Une vision dangereuse de la démocratie

Voyez le texte intéressant que me fait parvenir un de mes correspondants sur la démocratie. Il est extrait du journal intime d’Henri-Frédéric Amiel, philosophe et écrivain genevois qui l’a écrit vers 1888 :

democratie_dictature« La démocratie existe ; c’est peine perdue de noter ses travers et ses ridicules. Tout régime a les siens, et ce régime est encore un moindre mal. La supposition dans ce régime, c’est que tout le monde aime la vérité, cherche les lumières et se rend aux bonnes raisons. Il faut agir dans cette hypothèse. Tout doit être plaidé auprès de public, de la foule, de la multitude. La victoire n’est pas à celui qui a le plus de sagesse, mais qui sait le mieux persuader. Manier adroitement les apparences, c’était l’art des Sophistes ; c’est toujours le talent de ceux qui réussissent en démocratie. « Le sophiste est supérieur aux autres, non pas qu’il possède plus de vérité (toute opinion est aussi vraie qu’une autre), mais parce qu’il sait l’art de gagner les hommes à son avis, à ce qu’il lui est utile de leur persuader. Les Athéniens l’ont dit franchement ; l’orateur populaire est le maître des illusions agréables ; il est le magicien qui joue avec les passions et jongle avec les principes ; sa force se mesure avec succès. »

Voici ci-dessous mes observations sur ce texte :

« J’ai relu avec intérêt ce texte d’Amiel sur la démocratie. Vers 1888, quand il a été écrit, on partait de l’hypothèse de départ, nullement absurde à l’époque (on était en plein euphorie du progrès) que chacun recherchait au fond le bien et la vérité. D’où l’idée d’Amiel que si l’on y parvient au moyen de la persuasion et de la séduction, le but sera finalement atteint. C’était une gageure. Nietzsche en avait d’ailleurs montré par avance la vanité et la folie. Joseph de Maistre aussi avant lui et Maurras après lui, même si tout les oppose…
Plus d’un siècle plus tard, on peut vérifier que ce pari dangereux a été perdu. Ce n’était qu’une illusion et elle a eu des conséquences tragiques (les guerres et les révolutions du XXeme siècle). Bien mieux, elle risque d’en avoir de plus tragique encore à très brève échéance. Il faut maintenant se rendre à la raison et reconnaître qu’il y a eu au départ une fausse route, une erreur d’analyse gravissime de notre civilisation. Les hommes ne cherchent en général ni le bien, ni la vérité. Et la séduction se place naturellement du coté de l’erreur. Cette recherche du bien et de la vérité ne peut être que le fruit d’une organisation sociale rodée et équilibrée, consolidée par le passé et la tradition comme en Suisse. C’est une exception dans l’histoire, elle n’est aucunement naturelle. Dès lors, la démocratie risque fort de déboucher chez nous sur la tyrannie, l’oppression, les effusions de sang, les spoliations et la destruction finale de la civilisation. Je ne sais pas si il est encore temps d’enrayer la marche fatale vers l’abîme, mais tout ce que l’on peut se dire c’est que si l’on s’y mettait tout de suite, on pourrait peut-être encore corriger l’erreur de cap. Mais il faudrait s’y mettre tout de suite… »

Olivier Tournafond

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