie économique et professionnelle. Le régime corporatif que nous proposons est celui qui a largement fait ses preuves dans l’histoire des peuples européens. Il est celui des bâtisseurs de cathédrales, eux-mêmes héritiers des bâtisseurs de la Grèce et la Rome antique. Il est celui qui sut donner une réelle noblesse professionnelle aux artisans de jadis, qui façonnèrent de par leur savoir-faire, notre beau pays qu’est la France. Il est le régime qui fit largement ses preuves durant les siècles de notre histoire, avant d’être supprimé arbitrairement par les révolutionnaires de 1791, au profit d’un libéralisme économique qui institua le règne de l’argent, avec pour conséquence, la prolétarisation du monde ouvrier.

Adapté aux réalités de notre époque, le corporatisme pourrait redéployer toute sa puissance pour forger une génération de professionnels qui retrouveraient leurs responsabilités dans la gestion de leurs métiers et de l’économie qui en découle. Plus que jamais, le corporatisme se présente comme une solution d’avenir possible pour un monde du travail libéré du joug de la haute finance et du parasitisme.

Découvrez et faites découvrir cette étonnante école qu’est le corporatisme, et puissiez-vous avoir à votre tour, la conviction d’un avenir possible avec cette solution, à la fois traditionnelle dans ses principes, et originale et moderne dans sa pratique.

Cercle Lutétia : Aux origines de la Question sociale :

Le Cercle Lutétia a pour vocation de faire connaître les fondements et les raisons du royalisme et de la Monarchie en France, et d’étudier ceux-ci, avec l’aide des travaux et des réflexions menés sur la société française, ses évolutions et ses institutions, selon une perspective historique mais aussi et surtout politique. Le texte ci-dessous est la première partie d’un cercle d’études sur les origines de la question sociale en France, et il doit être l’occasion de discussions, de précisions ultérieures et de critiques constructives : il n’est donc qu’une ébauche, celle qui appelle à la formulation et à la rédaction d’une étude plus vaste et mieux construite sur cette question qui préoccupe tant nos contemporains et à laquelle les royalistes sociaux du Groupe d’Action Royaliste consacrent aussi tant de temps et d’énergie, dans leurs réunions et publications comme sur le terrain, dans la rue ou sur leur lieu de travail…

 

Lorsqu’on évoque la question sociale en France, on oublie souvent ses racines, ses origines, son histoire tout simplement, et l’on se contente trop souvent de quelques idées reçues, confortant l’idée, largement fausse, que seule « la gauche » (1) s’y serait intéressée et s’y intéresserait encore, comme une sorte d’avant-garde revendiquée des travailleurs ou de la « classe ouvrière ». Mais il est tout à fait possible, et encore plus convaincant, de rétorquer que la première mention de la « justice sociale » est attribuée au… roi Louis XVI, celui-là même qui va affronter la tempête révolutionnaire et, malheureusement, être emportée par elle, tout comme l’édifice social et corporatif qui, jusque là, constituait un modèle original et une alternative véritable et tout à fait crédible au modèle anglosaxon pas encore totalement dominant quand il avait, pourtant, conquis déjà les esprits des nobles et des bourgeois éclairés, anglophiles et libéraux.

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Pour une Monarchie sociale et corporative :

Pourquoi préconisons-nous le système Monarchique comme élément essentiel à la prospérité du régime corporatif ? Le système républicain ne pourrait-il pas s’en charger lui-même ? Le problème ne vient-il pas de nos dirigeants et non du système de gouvernement en tant que tel ?

La réponse à ces questions légitimes est clairement : NON !

Premièrement, parce que contrairement à une idée reçue, de par le passé, la Monarchie française et les classes laborieuses ont toujours fait bon ménage. C’est grâce à la Monarchie que, dans l’ancienne France, le régime corporatif a pu s’établir, durer et prospérer. La Monarchie reste et cela depuis les grecs anciens tel Aristote, le couronnement des 3 pouvoirs : démocratie dans la commune, l’aristocratie dans la province avec la monarchie dans l’Etat. La Monarchie possède en son institution le principe de subsidiarité, cher aux chrétiens, qui est l’autonomie complète du citoyen au sens grec bien évidemment. Cela veut dire que tout ce que le citoyen peut et doit gérer lui-même dans ses sphères d’attribution et responsabilités : famille, métier, associations, ville, commune… ne doivent pas être gérer par l’Etat. Deuxièmement, la Monarchie est intéressée à la réorganisation corporative, seule garantie d’une vraie liberté du travail. La Monarchie ne peut vivre sans les libertés corporatives, comme les libertés régionales, provinciales et familiales. Elle ne se maintient qu’à la condition de les protéger, de même que la république ne subsiste qu’à la condition de les étouffer, car le principe qui est à la base de la république, c’est l’élection ; à la base de la Monarchie française, il y a l’hérédité. Parce que le pouvoir républicain est électif, son existence est à la merci d’un scrutin. Pour durer, il s’arrange de manière à ce que le scrutin lui soit toujours favorable, en faisant de l’individu son débiteur. Or l’individu ne devient vraiment débiteur du pouvoir républicain que lorsque ce pouvoir est le seul dispensateur des grâces, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe pas, pour protéger l’individu, d’autre forteresse que l’Etat républicain. Cela ne veut pas dire que les élections n’existent pas en Monarchie, bien au contraire mais celles-ci sont débarrassées du parasitisme des partis. Les élections, plus nombreuses en Monarchie, sont liées au quotidien des Français, dans tous ce qui les touchent de près : organisation citadine, des métiers, représentants aux conseils de province, impôts, écoles, etc…

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Contre la spoliation des caisses de retraites autonomes par la République ! :

La question des retraites n’a pas fini d’agiter le pays ces prochains mois, et les premières manifestations de vendredi et de lundi derniers ont montré, à qui en doutait encore, qu’elle était éminemment sensible, même s’il est évident que leur gestion nécessite une réforme, voire une « révolution » de son approche et de sa résolution. Le système général des retraites apparaît à bout de souffle et, plus sûrement encore, à court d’argent frais, au risque d’entraîner, si l’on n’y prend garde, un véritable écroulement de l’économie des retraites et un appauvrissement forcé des populations sorties du monde du travail. La réforme est nécessaire mais pas n’importe laquelle, et pas en détruisant ce qui fonctionne au nom d’un principe d’égalité qui oublierait celui de justice, en particulier sociale.

 

Or, le projet gouvernemental, qui s’appuie sur la promesse électorale macronienne bien hasardeuse de la mise en place d’un régime universel, signifie (s’il est voté et appliqué tel qu’il se dessine aujourd’hui) ce que les avocats qualifient de « spoliation » : en effet, le projet prévoit la fin des régimes particuliers (que l’on pourrait qualifier de « corporatifs ») et des caisses autonomes de retraites développées et gérées par nombre de professions libérales, et souvent excédentaires quand le régime général, lui, menace faillite… Un vieux royaliste m’affirmait l’autre jour, avec un brin d’ironie, que M. Macron préparait « un nouveau 1791 », en référence à la dissolution des corporations et à la fin de leurs garanties et avantages particuliers liés aux métiers et à leur organisation, ainsi qu’à leurs patrimoines respectifs (1)… A y bien y regarder et même si, dans un premier temps, la manœuvre gouvernementale pourrait s’apparenter à une forme de « nationalisation » des fonds de ces caisses aujourd’hui autonomes (« Près de 30 milliards d’euros sont en jeu », affirme le quotidien L’Opinion dans son édition du lundi 16 septembre…), elle ouvrirait néanmoins la voie à une forme de « libéralisation » (de privatisation « douce » ?) du système des retraites au profit d’organismes financiers ou de compagnies d’assurance, par le biais d’une « capitalisation » non pas imposée mais fortement valorisée ou favorisée par la réforme elle-même, pas forcément dans le texte mais dans son esprit, ce qui paraît plus habile et non moins dangereux pour les indépendants comme pour les salariés…

Or, au lieu de les supprimer en les « intégrant » (ici synonyme de « confisquant »…) au régime général, ne serait-il pas plutôt intéressant de s’en inspirer et de les étendre à nombre d’autres professions ou secteurs ? Si l’on lit la tribune du collectif SOS Retraites qui regroupe des organisations de métiers fort différents comme avocats, médecins, infirmières, kinésithérapeutes, orthophonistes, etc., l’on comprend mieux l’enjeu : « Nous avons en effet en commun d’avoir été tenus « à côté » du régime général de retraite depuis sa création pour les salariés et les fonctionnaires en 1945. Nous nous sommes organisés, profession par profession, pour créer nos régimes de retraite. Pas spéciaux, autonomes. (2)» N’est-ce pas le processus qui, en d’autres temps, a formé les Métiers, appelés aussi corporations à partir du XVIIe siècle, et qui a permis de garantir au fil des temps des conditions acceptables pour tous ceux qui y travaillaient et qui, un jour, accéderaient à un repos professionnel mérité ? C’est en tout cas ce que les royalistes sociaux, qualifiés parfois de corporatistes, prônent en réclamant « la propriété du métier » et « le patrimoine corporatif », et que certaines professions ont, concrètement, mis en pratique ! Mais, là encore, la République ne sait pas créer, au sens professionnel du terme, et elle préfère spolier, confisquer, récupérer ce que la sueur des hommes a ensemencé, et cela dans une perspective purement idéologique et comptable : la logique de la République « une et indivisible » ne peut que difficilement (et provisoirement) accepter que des associations professionnelles, des corps de métiers ou des corporations, s’organisent « hors d’elle », et l’actuel projet de réforme le démontre à l’envi. On comprend mieux pourquoi, dans les discours officiels comme ceux des idéologues libéraux, le « corporatisme » est un terme toujours employé dans un sens péjoratif quand, dans la réalité concrète des professions libérales, celui-ci est la meilleure garantie des libertés et des droits professionnels, y compris après le temps du travail.

 

De plus, ces caisses autonomes sont généralement plus efficaces que la République ou que les syndicats officiels pour maîtriser les dépenses et valoriser les revenus de la profession. Comme le souligne le collectif SOS Retraites, « nos régimes autonomes sont tous équilibrés, alors que le régime général est gravement déficitaire. Peut-être parce que nous avons été prévoyants là où les gouvernements successifs ont procrastiné : nos régimes autonomes ont anticipé le choc démographique, y compris en prenant des mesures contraignantes ». Or, à défaut de prévoir et de gouverner, et comme je l’évoque plus haut, la République préfère taxer ou spolier « au nom de (sa) loi », ce que dans l’édition du lundi 16 septembre du Figaro (pages économie) rappelle Paule Gonzalès à travers un exemple concret : « le projet de réforme (…) va obliger la profession [des avocats] à fusionner son régime des retraites avec le régime général. (…) Il va aussi résulter de cette fusion imposée le versement dans le pot commun de 2 milliards d’euros de provisions, réalisées au fil des ans par une profession prudente, anticipant l’évolution démographique », anticipation et bonne gestion que le régime général et les gouvernements successifs de la République n’ont ni voulu ni su faire, prisonniers qu’ils étaient d’un système politique qui repose sur l’élection et la promesse plutôt que sur la raison et la prévision… En pensant en termes de clientèle plutôt que de corps de métiers et de bien commun, la République sacrifie ce qui « marche » quand cela semble échapper à son contrôle, ce que Fanny Guinochet résume dans les pages de L’Opinion à propos de cette réforme : « Surtout, s’installe cette petite musique négative que cette réforme ne fera que des perdants » (…). Non seulement des perdants… mais sanctionnera aussi les bons élèves ! »

 

Oui, le vieux royaliste que j’évoquais plus haut a raison : c’est bien « un nouveau 1791 » que le gouvernement de la République nous prépare… Il faut souhaiter que, connaissant la triste histoire sociale de cette année-là et ses conséquences, les principaux intéressés ne se laisseront pas faire. Mais, sans doute faut-il aller plus loin et en appeler à la constitution de nouveaux régimes (et caisses) autonomes de retraite pour toutes les professions qui le veulent et le peuvent, librement et publiquement, sans possibilité pour l’Etat de les confisquer ou d’attenter à cette « propriété corporative ». En somme, entre un modèle libéral peu soucieux des « autres » et un modèle étatiste confiscatoire du travail et de ses fruits, il est temps de penser plus globalement un autre modèle qui existe déjà à travers ces régimes autonomes de retraite pour nombre de professions : un modèle dans lequel le travail est reconnu et sa qualité garantie, un modèle qui ordonne la profession et assure les accidents ou les lendemains du travail par la constitution d’un « patrimoine corporatif »… Un modèle d’organisation corporative approprié à notre pays et à ses particularités professionnelles, pour que capacités productives, garanties de qualité et de pérennité, et justice sociale s’accordent plutôt que se combattent.

Jean-Philippe Chauvin

 

Notes : (1) : le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de mars et juin 1791 qui abolissent les corporations et interdisent toute association professionnelle, mais aussi suppriment le droit de grève et les systèmes corporatifs d’entraide et de solidarité au sein d’un métier donné… Les lois les plus « antisociales » de toute l’histoire de France !

 

(2) : Dans Le Figaro (pages économie), une avocate complète la dernière formule : « Un régime autonome, et non pas spécial, qui n’a pas coûté un centime au contribuable », ce qui n’est pas négligeable, tout de même !