« La voie capétienne », par Axel Tisserand.

Dans un ouvrage fort complet et dans lequel l’auteur s’efface devant rois et princes de France, Axel Tisserand présente, par grands thèmes, la pensée capétienne au fil de l’histoire, non comme un recueil du passé mais comme des leçons pour aujourd’hui et, plus encore, pour demain.


Les programmes scolaires d’histoire comme les manuels de Sciences Politiques sont souvent fort ingrats à l’égard de notre histoire nationale et oublieux des raisons de celle-ci, travestissant notre mémoire politique en un récit officiel de la République qui, à l’image de son école, n’est pas toujours le plus juste ni le plus honnête qui soit. Déjà, en son temps, Marcel Pagnol ironisait sur les mensonges des livres d’histoire qu’il définissait comme les livrets de propagande de la République, à l’époque troisième du nom et du nombre. Pourtant, une simple et rapide plongée dans l’histoire de France nous rappelle que notre pays, cet ensemble de territoires ordonné autour d’un Etat, doit peu de choses au hasard mais beaucoup à la volonté inscrite dans la durée des rois qui se sont succédé sur un trône qui, sans être de fer, était bien celui du « faire », du « faire France » en particulier : quand Hugues Capet, roi « fondateur » dès 987, initie le mouvement d’enracinement de la magistrature suprême au-delà des seules règles féodales par la décision de pérenniser le domaine royal en un seul ensemble dirigé par un seul de ses fils (l’ainé) pour éviter la dispersion, et que Philippe-Auguste rassemble autour de son sceptre les classes productrices du royaume en ce que l’on n’appelle pas encore une nation mais qui se manifeste déjà par un sentiment d’appartenance à une même communauté de destin couronnée (et c’est la bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, bien avant Valmy), c’est la France qui, ainsi, naît et grandit, Etat et nation. Et ce sont bien les monarques sacrés à Reims qui, en huit siècles d’affilée, bâtissent la France sans négliger ce que Jacques Bainville dit d’elle et de ses habitants, en la page d’entrée lumineuse de son Histoire de France : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation. Unique en Europe, la conformation de la France se prêtait à tous les échanges de courants, ceux du sang, ceux des idées. (…) Le mélange s’est formé peu à peu, ne laissant qu’une heureuse diversité. De là viennent la richesse intellectuelle et morale de la France, son équilibre, son génie. »

Axel Tisserand, dans « la voie capétienne » (mais n’est-ce pas aussi la « voix » capétienne qui porte au-delà des siècles et à travers son ouvrage ?), ne dresse pas un catalogue des rois et des règnes, mais bien plutôt un manuel théorique et pratique de l’œuvre capétienne à travers les siècles passés et pour les siècles à venir, non en l’attente résignée d’une restauration hypothétique mais en l’espérance renouvelée d’une instauration nécessaire qu’il s’agit de penser aussi pour qu’elle advienne dans les meilleures conditions. L’originalité de cet ouvrage est aussi d’accorder une place importante aux écrits et paroles des princes n’ayant (malheureusement) pas régné mais ayant assumé les devoirs de leur charge politique, même dans les douleurs de l’exil : les trois Henri, du comte de Chambord à ceux de Paris, mais aussi Jean III, duc de Guise (1926-1940), et, en toute actualité, le présent comte de Paris, Jean IV de jure, qui porte, avec son fils le dauphin Gaston (auquel le livre est d’ailleurs dédié), les espérances d’une future et nouvelle aventure capétienne… Ainsi, la continuité capétienne perdure au-delà même des vicissitudes de l’histoire sans pour autant les méconnaître : d’ailleurs, comme le rappelle Axel Tisserand, les rois n’ont pas de revanche à prendre sur l’histoire, mais juste à l’assumer toute entière sans, pour autant, en accepter tous les aspects ou toutes les dérives dont la République, sous ses cinq numéros, a pu se rendre responsable et, même, coupable. Sans être historiens professionnels, les rois et princes français ont su tirer des leçons de l’histoire, en une forme d’empirisme qui, pour être utile et efficace, se devait d’être organisateur : les pages (citées et valorisées par l’auteur) consacrées à la Révolution française par le comte de Chambord, puis les comtes de Paris, montrent qu’ils ont bien saisi la source et la forme des principes qui ont défait le « faire-France » autant que la royauté qui en était le meilleur outil politique institutionnel. Le roi Louis XVI lui-même, victime du torrent révolutionnaire, avait pressenti, avant même la Révolution, les dangers de l’idéologie dominante de l’époque portée par les philosophes et leurs lecteurs plus ou moins bien intentionnés, tout comme il avait compris, sans doute mieux que quiconque, le sens et l’intérêt des fameux cahiers de doléances que les bourgeois urbains de la Révolution, ivres de leurs préjugés économiques et sociaux, s’empressèrent de remiser dans les caves de l’histoire et de leur régime « nouveau » : s’appuyant sur les écrits de l’historien Pichot-Bravard, Tisserand peut raisonnablement écrire que « La Révolution fut ainsi menée au nom du peuple, mais contre l’avis exprimé par ce même peuple. Car Louis XVI approuvait la plupart des réformes voulues par le peuple à travers les cahiers. En effet, le 23 juin, il se déclara favorable à une monarchie plus décentralisée encore, « tempérée par la consultation régulière des Etats généraux, appelés à se prononcer sur la levée des impôts ». Il approuvait également (…) une réforme générale de la fiscalité « permettant l’égalité de tous devant l’impôt », (…) la liberté de la presse, « sous réserve qu’elle respectât la religion et la morale ». « En réalité, Louis XVI semble être le seul à s’être préoccupé des attentes exprimées par les Français dans les cahiers de doléances. » ». Henri V, comte de Chambord, voulut reprendre ce grand mouvement de 1789, non pour « refaire 1793 » mais, justement, pour l’éviter et reprendre la route tracée par les rois précédents. Les années et les décennies s’écoulant, et la Révolution-fait s’éloignant sans pour autant éloigner la Révolution-principes, les princes des temps contemporains, ceux d’après 1848, n’ont eu de cesse de réfléchir sur les conditions nécessaires à l’unité et à la pérennité de la France, à cet « avenir que toute âme bien née souhaite à sa patrie ».

Et, justement, l’ouvrage d’Axel Tisserand dresse un véritable inventaire des qualités et de la valeur ajoutée de la monarchie royale « à la française », dans la lignée de cette « tradition critique » qui, avant même d’être théorisée par Maurras, inspirait et animait les politiques royales au fil de l’histoire. Dans le même mouvement, l’auteur a la judicieuse idée d’en finir avec quelques idées reçues qui, trop souvent, gênent la bonne perception de ce qu’a été et de ce que serait la monarchie : ainsi, sur la définition, par exemple, de la monarchie absolue, trop souvent confondue, plus par facilité ou par malhonnêteté que par raison, avec un régime autoritaire ou une dictature. En s’appuyant sur la mise au point contemporaine de l’actuel comte de Paris, de ses prédécesseurs, et du constitutionnaliste Maurice Jallut, Axel Tisserand souligne les fondamentaux de la monarchie : « C’est le prince Jean qui rappelle : « On parle de monarchie absolue, mais gare au contresens ! « Absolue » ne veut pas dire que le Prince se mêle de tout. Cela signifie simplement qu’il exerce un pouvoir indépendant des pressions et des passions. » En son ordre, en effet, mais uniquement en son ordre, la souveraineté est absolue, tout en étant, donc, limitée. (…) Comme le précise encore Maurice Jallut : « C’est au fond la structure même du corps politique et social de la France qui fait de la monarchie un gouvernement modéré. On peut dire qu’absolue dans son principe, elle est tempérée dans son application par les corps intermédiaires et limitée dans son extension par les libertés provinciales, municipales et corporatives. » » Nous voilà bien loin de cette République contemporaine capable de confiner sans contrôle toute une population sans que les régions, les communes ou les entreprises, et encore moins les citoyens, puissent avoir leur mot à dire et leurs raisons à avancer face à un Pouvoir discrétionnaire et parfois abusif ! La République semble avoir gravé la Liberté dans la pierre comme pour mieux la figer, quand la monarchie, plus respectueuse sans être faible, s’adresse aux libertés plurielles et vivantes… « Le roi n’est pas un monocrate », peut affirmer sans erreur l’auteur, et l’histoire de la monarchie ancienne comme de la République majusculaire contemporaine ne cesse de le démontrer à l’envi !

Les rois anciens n’ont pas seulement fondé, agrandi et pérennisé le royaume de France, ils ont façonné, non pas un « homme nouveau », rêve de tous les régimes « parfaits » (c’est-à-dire totalitaires, en fait), mais un ordre enraciné dans lequel la justice, la concorde civile, la paix ne sont pas de vains concepts mais de concrètes réalités, garanties par le pouvoir royal lui-même. Bien sûr, il y eut des difficultés, parfois des erreurs et des drames, mais le bilan n’est rien d’autre que la France, quasiment dans ses frontières métropolitaines présentes et dans sa civilisation qui doit plus à Reims et à Versailles qu’aux urnes et à leur sortie… Mais la monarchie n’est pas que politique dans le sens où elle peut être aussi la condition d’une justice sociale efficace et soucieuse de tous quand, aujourd’hui, la République prend de plus en plus les apparences d’une oligarchie méprisante et trop mondialisée pour savoir entendre les plaintes légitimes du pays réel, cette oligarchie qui s’appuie sur un pays légal né, en définitive, à la veille de la Révolution sous le « patronage » d’un Turgot et, plus tard, d’un Sieyès, comme le rappelle Axel Tisserand avec raison. L’œuvre des rois et les projets des princes depuis le comte de Chambord jusqu’au comte de Paris actuel vise à établir, en la magistrature suprême de l’Etat, l’arbitre-né, celui que nous regrettons, non comme une nostalgie, mais comme un ensemble d’occasions manquées, celles que la République incarne désormais, de notre diplomatie à notre politique énergétique, et qu’il nous faut surmonter…

L’ouvrage d’Axel Tisserand ne peut, en fait, être résumé et il mérite d’être lu de la première à la dernière ligne, non pour pouvoir nous vanter d’avoir raison, mais pour faire connaître les fortes raisons historiques, politiques mais aussi économiques et sociales, voire écologiques, qui font de la monarchie royale la meilleure réponse, venue du fond de notre mémoire nationale, aux enjeux et défis contemporains. Il nous rappelle aussi, d’une certaine manière, qu’il ne s’agit pas pour nous de mourir royaliste, mais de tout faire pour vivre en monarchie : non pour le simple plaisir de parader triomphalement un drapeau tricolore fleurdelysé en main, mais par devoir envers ceux qui ont fait de nous des héritiers et, peut-être plus encore, envers ceux à qui il s’agit de transmettre un héritage vivant, riche, prometteur…