La Grande Paix de Montréal

kondiaronk

«La civilisation espagnole a écrasé l’indien ; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a étreint et chéri » Francis Parkman, historien Américain

PREAMBULE

Que dire de mieux en guise d’introduction. Il faut rappeler sans cesse, certaines choses importantes comme la note de Richelieu inscrite dans « La charte de la Compagnie des Cent Associés » et cité dans le livre « La Nouvelle France » d’Eugène Guénin disant : « Les descendants des Français qui s’habitueront au dit pays (le Canada), ensemble les sauvages qui seront amenés à la connaissance de la Foi , et en feront à leur mieux profession, seront censés et réputés naturels Français. S’ils viennent en France, jouiront des mêmes privilèges que ceux qui y sont nés », donc les indiens convertis pouvaient être des sujets du Roi. L’illustration significative, dont les Amérindiens nous sont encore reconnaissants, à une époque où ils se massacraient allègrement, fut « La Grande Paix de Montréal de 1701». Alors qu’en Virginie, on achète les premiers esclaves noirs. Chez les Indiens, la guerre est une raison d’être, comme le dit Yves Cazaux : « Le moindre traité commercial, c’est-à-dire de paix et d’amitié, doit comporter une clause d’alliance contre les ennemis des contractants. La paix devient dès lors une cause de guerre ». Nous réussîmes le projet fou d’unir les nations indiennes d’Amérique dans une grande paix sous l’œil bienfaiteur du Roi de France Louis XIV. S’il fallait résumer notre action coloniale en Amérique, cet événement serait hautement symbolique.

« Les descendants des François qui s’habitueront audict pays, ensemble les sauvaignes qui seront ammenés à la connoissance de la Foy et en feront à leur mieux profession, seront censés et réputés naturels François.S’ils viennent en France, jouiront des mesmes privilèges que ceulx qui y sont nés » (Richelieu, Compagnie des Cent-Associés).

Le terme de père est accepté de toutes les nations indiennes parlant du Roi, du gouverneur ou de ses officiers. On entre alors dans une conception familiale d’alliance. Il est vrai que les deux cultures n’ont pas la même définition du rôle paternel, pour les Français c’est l’autorité, pour les Amérindiens c’est la générosité protectrice. Le Moyne de Maricourt reçut au mois de juillet 1700 à Montréal, six représentants de la confédération Iroquoise en vue de traité de paix et invitèrent le gouverneur de Montréal ainsi que La Joncaire (aussi adopté par les indiens) et le missionnaire père Bruyas à venir ramener les prisonniers de leurs cantons. Il fallut concilier les tribus comme les « Iroquois ayant attaqué dans leurs territoires de chasse des Miamis dont ils avaient tué plusieurs, ils n’avaient pas à se plaindre d’avoir à leur tour subi de justes représailles » ( La Nouvelle France ).Ce préambule à la Grande Paix était représenté par 19 représentants Hurons, Outaouais, Abénaquis et iroquois chrétiens, écoutons R.Guénin ( La Nouvelle France ) : « l’orateur des cantons exposa brièvement que les Iroquois avaient renoncé à faire la guerre aux alliés des Français, et qu’ils étaient venus à Montréal malgré la défense du gouverneur anglais qui pouvait vouloir s’en venger ». Les indiens espéraient trouver dorénavant à Montréal ce qu’ils n’obtiendraient plus des Anglais, vivres et armes. Tous acceptèrent les conditions de paix et signèrent l’acte le 8 septembre 1700 annonçant celui de l’assemblée générale de 1701.Au bas de l’acte figurent les signes distinctifs des nations présentes : les Onnontagués et les Tsonnontouans par une araignée, les Goyogouins par un calumet, les Onneyouts un bois en forme de fourche, les Agniers par un ours, voilà pour les Iroquois.Les Hurons par un castor, les Abénaquis par un chevreuil et les Outaouais par un lièvre…Le gouverneur M.de Callières envoya M.de Tilly de Courtemanche solliciter ceux des nations « d’en haut » absents aux pourparlers de paix en vue du grand rassemblement de 1701. Pendant l’hiver, inlassablement et avec l’art et l’expérience dans les palabres et discours, habitués aux tractations avec les Amérindiens.Il obtint l’adhesion des nations les unes apres les autres : Outaouais et Hurons de Michillimakinac et Miamis, Poutéouatamis, Sokokis, Outagamis, Illinois, Mascoutens, Sakis, Puants, Maloumines et Kikapous au sud des lacs… « Délivrance des prisonniers, apaisement des luttes intestines, des amours-propres froissés, toutes les difficultés furent surmontées et Courtemanche, ayant réuni les députés de ces nations, partit de Michillimakinac pour Montréal à la tête de cent quatre-vingts canots… » (R. Guenin, La Nouvelle France )

L’entente commune de « La Grande Paix de Montréal de 1701 » reste le caractère intemporel de la Monarchie depuis St Louis, le recours à l’arbitrage dans les conflits de la personne du Roi de France symbolisé ici par son représentant gouverneur ou Ononthio pour les indiens. La main de justice venant du fond des âges, depuis les rois bibliques comme Salomon et renouvelé ici au fond des forêts touffues d’Amérique du nord. « jamais dans le passé les tribus indiennes n’auraient pu imaginer un tel rassemblement » (Jacques de Vanssey, L’Amérique Française, enjeu européen, 1524-1804).Reste l’exemple du gouverneur Frontenac qui devant les représentants des tribus Outaouais et Huronnes se livra à une démonstration significative en direction des Iroquois belliqueux. Il décrivit des cercles avec une hache autour de sa tête en entonnant un chant de guerre, puis la remit aux chefs indiens présents comme le veut la coutume et ils firent de même en dansant… « Ce dut être un spectacle inoubliable que celui de ce vieillard, en grande tenue de gouverneur, donnant ainsi le signal violent d’une fête de sauvages ; ceux-là seuls pouvaient regretter qu’il renonçât un instant à la dignité de sa charge, qui ne comprenaient pas la valeur sur l’esprit des indigènes d’une semblable manifestation» (Lorin) Le gouverneur et ses officiers, costumés des plus beaux atours et enrubannés n’hésiteront pas aux démonstrations en pleine foret pour épater leurs alliés Amérindiens, comme couper un arbre, les tailler et construire une cabane.

«Accueillis par les sauvages chrétiens de la résidence, les envoyés entrèrent dans un grande cabane…douze sauvages se mirent en rond au milieu de la cabane, chacun tenant une petite calebasse pleine de pois, et chantèrent le calumet en remuant leurs gourdes en cadence. Un chef outaouais, debout derrière les chanteurs, tenait ce calumet »( La Nouvelle France ).On imagine l’ambiance qui devait régner mais écoutons La Potherie : « On avait attaché une brasse de tabac à une perche ; un chef se leva un quart d’heure après le commencement de cette chanson du calumet et, prenant une hache, il en frappa un poteau. Les musiciens se turent aussitôt. « J’ai tué quatre Iroquois il y a cinq ans à tel endroit», et, arrachant un bout de ce tabac, il le prit comme une médecine pour se refaire l’esprit. Les musiciens applaudirent par des cris et un mouvement précipité de leurs gourdes, et l’on entendit le bruit de deux à trois cents sauvages d’un bout à l’autre de la cabane à peu près comme celui d’une mousqueterie qui se perd dans une forêt ou dans les rochers. Tant que le tabac dura, on ne manqua pas d’acteurs qui citèrent leurs beaux exploits. On apporta trois heures après six chaudières pleines de chiens et d’un ours que l’on expédia en un moment. On dansa ensuite. Le soir, on servit huit grandes chaudières pleines de maïs bouilli et chacun en remplit son écuelle de bois ».

Le lendemain, une marée de canoë arrive à Ville Marie, l’ile de Montréal. Mille deux cent Peaux-Rouges, trente représentants de nations aussi diverses que l’étendue de l’Amérique se présentent, accueillis au bruit du canon des grandes occasions sous les cris de joie de la population. Des centaines de canoës, des captifs retrouvant la liberté, des cadeaux et des provisions, ils cabanèrent et on amena des branches d’arbre pour les protéger du soleil. Le chef Huron Kondiaronk, dit Le Rat, très influent, déclara à M de Callières : «Notre père, tu nous vois auprès de ta natte ; ce n’est pas sans beaucoup de périls, que nous avons essuyés dans un si long voyage. Les chutes, les rapides et mille autres obstacles ne nous ont point paru si difficiles à surmonter par l’envie que nous avions de te voir et de nous assembler ici». Le gouverneur de Callières les remercia, celui-ci sans avoir le prestige de Frontenac « …en possédait tout le solide, des vues droites, une fermeté toujours d’accord avec la raison, un grand sens, beaucoup de probité et d’honneur, et une pénétration d’esprit à laquelle une grande application et une longue pratique avaient ajouté tout ce que l’expérience peut donner de lumières ; il avait pris dès le commencement un grand empire sur les sauvages qui le connaissaient exact à tenir sa parole et ferme à vouloir qu’on lui gardât celles qu’on lui avait données »(Charlevoix). Le 1er Aout, pendant qu’un chef Huron parlait, Kondiaronk se sentit mal. On le mit dans un fauteuil et il parla. Il était très écouté de tous. Heureux de l’union des nations indiennes sous les lys de France et dans la nécessité de la paix. « Ce grand chef tint lui seul toute l’audience, malgré l’état languissant où il était. Les nations l’écoutaient avec admiration et, à chaque affaire différente dont il parlait, elles l’applaudissaient par des tons de voix qui partaient du creux de l’estomac, dont les sauvages ont coutume de se servir» ( La Potherie ).Il mourut dans la nuit. Une grande tristesse endeuilla ce grand jour de paix. Imaginons ce grand moment d’histoire ou côte à côte se trouvent des Amérindiens qui se massacraient la veille et cela depuis des siècles.

Les chefs Iroquois vinrent pleurer la mort du grand guerrier aimé et admiré de tous et offrirent des cadeaux aux Hurons, pourtant ennemis la veille. Il est enterré en grande pompe le 3 Aout et suivant la tradition, une chaudière de cuivre à droite, une épée et un fusil à gauche. M.de Frontenac « lui avait en effet conféré le rang de capitaine et lui en faisait remettre le solde…» ( La Nouvelle France ). Tout le monde y participe en grande tenue, soldats sous le commandement de M.de Saint Ours, Amérindiens aux multiples couleurs et plumes et fermant la marche le gouverneur M.de Vaudreuil et les officiers. Ce chef Chrétien est enterré dans l’église. Dans le doute d’une fin des négociations, le chef Aouenano des Tsonnontouans (Iroquois) rassure l’assemblée en célébrant les désirs de paix, s’en suit des palabres incessantes sur les modalités de commerce et calumet de bouche en bouche, échanges de ceintures de porcelaines et question de territoire…Placé bien en vue des représentants des Nations, M.de Vaudreuil accompagné des officiers écoutaient, tels St Louis sous le chêne, les doléances des uns et des autres. Il commença à s’exprimer en signifiant qu’il désirait les voir déposer les haches et fraterniser : « conclure la paix entre eux, et leur faire connaître que désormais il voulait être le seul arbitre de leurs différends ; il les invita à remettre leurs intérêts entre ses mains, promettant de leur rendre toujours justice et, s’il arrivait quelque désordre, de punir les agresseurs. »(R.Guénin).Des traductions dans les différentes langues furent distribuées, aux Abénaquis et Algonquins par le père Bigot, aux Iroquois par le père Bruyas, aux Miamis, Illinois et peuples de l’Ouest par Nicolas Perrot, les Hurons par le père Garnier, aux Outaouais par le père Anjelran…Grande gaieté et joie en ressorti, beaucoup d’espérance avec effusion de sympathie comme les indiens savent faire, quel grand moment ce devait être. « afin que le traité fût scellé d’une manière inviolable, trente et un colliers furent distribués aux chefs des nations qui s’avancèrent successivement pour les recevoir et remettre leurs prisonniers au gouverneur. Chacun d’eux prononça un discours ; ils dirent tous qu’ils sacrifiaient leurs intérêts particuliers à la paix générale, et qu’ils obéissaient surtout au désir de contenter leur père Onontio. » (R.Guénin, La Nouvelle France ).Les tenues chamarrées pour certains, le ton grave pour d’autres avec parfois une attitude ou des vêtements moitié européanisés, faisaient du moment quelque chose en dehors du temps. Le chef Outagamis, le visage peint de rouge saluant come d’un chapeau avec les restes d’une perruque poudrée sur la tête…

Celui du Sault St Marie avec les plumes en rayons derrière la tête… « celui des Poutéouatamis s’était coiffé avec la peau de la tête d’un taureau dont les cornes lui pendaient sur les oreilles…Le chef des Algonquins, vêtu en voyageur canadien, avait accommodé ses cheveux en crête de coq avec un plumet rouge qui pendait par derrière. C’était un grand jeune homme qui, à la tête de trente guerriers dont le plus âgé n’avait pas vingt ans, avait défait et tué auprès du fort Frontenac le principal chef de guerre onnontagué, la Chaudière noire, un de nos adversaires les plus redoutables » ( la Nouvelle France ). Ils fumèrent la pipe offerte par les Miamis, M.de Vaudreuil, M. de Champigny, M. de Callières, les chefs Iroquois et les autres Nations…Trois bœufs coupés dans dix grandes chaudières furent consommés. « La politique française éleva en quelques jours des barrières qui subsistèrent un demi-siècle et dont le premier effet fut de paralyser l’action des colonies anglaises dans la guerre qui allait bientôt intervenir » (Garneau) et comme le dit si bien Mr Guénin dans son magnifique livre sur la Nouvelle France , cet acte eut « une influence considérable sur toutes les nations indigènes, en établissant entre elles et nous une espèce de droit international. » .Tous les chef indiens reçurent des présents du roi de France pour cette occasion et chacun repartis avec un autre regard rejoindre sa tribu. Pour ramener les prisonniers oubliés, Maricourt rentra avec les Onnontagués(Iroquois) et Joncaire avec les Tsonnontouans(Iroquois).Même les Agniers, arrivés en retard, pour ne rien perdre de cet événement, s’excusèrent et signèrent de leur signe distinctifs les accords passés, échangèrent des cadeaux et repartirent. Voilà la grande œuvre rêvée et entreprise par le regretté gouverneur sieur de Frontenac et magnifiquement réalisé par son successeur M.de Callières…

«Le lendemain, solennellement conclu, le traité marque le tournant capital de la politique française en Amérique. Ses conséquences se poursuivront bien au-delà de sa présence sur le continent. Ce succès illustre en même temps le génie de la colonisation française en Amérique et son pouvoir d’adaptation au milieu indien. Ratifié plus tard par les Agniers, absents aux débats, le traité marque la fin d’un conflit ouvert depuis Champlain et qui a failli, aux heures les plus sombres, être fatal à la présence française. » (Jacques de Vanssey).
Le gouverneur ancra les accords par la disponibilité de marchandises à bon prix au fort Détroit, reconstruit grâce à sa bonne diplomatie en accord avec les Iroquois de l’endroit. Il gagnait aussi sur le tableau de la proximité des postes britanniques qui perdaient de ce coup leur influence dans la région… M. de La Mothe-Cadillac  en fut responsable avec un renfort d’une centaine d’hommes de garnison.

« Car il ne faut pas oublier que de tous les étrangers qui ont abordé ou aborderont en Amérique, les Français sont les seuls à y avoir été invités par les autochtones » Jean Marc Soyez (spécial Canada, Historama, Juin 1984)

Frédéric WINKLER

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