La grande question de l’énergie

hydrolienne

L’industrialisation et la mondialisation n’ont pu être possibles depuis le XIXe siècle que grâce à la découverte scientifique et à la maîtrise, puis à l’usage varié et massif, des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) : dans le même temps, les énergies renouvelables traditionnelles (eau, vent, soleil) étaient, sinon totalement abandonnées, du moins reléguées à un rang quasi anecdotique sauf, en particulier en France, l’énergie hydraulique fournie par les moulins, eux-mêmes remplacés par les barrages hydroélectriques.

Conjuguées à l’apparition, puis à la diffusion du modèle de la société de consommation, l’industrialisation et la mondialisation, de plus en plus invasives dans les pays européens et sur le continent nord-américain puis s’étendant au reste du monde, ont entraîné un véritable pillage, puis gaspillage des ressources fossiles que la nature avait mis plusieurs centaines de millions d’années à fabriquer : en moins de quatre siècles, si l’on en croit les géologues, c’est la quasi-totalité de ces richesses terrestres qui aura été consommée, c’est-à-dire consumée ! Déjà, certains affirment que le fameux « pic pétrolier » (en anglais, « peak oil ») serait atteint (ou sur le point de l’être), et qu’il n’est désormais plus possible de produire demain encore plus de pétrole qu’aujourd’hui…

Cette consumation a eu d’autres conséquences, moins bénéfiques que celles du développement technique des sociétés et de l’amélioration des conditions de transport ou de chauffage : la pollution atmosphérique, déjà dénoncée à la fin du XIXe siècle par l’écrivain royaliste Paul Bourget après son voyage dans le Londres enfumé par les cheminées d’usines et le chauffage au charbon, et qui, aujourd’hui, poursuit ses ravages d’une autre manière, sans doute, mais avec des conséquences sur la mortalité loin d’être anodines (40.000 morts par an en France ?) et sur la qualité de l’air, sans oublier ce qui pose le principal problème à la planète, c’est-à-dire le dérèglement climatique qui semble s’orienter vers un réchauffement accéléré et anormal de notre planète et se manifeste, concrètement, par un accroissement certain des « accidents » climatiques et la fonte de la banquise.

Mais il n’y a pas que la consommation des énergies fossiles qui entraîne des pollutions : la production elle-même s’avère souvent coûteuse pour l’environnement, comme au large de la Floride et dans le golfe du Mexique en 2010 avec l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon qui a provoqué une terrible marée noire destructrice d’une partie de la biodiversité marine et lagunaire locale, ou la dévastation de la forêt boréale au Canada, au nord de l’Alberta principalement, sur une superficie de 140.000 km2, pour exploiter des mines de sable bitumineux qui, elles-mêmes, polluent les rivières avoisinantes et provoquent des pluies acides… Même chose pour le transport des hydrocarbures : les côtes de Bretagne et de Vendée se souviennent des marées noires de l’Amoco Cadiz en 1978 et, plus proches de nous, de l’Erika et du Prestige autour de l’année 2000, qui ont entraîné la mort de millions d’oiseaux, de poissons et crustacés, mais aussi de mammifères marins, et qui ont souillé pour plusieurs années le littoral français.

Pourtant, notre société, désormais, ne peut se passer d’une abondante énergie : nous sommes dépendants de la Technique, des Machines, et de ce qui permet de les mouvoir, de les faire fonctionner, et de nous chauffer, de nous déplacer, de communiquer et de stocker, de nous éclairer et de nous divertir, etc. Par rapport aux sociétés du XVIIIe siècle, nous sommes des « géants » qui pouvons relier tous les coins de la France, voire bien au-delà, en quelques heures si nous nous déplaçons physiquement, mais en quelques dixièmes de seconde s’il s’agit de parler et de voir… Ces progrès immenses, et largement bénéfiques pourvu que nous en usions sans nous perdre nous-mêmes, nécessitent des quantités considérables d’une énergie dont nous ne saurions plus, pour l’heure, nous passer : après avoir eu le monopole de ce genre de vie très énergivore, en tant que citoyens d’un pays précocement industrialisé, nous sommes les spectateurs (impuissants et souvent indifférents pour nombre de nos concitoyens) des appétits et de la nouvelle voracité des puissances émergentes ou nouvellement émergées qui veulent atteindre notre niveau de vie, et cela coûte que coûte, sans toujours prendre en considération les risques que cette attitude, étendue à des populations fort nombreuses, fait peser à la planète toute entière. La Chine, l’Inde ou le Brésil, par exemple, ne sont guère sensibles aux préoccupations écologiques, il est vrai plutôt nouvelles et très « intéressées » de la part des Etats anciennement industrialisés qui y voient surtout un moyen de freiner la montée trop rapide des concurrences asiatiques ou sud-américaines…

Pour la France, les enjeux énergétiques sont énormes, au moment même où la question des ressources et de leur contrôle (et maîtrise…) se fait de plus en plus pressante, et nécessitent une véritable stratégie énergétique, mais aussi un changement des approches et des modèles jusque-là en cours : au-delà des questions habituelles de l’approvisionnement en énergie, il faut poser celles du modèle même d’énergie qui est le plus profitable à notre société et le moins dispendieux pour l’environnement, mais aussi celles du modèle de société qui est le mieux adapté à notre environnement propre et aux nécessités économiques et sociales, voire géopolitiques, de notre pays et de sa pérennité. L’équation française, qui doit tenir compte aussi des paramètres européens et mondiaux, économiques comme environnementaux, n’est pas facile à résoudre : une grande partie de la solution passe par le politique, qu’on le veuille ou non, et il y faut sans doute des institutions et une magistrature suprême, en particulier, qui disposent du temps, du long terme comme de la possibilité d’inscrire « l’urgence » dans celui-ci. Pour clamer que « l’énergie est notre avenir », encore faut-il que l’Etat, justement, s’inscrive dans «cet avenir que tout esprit bien né souhaite à sa patrie »…
Le défi énergétique pour la France d’aujourd’hui et de demain
La France possède un vaste territoire terrestre mais aussi maritime, et elle dispose de la 2ème Zone économique exclusive : ce sont des atouts importants pour une stratégie énergétique du XXIe siècle mais pas suffisants si la volonté et l’intelligence politiques n’ordonnent pas ces atouts et ses possibilités, comme le soulignent MM. Philippe Folliot et Xavier Louy dans leur ouvrage intitulé « France-sur-Mer, un empire oublié », véritable mine de renseignements sur les potentialités françaises. Au-delà des énergies d’origine fossile comme le pétrole dont la France pourrait devenir grande productrice si les forages au large de la Guyane, à plus de 6.000 mètres de profondeur mais avec des risques environnementaux sérieux, s’avèrent aussi fructueux que certains le pensent, ou comme les gaz de schiste dont est riche le sous-sol français, au-delà d’une énergie nucléaire qui dépend largement des réserves d’uranium étrangères (la France n’extrait plus d’uranium sur son territoire depuis une dizaine d’années), ce sont les énergies d’origine renouvelable qui apparaissent comme l’avenir possible, voire nécessaire, de la stratégie énergétique française.

La mer est une chance pour la France, mais que la République a trop souvent négligée : c’est pourtant de là que pourrait venir la principale réponse à la forte demande énergétique de notre société, comme le rappelle avec justesse les deux auteurs cités plus haut. Au-delà des hydroliennes qui utilisent les courants marins et sont aujourd’hui en passe de trouver leur place dans le réseau énergétique, et des éoliennes « offshore » flottantes placées en mer qui suppléent les éoliennes terrestres parfois décriées pour leur impact sur les paysages, de nombreuses autres possibilités sont offertes par la mer : l’énergie houlomotrice, c’est-à-dire l’énergie des vagues, qui pourrait être l’une des plus prometteuses à long terme des énergies renouvelables maritimes, et dont la France pourrait, avec ses littoraux métropolitains comme ultramarins, tirer le maximum d’énergie électrique possible ; l’énergie marémotrice, dont la France maîtrise la technologie mais qui pose néanmoins aujourd’hui des problèmes d’installation ; l’énergie maréthermique (ou énergie thermique des mers, ETM), qui est produite en utilisant la différence de température entre les eaux superficielles et les eaux profondes des océans (une idée que Jules Verne avait d’ailleurs lui-même émise dans « Vingt mille lieux sous les mers », dès 1869…) ; l’énergie osmotique qui consiste à exploiter le gradient de salinité entre l’eau de mer et l’eau douce, sur les estuaires des grands fleuves ; etc.

Mais il y a aussi les carburants d’origine renouvelable que peut produire la mer, à travers l’exploitation et la transformation des algues : cela, d’ailleurs, éviterait le principal inconvénient des agrocarburants (pourtant utiles et parfois très prometteurs) qui est d’occuper trop de terres au détriment des productions nourricières. Dans « France-sur-Mer », les auteurs expliquent que « selon les experts, le phytoplancton pourrait parfaitement prendre la relève des céréales comme biocarburants et combler la totalité des besoins énergétiques de la France, en couvrant une surface infime du territoire, sur le littoral. Produites par photosynthèse, les micro-algues, riches en lipides – donc en huile – auraient un rendement à l’hectare trente fois supérieur à celui du colza ou du tournesol. Elles transforment ainsi l’énergie solaire en énergie chimique et se cultivent facilement dans l’eau de mer, ce qui évite de puiser dans les réserves d’eau douce. Or, les 7.000 km de littoral français représentent un atout considérable pour développer ce genre de culture, qui prolifère rapidement et peut fournir des récoltes en continu. Si les bassins d’algues étaient déployés sur 400.000 hectares, ils pourraient produire la consommation annuelle mondiale de carburant ! » En lisant ces quelques lignes, on mesure mieux les potentialités énergétiques de notre pays, et on a quelques raisons de plus d’être furieux contre une République qui ne saisit pas toutes ces chances pour la France ! Ce qui est certain, c’est que la mer doit avoir une place beaucoup plus importante dans la stratégie énergétique de notre pays qu’elle ne l’a aujourd’hui, et qu’il faut faire vite pour ne pas « louper le coche » ! En fait, à bien y regarder, la mer offre actuellement de plus grandes possibilités que la terre, ne serait-ce que parce que cette dernière doit déjà répondre aux demandes de la production nourricière et à celles de l’habitat et des communications. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas prêter attention aux énergies renouvelables produites sur nos territoires terrestres, bien sûr…

Depuis quelques années, les éoliennes sont apparues et se sont répandues dans nos paysages, parfois sans discernement : néanmoins, l’énergie issue du vent peut être intéressante à exploiter plus largement, même s’il faut envisager d’implanter des éoliennes de plus petite taille et fournissant une électricité de proximité, en particulier dans les zones rurales aujourd’hui éloignées des grands centres urbains. Quant à l’énergie solaire dont le développement se heurte parfois à un coût relativement élevé pour la fabrication et l’installation des panneaux photovoltaïques, elle est facilement exploitable dans les nombreuses zones de France à fort ensoleillement, et peut servir, en particulier le solaire thermique, pour l’habitat collectif ou individuel, soit pour le chauffage des maisons ou appartements, soit pour la production d’une électricité locale. Là encore, la recherche et le développement de techniques de plus en plus élaborées et productives peuvent permettre d’accélérer la transition énergétique et de moins dépendre de l’exploitation des énergies fossiles ou de l’énergie nucléaire dont on connaît, malgré toute la qualité de la maîtrise française, les risques lourds pour l’environnement et les populations en cas d’accident ou de mauvaise pratique.

D’autres énergies renouvelables peuvent être évoquées : la géothermie ; celles issues de la biomasse, facile d’exploitation et souvent peu coûteuse ; l’hydraulique, cette fameuse « houille blanche » qui a tant aidé à la « révolution électrique » de la fin du XIXe siècle en France, et, au-delà des grands barrages hydroélectriques, la petite hydraulique, trop négligée en France, et qui a pourtant de belles perspectives devant elle, pourvu que l’on veuille bien les développer ; l’énergie des déchets par les incinérateurs d’ordures ménagères, qui permet aujourd’hui de chauffer de nombreux logements collectifs ; le biogaz ; etc. Cette liste n’est pas exhaustive, bien sûr !

Malgré toutes ses richesses énergétiques potentielles, la France semble en retard dans le développement et l’exploitation des énergies renouvelables, et la faute en est largement imputable à la République et à sa propre logique institutionnelle et politique : éternellement prise entre deux élections, la République n’a pas osé lancer de grands projets énergétiques sur le long terme qui auraient nécessité de l’audace et des remises en cause. Elle s’est contentée de continuer sur la lancée gaullienne des années 60, en particulier le programme nucléaire qui, s’il a pu permettre d’amortir les chocs pétroliers des années 70, a enfermé notre pays dans une logique de facilité avec une électricité peu chère sur l’instant (d’où une consommation électrique plus élevée de 25 % par rapport à celle de nos voisins allemands…) mais aujourd’hui condamnée à être de plus en plus coûteuse, y compris (et surtout, même) du fait du démantèlement des centrales nucléaires. De plus, la nécessité et la recherche (parfois vaine d’ailleurs…) d’une « popularité électorale permanente et renouvelée » empêche toute politique de long terme et toute remise en cause véritable du système énergivore de notre société de consommation, et des principes mêmes, pourtant peu compatibles avec le respect des équilibres environnementaux, de cette dernière.

Et pourtant ! La transition énergétique évoquée et défendue par les spécialistes de l’énergie et de l’environnement est à peine ébauchée et reste trop souvent au stade des discours plus que des réalisations concrètes : l’Etat semble craindre que les efforts demandé aux producteurs comme aux consommateurs français soient mal acceptés et n’entraînent des mécontentements, voire des conflits. Il est vrai que rompre avec un système dont chacun profite mais dont les conséquences, elles, s’avèrent en définitive désastreuses, n’est pas simple, et sans doute faut-il préparer le terrain, en particulier sur le plan psychologique autant que sur le plan énergétique lui-même. Mais cette politique est nécessaire, et c’est l’Etat qui peut donner l’impulsion majeure, comme il l’a fait dans les années 60 en ce domaine comme en tant d’autres alors.

Ce véritable « basculement énergétique » n’est possible que s’il s’inscrit dans une stratégie plus globale encore qui prenne en compte l’aménagement du territoire, mais aussi du temps de travail et de son organisation, ainsi que la nécessité d’une consommation moins dispendieuse en énergie. Economies d’énergie, réactivation d’un tissu rural dense et susceptible de s’auto-organiser (et de se suffire à lui-même le plus largement possible) en partie, redensification de l’habitat des centres-villes, mise en valeur de l’Outre-mer et des espaces métropolitains, etc. sont autant de moyens de réussir cette transformation énergétique française : notre pays a la possibilité de montrer l’exemple et de devenir un modèle pour les autres nations, et la France peut le faire par elle-même au regard de toutes les possibilités d’énergie renouvelable dont elle dispose.

Philippe Folliot et Xavier Louy expliquent, dans leur ouvrage cité plus haut, que la France a les atouts énergétiques, territoriaux et humains pour devenir en moins d’un demi-siècle… la première puissance mondiale ! Quoi que l’on pense de ce pronostic, travailler du mieux que l’on peut pour la grandeur française est toujours nécessaire, et la question énergétique est l’un des enjeux majeurs des prochaines décennies : un basculement de la production et consommation françaises vers des énergies renouvelables et inépuisables donnerait à la France un avantage certain. Et puisque la République ne le peut pas, voire ne le veut pas, travaillons à instaurer les conditions institutionnelles à ce basculement énergétique porteur de tant de promesses et garant de la pérennité, au-delà de notre propre pays, de la planète…

Jean-Philippe Chauvin

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