Similitudes entre la décadence de l’Empire romain et la décadence moderne

Jeux du cirque

Extraits du livre de Ferdinand Lot, La fin du monde antique et le début du moyen âge :

P188. Inoccupée ou presque, cette population romaine pouvait être dangereuse, travaillée par des intrigants. La distraire est une nécessité primordiale : aussi, avec les distributions gratuites, les « jeux » constituent un des services publics les plus importants de l’État. Le nombre de jours fériés ne cesse de s’accroître. Il est porté de 65 sous la République, à 135 sous Marc-Aurèle, puis à 175 jours. A partir de cette époque, on peut dire que la population passe sa vie au théâtre, à l’amphithéâtre, au cirque. Au Ve siècle, plus tard encore, c’est au cirque, à l’amphithéâtre, que les Barbares surprennent la population (Trèves, Antioche). Pour se la concilier, les rois ennemis feront célébrer les jeux ; ils se continueront sous les Goths.
Quelques souverains (Marc-Aurèle, Julien) eurent, dit-on, l’idée de les abolir. Projet tout à fait chimérique. Toutes les tentatives pour réduire leur nombre ou leur importance échouèrent. L’empereur est tenu d’y assister et de ne point faire le dégoûté. Autrement, la populace témoigne son mécontentement. C’est pour gagner la popularité que Commode descend dans l’arène.

P189. Les jeux, par leur multiplication, entretenaient la population des villes et même celle des campagnes, car les théâtres et amphithéâtres sont pour le pagus (campagne) et non uniquement pour la ville, dans une fainéantise incurable. Mais leur pire malfaisance venait peut-être de leur nature. Ils provoquaient et développaient le goût de la cruauté et de la luxure. Les exhibitions d’animaux et de peuples exotiques étaient relativement innocentes ; elles tenaient la place de nos jardins exotiques. Mais le peuple se délectait surtout aux combats sanglants, non seulement de bêtes contre bêtes, mais d’hommes contre hommes (gladiateurs), ou d’hommes contre bêtes. On y employait des condamnés de droit commun, des prisonniers barbares. Faute de condamnés, la populace réclamait qu’on saisît les chrétiens pour les livrer aux bêtes et les magistrats obéissaient en tremblant. Les panégyristes célèbrent comme un haut fait que Constantin, ayant capturé des chefs francs, les jette aux bêtes pour amuser le peuple de Trêves. Au théâtre même, le public n’est pas content si, dans la représentation, la fiction ne fait pas place à la réalité sanglante. Il ne supporte la tragédie d’Hercule au Mont Oeta que si, à la fin, le héros est réellement brûlé. Le mime Laureolus est mis en croix, non pour rire, mais effectivement. Aux jeux sanglants succèdent les pantomimes obscènes. Il s’y joint les fêtes orgiaques de la Maiuma, au mois de mai, fêtes qu’un empereur romain essaya vainement de supprimer.

P190. Tous les écrivains, de Sénèque à Libanius et à saint Augustin, témoignent de l’attrait terrible, quasi irrésistible, qu’exerçaient ces spectacles sanglants ou voluptueux. Bien peu parmi les Anciens ont eu l’intuition de l’effroyable danger que font courir à la société ces aberrations psychiques. Seul, presque seul, Sénèque a compris, pour l’avoir vu, que ces jeux provoquaient la cruauté et, en même temps, la lâcheté chez le peuple. (Non seulement de nos jours les jeux sur ordinateur provoquent « la cruauté et la lâcheté » chez l’esclave de l’ordinateur, mais encore ils causent une perte de temps terrible, une stérilité, une addiction très grave.) Il peut paraître extravagant qu’un État ait cultivé pendant de nombreux siècles une névrose aussi pernicieuse. Mais sans doute s’étonnera-t-on un jour que notre civilisation tolère l’alcoolisme, sans parler de spectacles et d’exhibitions non moins délétères que les jeux des Anciens.

P190. Le régime impérial a réussi, au moins en Occident, à contenir et à contenter les villes. Il semble qu’il ait été conforme aux aspirations du citadin des classes inférieures et moyennes du monde méditerranéen ; c’est vraiment l’État-providence. Grâce à lui, moyennant un travail très modéré ou nul, on vit et on s’amuse. Si l’on n’a aucun droit politique (nous non plus, nous n’avons aucun droit politique, malgré les apparences et les déclarations tonitruantes, et cela pour quatre raisons principales : nos députés ne nous représentent pas, les événements sont cachés ou déformés par une presse aux ordres, la gauche et la droite s’entendent comme larrons en foire, et les députés qui déplaisent à l’intelligentsia sont éliminés), on peut censurer, railler et, au théâtre, crier. Familiarité et insolence font bon ménage avec le despotisme chez les populations méridionales. Pour la plèbe urbaine, l’Empire romain paraît bien avoir été l’âge d’or.

P191. Le revers du système (du panem et circenses, du pain et des jeux), c’est l’effroyable atonie de la population. La monarchie du Bas-Empire se dresse sur « une masse morte ». La plèbe des campagnes est systématiquement réduite au rôle de cheptel humain. La plèbe des villes, repue, insouciante, ne s’intéresse vraiment à rien qu’à ses plaisirs, puis aux controverses religieuses quand elle sera devenue chrétienne. Les plus grands événements politiques passent comme des nuages, sombres ou dorés, au-dessus de la tête du peuple. (Un exemple : le regroupement familial, décidé arbitrairement par Chirac et Giscard d’Estaing en 1976, qui consistait à vendre la France, sans consultation du peuple français, et qui passa dans l’indifférence générale !) Celui-ci assistera avec indifférence à la ruine même de l’Empire et à l’arrivée des Barbares. C’est un corps usé dont les fibres ne réagissent plus à aucune excitation. Il se laissera au besoin massacrer par un ennemi très peu nombreux et, au fond, point redoutable, sans avoir même le sursaut de l’animal qui défend sa vie. (C’est ce qui est en train de se passer pour les populations occidentales repues, qui acceptent sans réaction une immigration volontairement incontrôlée et qui détruira aussi bien les pays Occidentaux qu’Africains, si on n’agit pas avec intelligence.)

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