Le soleil de Sainte Foy :

le 28 avril 1760, le « Soleil » de Sainte Foy, dernière grande victoire avant le Traité de Paris…
« Le meilleur espion de Murray est un commerçant en vue de Québec, Barthélémy Martin, qui se rend à Montréal en décembre 1759. Il entre alors en communication avec François Bigot, l’intendant de la Nouvelle-France, et informe cet administrateur principal de la colonie qu’il est en mesure de se procurer des produits de « marchands anglais » de Québec. Plus tard cet hiver-là, quand les Français ont besoin d’articles introuvables à Montréal et qu’ils cherchent à les faire venir discrètement de Québec, Bigot fait appel à Martin. L’agent de Murray participe aux préparatifs logistiques de l’offensive alliée, puisqu’il transige personnellement avec Bigot, Lévis et Vaudreuil. Il peut donc fournir à Murray une série de rapports détaillés sur les intentions et les mouvements des alliés. Bien entendu, Lévis espérait prendre les Britanniques par surprise, mais, grâce à Martin, Murray sait dès le 24 avril que son armée va atteindre Québec quelques jours après; il prend donc les mesures qui s’imposent. La dernière armée alliée à prendre l’offensive arrive sans incident sur les plaines d’Abraham le 28 avril 1760. Elle y trouve la force britannique de 3647 réguliers de James Murray, alignée en bon ordre sur la crête qu’occupait Montcalm à la bataille de septembre 1759. Comme Montcalm, Murray occupe une excellente position défensive et, comme Montcalm, il ne profite pas de cet avantage » (Les Iroquois et la Guerre de Sept Ans D.Peter Mac Leod). Murray disposait de 129 artilleurs et 22 canons. Son intention étant de terrasser les miliciens canadiens par un feu puissant.


« Lévis voit clair dans son jeu. Il retire sa gauche, puis sa droite vers les bois. Est-ce une fuite ? Murray le croit, quitte ses hauteurs avantageuses et se laisse attirer dans des marécages hors d’atteinte de sa puissante artillerie.
Au moment où il se croit sur le point d’écraser la gauche de Lévis, une charge à la baïonnette l’arrête court, Cependant qu’à l’autre bout de la ligne, le général français contourne avec une Brigade la gauche britannique et la prend de flanc. Menacés d’enveloppement, ces éléments reculent, suivis de toute la ligne anglaise, qui se défait. Peu auparavant, Lévis avait envoyé à une autre de ses brigades, celle de la Reine, l’ordre de se porter, elle aussi, derrière la gauche ennemie, mais l’ordre a été « mal rendu », la Reine va se masser derrière la gauche française à l’autre extrémité du front. Sans cette méprise, l’impétueux Murray eût pu se trouver cerné et son armée, sans doute « détruite ». Dans ce cas, Québec fût tombé le jour même aux mains des vainqueurs. Exténués par les marches et les contre-marches qui leur ont fait gagner le combat, ces derniers poursuivent les fuyards, mais trop lentement pour s’introduire avec eux dans la place. Ils n’en ont pas moins réalisé un avantage important.

Malgré leur situation périlleuse au début de la bataille, leurs pertes se réduisent à 193 officiers et soldats tués ou morts de leurs blessures et à 640 blessés, tandis que celles des vaincus se chiffrent par 259 morts et 829 blessés, la plupart victimes « à l’arme blanche» (Journal de Lévis). « Mr le Chevalier de Levis », écrit un témoin de l’action, « a été admiré de son armée ». Cette « Brillante Journée », renchérit Vaudreuil, «Est entièrement Son ouvrage, Nôtre Victoire est düe a son Courage, Son Intrépidité et son coup d’oeil militaire ». Eloges mérités. Il faut cependant aux Canadiens autre chose que ce succès. Ils ont besoin de Québec. Le général écrit au gouverneur qu’il en commence tout de suite le siège avec ses « foibles moyens », en attendant qu’il « en vienne d’autres » (Lettre du 28 avril 1760, cité par Guy Fregault)

« L’échec de Murray éclate comme une bombe dans le monde britannique.
L’officier qui en porte la nouvelle à Halifax ajoute que l’armée anglaise a subi de telles pertes, le 28 avril, et qu’elle a regagné ses quartiers si découragée que Lévis n’a pas dû tarder à se rendre maître de la place » (Lawrence à Pitt, 11 mai 1760).
En même temps, le vaincu fait parvenir à son commandant en chef, Amherst, un message qui n’a rien de rassurant : il lui avoue « qu’il espère seulement n’être pas réduit à l’extrémité avant la venue de la flotte qu’il attend tous les jours ». Quand Pitt reçoit une copie de cette lettre, il appréhende « une catastrophe fatale ». Le ministre sait combien la navigation
du golfe Saint-Laurent est « incertaine » et il réfléchit que le fleuve est déjà ouvert, assurant une communication entre Montréal et Québec, alors que le golfe est encore encombré de glaces flottantes qui rendent « très précaires » les rapports entre la capitale canadienne et Halifax; à ses yeux, l’Angleterre n’a plus sur le Canada qu’une prise fragile (Pitt à Amherst, 20 juin 1760).
Les britanniques commencent à fléchir, on parle même de paix. « Le premier ministre se voit presque seul à vouloir poursuivre les hostilités jusqu’à l’entière défaite de la France et il doit emprunter tous les détours pour échapper à l’accusation de bellicisme fanatique. Il sent son oeuvre menacée » (Fregault). Les Canadiens reprenant Québec, les godons perdraient toute l’initiative gagnée, d’autant que la population réclame la paix. Il faudrait alors recommencer tout en subissant les terribles opérations franco-amérindiennes… « Rendue publique à Londres, le 17 juin, la victoire de Lévis crée un malaise qui se traduit par une chute immédiate des valeurs de l’Etat à la Bourse » (Gazette de France, 28 juin 1760). « Qui, diable, écrit Horace Walpole, pensait à Québec ? » L’Amérique était comme un livre que nous avions lu et rangé sur nos rayons, mais voilà que nous nous reprenions à le parcourir en commençant par la fin. » (Guy Fregault)

« Réaliste, Lévis ne comptait pas tant sur ses « foibles moyens », nous le savons, que sur les « autres » qui devaient venir. Ses opérations, il les avait conçues de façon à les synchroniser avec l’arrivée des renforts et du matériel que Le Mercier était allé demander à la Cour. Il n’avait qu’une médiocre artillerie, peu de poudre et de mauvaise qualité. Les approches de la ville étaient hérissées de « difficultés incroiables » : on « cheminoit sur le Roc ; il falloit porter la terre dans des sacs a une fort grande distance» (Relation de L’expédition de Quebec)

« Pour éviter de trouver un beau matin tous ses canons crevés, le général français dut limiter chaque pièce à 20 coups par 24 heures. S’il parvint, malgré tout, à faire des dommages considérables aux murailles, c’est qu’il concentra presque tout son feu sur Ie bastion de la Glacière dont ses ingénieurs et lui-même connaissaient la faiblesse » (Journal de Lévis)
L’hiver est rude, les hommes font comme ils peuvent pour supporter le dur climat et la situation dramatique de leurs provisions, vêtements et munitions.

Imagine-t-on l’état d’esprit, comme la force de caractère qu’il fallait à ces diables d’homme pour tenir et continuer, malgré leur faible nombre à être craint des anglais…

Ils construisent des abris de fortunes et cabanes, Dumas sur les ordres de Lévis et Vaudreuil, surveille les mouvements ennemis : « le 5 octobre, on le trouve à la tête d’une soixantaine de soldats coloniaux et de Canadiens, partant des Trois-Rivières l’arme au poing et courant après le général Rogers qui, la veille dans le petit village de Saint-François, a massacré une trentaine d ’Abénakis, des gens qu’il a appris à aimer et à soutenir » (Jean Daniel Dumas, Russel Bouchard)

Lévis sait que l’armée anglaise cerne le Canada de tout part mais il sait aussi que les britanniques supportent mal la rudesse de l’hiver. Je laisse encore Russel Bouchard (Jean Daniel Dumas) relater le dur combat : « Des 9000 hommes qu’il avait sous ses ordres à la mi-octobre, Murray n’en a plus que 4800 aptes à se battre au début de mars (Journal de Knox). C’est tout dire de ce calvaire vécu par la garnison anglaise de Québec durant les premiers mois d’occupation !… Pour éviter le feu des pièces ennemies disposées sur la butte ainsi que la mitraille, Levis, qui ne dispose que de trois pièces de campagne, retire donc sa droite et sa gauche dans les bois baignés de marécages ; il laisse ensuite pénétrer sur son centre l’armée anglaise qui les croit en fuite ; puis il se referme sur elle dans un corps à corps meurtrier qui ne peut que le servir, car il se produit baïonnette au canon, couteau à la main, à deux contre un, et que les Français sont en sus déterminés à laver le déshonneur de septembre. Menace d’enveloppement, chanceux malgré tout puisqu’un ordre mal rendu a empêché la brigade de la Reine et la cavalerie de le prendre à revers sur son flanc gauche, Murray en est quitte pour se replier dans l’enceinte de Québec, abandonnant aux vainqueurs, dans sa précipitation, artillerie, munitions, outils, morts et blessés. Le heurt a été d’une prodigieuse rudesse, mais n’en a pas moins duré deux heures. Les témoignages en font foi largement : de part et d’autre, tant chez les officiers que chez les soldats, on a fait preuve d’une singulière vaillance ; et c’est finalement la loi du nombre, ajoutée à la détermination des assaillants et de leur commandement, qui a imposé le résultat. Si les régiments de La Sarre, de Béarn, de Royal-Roussillon et de Guyenne ont honoré de leur intrépidité les troupes françaises, la brigade de Berry et les troupes coloniales — de Dumas — qui s’étaient jointes à celles de La Sarre « ont secondé avec le plus grand courage le mouvement décisif ». Du nombre de ceux qui se sont illustres au combat du 28 avril et qui en sont sortis avec les marques de la guerre dans leurs chairs, Levis recommandera en tête de liste au ministre Berryer les noms de Dumas et du chevalier de La Corne, « des officiers de distinction et très en état d’être chargés de commissions importantes. [Des officiers qui] méritent depuis longtemps un grade distingué ou une pension (Levis a Berryer, 28 juin 1760) ». Le bilan de la rencontre témoigne du reste à lui seul du degré d’engagement des acteurs et de leurs régiments : 259 morts et 829 blesses chez les Anglais, contre 193 morts et 640 blessés chez les Français ». Cette victoire permettait de peser du poids pour les négociations et de sauver une partie du Canada. Le premier navire qui apparaîtrait devant Québec emporterait la décision devant l’extrême dénouement des forces en présence.

Ce fut un navire anglais, comme quoi l’histoire…« Si nos secours fussent arrivés avant, ils sauvoient la colonie et combloient de gloire les armes du roi, après la bataille gagnée » (Journal des campagnes du chevalier de Levis)

Frédéric Winkler