René de la Tour du Pin (1834-1924) :

René de la Tour du Pin

René de la Tour du Pin

Le lieutenant colonel René de la Tour du Pin Chambly, marquis de la Charce, est né le 1er avril 1834 à Arrancy, non loin de Laon en Picardie.

Il est issu d’une vieille famille dauphinoise, catholique et royaliste, il entre à Saint-Cyr en 1852. Jeune officier, il sert sous le Second Empire en Crimée, en Italie et en Algérie avant de participer à la guerre contre la Prusse en 1870. Fait prisonnier cette même année, lors de la chute de Metz, il sympathise en captivité avec Albert de Mun. En septembre 1871, de la Commune, alors qu’il est encore capitaine aide de camp du gouverneur militaire de Paris, il s’engage, à la demande de Maurice Maignen (des Frères de Saint Vincent de Paul) dans l’ « Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers » avec son ami de Mun. Son action est alors inspirée des travaux de Frédéric Le Play. En 1877 il est nommé attaché militaire en Autriche Hongrie et rencontre le « comte de Chambord », prétendant légitimiste au trône de France, dans son exil de Frohsdorf. À Vienne il est également marqué par l’influence des catholiques sociaux autrichiens, le plus représentatif d’entre eux étant le baron Karl von Vogelsang (1818-1890) qui anime la revue Vaterland.

En 1881, il démissionne de l’Armée et se retire sur ses terres d’Arrancy, dont il sera maire. À la mort du  comte de Chambord, en 1883, La Tour du Pin reporte logiquement sa fidélité royaliste sur l’aîné des Orléans, Philippe d’Orléans,  comte de Paris  qu’il rencontre à Eu. Au début 1885, de passage à Rome, il est reçu par le Pape Léon XIII. En 1891, contrairement à Albert de Mun, il refuse le Ralliement des catholiques français à la République. Le futur maréchal Lyautey, qui publie au même moment son Rôle social de l’officier, largement inspiré de l’expérience des « cercles catholiques » demeurera pareillement fidèle à ses idées royalistes.

En 1892 le marquis épouse sa cousine, Marie de La Tour du Pin Montauban. La même année, il rencontre pour la première fois le jeune Charles Maurras, encore républicain, amorce d’une correspondance qui devait se poursuivre jusqu’à la mort du colonel. Une fois l’Action française fondée en 1899, La Tour du Pin apporte son concours. Il livrera ainsi trois études à la Revue grise d’AF entre 1904 et 1906, sur la noblesse, la représentation professionnelle et l’organisation territoriale de la France. En 1907 il publie son maître livre, imposant recueil d’articles écrits à partir de 1882 : Vers un ordre social chrétien. Le marquis René de La Tour du Pin meurt à Lausanne le 4 décembre 1924 à 90 ans révolus.

L’ Action française constituera la principale postérité de la pensée de La Tour du Pin. Comme dira Charles Maurras : « Ce n’est pas La Tour du Pin qui est à l’Action française, c’est l’Action française qui est de La Tour du Pin. » La pensée de la Tour du Pin marquera également le général de Gaulle. En 1970, Edmond Michelet, ministre du général, faisait remarquer à ce sujet « s’il est un personnage que le général de Gaulle connaît mieux que Marx, c’est peut être le très ignoré aujourd’hui La Tour du Pin »

La Tour du Pin et Albert de Mun sont les grands représentants de l’école des catholiques sociaux. Tous deux s’inspirent dans leurs écrits et dans leur action des travaux de Frédéric Le Play et puisent leur sagesse dans les enseignements spirituels et sociaux de l’Eglise.

La contribution de marquis de La Tour du Pin à la Contre-Révolution réside essentiellement dans sa doctrine économique et sociale.
Le fil conducteur de cette doctrine est à chercher, comme il en fait la remarque, dans la lutte acharnée qu’il a menée contre le libéralisme sous toutes ses formes et principalement contre sa forme économique. Il a condensé l’essentiel de sa pensée dans un maître-ouvrage intitulé :  « Jalon de route vers un ordre social chrétien ».

Partageant avec son maître Le Play la conviction que « la vie sociale de l’homme se meut autour d’un axe dont les deux pôles sont le foyer et le métier »,  le marquis et colonel de la Tour du Pin en a justement déduit que le régime d’économie libérale, qui se fonde sur la loi de l’offre et de la demande, aussi bien en matière d’emploi qu’en matière de ventes et d’achats, «  fonctionne à l’inverse de la loi naturelle et divine » .

Cette erreur, au sujet de la loi de l’offre et de la demande, est bien le signe que l’économie d’inspiration libérale repose sur des principes aussi néfastes que faux. Le libéralisme se trompe, en effet, dès l’origine, quand il définit l’économie comme  » chrématistique « , c’est-à-dire comme science des richesse car il méconnait ainsi la finalité profonde du travail humain. Le véritable objet de l’économie n’est pas exclusivement ni direstement la richesse mais l’homme car  » le travail n’a pas pour but la production des richesses mais la sustentation de l’homme «  . Il est vrai qu’en définissant ainsi la science économique les libéraux ne commettent pas une simple erreur, ils procèdent à une opération de diversion et de camouflage car  » que signifient dans la vie économique la liberté du travail, la liberté du commerce, la liberté de la propriété, si ce n’est la facilité au déchaînement de toutes les cupidités contre toutes les faiblesses  » ?

Comme tous les grands contre-révolutionnaires, La Tour du Pin voit dans l’individualisme la racine du libéralisme. Son originalité consiste à mettre en relation l’individualisme libéral avec une certaine conception matérialiste de la propriété.

Il en résulte que la lutte contre  le libéralisme doit passer par le rejet des  » erreurs philosophiques, politiques et économiques dont le capitalisme nous a empoisonnés « .
A cette conception de la propriété, il est indispensable d’opposer la conception traditionnelle et chrétienne que le jeune La Tour du Pin avait reçue de son père et fidèlement gardée :  » Rappelle-toi toujours que tu ne seras que l’administrateur de cette terre pour ses habitants  » .

La solution que La Tour du Pin préconise pour mettre un terme à la question sociale ne consiste évidemment pas à remplacer le libéralisme par le socialisme qui n’en est, à ses yeux, que le  » contre-coup  » et l’insupportable aggravation.
Elle ne consiste pas davantage dans une attitude exclusivement morale, comme l’était encore le patronage de son maître Le Play, mais dans l’instauration d’un régime corporatiste moderne.

Grâce à La Tour du Pin, les Français devraient aujourd’hui savoir qu’il existe, non pas deux, mais trois écoles d’économie politique :

 » celle où l’on considère l’homme comme une chose « ,
c’est le libéralisme,
 » celle où on le considère comme une bête « ,
c’est le socialisme,
 » celle ou on le considère comme un frère « ,
il s’agit alors du corporatisme.