Crise de la participation, crise de la République…
En ce second tour des élections régionales et départementales, l’abstention reste « reine de France », avec des niveaux inégalés, et cela malgré les rappels à l’ordre des institutions de la République et des partis, plus moralisateurs que véritablement politiques. Doit-on s’en réjouir ? Non, car cela signale une maladie qui, au-delà de la République, atteint tout le corps civique français, au risque de compromettre toute politique et le sens même du politique dans une société désormais plus consommatrice que fondatrice…
Cette abstention semble, avant tout, une « réaction générationnelle », les jeunes étant les grands absents du scrutin en boudant les urnes de façon quasi-unanime, ce qui peut inquiéter et doit interroger : pourquoi cette absence volontaire ? Cela indique une méfiance générale des jeunes générations à l’égard d’un système qui ne les écoute pas, et dont ils n’attendent rien. Se contenter de ce triste constat, qui montre aussi l’échec total de la République contemporaine à « faire France », ne suffit pas et les Royalistes ne peuvent s’en contenter, évidemment : il apparaît urgent de restaurer le « souci politique » et de refonder du « lien politique », celui qui unit les Français autour d’un projet de longue mémoire et de long terme, la France. Il appartiendra aux Royalistes responsables de travailler à ce projet, au-delà des étiquettes politiciennes, non dans le ressentiment mais dans l’espérance et la foi en la France et en son destin. Car la France n’est pas finie, et rien ne serait pire que le désespoir qui, en politique, reste la sottise absolue !
De plus, pour redonner vigueur aux Régions, encore faudrait-il entendre les doléances du « pays réel », et, par exemple, celles qui portent sur la valorisation des cultures provinciales et la redéfinition des limites administratives trop souvent absurdes aujourd’hui : ce qui compte n’est pas la taille mais « l’âme » des provinces qui nécessite une nouvelle délimitation de ces dernières. Tout comme il est temps d’oser rendre aux provinces reconstituées des pouvoirs législatifs qui allègent l’Etat et lui permettent, ensuite, de se consacrer au mieux à l’exercice de ses vrais pouvoirs régaliens. « La France intégrale, c’est la France fédérale », disait « le plus ancien fédéraliste de France », le royaliste Charles Maurras.
La crise de la représentation en République ne pourra se résoudre par les habituels discours républicains faits de promesses vite oubliées : il faudra bien, logiquement, poser la question des institutions et, en prévision de « l’avenir que tout homme bien né souhaite à son pays », proposer la Monarchie royale comme réponse éminemment politique à la crise de confiance civique contemporaine.
Groupe d’Action Royaliste, le dimanche 27 juin 2021.
Jean-Philippe Chauvin
Abstention… Vous avez dit abstention ?
L’abstention spectaculaire lors de ce premier tour des élections régionales et départementales n’est pas une surprise, si ce n’est par son ampleur, inédite pour une élection nationale sous la Cinquième République. A celle-ci, nous distinguons plusieurs causes :
– La reproduction des clivages nationaux, souvent liée à une campagne trop « nationale » quand il s’agissait de voter pour les Régions et les Départements. Néanmoins, la « claque » infligée aux listes gouvernementales reste un signal fort du désaveu de la politique menée par l’actuel gouvernement, sans pour autant remettre en cause les fondements de celle-ci, puisque les listes « traditionnelles » restent dominantes, profitant d’ailleurs de l’abstention elle-même et de la « prime aux sortants » ;
– La « fatigue démocratique » qui est de plus en plus marquée dans notre pays mais aussi dans nombre de Démocraties occidentales, et qui semble liée au discrédit de la démocratie représentative considérée comme trop éloignée des attentes des électeurs concrets, comme l’avait déjà signalé la révolte des Gilets jaunes en 2018-19. Cette dernière se traduit, non plus par un vote protestataire, mais bien plutôt par une « absence électorale » ;
– Une centralisation trop marquée des pouvoirs en République qui empêche encore les Régions de jouer un rôle véritable dans la gestion des crises et la valorisation des atouts de chacune d’entre elles : trop souvent, le « pays légal » est, en fait, le « pays central », au risque de désespérer les citoyens des provinces. De plus, le découpage des Régions pratiqué par la République de M. Hollande au milieu des années 2010 empêche nombre d’électeurs de se reconnaître dans les grands ensembles régionaux, souvent trop artificiels et anhistoriques…
Le Groupe d’Action Royaliste ne peut évidemment se satisfaire d’une telle situation dans laquelle le « pays réel » (au sens global du terme) est si mal représenté et les intérêts des Régions si peu valorisés, et il en appelle à une refondation de la légitimité politique qui ne peut que passer, si l’on veut qu’elle soit efficace et pérenne, par l’instauration, dans les délais les plus raisonnables au regard de l’urgence française, d’une Monarchie royale et fédérale : celle-ci peut permettre, en rendant son indépendance de parole et d’action à la magistrature suprême de l’Etat, une nouvelle forme de représentation nationale, moins partisane et plus concrètement représentative de la pluralité française, de ce que l’on pourrait nommer « les pays réels de France ». De plus, elle autorise, par nature, « des démocraties locales » actives et utiles, au niveau régional, mais aussi communal, sans en oublier les dimensions sociales et professionnelles. C’est en rendant aux Français leurs pouvoirs civiques, à travers des institutions locales qui leur sont proches et dans lesquelles ils peuvent s’exprimer et agir, au-delà des structures de partis et des manœuvres politiciennes, qu’ils reprendront goût à l’engagement civique et électoral, nécessaire à l’harmonie sociale et à la continuité nationale et historique.
La Monarchie est-elle impossible ?
Dans le cadre d’une nouvelle enquête sur la Monarchie en préparation pour 2022, il s’agit aussi de répondre aux nombreuses objections faites à la Monarchie et, ainsi, de préciser les arguments pour celle-ci et son établissement en France. Nous reprenons des objections, des propos ou des remarques qui abondent dans la presse, parfois à l’école ou au comptoir des cafés (« le parlement du peuple » selon l’heureuse formule de Balzac), ou encore sur la toile, nouveau forum permanent.
Objection 1 : « Imposer la Monarchie à un pays ancré depuis si longtemps en République, cela est-il vraiment possible ? »
N’insultons pas l’avenir, dit l’historien comme le politologue : l’Histoire est pleine de surprises et d’imprévus, et elle ne suit pas un sens unique et obligatoire, au contraire de ce que pensaient les marxistes et de ce que pensent aujourd’hui les libéraux ou les européistes. Il faut être plein d’humilité face à elle et à ses circonvolutions, parfois heureuses, parfois terribles, souvent complexes, mais il ne faut pas renoncer à « la faire » ou, du moins, à en infléchir le cours, autant que faire se peut : il n’y a pas de fatalité « définitive » et se résoudre à celle-ci serait s’abandonner à tout Pouvoir sans limites (qu’il soit politique ou économique à travers les féodalités partisanes ou financières, par exemple), au risque d’y perdre toute liberté…
Certes, la possibilité d’une instauration monarchique en France paraît fort lointaine et, surtout, difficile, compliquée. Mais rien n’est impossible, et, d’ailleurs, « impossible n’est pas français », dit-on : l’exemple espagnol, maintenant un peu ancien mais proche de nous par la géographie, est la preuve que ce qui paraît hautement improbable en certains cas est toujours possible ! Le roi restauré par la volonté d’un dictateur n’a pas été son jouet, et Juan Carlos, que l’on croyait timide et emprunté, s’est avéré être un véritable Chef de l’État capable de mener la transition démocratique sans faillir ni défaillir (1), et, malgré les difficultés actuelles, la Monarchie perdure à travers son fils et successeur, Philippe VI (Felipe, en espagnol).
Pour la France, il y a, apparemment, le fort attachement des Français à 1789 et à ses suites institutionnelles républicaines. En fait, c’est beaucoup moins vrai ces dernières années, la recherche historique et la réflexion philosophique comme politique aidant… D’autre part, hormis le fait que la part « positive » de la Révolution selon l’opinion (qui n’a pas forcément raison au demeurant, selon le point de vue historique que l’on adopte) est antérieure à l’établissement même de la République en 1792, la Monarchie nouvelle n’aurait pas à entrer en conflit avec l’Histoire, fût-elle désagréable pour les rois et les royalistes, mais à l’assumer (ce qui ne signifie pas pour autant s’y « rallier »…) et à la dépasser. Car le regret n’est pas (et ne peut fonder) une politique et la Monarchie nouvelle, qui sera évidemment attendue sur ce point, devra veiller à ne pas être une nostalgie romantique ou revancharde : le roi, souverain de tous les Français, est celui qui relie toutes les traditions et toutes les histoires, en les assumant toutes, en tant que « trait d’union » institutionnel…
(1) : il ne s’agit pas ici de juger de la pertinence de la politique du roi d’Espagne Juan Carlos mais de considérer son succès stratégique alors qu’il paraissait condamné à être balayé par le vent de l’Histoire et de la révolution…
Célébrons Jeanne d’Arc !
Dans quelques jours, nous célébrerons Jeanne d’Arc, la sainte de la patrie : non par nostalgie mais pour nous souvenir de son exemple et pour nous en inspirer !
Lorsque tout semble perdu, il reste l’espérance et le combat nécessaire pour la faire advenir. Nous, Royalistes, espérons et militons pour la France, les libertés et ce qui permet la pérennité de l’une comme des autres : la Monarchie royale !
La Monarchie française, pour les libertés et contre la dictature !
Voici un argument que certains opposent régulièrement aux royalistes et auquel il nous semble utile de répondre : « La Monarchie, c’est la dictature, tout le contraire de la République… » Eh bien, non, la Monarchie, ce n’est pas la dictature tout comme la République, ce n’est pas la liberté, et nous le prouvons !
Dans l’histoire comme dans le projet contemporain, et c’est de la France dont il s’agit ici, la Monarchie n’est pas une dictature et n’a pas vocation à le devenir, même si la tentation d’un régime autoritaire a pu exister de la part de quelques royalistes lors du premier XXe siècle, furieux de la déliquescence d’une IIIe République qui laissait la voie ouverte à la puissance germanique et, bientôt, à l’occupation de notre pays.
Sous l’Ancien régime, la Monarchie était plus fédérative que centraliste, et les provinces, les villes, les métiers avaient de nombreuses libertés, des « franchises et privilèges » disait-on alors, au point que l’historien Funck-Brentano a pu parler d’une « France hérissée de libertés ». Cela n’empêchait pas la construction d’un État central qui s’imposait peu à peu à tous, à un rythme lent mais sans discontinuer et sans, sur le fond, attenter aux « libertés traditionnelles », cherchant plutôt l’équilibre que la démesure. Bien sûr, la nécessaire lutte contre les féodalités ne se faisait pas toujours dans la délicatesse et la raison d’État, en devenant un élément important de l’exercice et de l’essence même de l’État, a parfois justifié des mesures qui ressemblent à celles d’un état d’urgence contemporain. Comme tous les régimes humains, la Monarchie n’est pas « parfaite », en particulier parce qu’elle reconnaît, justement, l’imperfection des hommes, et qu’elle s’en contente sans vouloir forger un « homme nouveau », vieux rêve des utopies que les républicains de 1793 voudront mettre en application, obligés alors d’instaurer un régime de Terreur qui préfigure les totalitarismes du XXe siècle…
La Monarchie, aujourd’hui, ne serait pas plus une dictature qu’elle ne l’a été avant 1789 et de 1814 à 1848, cette dernière période étant celle de l’installation définitive d’un système parlementaire qui, sous les Républiques suivantes, a dégénéré en parlementarisme, au moins jusqu’en 1958 et l’instauration d’une République plus « monarchique » que les précédentes sans aller jusqu’à son terme institutionnel logique…
S’il y a l’exemple des Monarchies européennes, plus symboliques que décisionnaires, elles ne sont pas forcément représentatives des espérances monarchiques françaises. Mais elles montrent à l’envi que l’idéal monarchique n’a rien de dictatorial, et, dans le cas de l’Espagne, la royauté a permis et a mené une « révolution tranquille » qui, si elle peut parfois nous surprendre, a inauguré véritablement une pratique du débat politique décomplexé et un régime parlementaire classique selon les canons européens… Ce dernier exemple ne signifie pas que cette forme de la Monarchie soit exactement adaptée à la France, mais il montre les possibilités démocratiques offertes par une Monarchie locale.
La Monarchie « à la française », par son essence même, est la meilleure antidote à la dictature, y compris à celle de l’Opinion publique, souvent versatile et parfois inflammable : en ancrant la magistrature suprême de l’État dans le temps et dans les habitudes, au-delà des intérêts particuliers (et antagonistes, souvent) du moment et d’un lieu, elle peut jouer ce rôle de représentation diplomatique nationale et celui d’un trait d’union entre les diversités françaises, d’un arbitrage permanent et mesuré sans être omnipotent et hyperactif… En somme, tout l’inverse d’une République trop centralisée ou (et ?) trop féodaliste dont l’état d’urgence désormais presque permanent depuis 2015 apparaît comme la défense maladroite d’un régime qui ne croit même plus en sa légitimité propre…
La nécessité d’une démographie française soutenue.
La question démographique n’est pas une question secondaire, et le croire serait une erreur autant vitale que sociale : l’avenir d’un pays repose sur sa capacité à vivre et à transmettre et, quand la vie semble négligée, seules les ruines encombrent le paysage sans qu’elles ne parlent d’autre chose que d’un monde disparu, mort. Les peuples et les nations sont mortels, et pas seulement comme sociétés : l’histoire est un immense cimetière de civilisations, et de nombreuses chaînes de transmission ont été brisées faute d’entretien démographique, moral ou politique. Il serait fort dommage que la France (ce qu’elle est et porte dans l’histoire du monde et des hommes) disparaisse à son tour dans une globalisation d’amnésie bien-pensante et de féodalismes identitaires et techno-financiers, d’où ce souci démographique qui anime ceux d’entre nous qui veulent un avenir français sans, pour autant, méconnaître les autres manières d’être au monde.
Or, les chiffres de la natalité et de la fécondité françaises de cette dernière année ne sont pas bons et peuvent même paraître inquiétants : le taux de fécondité (le nombre d’enfants par femme en âge de procréer) s’établit pour 2020 à 1,84 et le nombre des naissances n’a jamais été aussi bas depuis… 1945 ! Entrons-nous dans un nouvel hiver démographique, ou n’est-ce que la conséquence passagère d’une crise sanitaire dont nous ne savons pas encore la fin ? Or, au début du premier confinement, l’idée courante (mais fausse) était que l’enfermement contraint allait provoquer une embellie démographique neuf mois après, ce que la réalité vient de cruellement démentir. En fait, la crise sanitaire a accéléré un processus antérieur qui voit la fécondité française diminuer et la natalité avec, sachant que, déjà, le nombre de femmes en âge de procréer a logiquement diminué ces dernières années, conséquence du premier « baby krach » du milieu des années 1970 et de l’élévation de l’âge de la première maternité (presque 31 ans en moyenne pour les femmes françaises aujourd’hui) qui « étire » ainsi la natalité dans le temps.
Mais l’une des causes principales de la baisse de la natalité est politique, ce que rappelle le démographe Gérard-François Dumont dans un entretien très instructif publié par Le Figaro dans son édition du vendredi 12 mars dernier, intitulé, avec raison, « La France paie le démantèlement de sa politique familiale » : « Si l’on considère les niveaux de fécondité des pays européens et les différentes politiques familiales, le résultat est clair : les pays dont la politique familiale est faible ont les fécondités les plus basses. Ceux dont la politique familiale est moins timorée ont les fécondités les plus élevées. Jusqu’au milieu des années 2010, la politique familiale de la France lui permettait d’avoir la fécondité la plus élevée d’Europe, un temps devancée seulement par l’Irlande. C’était une politique qui, avec ses multiples déclinaisons financières, fiscales et de facilitation de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, satisfaisait les Français. Puis, sous le quinquennat Hollande, un démantèlement systématique est intervenu : fin de l’universalité des allocations familiales ; diminution de l’équité fiscale ; réforme du congé parental rendant celui-ci considérablement moins attractif ; forte diminution de l’autonomie fiscale des collectivités locales contraintes de revoir à la baisse leurs systèmes de grade de jeunes enfants. » Ainsi, la politique pratiquée par les socialistes au pouvoir a oublié qu’il ne faut jamais mélanger les genres et que confondre politique sociale et politique familiale entraîne une déstabilisation de cette dernière : c’est bien ce qui s’est passé, et la chute fut brutale, le taux de fécondité passant de 2,01 en 2014 à 1,84 en 2020, ce qui s’est concrètement traduit par une baisse significative du nombre de naissances.
Or, cette nouvelle situation démographique a des conséquences sociales et pas seulement sur les moyen et long termes, comme le souligne M. Dumont : « La dénatalité exerce des effets économiques à court terme sur la demande et sur le dynamisme économique, puisque l’enfant est un élément « actif » de l’économie. A moyen terme, c’est la population active qui diminue, par conséquent un potentiel moindre de création de richesses. » Des naissances en moins, ce sont des classes en moins, des professeurs en moins, des écoles en moins, et cela dès les premières années après le « creux » de la natalité : « En France métropolitaine, il naît désormais 100.000 enfants de moins qu’il y a dix ans. C’est un phénomène spectaculaire », explique dans la même édition du Figaro Yvon Sérieyx, chargé de la conciliation vie familiale-vie professionnelle à l’Unaf, et c’est un phénomène qui n’incite guère à l’optimisme.
Mais il y a un autre souci économique et social, c’est le financement des retraites qui risque d’être lourdement impacté par cette baisse de la natalité française, et cela dans un délai de quelques décennies, affectant aussi le système de santé ainsi que celui de l’assurance-chômage, du moins si le système d’une « solidarité nationale » effective et inter-générationnelle (retraites par répartition, sécurité sociale, etc.) perdure, ce qui reste à défendre face aux pressions de la mondialisation dérégulatrice et d’une Union européenne moins protectrice que ne peut l’être, malgré tous ses défauts (et ils peuvent être lourds…), l’État français hérité des années 1936-1962…
Alors, que faire ? Il serait évidemment nécessaire que l’État, qui n’est pas pour autant le maître des chambres à coucher, travaille à la mise en place d’une véritable stratégie, non pas seulement nataliste, mais familiale au sens le plus complet du terme, et qu’il s’appuie sur tous les acteurs économiques (sociaux, « corporatifs » et locaux) de l’ensemble français, pour la faire advenir : en somme, « susciter plutôt qu’imposer », en favorisant les familles et en soutenant les parents isolés, et toutes celles qui souhaitent avoir des enfants et en sont empêchées par les difficultés économiques du moment ou par les contraintes du milieu professionnel. Car il est un élément à prendre en compte, c’est le désir d’enfants en France qui est, pour les femmes en âge de procréer, de 2,3 : un chiffre supérieur à ceux que nous constatons aujourd’hui et qui est une promesse et une espérance si notre société sait répondre à cette attente ! Bien sûr, de la théorie à l’effectivité, il y a parfois une marge importante, mais il semble que l’enjeu en vaut la chandelle. De plus, il faut rendre aux familles et à leurs enfants qui sont « les parents de demain » des perspectives d’intégration au monde du travail et des possibilités d’une meilleure qualité de vie, et promouvoir une politique audacieuse d’aménagement des territoires, fondée sur le désir de plus en plus fort d’une vie extra-urbaine par exemple (désir exprimé par une part croissante de la population) ou d’une alternative « heureuse » à la société de consommation. En fait, ce ne sont pas les pistes qui manquent, et c’est aussi ce qu’avance le Haut-commissaire au Plan François Bayrou en train de préparer une note sur ce sujet. Encore faut-il que ce souci démographique ne soit pas la proie des seuls économistes, mais qu’il devienne une des priorités de l’État : en ce domaine comme en d’autres, « Politique d’abord » ! C’est la volonté politique qui peut permettre un rétablissement durable de la natalité, non dans l’excès mais dans la mesure et la raison qui, toujours, doivent guider l’action politique envers la société et les citoyens. La République en est-elle encore capable ? Il n’est pas certain que la réponse soit positive…
Mais, la bonne santé démographique d’une nation n’est pas la seule condition de la force de celle-ci, même si Jean Bodin expliquait au siècle de François 1er que, vraiment, « il n’est de richesses que d’hommes » : il faut y ajouter l’envie de vivre et de transmettre, le besoin de cette amitié nationale qui favorise l’unité des peuples du pays autour d’un axe fédérateur et qui doit s’imposer aux égoïsmes individuels ou communautaires, tous nécessaires mais devant être apprivoisés pour ne pas être empoisonnés… Que la Monarchie royale en France puisse s’apparenter à un État-famille, et que la France soit une « famille de familles », pourrait aider à la vie pérenne et toujours renouvelée de ce pays, « le plus beau royaume qui soit sous les cieux »…
Quand Franck Ferrand évoque la possibilité d’une monarchie en France…
Lorsque j’étais élève au lycée Chateaubriand de Rennes à la fin des années 1970, il y avait un professeur d’histoire que nombre de lycéens soupçonnaient d’être royaliste et la rumeur courrait que, tous les 21 janvier, il portait une cravate noire en souvenir de la mort brutale et républicaine du roi Louis XVI. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais cherché à en avoir confirmation, même si j’étais ravi qu’un des maîtres du lycée puisse avoir les mêmes sentiments politiques que moi, devenu royaliste à l’orée de mes classes de Terminale. Et, en 1981, lors de mon « premier » 21 janvier, si je n’arborais pas de crêpe noir ni de cravate de la même couleur de deuil, je me rendais à la messe pour le repos de l’âme du souverain déchu et décapité, messe qui se tenait dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu, et j’étais accompagné de l’ami Olivier, celui-là même qui m’avait invité à ce qui fut ma première réunion royaliste en 1978 (avant même que je sois convaincu de la nécessité monarchique) au lycée Jean-Macé, organisée par le « Cercle Charles Maurras » (1). A la cérémonie de ce 21 janvier 1981, l’assistance pieuse était fort réduite (une quinzaine de personnes), groupée principalement autour de Yolande de Prunelé, figure bretonne de la Nouvelle Action Royaliste, et quelques uns des militants « nafistes » présents portaient un badge avec la fleur de lys stylisée, de couleur rouge, qui était celle, alors, de la revue Lys Rouge.
Aussi quarante ans après, ai-je été amusé (cela sans ironie aucune) de lire l’article de Franck Ferrand publié cette semaine dans Valeurs Actuelles sous le titre « Cravate noire », article dans lequel il rapporte quelques souvenirs de ses jeunes années et de ses 21 janvier : « Adolescent, je mettais un point d’honneur à porter, le 21 janvier, la cravate noire des nostalgiques et des dandys ; c’était mon tribut au souvenir du malheureux Louis XVI et à celui de ses proches, sacrifiés sur l’autel de la République naissante. (…) Il était pénible à ma jeune conscience civique d’admettre qu’au nom du peuple – le souverain nouveau – on ait pu légalement, à l’issue d’un vote serré de la Convention nationale, choisir de tuer cet homme – l’ancien souverain – plein de grandeur et de bonté et qui avait toujours épargné le sang de ces Français qu’il regardait comme ses enfants. » Mais aujourd’hui, ce souvenir semble moins présent et les journaux ne rapportent plus, comme ils le faisaient il y a encore une vingtaine d’années, les cérémonies en mémoire tragique de l’événement. Et, si j’ai constaté que nombre de mes élèves savaient à quoi faisaient référence mes petites allusions de jeudi dernier, l’écho s’en est largement perdu au-delà des murs de Versailles…
Peut-être n’est-ce pas forcément plus mal, en fait. Car le souvenir a parfois tendance à « gêner l’avenir », comme le dit la formule, et le 21 janvier, par sa célébration habituelle, a souvent été l’occasion, une fois passée la journée, d’attendre l’année suivante sans plus rien faire de politique et de constructif. Commémorer est utile, sans doute nécessaire, mais ce n’est pas suffisant et même un peu vain si cela ne s’accompagne pas d’une réflexion sur l’événement lui-même, ses causes et ses conséquences, mais aussi sur les moyens de renouer les fils tranchés en ce jour tragique, renouer non pour se faire plaisir mais pour relier l’arbre et ses branches à ses racines qui peuvent lui permettre, encore, d’avoir de nombreux printemps. J’avoue que je ne porte pas vraiment de cravate noire le 21 janvier mais que j’arbore tous les jours la fleur de lys, et cela depuis plus de 40 ans !
Et la suite de l’article de Franck Ferrand semble confirmer mon acharnement à concevoir le royalisme, non comme une nostalgie satisfaisante (et cela même si je ne méconnais pas les puissances de ce sentiment qui peuvent nourrir les actes d’honneur du présent), mais comme une espérance à faire advenir : « Car, vingt-trois décennies après la décollation de Louis Capet, le délitement accéléré de nos institutions tend à ouvrir une brèche dans ce républicanisme unanime. Les monarchistes qui, hier encore, concédaient plus ou moins le caractère illusoire de leurs prétentions se surprennent à y croire de nouveau. Même hors de leurs rangs, certains esprits pondérés, sans en appeler au droit divin ni regretter le toucher des écrouelles, se disent que le retour à une monarchie parlementaire aurait cela de bon qu’il détournerait nos politiciens de l’ambition suprême et débarrasserait notre vie publique de mille combats d’ego. » Si l’on peut discuter la forme de la Monarchie évoquée par l’historien, l’argument fort de préserver des querelles électorales et partisanes la magistrature suprême de l’Etat est tout à fait approprié et bienvenu, à l’orée d’une nouvelle séquence de « combat des chefs » présidentiel. Surtout au moment où l’on nous annonce la répétition désespérante du second tour de 2017 (répétition qui, à mon avis, n’est pas écrite…), et que l’abstention risque, en cette élection de 2022, de battre tous les records connus, la démocratie sombrant actuellement dans une sorte de grande fatigue civique dont il n’est pas certain que la perspective soit heureuse pour notre pays et sa société vivante… La Monarchie conviendrait mille fois mieux à notre pays que ce « confinement démocratique » qui épuise les bonnes volontés et décourage les initiatives (2) : si la démocratie semble tomber en dormition, une monarchie royale, incarnée et populaire (dans le double sens du terme) aurait l’immense avantage de revivifier les démocraties « parlementaires » (de la Région à la Nation) et locales (de la Commune aux Métiers, ce qui constitue le pays réel, loin de l’artificiel et du distanciel…) : « Le Roi au sommet, les républiques françaises à la base », c’est-à-dire aux citoyens. Rapprocher la démocratie des peuples de France et éloigner la magistrature suprême de l’Etat des appétits politiciens : n’est-ce pas là ce que, au travers des revendications de « RIC » et de démocratie de proximité, nombre de citoyens qui ne veulent plus être passifs réclament ?
(à suivre)
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : A l’époque, les réunions politiques étaient tolérées dans les établissements scolaires, après autorisation de l’administration du lycée, et il y avait même des panneaux d’affichage à tous les étages, panneaux qui étaient l’objet d’une véritable lutte permanente entre les différents groupes pour leur contrôle… Cela paraît inimaginable aujourd’hui ! Quant au Cercle Charles Maurras, il n’était affilié à aucun mouvement royaliste, même s’il se revendiquait plus ou moins de la Restauration Nationale (nom de l’organisation nationale de l’Action Française depuis le milieu des années 1950 après l’avoir été du groupe rennais dès l’immédiate après-guerre). Si j’en crois mes souvenirs, Olivier M. avait entraîné avec lui Jean-Christophe P., plus connu dans les milieux politiques de l’époque sous le pseudonyme d’Hugues de Rohan et qui avait été grièvement blessé quelques temps auparavant par des militants d’extrême-gauche, la barre de fer ayant souvent remplacé le débat courtois en ces années 1970…
(2) : Qu’on ne se méprenne pas : je parle bien de politique quand j’évoque ici le « confinement démocratique » : je ne parle pas de la situation sanitaire ni des réponses qui y sont apportées.
Hommage à une victime du terrorisme islamiste, M. Samuel Paty.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde », s’exclamait Albert Camus jadis, à la suite de Maurras, de Bernanos et de quelques autres encore pour qui les mots ne sont pas de simples alignements de lettres mais ont un sens exact et particulier. Alors, rappelons, face à l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, quelques vérités simples, tout en lui rendant l’hommage que nous devons, en tant que Français attachés à la nation et à ses libertés publiques comme privées, à ce serviteur de l’Etat, quelle que soit les formes institutionnelles de ce dernier.
Ce professeur est mort assassiné pour avoir fait ce qui était son métier et sa fonction d’enseignant, dans le cadre de l’instruction publique ;
Il est mort assassiné par un islamiste au nom d’une conception étroite du sacré qui ne correspond ni à nos traditions françaises ni à la compréhension et pratiques contemporaines de la religion qu’il prétendait servir ;
Sa tête décapitée nous est jetée à la figure comme une provocation et avec la volonté de faire peur aux enseignants et aux usagers de l’école ;
L’assassin a été accueilli chez nous et son acte est un crachat sanglant sur le visage de notre pays, acte belliqueux qui doit nous inciter à revoir, sans doute, les règles d’hospitalité de notre nation à l’égard de « réfugiés » dont certains n’ont aucunement l’intention de respecter ce que nous sommes en tant que France ;
L’Education nationale n’a pas su, ces dernières décennies, tracer nettement et fermement un destin français pour les nouvelles générations d’ici ou venues d’ailleurs, trop occupée qu’elle était à défendre de grands principes et des « valeurs de la République » qui, trop souvent, ne valent que ce que la République avec ses « affaires » donne comme image d’elle-même ;
La République, évoquée à tout instant par les Autorités, n’est pas la France, mais un instant idéologique de celle-ci, représenté par des institutions dont nous pensons qu’elles desservent aujourd’hui comme hier le bien commun de la France et des Français. Mais nous pouvons comprendre aussi que, par habitude et par usage, ou en suivant la définition ancienne de Res Publica (la « chose publique », c’est-à-dire la Cité et ses œuvres), ce mot soit largement utilisé par nombre de nos concitoyens sincères comme un synonyme de France ;
Dans son acte barbare, l’assassin islamiste a été conforté par la faiblesse de nos Démocraties face à l’islamisme et la crainte devant le mot « islamophobie » qui n’est rien d’autre, le plus souvent, que l’arme des islamistes pour tétaniser leurs adversaires ;
Face à l’islamisme, les bougies et les dessins, aussi sympathiques soient-ils, ne suffiront pas : il faut un Etat digne de ce nom pour faire respecter ce qu’est la France, avec ses qualités et ses défauts, mais dans la ligne de son histoire et de « ce destin heureux que tout esprit bien né souhaite à sa patrie ».
Devant le corps mutilé de ce professeur d’histoire dont nous ne savons rien des idées et des appartenances politiques parce que, en l’occurrence, elles nous semblent secondaires face à l’acte dont il a été victime, nous, Royalistes français, nous inclinons respectueusement.
Qu’il repose en paix.
Etre royaliste aujourd’hui, malgré la République.
Il faut bien l’avouer : aujourd’hui, malgré les efforts des militants monarchistes de toutes tendances, le royalisme semble presqu’invisible aux yeux de nos contemporains, baignés dans l’ambiance distractionnaire de la société de consommation, désormais plus numérique que physique, et par l’angoisse actuelle de la maladie qui rôde dans nos villes : cette dernière menace semble d’ailleurs tétaniser toute capacité de réflexion politique et, tout compte fait, elle paraît souvent profitable (pour l’instant…) aux pouvoirs en place, au point de prédire (mais n’est-il pas bien pour cela ?) une élection présidentielle au second tour semblable à l’élection précédente, avec un même destin électoral… Cette situation et la promesse d’une resucée de 2017 ne sont pas satisfaisantes, et les royalistes ne peuvent s’en satisfaire : je ne m’en satisfais pas.
En tout cas, et malgré les impasses d’une République qui semble autant bloquée que bloquante, et alors même que tout semble confirmer les inquiétudes des royalistes devenus depuis un siècle des « Cassandre malgré eux », le royalisme connaît une marginalisation évidente dans le paysage politique français, aujourd’hui monopolisé par les tenants du « tout démocratique » et du « politiquement correct ». Cette situation gêne évidemment la perception des idées royalistes, trop souvent limitées, dans l’esprit de nos concitoyens, à quelques mondanités ou à des anecdotes, mélanges d’activisme et de folklore… Il est vrai que les royalistes sont parfois responsables de cette image déplorable ou caricaturale, et que leurs incessantes querelles, qu’elles soient dynastiques ou idéologiques, détournent du royalisme maintes bonnes volontés qui, pourtant, peuvent apporter de la « fraîcheur » à un courant d’idées temporellement vieux mais toujours utile, voire nécessaire au débat politique et institutionnel.
Ainsi, au moment où la Ve République doit affronter les défis de la globalisation et de la logique globalitaire (néolibéralisme, idéologie consumériste, démocratisme élitaire et oligarchique…) ; au moment où les intelligences les plus vives ressentent un « malaise de civilisation » (prémisses ou, plutôt, révélateurs d’une crise aujourd’hui bien réelle ?) ; au moment où la maladie au numéro 19 remet en cause quelques unes des certitudes de notre mode de vie « sans limites », l’idée d’une instauration monarchique apparaît bien lointaine (autant dans le passé que pour l’avenir), mais doit revenir dans le champ des possibles : la Monarchie royale, au regard des données politiques et institutionnelles actuelles, reste (et sans doute, de manière plus précise, redevient) nécessaire pour notre nation aujourd’hui moins sûre d’elle-même et fragilisée par des forces externes (diplomatie états-unienne ; montée des puissances « alternatives », de la Chine à la Turquie ; règlementarisme européen…) et internes (ethno-nationalismes séparatistes, communautarismes religieux ou sociologiques,…). Une nation que nous évoquons, non comme une idéologie jacobine (la « Nation » avec un N majuscule) dont les excès centralisateurs se manifestent jusque dans la gestion « parisienne » de la crise sanitaire (les Marseillais en savent quelque chose, mais aussi les Rennais : les préfets sont redevenus les « représentants en mission » d’une République maladroite dans ses réponses à la pandémie), mais comme une forte réalité issue de l’histoire et des liens qu’elle a fondés et entretenus, et comme le fort sentiment de l’appartenance à un « ensemble pluriel et inaliénable ».
Pourtant, la Ve République pensait avoir résolu le problème des institutions en « monarchisant » la République (hommage du vice à la vertu, diraient certains…) mais cette monarchie incomplète qui, en fait, semble plutôt avoir été, du temps du général De Gaulle, une forme française de « monocratie » renforcée par ses successeurs, est aujourd’hui largement remise en cause par les diverses réformes constitutionnelles de ces dernières années, mais aussi par les diverses cohabitations qui se sont succédé depuis 1986 (trois en quinze ans) et que le quinquennat a rendu désormais plus improbables (le mal est déjà fait, pourrait-on ajouter avec regret). En effet, depuis les années 1960, sous la pression conjointe d’une société de consommation de plus en plus mondialisée et d’une construction européiste qui oubliait, en fait, les réalités européennes comme la Nation de la 1ère République avait nié les réalités françaises, cette « pluralité de l’unité », la nation française paraît affaiblie et inquiète d’elle-même sans se résoudre ni à disparaître ni à se grandir à nouveau, et la Ve République est impuissante à se hisser à la hauteur des espérances que l’histoire de France, pourtant, autorise et que nombre de peuples, dans le monde, attendent !
Voici ainsi une bonne raison d’être royaliste et de le faire savoir, avec ferveur mais sans démesure, en cherchant, d’abord, à servir le pays qui est le nôtre, ce « cher et vieux pays » dont les dévastations urbanistiques et les dégradations environnementales nous désolent. Il ne s’agit pas de prendre une douteuse revanche sur une histoire de France guère heureuse pour les derniers rois comme pour leurs partisans ultérieurs, mais de rendre à la nation française sa juste conscience d’elle-même et sa place au regard même de ce qu’elle a été, que cela soit chez elle ou de par le vaste monde. Une France qui ne s’arrête pas aux limites de l’hexagone mais navigue aussi sur tous les océans à travers ses territoires ultramarins, de la Nouvelle-Calédonie (qui vient de confirmer ce dimanche par référendum son appartenance à l’ensemble national) à l’île de Mayotte, notre plus récent département (depuis 2011) et pour lequel toute une génération de royalistes, autour du maurrassien Pierre Pujo et de son hebdomadaire Aspects de la France, a milité, « contre le sens obligatoire de l’histoire »…
Mais être royaliste ne signifie pas être en « exil intérieur », bien au contraire, et, même si certains républicains peuvent en être surpris, nous travaillons en France, sous la République, parfois au sein de sa Fonction publique, sans que cela nous pose souci : il s’agit de servir le pays, sa population et, pour mon cas, ses jeunes générations. Un royaliste a sa place partout en France, partout où il faut servir et non « se servir ». Refuser de le faire serait, d’une certaine manière, appliquer « la politique du pire » qui est, comme le soulignait Maurras, « la pire des politiques ». Cela n’empêche pas, là où nous sommes, d’œuvrer, aussi, pour un Etat digne de ce nom, un Etat royal et dynastique qui n’a qu’une passion, qu’une obsession : la France, la France encore, la France d’abord…
Sauvons les 863 emplois du pneumatique à Béthune !
La liste des entreprises mondialisées qui ferment leurs usines en France pour se redéployer (beaucoup) plus loin vient de s’allonger un peu plus encore avec l’annonce, brutale et par vidéo interposée, de la fermeture complète et définitive de l’usine de pneumatiques Bridgestone (multinationale japonaise) installée à Béthune, dans une région très éprouvée par la désindustrialisation depuis une bonne trentaine d’années déjà et au fil de la mondialisation et de son imposition aux économies nationales. Ce sont 863 emplois qui, d’un clic d’ordinateur, peuvent ainsi disparaître au printemps 2021, selon le bon plaisir d’une entreprise qui, en 2017, profitait allégrement des aides de l’Etat, au titre du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et avait alors touché 1,8 million d’euros. 863 emplois, sans compter les sous-traitants et ceux qui vivent de l’installation des familles de cadres et d’ouvriers sur place ou dans les environs de Béthune… En somme, une nouvelle catastrophe sociale s’annonce pour la région et ses habitants, si rien n’est fait pour l’empêcher !
Ce n’est pas la première fois et ce n’est sans aucun doute pas la dernière non plus qu’une entreprise mondialisée, à la recherche de profits pour les actionnaires qui participent à son financement et, en retour, « en veulent pour leur argent » (et pour leur « confiance » sur laquelle repose en grande partie leurs propres investissements), agit de la sorte : la violence de l’annonce, quelques mois après avoir affirmé à l’Etat ne pas avoir l’intention de fermer ce site industriel (affirmation faite à Bercy, devant le ministre de l’Economie et le président de la région Hauts-de-France, en novembre 2019 !), se conjugue avec un cynisme certain et confirme la mauvaise impression que, depuis quelques années déjà, les acteurs locaux mais aussi l’Etat pouvaient avoir devant l’absence d’investissements de l’entreprise sur le site et le refus récent de profiter des aides de l’Etat dans le cadre du plan de relance post-covid, comme pour sembler ne rien devoir désormais à la France. Il semble bien que, en définitive, Bridgestone ait laissé pourrir la situation pour légitimer son attitude présente, faisant ainsi peu de cas des emplois locaux et rassurant ses actionnaires qui souhaitent de meilleurs dividendes sans se soucier des moyens utilisés pour les obtenir… C’est là où l’on touche du doigt toute l’injustice d’un système qui sépare le travail (des ouvriers et des cadres) de l’argent au lieu de conjuguer les deux dans une « communauté de destin » professionnelle. L’argent « libéré du travail » devient vite ce tyran qui soumet les travailleurs à son bon plaisir et à ses créances…
Devant l’indignation provoquée par l’annonce de la fermeture du site, l’Etat n’a pas pu se défausser et il est fort possible que M. Le Maire, comme le président de la République lui-même, ne soit pas insensible à cette violence économique et sociale. L’intervention rapide du politique face au risque de fermeture du site a au moins permis de lancer un cycle de négociations entre les différents partenaires sociaux, mais aussi régionaux et étatiques, et la direction européenne de la firme japonaise, cycle qui devrait durer cinq mois et, officiellement, chercher des pistes pour éviter le drame social et l’accentuation de la désindustrialisation locale. Mais, n’est-ce pas simplement le moyen pour la multinationale de gagner du temps en espérant que l’émotion s’apaise et que la fatigue des opposants à la fermeture du site désarme toute réaction trop brutale ou dangereuse pour l’image ou les intérêts de la firme et de ses actionnaires ? Il n’est pas interdit de le craindre, au regard des précédents trop nombreux et peu encourageants pour les travailleurs…
Alors, que faire ? La tentation est grande de se contenter de quelques slogans anciens et réducteurs sur la logique capitaliste qui ne serait rien d’autre que la seule recherche du profit par des classes dominantes égoïstes au détriment des classes laborieuses forcément exploitées et maltraitées en ces temps déjà peu sympathiques. Non que cela soit forcément faux, d’ailleurs, si l’on en croit quelques uns des laudateurs mêmes de ce système et si l’on observe les mentalités capitalistiques contemporaines, fort peu portées sur la générosité et la compassion à l’égard des travailleurs (cadres comme ouvriers), et encore moins sur le partage des profits et la pourtant si nécessaire justice sociale. Je n’ai guère d’illusions sur l’état d’esprit des féodaux d’aujourd’hui pour lesquels l’argent est la seule aune de la valeur des hommes, et sur leur capacité (très faible voire nulle, en fait) à entendre la souffrance des « sans-dents », et La Tour du Pin, catholique fervent et royaliste lucide autant que social, avait déjà de son temps des mots très durs à l’égard des financiers et des patrons qui oubliaient, trop souvent et trop naturellement, leurs devoirs sociaux…
Mais au-delà de ce constat sur la dureté des méthodes et de l’idéologie capitaliste elle-même, il faut bien proposer quelques pistes pour, dans le cadre d’une mondialisation imposée et trop souvent intériorisée comme « obligatoire » par les populations (1), sauver ce qui peut l’être sans oublier ce qui doit l’être, c’est-à-dire la possibilité pour ceux qui vivent du travail chez Bridgestone de continuer à travailler et à vivre dignement, même sans (ou après) Bridgestone. En ce sens, il est nécessaire d’appuyer notre soutien aux salariés de cette firme, y compris pendant les cinq mois de médiation et de négociations, non pour bloquer la situation mais pour peser dans ce qui est, d’abord et toujours, un rapport de forces : se désintéresser de cette double cause de l’activité industrielle et de l’emploi à Béthune au sein et autour de Bridgestone serait affaiblir la position des salariés autant que celle de notre pays. En ce sens, et sans tomber dans le mythe d’une « union sacrée » sociale, il faut renforcer la position de l’Etat, non par amour pour M. Le Maire mais parce que, sans le politique, rien ne pourra se faire ni être garanti pour l’emploi dans la région ; idem pour le Conseil régional, dirigé par un potentiel candidat à la présidentielle dont il faut souhaiter que son ambition lui permette d’être le plus efficace possible, et qu’il soit un éternel aiguillon pour rappeler l’Etat à ses devoirs si ce dernier venait à fléchir face au géant japonais du pneumatique…
Que peut devenir l’usine de Béthune ? Un rachat par une autre société (Michelin ?) peut être envisagé mais Bridgestone acceptera-t-il cette option qui pourrait entraîner une nouvelle concurrence pour ses propres produits ? Alors, en faire une usine dédiée au recyclage des pneus usagés, dans le cadre de la transition écologique française et de la mise en place progressive d’une économie circulaire ? Ou moderniser l’outil industriel et l’adapter aux nouvelles tendances du marché du pneumatique ? D’autres propositions seront évidemment avancées et devront être discutées, défendues aussi près des autorités et de la direction de la firme mondialisée qui, pour l’heure, reste campée sur son intention de fermeture définitive du site. Quoi qu’il en soit, la première des priorités est de montrer la détermination de tous à sauver « Béthune », et « la rue » sera, sans doute, aussi utile que « les pouvoirs publics » et la négociation entre les différents acteurs du dossier. C’est une bataille sociale qui s’engage et qui, après tant de défaites récentes, doit, cette fois, être victorieuse…
Bien sûr, cela n’est qu’une étape dans ce long processus, nécessaire, de « nouvelle industrialisation » : retrouver l’indépendance économique de notre pays et « faire de la force » sur ce terrain comme sur les autres, voilà qui doit motiver l’action et les propos de tous, en France, car la mondialisation ne doit pas dicter sa loi aux Etats ni aux travailleurs qui, trop souvent, en sont les victimes expiatoires…
Notes : (1) : Ce qui n’empêche pas, pour autant de dénoncer la mondialisation et d’en évoquer et d’en préparer une sortie en bon ordre, dans le cadre d’une internationalisation des échanges fondée, non sur « la concurrence de tous contre tous » (seule valorisée aujourd’hui) mais sur l’équilibre et sur l’équité sans tomber dans l’illusion d’une égalité des échanges qui n’aurait ni sens ni raison.