Les reines au Moyen-Âge – partie 1

Dans ce premier volet consacré aux reines du Moyen Âge, j’aimerais me concentrer sur la période qui va de la fin du Ve siècle au milieu du IXe siècle. Avant de parler des reines, il me semble utile de faire un petit récapitulatif de l’histoire générale de cette période.

Le dernier empereur romain, Romulus Augustule, est déposé en 476 : c’est la fin de l’empire romain d’Occident (celui d’Orient perdure jusqu’en 1453). Divers royaumes sont alors constitués suite à ce que l’on a pendant longtemps appelé les invasions barbares (j’en parlais au début de cet article) : au début du VIe siècle, on trouve en Espagne les Wisigoths et les Suèves ; l’Italie est occupée par les Ostrogoths ; la France actuelle est partagée entre les Francs et les Burgondes.
   Le royaume burgonde est progressivement envahi par les Francs. Le royaume wisigoth absorbe celui des Suèves avant de disparaître brutalement en 711, lorsque les Arabes débarquent dans la péninsule ibérique. Après la mort du roi ostrogoth Théodoric en 526, les armées de l’empereur d’Orient tentent de s’emparer de l’Italie ; le peuple des Lombards en profite pour s’installer et établir un royaume indépendant.
   On assiste à une sorte d’unification sous Charlemagne. Charlemagne est le deuxième roi de la dynastie des Carolingiens, qui a remplacé celle des Mérovingiens à la tête des Francs. Il mène une politique de conquête et envahit le royaume lombard. Il étend le royaume des Francs et rétablit l’empire en Occident.

La reine, épouse du roi

Ce très rapide aperçu est évidemment incomplet mais devrait suffire à comprendre le cadre général dans les zones évoquées : Espagne, France, Italie majoritairement ; j’exclue les royaumes anglo-saxons où les épouses de roi n’ont pas de statut particulier avant le milieu du IXe siècle. Dans ces espaces, la reine se définit avant tout comme l’épouse du roi : c’est par son mariage que la reine acquiert son statut de regina. Le mot latin regina (reine) suggère un office spécialisé : les autres épouses d’aristocrates ou de grands dignitaires n’ont pas de nom spécial, l’épouse d’un comte n’est pas encore une comtesse. Le seul autre nom comparable est celui d’abbatissa, abbesse, qui existe déjà. Ces termes suggèrent que les reines et les abbesses ont un statut particulier par rapport aux autres femmes.

Mais il n’existe pas qu’un seul type de reine, et toutes les épouses de rois ne sont pas reines, en partie à cause de la non-monogamie des rois, notamment mérovingiens. Il existe des débats entre les historiens pour savoir si les Mérovingiens sont polygames (s’ils ont plusieurs femmes en même temps) ou s’ils pratiquent la monogamie sérielle (une seule femme à la fois, mais en série, avec facilités pour répudier une épouse et en prendre une autre). Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il faut souligner la précarité de la position de la reine : son statut ne dépend que de sa relation avec le roi, de sa bonne entente avec lui, et de la naissance d’un fils, qui contribue immanquablement à un renforcement de sa position. Ajoutons en outre qu’une mère de roi peut exercer sur son fils, si celui-ci est jeune à la mort de son père, une influence importante, ce qui est une opportunité de pouvoir. Cela ne fonctionne toutefois que dans le royaume mérovingien et carolingien, où la succession se fait en général de père en fils (avec partage du royaume entre les différents fils) : dans les royaumes ostrogoths, wisigoths et lombards, la royauté ne se transmet pas toujours héréditairement.

La condition sociale de la reine joue aussi dans sa position : si une reine est elle-même issue d’une famille royale, sa position est d’emblée plus solide que celle d’une concubine ou d’une épouse issue d’une basse condition. Par exemple, la reine Brunehaut, qui épouse le roi mérovingien Sigebert en 566, a une position plus assurée que celle de sa « rivale » Frédégonde, de condition servile, qui est l’épouse de Chilpéric, frère de Sigebert (j’en avais parlé ici). En général, les épouses de basse extraction, courantes au VIe siècle, n’ont pas le statut de regina. Mais même quand elle est issue d’une souche royale, la position de la reine n’est pas assurée : il n’est pas rare que l’alliance entre sa famille d’origine et celle de son époux soit de courte durée et que l’épouse, si elle n’a pas d’héritier, soit renvoyée chez son père. C’est ce que fait Charlemagne avec l’une de ses épouses, la fille du roi des Lombards Didier. Au cours du IXe siècle, les rois carolingiens épousent principalement des filles d’aristocrates, pour s’assurer de leur fidélité.

Le rôle de la reine

Avant le début du IXe siècle, le rôle de la reine n’est pas clairement défini par les textes : c’est surtout à partir des années 810 que des textes évoquent le rôle, semi-officiel, de la reine. Mais dès l’époque mérovingienne, on sait que la reine a un rôle important dans la représentation de la royauté : dans un monde où le pouvoir passe par le langage visuel, où la richesse des parures exprime la puissance de ceux qui les portent, la reine se distingue par ses vêtements en tissus précieux. A partir du IXe siècle, et peut-être avant, les reines ont des activités textiles importantes et font don de leurs productions dans des échanges diplomatiques ; elles sont aussi en charge de la « décoration » du palais et de l’apparat, chargé d’exprimer la majesté royale. Il n’est pas rare que le couple royal soit mis en scène et que la reine participe aux cérémonies et aux banquets, où elle incarne aussi, par la richesse de ses ornements, la puissance de son époux. La reine se doit aussi, dans ce cadre, de se comporter de manière exemplaire : elle sert de modèle aux membres du palais.

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