Jean-Philippe Chauvin

Rendre vie et pouvoir(s) aux corps intermédiaires.

La République macronienne peut-elle se réjouir du passage en force d’une réforme des retraites qui, si l’on en croit quelques ultras du libéralisme et les experts de la Commission européenne, ne peut être que provisoire et considérée, ainsi, comme inachevée ? Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est pourtant rejeté par 93 % des Français actifs (1), ce qui est révélateur du malaise social ambiant et de la défiance du monde des travailleurs à l’égard du gouvernement. Mais ce qui est encore plus marquant dans cette confrontation entre les promoteurs de la réforme et ses opposants, c’est l’absence de considération du pouvoir en place et de son premier magistrat à l’égard des corps intermédiaires, dans une logique similaire à ce que fut celle des constituants de la Révolution française quand ils rédigèrent et votèrent les lois d’Allarde et Le Chapelier en cette triste année 1791, la pire pour les travailleurs sur le plan social de toute notre histoire contemporaine : même les syndicats et les revues économiques commencent à le reconnaître à nouveau, après un long déni de plus d’un siècle et demi (2), et c’est toujours cela de gagné, ne serait-ce que pour la compréhension de la question sociale en France.

C’est ainsi, ce mois d’avril 2023, la revue Alternatives économiques (3) qui évoque la difficulté d’établir des compromis sociaux en France depuis la Révolution française : « C’est une longue histoire qui remonte à la Révolution française. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, celle-ci fut avant tout un grand moment de libéralisme sur le terrain économique et social. Une des premières tâches que se donnèrent les révolutionnaires fut en effet d’abolir les corporations qui freinaient le dynamisme économique du pays. (4)
« Mais, avec elles, ils interdirent aussi toutes les formes de syndicalisme naissant et de négociation contractuelle avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier adoptés en 1791. Devant la Convention, Isaac Le Chapelier posait clairement les enjeux : « Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. » Entre l’Etat et le citoyen, la République ne veut connaître aucun « corps intermédiaire ». » Il y aurait quelques précisions à apporter à ces extraits, en particulier sur le fait que la Révolution, d’abord individualiste et libérale, ne pouvait faire autrement, en bonne logique, que de supprimer les libertés concrètes et les protections du monde des travailleurs pour assurer le plein triomphe d’une Liberté du travail qui n’était rien d’autre que la liberté de celui qui avait les moyens de le financer : désormais, l’Argent l’emporte sur le Travail, et ce dernier change, en définitive, de fonction sociale. C’est aussi l’une des causes du mal-être au travail pour nombre de salariés aujourd’hui et de sa dévalorisation, y compris aux yeux de ceux qui en tirent un profit financier (autre que le simple revenu du travailleur lui-même) : ceux-ci se moquent bien que ce soit un être humain ou un être d’acier et de plastique qui produise pourvu que ce qui est produit leur soit le plus bénéfique possible, qu’ils soient actionnaires ou dirigeants d’entreprise (souvent à la façon d’un mercenaire, recruté pour optimiser la valeur de l’entreprise sans avoir d’autre lien avec celle-ci que le contrat qui l’attache, provisoirement, à l’histoire de l’entreprise).

Mais les syndicats n’ont pas remplacé les corporations, et cela même si leur action peut être bénéfique en certains cas, au cœur des entreprises ou des administrations, pour assurer la défense des droits des travailleurs : ne les accuse-t-on pas alors, d’ailleurs, de « corporatisme », comme si c’était un crime (et cela le serait aux yeux de M. Le Chapelier…) de défendre les intérêts des travailleurs d’une branche d’activité professionnelle en faisant appel à la mobilisation d’un corps constitué (sur des intérêts communs à un groupe socioprofessionnel) se voulant représentant de ceux-ci ? Mais la lutte des classes que, longtemps, les syndicats ont promue de façon plus idéologique et mécanique que véritablement pratique et efficace, a parfois limité la portée de leur existence même. Vecteurs de grandes mobilisations qui ont eu leur utilité, et c’est encore vrai aujourd’hui (5), les syndicats souffrent d’une marginalisation croissante dans une société dominée par l’individualisme et la balkanisation des appartenances : environ 7 % seulement des salariés sont officiellement syndiqués dans notre pays, ce qui peut servir d’argument pour décrédibiliser la parole des syndicats, même si certains d’entre eux se décrédibilisent très bien tout seul par des actions irréfléchis et, parfois, irresponsables, au risque de fragiliser, au-delà de leur propre image, l’activité économique elle-même des entreprises ou l’efficacité des services et des administrations.

Ainsi, si les syndicats sont plus que jamais nécessaires à la vie sociale de notre pays, il paraît tout aussi nécessaire de repenser le cadre de leur action et les institutions ou instances de discussion et de proposition qui puissent jouer un rôle de médiation entre les autorités politiques et les forces actives du monde du travail : en somme, il s’agit de rendre aux corps intermédiaires une organisation qui leur permette de dédramatiser les situations de crise, voire de les désenfler ou de les désarmer avant qu’il ne soit trop tard et que le ressentiment n’empêche toute concorde nationale et toute possibilité de sortie de crise honorable et juste pour chacun des acteurs engagés dans un bras de fer social. Néanmoins, le rôle de l’Etat ne doit pas être d’imposer une organisation socio-professionnelle qui serait « à sa main », mais bien plutôt de susciter cette organisation (éventuellement de lui fournir un cadre institutionnel légal) qui doit être l’œuvre des acteurs sociaux eux-mêmes, des syndicats de salariés aux associations patronales, des entreprises aux conseils de consommateurs, etc. En revanche, l’Etat pourrait réfléchir à la valorisation de l’actuel Conseil économique, social et environnemental sous la forme d’une sorte de « sénat des métiers et services » qui pourrait se combiner au sénat actuel.

En fait, ce ne sont pas les idées et propositions qui manquent, mais bien plutôt le manque de volonté politique, au-delà même de quelques blocages idéologiques, autant du côté de l’individualiste pro-Le Chapelier qu’est le président actuel que de celui des jacobins qui l’entourent mais aussi chez certains syndicalistes marqués par le refus des compromis (confondant ceux-ci avec les compromissions) et du dépassement de la lutte des classes, cette dernière devenant nihiliste et contre-productive quand elle se fige en dogme définitif… (6)

Certains diraient que la société est bloquée : en fait, c’est plutôt la République actuelle qui est bloquante, et le comprendre, c’est déjà ouvrir le champ des possibles vers d’autres perspectives institutionnelles, non comme une fin, mais bien plutôt comme un moyen, un simple moyen mais un moyen nécessaire pour débloquer ce qui doit l’être, et permettre l’épanouissement des corps intermédiaires et des libertés socio-professionnelles et corporatives…




Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : C’est une étude publiée en janvier dernier par l’Institut Montaigne, pas particulièrement de gauche, qui l’affirme, en se basant sur un échantillon représentatif de 5001 actifs (et non de retraités ou de jeunes en cours de formation…) : cette quasi-unanimité pose problème sur l’acceptabilité de la réforme qui, si elle est appliquée, se heurtera sans doute à un effet d’effort décroissant de la part des travailleurs les plus proches du moment de départ. La productivité générale pourrait s’en trouver affectée, ce qui serait dévastateur, d’une part à cause d’une création de valeur plus coûteuse sans être plus efficace, d’autre part à cause de l’impossibilité de faire appel à de nouvelles énergies dans les professions concernées par le souci évoqué auparavant sans alourdir les frais de fonctionnement des entreprises et des administrations.

(2) : En fait, le déni n’était pas si complet que cela, et les socialistes et les syndicalistes de la première moitié du XIXe siècle dénonçaient la loi Le Chapelier et l’interdiction de toute grève et toute association ouvrières qu’elle portait en ses articles 2 et 8… Mais la politique, peu à peu, l’a emporté sur le social, et la Révolution est devenue, aux yeux des partisans de gauche, un « bloc » dont il était désormais malvenu de critiquer quelque aspect qu’il soit : du coup, les lois autorisant la grève (loi Ollivier de 1864) et les syndicats (loi Waldeck-Rousseau de 1884) firent oublier les causes législatives et révolutionnaires du malheur ouvrier français du temps de l’industrialisation…

(3) : L’article d’Alternatives économiques de ce mois d’avril est signé par Guillaume Duval, pages 28-31.

(4) : Cette assertion sur le frein au dynamisme économique que les corporations constitueraient n’est pas exactement vérifiée par l’histoire économique et sociale de notre pays : mais elles limitaient effectivement les appétits des puissances d’argent (réelles ou potentielles) par l’exigence de l’appartenance au Métier de ceux qui souhaitaient en tirer profit financier et par celle de l’obligation de qualité, autant de production que de service, et de respect de bonnes conditions de travail des ouvriers (respect parfois plus théorique que réel, mais néanmoins contrôlé par les corporations elles-mêmes et juridiquement confirmé à l’occasion…). Ce modèle économique et social particulier de celle qui était alors la première puissance économique d’Europe était, en tout cas, un frein au capitalisme débridé et aurait pu constituer, si la Révolution française, ne l’avait pas détruit légalement et juridiquement, une véritable alternative au modèle anglo-saxon qui devint ouvertement dominant depuis le XIXe siècle…

(5) : Le rôle des syndicats dans la contestation de la réforme des retraites est important et nécessaire, et la négligence du gouvernement et du président à leur égard peut expliquer le surprenant sondage de ce mercredi 5 avril 2023 qui évoque une possible (et nette !) victoire de Mme Le Pen face à M. Macron si le second tour de la présidentielle avait eu lieu aujourd’hui est éminemment révélateur ! « Tout se paye », dit le proverbe…

(6) : La lutte des classes est un fait dans les sociétés dites capitalistes, et il n’est pas certain, qu’en suivant sa logique jusqu’au bout, à la fin, ce soit forcément les travailleurs qui gagnent… D’où la nécessité de la suivre parfois, mais de toujours penser qu’elle doit être dépassée et qu’il s’agit de construire une société politique où ce soit plutôt la conciliation des classes (et non leur confusion ou disparition) qui l’emporte, dans l’intérêt de tous et, au-delà, du pays lui-même et de son avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », selon l’heureuse formule maurrassienne…


Macron, l’inverse d’un roi de France

Décidément, cette réforme des retraites nous rappelle que, en France, le temps compte parfois plus que les affaires d’argent, et vouloir reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (1) n’est pas politiquement crédible, comme le souligne le politologue Jérôme Fourquet dans les colonnes du Point cette semaine : « (…) le fond de la réforme est particulièrement impopulaire. Sur le sujet des retraites, il y avait déjà eu de grandes mobilisations contre la réforme de 2010 voulue par Nicolas Sarkozy. Mais, à l’époque, 53 % des Français jugeaient « acceptable » le recul de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. L’Ifop a posé la même question la semaine dernière, sur le recul de l’âge de 62 à 64 ans… Il n’y a plus que 37 % de Français à considérer que c’est acceptable. Cet écart de 16 points change la donne et illustre un degré d’acceptabilité bien plus faible. » Or, il n’y a pas de politique possible sur le long terme s’il n’y a pas un accord minimal des populations avec l’Etat chargé de la pratiquer durant le quinquennat : non pas que le sentiment populaire soit divin, mais il importe d’en écouter les murmures, les battements de cœur, les colères. La République eurofrançaise (maëstrichienne selon l’expression mille fois répétée du philosophe Michel Onfray) ne raisonne plus « du pays vers le monde » mais, a contrario, suivant une logique de mondialisation et d’adaptation à celle-ci, logique terrible qui place les personnes après les intérêts économiques. Non qu’il faille oublier les contraintes de l’économie et nos devoirs nationaux à l’égard de nos partenaires, que cela soit dans le cadre de l’Union européenne ou, plus largement, à l’échelle du monde et de l’histoire, mais il s’agit de remettre les priorités dans l’ordre.

Le soulèvement des Gilets jaunes avait marqué le premier quinquennat de M. Macron mais le président avait habilement manœuvré et il a su profiter de la « grande peur des bien-pensants » pour reprendre la main et se faire réélire en suivant la même stratégie, non celle de l’élan démocratique mais plutôt de la défense républicaine contre un hypothétique péril pour la République incarné par celle qui se rêve en Giorgia Meloni française… Mais aujourd’hui la contestation de la réforme Borne s’est muée, comme le signale à raison M. Fourquet, en une contestation de la présidence Macron, et le fusible primo-ministériel est déjà grillé, plaçant le locataire de Mme de Pompadour en première ligne ! La dyarchie républicaine (selon le droit constitutionnel…) ne préserve plus le souverain électoral présidentiel, et c’est la monocratie républicaine (souvent confondue à tort avec la Monarchie royale) qui apparaît désormais menacée, dans un schéma de crise des institutions qui dépasse ceux qui les occupent aujourd’hui : « (…) c’est très compliqué de se sortir d’un tel bourbier. J’ai tendance à penser qu’un remaniement ne produirait rien. On peut changer les fusibles en nommant un nouveau gouvernement. Mais remplacer des inconnus par d’autres inconnus, ça n’a jamais servi à grand-chose. Le point de crispation s’appelle Emmanuel Macron, et sa lecture très jupitérienne des institutions. » (2) Jupiter, en imposant à son Premier ministre Mme Borne de frapper l’Assemblée nationale d’un 49.3 (49.3 qui, par essence, a foudroyé toute discussion sur le débat en cours) s’est transformé, aux yeux de nombre de nos concitoyens, en un incendiaire irresponsable et a réactivé une contestation qui semblait en passe de s’épuiser. Et son discours de justification de mercredi dernier a prouvé à qui en doutait encore que n’est pas de Gaulle qui veut, ou alors celui de l’intervention télévisée ratée du vendredi 24 mai 1968…

Néanmoins, certains manifestants, dans leurs slogans, ont confondu le président avec un roi, et lui ont promis le sort de Louis XVI qui, pourtant, fut l’inventeur de la formule « justice sociale » en 1784 et celui qui, sans le dire expressément, a mis en place la première expérience française de suffrage universel en même temps qu’il demandait à tous les peuples de France, dans leurs paroisses et leurs métiers, de rédiger des cahiers de doléances (il y en eut alors 60.000 sur tout le royaume) : en fait, il y a un grand malentendu sur ce qu’est un roi, ce que le philosophe Marcel Gauchet avait compris et explicité en quelques lignes qu’il importe de reprendre ici : « Un roi, ce n’est pas un manager, pas un patron de start-up qui secoue ses employés pour qu’ils travaillent dix-huit heures par jour pour que les Français, par effet d’entraînement, deviennent tous milliardaires ! Dans la tradition française, un roi, c’est un arbitre. Quelqu’un qui est là pour contraindre les gouvernants à écouter les gouvernés. Quand les gens accusent Macron d’être le président des riches, ils lui reprochent surtout de ne pas être l’arbitre entre les riches et les pauvres. » (3). La fonction arbitrale de Chef de l’Etat est, aujourd’hui, une demande forte des citoyens, ne serait-ce que parce qu’un arbitre aurait l’avantage, majeur à leurs yeux, d’écouter les doléances du pays tout entier, au-delà même d’un pays légal qui ne leur apparaît pas forcément le plus légitime pour les représenter… Puisque la République ne semble plus en mesure de répondre à cette attente des citoyens, il n’est donc pas interdit de penser qu’une nouvelle forme institutionnelle de la magistrature suprême pourrait être pensée, voire établie : une nouvelle, une vraie Monarchie royale ? Pour ma part, le point d’interrogation est superflu : il s’agit désormais de le faire savoir, autant que faire se peut, à nos compatriotes…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Ce fameux report de l’âge légal de départ à la retraite que certains peuvent voir ou vivre, dans les professions les plus exposées aux risques industriels ou fonctionnels, comme un âge désormais létal… Il est vrai que l’espérance de vie des travailleurs de force, par exemple, est inférieure d’environ 7 ans à celle d’un professeur, voire de 12 ans si on la compare avec les classes les plus aisées de notre société.

(2) : Toujours Jérôme Fourquet, dans Le Point, 23 mars 2023.

(3) : Entretien avec Marcel Gauchet, dans le journal belge Le Soir, le 25 décembre 2018.


La susmulgation, pour en finir avec la réforme des retraites ?

Un nouveau mot commence à se murmurer dans les rangs des opposants mais aussi de quelques partisans effrayés de la réforme des retraites de Mme Borne : susmulgation ! Ce mot barbare cache en fait une réponse à l’impasse politique actuelle et ce qu’il recouvre a déjà été appliqué il y a un peu moins de vingt ans, en 2006, après l’adoption (sans acceptation…) et la promulgation du Contrat Première Embauche (CPE) défendu par le Premier ministre de l’époque Dominique de Villepin, puis plus récemment en 2020, comme le rappelle L’Opinion dans son édition des 17 et 18 mars derniers : ainsi, après cette adoption forcée du texte sur le CPE par le recours au 49.3 (décidément !), « si la loi est promulguée, son application est suspendue – on parle de « susmulgation » face à la bronca des jeunes. (…) Le 29 février 2020, Edouard Philippe met fin à l’obstruction des opposants à la réforme systémique des retraites. Le texte est adopté, mais son application est suspendue du fait de la crise sanitaire, puis abandonnée. » En somme, deux fois en moins de vingt ans, la susmulgation a envoyé deux textes importants aux oubliettes légales, parfois sans vraiment d’envie de la part de ceux qui les avaient prônés d’aller les y repêcher. Cela pourrait-il être le destin de la nouvelle (mais pas l’ultime) réforme sur les retraites ?

Pour cela, il y faudrait plusieurs conditions, pas encore réunies à ce jour : 1. Une contestation (dans les rues et dans les lieux d’études et de travail, principalement) si importante que le président de la République soit obligé de lâcher du lest envers une opinion publique et une France du Travail majoritairement hostiles au report de l’âge légal de départ à la retraite de 64 ans ; 2. Une remise à plat de la question et du débat sur les retraites et leur financement, voire du système même de solidarité intergénérationnelle et des formes d’épargne (individuelle ou « corporative ») susceptibles d’assurer un revenu aux populations sorties du « temps de l’emploi rémunéré » ; 3. Une situation économique qui renoue avec une certaine prospérité susceptible de dégager des marges de manœuvre financières et sociales…

La troisième condition ici évoquée est, avouons-le, peu probable dans l’immédiat, du fait de la guerre froide économique qui, aujourd’hui, caractérise la mondialisation (ou la bi-mondialisation en train de naître avec la guerre en Ukraine ?) et fragilise les positions françaises malgré les velléités de réindustrialisation de M. Le Maire : l’augmentation du nombre de défaillances d’entreprises en France ces derniers mois ; la persistance d’une inflation importante (en particulier sur les prix alimentaires) et les risques de pénuries énergétiques mais aussi la sécheresse hivernale qui n’annonce rien de bon pour le secteur de la production agricole cette année ; tout cela n’est guère favorable à la prospérité économique, même si cette mauvaise passe est surmontable ou, au moins un temps, supportable…

Restent les deux autres conditions : la première, celle d’une contestation sociale (et politique ?) triomphante ou, au moins, assez bruyante pour couvrir la voix de l’exécutif et gêner le travail législatif, n’est pas impossible mais est aussi la plus glissante si elle n’est pas ordonnée à un véritable projet politique, à une alternative crédible (fut-elle audacieuse), et si elle risque de dégénérer en poussée nihiliste qui nous rappelle la mise en garde de Maurras : « la politique du pire est la pire des politiques ». Les rues dévastées et les hôtels attaqués (comme à Rennes la semaine dernière), les poubelles enflammées (et fondues…) et les vitres des commerces brisées, rien de cela ne peut être bon quand les slogans qui les accompagnent participent d’un folklore extrémiste et d’une violence, non pas anarchiste mais anarchique. Pour autant, au-delà des désordres de la rue, il n’est pas impossible de penser que les risques d’une inflammation tournant à l’embrasement pourraient amener le Pouvoir à revoir sa position et à appliquer cette susmulgation de façon plus ou moins discrète, par exemple en annonçant un report de la promulgation ou de l’application du texte adopté (par défaut, en fait…) ces jours derniers. Cela peut se faire sous le couvert d’une nouvelle forme de « grand débat national » comme au sortir de la crise des Gilets jaunes, et qui valoriserait la deuxième condition que j’évoquais plus haut : une façon de sortir « par le haut » de la crise en renouant avec les différents acteurs sociaux (et, donc, remettre les corps intermédiaires en selle, alors que le président les snobe allégrement depuis sa première élection ?) ou directement avec les citoyens-électeurs, et de repopulariser, au moins en apparence sa présidence ?

Pour l’heure, les propos présidentiels de ce mercredi 22 mars ne sont guère apaisants et les soirées prochaines risquent d’être difficiles pour le repos des citadins des métropoles françaises, quand les journées seront occupées par les défilés incessants des protestataires (dont je suis sans partager forcément les couleurs, ayant les miennes qui sont, encore et toujours – et plus que jamais – fleurdelysées, couleurs que je ne cache nullement à mes voisins de promenade revendicative). Au-delà de cette révolte sociale sur le sujet du temps de travail, il paraît tout de même urgent de repenser la question sociale mais aussi les conditions économiques d’une prospérité qui, en créant de la valeur, peut favoriser un nouveau partage plus juste des fruits du labeur… Et si cela passait, d’abord, par le politique ? « Faites-nous de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis à François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe ; ce même baron Louis qui, déjà, avait avec la même philosophie redressé les finances de la France sous la Restauration, après 1814… Il n’est pas sûr que la République ait son baron Louis, mais il est de plus en plus certain que la République, au moins depuis une quarantaine d’années, ne fait pas cette « bonne politique » qui permettrait la prospérité et, au-delà, la justice sociale…



Jean-Philippe Chauvin

Les retraites ne sont pas solubles dans le 49.3 !

Ces derniers jours ont été bien agités dans les villes de France, et les slogans des manifestants n’ont pas suffi à étancher la colère qui, sur les lieux de travail ou de convivialité, s’exprime de façon de plus en plus imagée et, en définitive, de moins en moins tranquille : autant dire que le 49.3 a jeté une immense bassine d’huile sur un feu qui ne demandait qu’à se transformer en incendie ! Est-ce de la maladresse de la part d’un président qui paraît de plus en plus absent à la France ou du cynisme, une façon de provoquer une opinion publique qui, malgré les manifestations syndicales des dernières semaines, tendait pourtant à se résigner à cette mesure impopulaire du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans ?

Il est étonnant de constater que ce président qui emploie souvent le vocabulaire de l’audace et du courage se réfugie, à la fois craintif et arrogant, derrière un article qui, tout constitutionnel et démocratique qu’il soit, n’en reste pas moins, dans le cas présent, comme un soufflet aux parlementaires, à ce pays légal (de l’Assemblée nationale mais aussi du Sénat) qui d’ordinaire se plie aux apparences de la dispute politique au sein des assemblées et sur les plateaux de télévision et qui, aujourd’hui, se trouve frustré par le Chef de l’Etat de son occupation principale : car, que reste-t-il aux parlementaires d’opposition, par exemple, si ce n’est la seule voie du courage suicidaire ? Si la motion de censure la plus réaliste (1), celle des centristes, réussissait à renverser le gouvernement d’une Madame Borne déjà condamnée au départ prochain, l’Assemblée nationale serait immédiatement dissoute et de nouvelles élections législatives, si l’on en croit les derniers sondages, ne changeraient pas fondamentalement les équilibres actuels, au risque de verser un peu plus dans une sorte de retour à feue la Quatrième République et, donc, à une ingouvernabilité qui serait la pire des politiques pour une France qui, en fait, a besoin d’une direction claire, affirmée et, surtout, volontaire et indépendante, en un mot : souveraine !

En fait, à moins d’une grande surprise (2), le gouvernement ne tombera pas, et la réforme des retraites de 2023, qui entrera alors en vigueur dès cette année, n’est que le prélude à celle de 2027 (déjà annoncée par quelques prétendants au siège élyséen et voulue par les instances européennes comme par les milieux financiers) destinée à aligner l’âge légal de départ à la retraite sur les recommandations de la Commission européenne (3), soit 67 ans…

Alors, que faire ? Il m’apparaît nécessaire de continuer à dénoncer un report désormais toujours plus loin de l’âge de départ à la retraite, particulièrement injuste pour les classes laborieuses (au sens fort du qualificatif) et populaires, ouvrières, paysannes et d’employés, sans négliger néanmoins que certains peuvent vouloir poursuivre leur profession au-delà de l’âge légal de départ à la retraite et qu’il faut aussi leur ouvrir cette possibilité : un peu de souplesse dans le système d’accès à la retraite est évidemment nécessaire, ce que la réforme Borne, mal ficelée et fort incomplète en plus de ne pas être socialement juste, n’évoque même pas, preuve de son caractère purement technocratique et financier… Mais il faut aller plus loin dans la réaction et rappeler qu’il ne pourra y avoir de pérennité du système de retraites par répartition que s’il s’accompagne d’autres formes d’épargne en prévision du temps de l’après-travail, qu’elles soient corporatives ou socio-professionnelles (cela existe déjà pour certains secteurs d’activité et professions, et parfois depuis fort longtemps), ou qu’elles soient constituées par une « épargne sur les bénéfices des entreprises », dont les formes peuvent varier selon le moment ou l’activité, et selon les profits réalisés eux-mêmes. De plus, il y a trois éléments qu’il ne faut pas négliger pour équilibrer le système de solidarité intergénérationnelle (qui, d’ailleurs, doit fonctionner dans les deux sens et sur des synergies entre générations, entre autres) : 1. Une politique démographique qu’il n’est pas abusif de qualifier de nataliste ; 2. Une politique de l’emploi destinée à garantir, autant que faire se peut, une continuité de celui-ci durant le temps professionnel, y compris pour les travailleurs âgés (je rappelle que ce qualificatif d’âge ne s’applique pas forcément de la même manière selon la profession et la charge de travail, mais aussi selon les forces physiques et la santé des personnes : un ouvrier du bâtiment vieillit plus vite qu’un professeur d’université, en général) ; 3. Une politique de création de valeur (de richesses, si l’on préfère) qui peut être soutenue par une stratégie d’incitation et d’impulsion de l’Etat, et qui doit permettre aux entreprises, quelles que soient leur taille et leur puissance, de valoriser leur activité et d’exploiter intelligemment les atouts français (espaces ; potentialités énergétiques, agricoles ou industrielles ; savoir-faire et matière grise, etc.).

La République actuelle peut-elle mener cette politique sociale juste et nécessaire dont le pays et ses habitants ont besoin pour envisager l’avenir sans le poids trop lourd de l’inquiétude ? Au regard des blocages qu’elle semble se créer elle-même, il est logique de douter de ses capacités… A bien y regarder, cette crise sociale et désormais politique (mais ne l’a-t-elle pas toujours été, en fait ?) peut être l’occasion de réfléchir sur les institutions politiques elles-mêmes et leur rapport avec le monde du travail, rapport qui, pour être constructif et crédible, doit largement reposer sur une bonne compréhension de la justice sociale et sur la concertation permanente avec les corps sociaux productifs, partie prenante d’une économie dont ils sont aussi les acteurs incontournables…




Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Quand j’écris que la motion de censure présentée par les centristes est la plus réaliste, cela ne signifie pas qu’elle soit la plus satisfaisante mais qu’elle est simplement en mesure de rassembler des voix de tous les bords de l’Assemblée sans être accusée de servir les intérêts des uns ou des autres et, donc, qu’ de mobiliser le maximum des voix possible et nécessaire pour arriver à ses fins, communes à des groupes politiques qui, d’ordinaire, se détestent et s’excommunient rageusement les uns les autres…

(2) : Qui sait ? Après tout, n’est-il pas bien connu que « le désespoir en politique est une sottise absolue » ?

(3) : Depuis janvier 2011, la Commission européenne recommande de retarder l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, et certains pays ont déjà cédé à cette insistante demande, et cela même s’ils étaient dirigés par des partis de gauche, voire de gauche dite radicale : en Espagne, pour 2027 ; au Portugal, c’est 66 ans et 7 mois, mais avec une possibilité d’élévation prochaine en fonction de l’espérance de vie des retraités eux-mêmes ; en Italie, en Allemagne, en Belgique, c’est aussi officiellement 67 ans, à plus ou moins long terme…







Accidents du travail : ne pas accepter la fatalité !

L’insécurité sociale contemporaine, c’est aussi le risque au travail et ses formes les plus dramatiques, les accidents du travail. Un livre récent de 2021 vient nous le redire, intitulé : « Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles », souligné d’un sous-titre terrible : « 14 morts, 12.500 blessés par semaine en France » (livre signé de Véronique Daubas-Letourneux, 310 pages, édité chez Bayard) ! Chiffres terribles, jamais évoqués dans les grands médias audiovisuels à ma connaissance, et qui peuvent (et doivent) inciter à la réflexion, sans négliger le recueillement possible pour les victimes de ces drames !
Un petit calcul montrera aussi l’ampleur de cette question, celui qui consiste à rapporter ces chiffres hebdomadaires à l’année entière : plus de 700 morts et environ 650.000 blessés sur le lieu du travail chaque année… Bien sûr, tous les métiers ne sont pas concernés de la même manière : peu de cadres et de professeurs, mais nombre d’ouvriers (principalement du bâtiment avec 14 % des accidents et 19 % des décès, des transports et de l’agroalimentaire), ainsi que de la main-d’œuvre féminine des services de soins.

Quelles causes à ces accidents du travail beaucoup trop fréquents aujourd’hui ? Selon l’enseignante Véronique Daubas-Letourneux citée par La Croix L’Hebdo (22-23 janvier 2022), « la montée, depuis quelques décennies, d’un management « à l’objectif » – et les cadences qui vont avec – comme la précarisation des statuts, en particulier chez les jeunes, accroissent la pression sur les travailleurs et les rendent plus vulnérables. Ce qui explique sans doute pourquoi, après une baisse continue du nombre d’accidents de 1950 à 2000, l’indice de fréquence et le taux de gravité ont tendance à repartir à la hausse. »

Que faire, dès maintenant, pour éviter au maximum que la mortalité au travail n’augmente ? Multiplier les interventions de l’inspection du travail qui, en 2019, « ont ainsi mis fin à 4 632 chantiers jugés dangereux », est une nécessité mais qui ne peut se faire efficacement que s’il existe une véritable stratégie de recrutement et de formation de nouveaux inspecteurs du travail, ainsi qu’une mise sous pression des entreprises qui utilisent des sous-traitants, en améliorant la « traçabilité » de ces derniers et leur encadrement pour leur éviter une trop grande exposition aux dangers ; retracer les contours d’une véritable politique de santé et de prévention des risques liés aux activités professionnelles ; responsabiliser les entreprises, leur direction et leur encadrement, pour mieux sécuriser les espaces de travail et préserver les travailleurs eux-mêmes ; etc. (liste de propositions non exhaustive, évidemment).

Bien sûr, toute activité professionnelle comporte des risques et le « zéro accident » est impossible, ne serait-ce que parce qu’il y aura toujours cette part d’impondérable et du « triste hasard », qui s’avère parfois mortel. Mais, il est tout à fait possible de faire baisser le nombre d’accidents professionnels et de limiter les risques (ou de les prévenir). Il ne s’agit pas d’entraver la vie des chantiers ou des usines par des lois supplémentaires mais juste de faire appliquer celles qui existent déjà, sans tomber dans un formalisme inutile et contre-productif. Mais, au-delà, il est une philosophie qu’il faut appliquer au monde du Travail, dans un esprit à la fois corporatif et « personnaliste » : considérer que l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse (ce qu’a rappelé le pape Jean-Paul II, dans l’encyclique Laborem Exercens sur le travail, en 1981), et qu’elle ne doit pas négliger ce qui fait, aussi, l’équilibre d’une société, c’est-à-dire l’intégrité physique et mentale des travailleurs.


Jean-Philippe Chauvin

Vers une nation paysanne ?

La France n’est plus un pays agricole, avec moins de 500.000 exploitants agricoles, mais peut-elle redevenir une « nation paysanne » ? Il ne s’agit pas de prôner un hypothétique retour à la terre, mais de penser le rapport du pays au monde des campagnes.
Loin de toute démagogie et de tout idéalisme, quelques propositions royalistes pour un nouvel enracinement paysan français, sans oublier que l’État, lui, reste un État urbain.


La France, vers une nation paysanne ?

Chaque année à la fin de l’hiver, la France se rappelle, quelques jours, qu’elle a été une grande nation paysanne, d’abord paysanne : c’est le Salon de l’Agriculture qui est l’occasion de ce rappel, de ce souvenir, de cette nostalgie même. Mais c’est aussi le temps des discours convenus des politiques et des officiels du Pays légal, qui viennent caresser les bêtes et leurs éleveurs dans le sens du poil, et qui les oublient la semaine suivante et toutes les autres, sauf, étrangement, en période électorale. De toute façon, le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer, et leur poids électoral avec : quand certaines communes bretonnes ne comptent plus un seul agriculteur en activité, que les néo-ruraux imposent leur mode de vie aux campagnes quand les résidences et les lotissements ont remplacé les près et les champs, comment les agriculteurs peuvent-ils se faire entendre et être entendus ? Il y a plus de noms de paysans sur les monuments aux morts de nos villages que dans les registres des Chambres d’agriculture et du Ministère de la même fonction… C’est d’ailleurs la guerre, et plus exactement la Grande, celle de 1914-1918, qui a désarmé, démographiquement parlant, le monde agricole et, au-delà, le monde rural, quand la société de consommation des Trente Glorieuses (les mal nommées, sans doute) va leur porter le coup de grâce ou, plus exactement, de disgrâce.

Aujourd’hui, la France compte environ 500.000 agriculteurs, ce qui représente 1,4 % de la population active, quand cette part était encore de 2,6 % (près du double) il y a vingt ans ; le nombre d’exploitations agricoles reconnues comme telles, lui, est passé en cinquante ans, de 1.588.000 (1970) à moins de 390.000 aujourd’hui… Ce processus d’effacement démographique de la population agricole n’est, semble-t-il, pas fini, et je me souviens que, dans un manuel de Géographie de 1ère il y a quelques années, il était expliqué que le nombre de 600.000 exploitants agricoles (à l’époque) était encore trop élevé au regard de l’objectif de 200.000 que le professeur narrateur considérait, à le lire, comme idéal : en fait, c’est bien l’objectif de la bureau-technocratie, qu’elle soit européenne ou parisienne, d’atteindre un tel chiffre dérisoire qui ferait de ce monde agricole une simple activité économique sans véritable enracinement ni visibilité humaine ou démographique. Une invisibilisation programmée en somme, pour effacer le mauvais souvenir pour la République d’un monde trop réactif ou trop rétif à ses commandements, comme l’histoire l’a abondamment prouvée depuis la Révolution française, de la réaction vendéenne de 1793 face à la levée en masse destinée à envoyer les jeunes paysans de l’Ouest faire la guerre loin de chez eux (ce que la Monarchie royale avait largement évité, malgré un tirage au sort léger mais toujours impopulaire) à la révolte des Bonnets rouges en 2013 ou à la résistance paysanne au projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en plein bocage !

Pourtant, la France a tous les atouts pour rester ou, plutôt, redevenir une nation paysanne. Ne nous méprenons pas sur le sens de ce propos, mais précisons-le, justement pour éviter tout malentendu : la France, comme Etat, s’est construite par l’action royale puis républicaine à partir des villes, Paris (ou Versailles au XVIIIe siècle) en étant le cœur, et, en cela, la France est une construction historique urbaine, comme l’était avant elle la plupart des grands Etats de l’Antiquité, d’Athènes à Rome ou à Constantinople. Mais la nation française, comme être sensible de l’histoire (fondé par celle-ci depuis le Moyen âge), est éminemment paysanne dans ses racines et son âme, dans son rapport à la vie longue de la société… C’est ce qui, longtemps, lui a permis de vivre et de survivre dans les moments les plus durs et malgré les malheurs, et pas seulement sur le plan nourricier : les campagnes ont été le lieu des sociabilités enracinées qui, sans se soucier de l’Etat (juste aperçu par les populations rurales à travers le profil des pièces de monnaie ou perçu, pas toujours positivement, à travers le percepteur) de la capitale (parfois itinérante, avant le temps de Versailles et de Paris), ont incarné la pluralité française, cette marqueterie de particularités dont l’Etat royal incarnait jadis l’unité sans se sentir obligé de tout repeindre d’uniformité…

Comment renouer avec cet esprit de nation paysanne ? Il ne s’agit pas d’obliger à un retour autoritaire à la terre, dont on comprend aisément les limites et les risques, comme l’a montré à l’envi la terrible expérience chinoise des années 1960 ; le fait de marteler « nation paysanne, nation paysanne… » suivant la méthode Coué n’est pas non plus souhaitable ni efficace ! En fait, c’est une politique d’Etat qui doit permettre d’atteindre cet objectif et d’assumer cet esprit sans tomber dans une forme d’exclusivisme qui oublierait la ville comme aujourd’hui la République oublie ou, au mieux, néglige le monde paysan.

L’Etat peut (doit, même !) favoriser ce que les royalistes qualifient de « redéploiement rural » : ce n’est pas la rurbanisation (1), bien au contraire, mais une intégration active des populations venues des villes dans les lieux et les fonctions des campagnes, sans en négliger la mémoire et le patrimoine bâti comme historique et spirituel. Cela doit s’accompagner d’une revitalisation de la petite et moyenne agriculture, par des aides à l’installation et la mise à disposition de nouveaux « communs », gérés par la commune ou par la Chambre d’agriculture locale, voire par une organisation syndicale agricole (2) ; une promotion des métiers de la terre (et pas seulement de production agricole) dès l’école primaire (en complément d’un éveil à la nature et aux enjeux environnementaux dès les premiers jours d’école maternelle) et avec une valorisation de ceux-ci tout au long du cycle scolaire jusqu’aux classes préparatoires ; une évocation plus affirmée dans les programmes scolaires de l’histoire rurale de la France (histoire des techniques agricoles, des communautés paysannes, de leurs cultures particulières, etc.), histoire aujourd’hui absente (ou très discrète…) dans les programmes et les manuels scolaires ; une mise en place de stages de travaux agricoles pour les élèves de lycées et de classes préparatoires, voire un « service civique et social agricole » en complément du Service National Universel, par exemple ; etc.

Dans un monde globalisé dominé par une métropolisation triomphante à défaut d’être mesurée et équilibrée, il importe que l’Etat reprenne sa place de serviteur des populations dont il a la charge, héritage de l’histoire et devoir de service obligent, et qu’il soutienne cet effort pour refaire de la France une nation qui, sans être esclave de la terre, des usages et des travaux de celle-ci, reconnaisse en chaque habitant du pays un héritier conscient et enraciné, et non un simple électeur nomade balloté au gré des besoins de l’économie mondiale et des promesses électorales…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : La rurbanisation est l’inverse même de l’esprit de nation paysanne et du redéploiement rural : elle est, en fait, l’imposition du mode de vie urbain et de la société de consommation de celui-ci au monde des campagnes, et une forme de volonté de domination des nouveaux venus sur un monde rural qui les précédait, sans beaucoup d’égards pour lui. La rurbanisation « remplit » les communes rurales mais elle ne les fait pas vraiment vivre : les rurbains préfèrent faire leurs courses à la ville voisine, dans les centres commerciaux plutôt que d’aller acheter ou manger dans les commerces et cafés-restaurants de la commune dans laquelle ils se sont installés… En fait, ils ne sentent pas obligés de s’intégrer à la commune d’accueil, mais sont très soucieux de leurs droits, parfois au détriment des traditions et des usages locaux, et ils ne supportent pas, le plus souvent, les contraintes ou les cycles de la vie à la campagne…

(2) : Je rappelle qu’il s’agit ici de propositions qui peuvent être discutées, complétées ou critiquées, pourvu que des arguments crédibles soient avancés…

Libérons l’agriculture française !

Aujourd’hui, l’agriculture française semble piégée par les jeux du Marché alors qu’elle a pour vocation de nourrir, le mieux possible (autant en quantité qu’en qualité) nos concitoyens. Cette logique du Marché (terme bien peu approprié à ce qui apparaît parfois comme le simple jeu de la concurrence et de la prédation) ne doit pas causer la ruine de nos agriculteurs, et il est important de protéger ceux-ci, en particulier de l’appétit des banques, souvent exagéré quand elles sont peu bienveillantes.


Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et de s’endetter éternellement, mais de placer toujours l’intérêt des hommes « nourriciers » avant les simples jeux d’argent et d’intérêts financiers.


« Le roi seul fort protégeait les petits », affirmait un vieux chant royaliste toujours actuel : contre les appétits démesurés des banques, l’Etat doit être capable de préserver les exploitants agricoles, leurs terres et leurs instruments de travail, et de valoriser une agriculture française diversifiée face aux féodalités de l’Agroalimentaire et de la Finance.

Quel rôle souhaitable pour l’Etat dans l’économie française ?

Les mauvaises nouvelles sociales semblent désormais tellement habituelles que les médias ne leur accordent que quelques lignes rapides et quelques secondes d’antenne sauf, peut-être, dans la presse régionale, celle de la proximité, celle dont quelques uns des lecteurs et des auditeurs sont les victimes de cette grande saison de « lessivage » au détriment des salariés : Meccano à Calais, Fleury Michon à Plélan-le-Grand (près de Rennes), San Marina dans tout le pays après Camaïeu et quelques autres, sans parler des boulangeries étranglées par la hausse des prix de l’énergie nécessaire à la cuisson du pain, entre autres. C’est un massacre social et cela malgré le maintien (pour combien de temps encore ?) du niveau d’emploi en France, même si celui-ci peut s’accompagner d’une grande part de précariat, forme contemporaine du prolétariat d’antan. Ce qui est rageant, c’est que, le plus souvent (mais pas forcément toujours, faut-il souligner), les coupables de cette situation ne sont pas les ouvriers ou les employés eux-mêmes, dont le travail et le savoir-faire sont, paradoxalement, appréciés avant que d’être licenciés malgré tout, mais les directions et les actionnaires responsables de mauvais choix stratégiques ou de cynisme profiteur pour certains : les syndicats, souvent dénigrés sans beaucoup de nuance (pour de bonnes, mais parfois aussi pour de mauvaises raisons), ont généralement alertés en amont la direction de l’entreprise des risques devenus inquiétudes puis faillites. Dans la plupart des cas, il leur a été répondu de ne pas s’alarmer, que la situation était sous contrôle, que les emplois n’étaient pas menacés, etc. Il est d’ailleurs frappant de constater que le jour fatal venu, ils sont ménagés par la direction, ne serait-ce que pour permettre des négociations de fin d’activité et d’indemnisation des travailleurs qui se fassent dans le calme, sans casse et sans scandale…

Et l’Etat là-dedans ? Si son objectif est bien d’atténuer les conséquences sociales des fermetures d’entreprise, il semble bien peu capable de prévenir ces crises multiples et d’en prémunir, autant que faire se peut, les salariés et les populations (1), malgré ses grandes déclarations lyriques du moment de visibilité, surtout médiatique, de la crise. D’ailleurs, doit-il forcément intervenir dans l’économie ou dans la vie (et la mort) des entreprises ? En fait, l’Etat, s’il veut être efficace là où il doit être, ne doit pas « tout faire » et il n’est pas bon de tout attendre de lui, car l’étatisme n’est ni une solution ni même souhaitable : son rôle, son devoir régalien est de favoriser les initiatives économiques les plus utiles au pays (et elles ne manquent pas en France), éventuellement de les orienter pour permettre d’atteindre le plus possible à la prospérité sans l’excès des profits et sans l’hubris d’une profitabilité qui peut vite tourner à « l’économie barbare » (2), néfaste pour les salariés et, souvent, pour l’environnement lui-même (3).

En ces temps de mondialisation, sans doute faut-il repenser le rôle de chacun des acteurs dans l’organisation de la vie économique et sociale, sans le déni des caractéristiques de l’économie contemporaine mais sans l’acceptation des conditions de celles-ci quand elles sont indignes : si le moralisme n’a guère sa place en économie, cela n’empêche nullement de fixer des limites aux excès de cette activité de production et d’échange, et c’est d’abord dans le cadre national (en espérant qu’il puisse servir d’exemple, voire de modèle aux autres pays du monde, y compris ceux qui aujourd’hui semblent peu sensibles aux questions de justice sociale…) que cela peut se faire. Mais ce cadre, nécessaire et doté de moyens législatifs et judiciaires qui peuvent être fort efficaces pour autant que l’Etat le veuille vraiment (4), doit aussi favoriser la vie d’institutions socio-professionnelles susceptibles d’organiser, de coordonner, de valoriser les productions et leur intégration au Marché sans négliger la qualité des biens et des services fournis, et sans méconnaître les intérêts des travailleurs, des cadres et des dirigeants d’entreprise (5) : que l’on nomme « branches » ou « corporations » ces cadres institutionnels renforcés (sous la forme de personnalités juridiques pourvues d’un patrimoine propre et « cogéré » par les acteurs de celles-ci) n’a en définitive guère d’importance, pourvu qu’ils soient efficients et, socialement comme économiquement, efficaces…






Notes : (1) : Un salarié, en tant que consommateur inscrit dans un écosystème local, représente plus de valeur que sa seule production industrielle ou tertiaire, en particulier s’il est parent ou grand-parent, et sa précarisation entraîne un affaiblissement, non seulement de sa famille, mais aussi de sa commune d’installation et des commerces, mais aussi associations (y compris sportives) et services locaux. Une lecture purement individualisée ou individualiste du salariat est une erreur souvent commise par les économistes « généralistes », erreur qu’il s’agit de ne pas reproduire…

(2) : L’hubris de la profitabilité c’est, entre autres, l’exploitation brutale des travailleurs pour dégager le plus de profits pour l’entreprise et ses actionnaires, exploitation qui fait de l’économie une activité financièrement spéculative quand elle doit, d’abord, permettre la prospérité de ceux qui créent, produisent, transforment et échangent biens et services. La prospérité de tous n’est pas l’égalitarisme ni une hypothétique égalité économique, mais une redistribution des fruits du travail selon les qualités et les efforts de chacun dans le cadre socio-professionnel et économique, sans négliger la hiérarchie sociale qui, mesurée et légitime, est la traduction économique de la justice sociale. Dans cette logique, l’inventeur est valorisé, tout comme le producteur « de base » est reconnu dans sa dignité de producteur, maître d’un savoir-faire et d’une valeur ajoutée liée à celui-ci et au temps de sa production.

(3) : L’environnement est, ici, un cadre de vie et de production qu’il paraît bien nécessaire de préserver pour permettre aux générations futures d’en jouir à leur tour…

(4) : Les Etats-Unis en sont la démonstration la plus frappante, parfois au sens purement littéral du terme…

(5) : Les intérêts des producteurs de base, des personnels d’encadrement et de commercialisation, et des dirigeants d’entreprise ne sont pas toujours les mêmes et, parfois, peuvent donner lieu à des incompréhensions, à des tensions, voire à des antagonismes que certains s’empresseraient de qualifier de « lutte des classes ». Sans tomber dans la démagogie ou l’utopie, il est possible de chercher à accorder les souhaits de chaque catégorie, en rappelant l’intérêt de tous qui est de voir l’entreprise perdurer et prospérer pour que chacun y trouve satisfaction : la récente réussite de La Redoute qui, après des années très difficiles, a réussi à rebondir au point de verser à ses salariés actionnaires un dividende de 100.000 euros par personne (pour une mise de départ de… cent euros !), prouve à l’envi que la motivation vaut mieux que l’exploitation…






Jean-Philippe Chauvin

Hommage au roi Louis XVI :

En ce 21 janvier, ayons une pensée pour le roi Louis XVI, ce roi géographe qui permit à la France de lancer de grandes expéditions (La Pérouse) et de dominer, un temps, les mers. La Révolution a tout gâché…

1774

Louis XVI décida de soulager son peuple en le dispensant du
« droit de joyeux avènement »,
impôt perçu à chaque changement de règne.

1776

Louis XVI créa le corps des pompiers.
Louis XVI permit aux femmes d’accéder à toutes les maîtrises.

1777

Louis XVI autorisa l’installation de pompes à feu pour approvisionner Paris en eau de manière régulière.
Louis XVI créa un mont-de-piété à Paris pour décourager l’usure et venir en aide aux petites gens.

1778

Louis XVI abandonna aux équipages de ses vaisseaux le tiers de la valeur des prises qui lui était réservées en temps de guerre.
Louis XVI décida d’aider l’abbé de l’Epée dans son œuvre pour l’éducation des « sourds-muets sans fortune » auxquels il enseignait un langage par signes de son invention. Le Roi lui versa alors une pension de 6000 livres sur sa propre cassette, contre l’avis de l’archevêché qui soupçonnait cet homme de jansénisme.
Louis XVI dota l’école de Valentin Hauÿ pour les aveugles.

1779

Louis XVI donna l’ordre à ses commandants de vaisseaux de ne point inquiéter les pêcheurs anglais et obtint la réciprocité pour les pêcheurs français.
Louis XVI donna le droit aux femmes mariées et aux mineurs de toucher eux-mêmes leurs pensions sans demander l’autorisation de leur mari ou tuteur.
Louis XVI employa le premier l’expression de « justice sociale ».

1780

Louis XVI ordonna aux hôpitaux militaires de traiter les blessés ennemis « comme les propres sujets du Roi », 90 ans avant la première convention de Genève.
Louis XVI décida d’ABOLIR LE SERVAGE et la main-morte dans le domaine royal et le droit de suite qui permettaient aux seigneurs de faire poursuivre les serfs ou mains-mortables qui quittaient leurs domaines.
Louis XVI ORDONNA L’ABOLITION TORTURE.
Louis XVI fit construire à ses frais des infirmeries « claires et aérées » dans les prisons.
Louis XVI supprima de très nombreuses charges de la maison du Roi (plus du tiers).

1781

Louis XVI finança tous les aménagements de l’Hôtel-Dieu pour que chaque malade ait son propre lit individuel.
Louis XVI fonda un hôpital pour les enfants atteints de maladies contagieuses, aujourd’hui nommé Hôpital des Enfants Malades.

1782

Louis XVI créa le musée des Sciences et Techniques, futur Centre National des Arts et Métiers.

1783

Louis XVI fonda l’Ecole des Mines.
Louis XVI finança sur ses propres fonds les expériences d’aérostation des frères Montgolfier.
Louis XVI finança également les expériences de Jouffroy d’Abbans pour l’adaptation de la machine à vapeur à la navigation.

1784

Louis XVI exempta les juifs du péage corporel et d’autres droits humiliants.
Puis il fit construire les synagogues de Nancy et Lunéville, et permit aux juifs d’avoir accès à toutes les maîtrises dans le ressort du Parlement de Nancy.
Louis XVI accorda sept millions aux victimes du froid excessif.
Louis XVI accorda des pensions de retraite à tous ceux qui exerçaient une profession maritime.

1785

Louis XVI demanda l’établissement annuel de la balance du commerce.

1786

Louis XVI créa le droit de propriété des auteurs et compositeurs de musique.

1787

Louis XVI accorda l’etat-civil aux prostestants.

1788

Louis XVI s’inquieta du sort qui était réservé aux prisonniers détenus en préventive de par leur inculpation, avant leur procès.
Par ailleurs, il décida de leur accorder une indemnité ainsi qu’un droit d’annonce dans le cas où leur innocence serait reconnue lors de leur procès.

1789

Louis XVI accorda le premier le DROIT DE VOTE AUX FEMMES dans le cadre de l’élection des députés de l’Assemblée des Etats Généraux.

Enfin, Louis XVI créa l’Ecole de musique et de danse de l’Opéra de Paris, et le Musée du Louvre.

Non au report de l’âge légal de retraite.

Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, annoncé mardi soir par Mme Borne, n’est qu’une étape avant un report vers un âge encore plus élevé, comme le suggèrent déjà les journalistes économiques sur les ondes radiophoniques, en attendant qu’ils l’écrivent, une fois de plus et noir sur blanc, dans leurs éditoriaux des jours prochains. Déjà, la scénographie syndicale se prépare, à grands renforts de manifestations, de slogans, de calicots couleur fluo, et la Gauche, celle-là même qui a préparé les 43 ans de cotisation pour avoir une retraite à taux plein (réforme Touraine, sous le quinquennat de M. Hollande), monte sur ses grands chevaux, son amnésie en bandoulière et son hypocrisie en oriflamme : triste spectacle d’un pays légal qui dévalorise la parole politique pour quelques pourboires électoraux. J’avoue avoir plus d’estime pour un Laurent Berger, syndicaliste dont je ne partage pas forcément les préjugés et les timidités dans l’action, que pour un Olivier Faure, apparatchik d’un parti sans colonne vertébrale et sans honneur, mais je ne méconnais pas non plus les insuffisances et la démagogie de syndicats qui, trop souvent, ont été les supplétifs d’un système socio-économique qu’ils partageaient avec les classes gouvernantes tout en faisant semblant de le contester. Dès les années 1900-1920, Georges Valois, promoteur d’un débat prometteur mais inachevé entre les syndicalistes ouvriers et les royalistes sociaux (1), dénonçait les faux-semblants d’un syndicalisme devenu quasiment officiel et régimiste au risque de s’interdire de repenser les bases du Travail et les conditions de son organisation. Il en est ainsi aujourd’hui, et c’est fort regrettable. Cela signifie-t-il qu’il faille se détourner totalement des syndicats et de leurs initiatives quand le combat social s’engage ? Non, je ne le pense pas, et je suis partisan d’un certain pragmatisme politique en ce domaine.

Soyons clair : je refuse toute démagogie, et toute contestation, si elle veut être crédible, doit être argumentée et, mieux encore, constructive. Dans le combat qui s’engage à nouveau, plus encore que les slogans, ce sont les propositions qui pourront crédibiliser l’opposition au report de l’âge de départ à la retraite, et il ne sera pas inutile de les porter, d’une manière ou d’une autre, au sein des cortèges syndicaux ou des coordinations professionnelles (un journaliste les qualifiait l’autre jour de « corporatives », ce qui n’est pas totalement faux au regard de la définition même de ce qu’était une corporation…), ou dans les discussions et débats que ne manqueront pas de soulever les projets de Mme Borne.

Les syndicats seront-ils ainsi capables de motiver une contestation qui soit capable d’aller au-delà d’elle-même ? Leurs échecs récents et leur perte de crédit dans le monde du Travail lui-même peuvent nous inciter à la prudence, et il faudra sans doute, non se passer d’eux complètement mais savoir les « déborder » : non par l’outrance mais par l’espérance (2) ; par la force des convictions et celle des propositions. C’est ce que je vais essayer d’initier ici, en tant que royaliste social soucieux de réfléchir aux conditions nécessaires à l’équilibre, à la justice et à l’avenir de la société française dans laquelle s’inscrit, en priorité, ma pensée et mon action.

Le refus d’un report de l’âge légal de départ à la retraite au-delà de 62 ans (limite qui, en soi, n’est pas inamovible, et qui peut elle-même, et selon les métiers et leurs contraintes, être discutée « à la baisse ») s’entend en priorité pour les professions liées au travail d’usine, du bâtiment, de la terre et du soin médical (entre autres, la liste précédente n’étant pas exhaustive), et à celles qui exposent au péril physique (fonctions de secours et de lutte contre le feu et les catastrophes, maintien de la sécurité publique, etc.). Ce refus ne doit pas, pour autant, prendre la forme d’une interdiction : qui veut poursuivre son activité professionnelle au-delà de l’âge légal de départ à la retraite doit, après examen médical et entretien de motivation dans certains cas, pouvoir le faire et être assuré d’être accepté au sein de l’entreprise ou de l’organisme d’origine, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, d’ailleurs. Mais obliger des travailleurs à poursuivre leur activité professionnelle au-delà de leurs propres limites physiques et mentales parce que la loi y oblige en âge ou en trimestres travaillés, voilà qui paraît bien peu social et qui risque, à rebours de toute velléité d’amélioration des conditions de travail et de vie, d’amplifier le sentiment d’amertume et de ressentiment qui, désormais, semble parcourir la société toute entière, de part en part. Si les conditions de « l’acceptabilité sociale » ne sont plus réunies, il est fort à parier que le mal-être sensible aujourd’hui dans notre pays n’en sera que plus fort et, à terme, plus dangereux pour l’unité même de la nation : les risques d’une « sécession multiple » des catégories les plus affectées par la conjoncture économique actuelle et par des mesures gouvernementales déconnectées des réalités sociales humaines sont bien réelles, et le soulèvement des Gilets jaunes de l’automne 2018 nous rappelle que l’injustice sociale, quand elle est trop criante, porte en elle la révolte comme la nuée porte l’orage, peut-on affirmer en plagiant Jaurès (3).


(à suivre)






Notes : (1) : Georges Valois eut un parcours politique et idéologique complexe, mais sa période royaliste (qui dura tout de même plus de vingt ans, jusqu’à sa rupture brutale avec l’Action Française en 1926…) fut d’une grande densité intellectuelle et d’une richesse conceptuelle et pratique sur laquelle il n’est pas interdit de se pencher et de réfléchir.

(2) : L’outrance se marque souvent par un activisme désordonné qui vise à déstabiliser le Pouvoir sans s’assurer de ce qui pourrait suivre quand l’espérance, elle, s’inscrit dans le temps long et cherche à fonder un nouveau rapport de forces ou, mieux encore, un nouvel ordre des choses, le premier visant, en fait, à promouvoir le second.

(3) : Le socialiste Jean Jaurès, lors d’un déplacement à Lyon le 25 juillet 1914, quelques jours avant d’être assassiné, déclare dans un discours resté célèbre (autant que lettre morte, d’ailleurs) : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! ». Une semaine après, la Grande Guerre faisait ses premières victimes…





Jean-Philippe Chauvin, royaliste social.