Le sieur Charles Deschamps de Boishébert

Charles Deschamps de Boishébert« Un officier de grand zèle et fort méritant » le gouverneur Duquesne

« Car il ne faut pas oublier que de tous les étrangers qui ont abordé ou aborderont en Amérique, les Français sont les seuls à y avoir été invités par les autochtones » – Jean Marc Soyez (spécial Canada, Historama, Juin 1984)

Un homme commun dans sa maison normande de Raffetot qui s’éteignit à70 ans le 9 Janvier 1797…Ses voisins, savaient-ils que cet homme était la « bête noire, la hantise » des Britanniques en terre d’Acadie pendant de longues années…Robert Sauvageau dans son livre « L’Acadie » : « Boishébert demeure dans l’histoire l’homme qui, avec des moyens dérisoires, sut faire échec aux Anglais, après la chute de fort Beauséjour de 1755 à 1760.Pendant ces 5 longues années, il maintint la présence française contre des forces ennemies très supérieures sur un immense territoire qui s’étendait du haut de la rivière Saint-Jean jusqu’à la baie de Miramichi.Ce véritable miracle militaire, il l’a réussi grâce à son art consommé de la guérilla. Méthode de guerre « à l’indienne» dans laquelle Acadiens comme Canadiens étaient passés maîtres. Lui-même y avait été initié dés son plus jeune âge.N’avait-il pas participé, à 19 ans, à cette attaque contre Grand-Pré, conduite de nuit en plein hiver, qui reste un modèle du genre ? Opération où il s’était distingué et où il avait été blessé ? ».Les techniques de commandos permirent aux français de se maintenir « facilement » à 1 contre 10 contre les Britanniques. Ces guerres ou plutôt cette guerre de 100 ans que les Américains nomment « Guerres Franco-Indiennes » figurent comme une épopée à la façon du « Dernier des Mohicans » version Française…

Cet homme, comme tant d’autres héros oubliés était un maître de la « guerre furtive » technique étudié par l’Américain Patrick Malone (« The Skulking Way of War »), la guerre de partisan, de la guérilla, laisser le combat lorsque l’on est inférieur et se retirer en bon ordre et sans lâcheté. Fondre sur l’ennemi lorsque la proie est saisissable, infliger à l’ennemi de durs revers en l’obligeant à maintenir sur place d’énormes forces sur tout le territoire. A la fois partout et nulle part, un cauchemar pour les godons…Sortir de pièges, comme pendant l’affaire du Fort Saint George, capable aux sacrifices comme pour la destruction du Fort Saint-Jean, profiter et vaincre comme à Petitcodiac. Résister et tenir comme à Miramichi. Cette guerre si elle avait comprise des officiers venant de France et pratiqué méthodiquement contre l’Anglais, nous aurions surement vaincu, cela aurait changé la face de la Francophonie. Il suffit de lire les appréciations de Montcalm et Bougainville sur les actions de Boishébert et d’autres combattants non réglés militairement.

Relatons quelques souvenirs dont il nous reste quelques traces dans les archives anglaises, Journal de Montcalm ou ses propres mémoires publiées en 1763.Alors que les « godons » , nom donné depuis Jeanne d’Arc aux Anglais parce qu’ils jurent toujours en disant « my god » (mon Dieu), prennent 2 forts Français sans combat, les officiers s’étant rendus, Boishébert lui, se retire avec ses hommes, armes et bagages, en amont de la rivière St Jean. Ne pouvant faire face au surnombre des agresseurs et refusant de se rendre comme le firent les deux autres postes, il choisit la solution plus dure de se retirer afin de continuer la lutte et comble de tout, fait sauter le poste dit Fort La Tour , c’est déjà pour l’époque, une manière d’agir défiant les règles de guerre européennes. L’ennemi face à une telle réaction, n’ose se frotter à lui, car plus de fort pour se replier et un territoire hostile peuplé « de sauvages » alliés des Français.Quel dommage que les 2 autres officiers n’set eu pareille réaction pour regrouper leur force et frapper…Comme le dit Robert Sauvageau : « Boishébert sautait à pieds joints sur 45 ans de défense statique et de refus de guerre de manœuvre.Par là, il rejoignait la grande tradition de guerre de mouvement, à la Saint Castin , à la d’Iberville, à la Villebon , jadis promue par Frontenac.» Cet acte de stratégie exemplaire, réalisé par un jeune homme de 21 ans faisait parti de célèbres normands aux origines vikings. Le fait de choisir la guerre d’embuscade avec les conditions de vie difficile, misère, dureté, résistance, alors qu’il est plus facile de rendre les armes et d’aller en prison avec les lois de la guerre du XVIIIème siècle, est une révolution. Robert Sauvageau note dans son magnifique ouvrage « L’Acadie » en parlant des officiers Français s’étant rendus aux Anglais : « Tous les soldats, même courageux à d’autres égards, ne sont pas prêts à accepter la rude vie de guérillero à laquelle Charles de Boishébert se condamnait par sa décision de guerre à outrance contre l’envahisseur anglais…En 1755, il avait 28 ans. Un homme jeune accepte plus volontiers le risque et l’inconfort perpétuels. Lorsqu’ils avaient préféré la capitulation à la guérilla, Severcase avait 49 ans, et Villeray 54 ans. Circonstance qui permet de mieux comprendre leur attitude, sans l’excuser.» Comme St Castin, Français devenu chef des indiens Abénaquis et redoutable combattant, il est entré très tôt, à l’âge de 13 ans dans le monde des hommes. Né en 1727, il est en 1739 « cadet à l’aiguillette », enfant d’officier en apprentissage des armes. En 1742, il devient Sous-aide Major à la garnison de Québec.En 1743 envoyé en mission d’éclaireur sur les positions britanniques de Sarasto, entre le Fort St Frédéric et le lac Champlain, il permet l’attaque et la destruction du poste. Nommé Aide-Major à 16 ans, il participe à la reprise de Louisbourg et par la même occasion de la Nouvelle-Ecosse. De nouveau envoyé en éclaireur, il donne des renseignements précis sur la présence Anglaise à Port Lajoie. L’attaque Française qui s’en suit est terrible, commandée par Legardeur de Montesson, Charles y est présent avec des Canadiens, des Abénaquis et des Micmacs.Ils se ruent sur les Britanniques équipés de 2 bâtiments de guerre, 16 et 24 canons sur l’autre, belle victoire. En 1746, il est au siège d’Annapolis-Royal ou il décrit, dans ses mémoires la scène : «On campa devant la ville le 31 Septembre.A Annapolis-Royal, 1500 hommes de garnison, outre ceux qui étaient sur le Chester (54 canons) et les deux bateaux qui avaient tenté une descente à Port-Lajoie et qui étaient dans le port. Au total, 2000 hommes étaient assiégés ou bloqués par 600, car il n’en restait pas davantage à Ramezay. Le siège de la ville dura pendant 24 jours consécutifs, marqué par beaucoup de petits combats. Les manœuvres habiles de Ramezay trompèrent les assiégés sur les forces réelles des assiégeants et ils n’osèrent engager une action.» La flotte de La Jonquière ne pouvant venir pour prêter main forte, une retraite en ordre s’opéra et on attaqua Grand Pré au début de l’année 1747. Boishébert décrit la scène :

«250 Canadiens partirent de Baubassin pour reprendre le village. Ils apprirent d’un espion acadien que les Anglais étaient au nombre de 600 et retranchés dans les maisons. Chaque officier canadien attaqua la maison qu’il occupait l’année précédente. L’attaque eut lieu à 4 heures du matin. Boishébert avec 25 hommes attaqua un corps de garde défendu par 300 Anglais. Après un combat d’une heure, tous les Anglais furent tués. On comptait 4 blessés dans la troupe de Boishébert. Lui-même fut blessé d’une balle à travers son bonnet. A cause de la neige, de la nuit noire et du vent violent, le bruit de l’attaque ne fut point entendu de deux petits bâtiments qui étaient à la côte à une portée de fusil. Après la prise du corps de garde, Boishébert monta sur les vaisseaux et s’en empara. Il y avait 15 hommes d’équipage, et c’était le magasin de poudre et de vivre des Anglais.Au point du jour, les Anglais se rallièrent. Les Canadiens, en firent autant, et on se battit jusqu’à 3 heures après midi. L’ennemi, poussé vivement, s’était retiré sur une hauteur et retranché dans un moulin avec 4 pièces de canon, chargés à mitraille. Mais il n’avait pas de munition et il ne tarda pas à capituler : on lui permit de se retirer à Annapolis.Il ne manquait à une action si hardie et conduite avec tant de vigueur qu’un plus beau théâtre pour illustrer les officiers qui y participèrent… »
Juin 1747, il attaque avec le chevalier La Corne et des amérindiens, le Fort Clinton près de New-York.Ils étrillent durement une colonne britannique tentant une sortie. En automne 1747, à 21 ans, il est promu lieutenant lors d’un échange de prisonniers. Sous les ordres de La Galissonnière , en Avril 1749, il part vers la rivière St Jean, pour s’opposer aux Britanniques qui tentaient de s’y réinstaller. Boishébert commente : « Depuis Québec jusqu’à Horpank, habitation française, on marcha en raquettes sur la neige, traînant les vivres et les bagages avec des fatigues incroyables.Boishébert, suivant ses ordres, alla camper au bord de la rivière St Jean,et, dès que la navigation fut libre, il embarqua son détachement sur des chaloupes et se rendit au havre de Menacoche.Là, il arbora le pavillon de la France , ainsi qu’il lui était prescrit.».

Févier 1753, il est envoyé par Duquesne dans l’Ohio pour y construire un fort près du lac Erié, avec un magasin de ravitaillement à la baie de Quinté. En Avril de la même année, il est nommé commandant du Fort de la rivière aux Bœufs jusqu’en hiver.

1754, il retourne en Acadie comme commandant du Fort La Tour.

1755 , les godons prennent les Forts Beauséjour et Gaspareaux puis tombe en échec avec Boishébert au Fort La Tour , faisant exploser celui-ci comme cité plus haut…Il empêche les Anglais de contrôler la région…La guerre de partisan mené par Boishébert dans l’Acadie Occidentale permet aux Français de maintenir pendant 5 ans une pression sur les troupes d’occupation. Le projet d’éradication de la présence Française dans la région ne put être réalisé. Ecoutons encore Robert Sauvageau comparant la souffrance Acadienne à celle Vendéenne pendant la Révolution : « Il est frappant de comparer cette résistance acadienne qui dura 5 longues années, de 1755 à 1760 aux guerres de Vendée, 40 ans plus tard. Les colonnes punitives anglaises à travers l’Acadie évoquent irrésistiblement les « colonnes infernales » du général Turreau. Même férocité incroyable : pillages, incendies des maisons et d’église, viols, massacres, scalps d’Acadiens , meurtres de petits enfants (comme ceux de Joseph Godin), etc. De même, les Acadiens montrèrent une valeur combative égale à celle de leurs cousins poitevins de Vendée…» Boishébert maintint la pression sur les Britanniques, tout comme St Castin ou Joseph Broussard dit Beausoleil. Il couvre la rivière St Jean à la Baie Verte , partout et nulle part, se glissant d’un endroit à un autre, parfois à la barbe des Anglais avec une agilité calqué sur les Amérindiens ses amis, surgissant, frappant et disparaissant…

Chef militaire et administratif, regroupant réfugiés et familles, postant aux endroits stratégiques ses officiers et de petites troupes bigarrés composées d’Acadiens, d’Amérindiens et de quelques soldats perdus…Les différentes attaques du colonel Scott contre Boishébert se soldant par des échecs, les Britanniques redoubleront de brutalité sur le peuple Acadien insoumis. Puisque les Acadiens résistent, assimilons les aux « sauvages » et scalpons les, sur demande de Scott, Lawrence fit une proclamation : « 30 livres pour tout prisonnier indien, 25 pour toute prisonnière ou enfant, 25 pour tout scalp « indien », ou prétendu tel». Inutile de dire les conséquences de telles déclarations sur la soldatesque anglaise en mal d’argent…Un survivant, Pierre Suret témoigna de ce qu’il avait vu à Memramcook : « Le commandant de ce parti avait ordre de se saisir de tous les Acadiens dans cet endroit, de faire mourir incontinent tous ceux qui s’y trouveraient en état de porter les armes, de leur lever la chevelure…d’emmener tout le reste après avoir laissé au bout d’un piquet une lettre pour M. de Boishébert à peu près de ce style : « Vous avez commencé. Nous continuons sur ce même ton jusqu’à ce que vous vous retiriez de ce canton avec vos Sauvages. On dit chez vous aux sauvages qu’autant d’Anglais qu’ils tueront, ce sera autant d’échelons pour aller au Paradis. Nous ajoutons que c’en sera deux pour nos gens pour autant d’Acadiens qu’ils détruiront…» »

Le peuple Acadien subissait un véritable martyre, certains Acadiens, cette « vermine » selon Winslow, réussirent à s’échapper dans les forets en fuyant la déportation décrété en 1755, d’autres rejoignent les pôles de résistance disséminés dans toute l’acadie. La plupart meurt tués, déportés, certains de froid ou de faim…Note de l’intendant Bigot , le 5 Septembre 1755 : « Mr de Boishébert et le père Germain nous demandent des vivres, des effets, poudre, balles et plomb pour des familles qui se sont réfugiées dans les bois pour n’être pas prises…» Boishébert ne reste pas inactif, il est conscient de faire face seul, comme il dit : «Il parcourut ensuite la côte de Peckcodamon-Quanty et enleva avec 4 chaloupes une goélette anglaise, chargée de vivres et effets pour la garnison de Port-Royal. Elle était monté de 15 hommes et armée de 8 pierriers. On y fit prisonnier le commandant de l’artillerie de Beauséjour…» Plus loin dans son mémoire, il rajoute : «Là, employer à propos les menaces, les caresses et les stratagèmes…l’exemple de tout ce qui se faisait de grand en Canada. Représenter vivement les victoires sur le général Bradock à Chouaguen, au Fort Saint George, à Carillon et tant d’autres événements glorieux. Tantôt cacher habilement les entreprises, les forces et les succès de l’ennemi…»

Malgré les victoires des commandos Franco-indiens-indiens, le gouverneur n’osa pas reprendre l’Acadie aux Anglais, malgré les suppliques des 9000 âmes restantes en Acadie après qu’environ 9000 autres furent déportés. Une petite intervention aurait emporté le pays, vaudreuil hésitait et pourtant, il aurait pu sans risque, frapper un grand coup en hiver. Le Canada étant protégé naturellement par la neige et les glaces en hiver, les britanniques restant chez eux, alors que les franco-indiens étaient des spécialistes des opérations d’hiver. Ils en avaient depuis longtemps la maîtrise, combien de fois sous -30 à -40 degré étaient ils descendu terrasser les godons aux portes de Boston ? Selon de Bourbes écrivant, de Louisbourg à M de Surlaville : « Beaucoup de Canadiens se sont offerts à Mr de Vaudreuil pour aller cet hiver en parti…» Mais il semble que Vaudreuil n’apportait pas grande considération à l’Acadie, quel gâchis. Il pensait plutôt rapatrier les survivants des déportations au Canada afin d’en renforcer ses défenses. Quelle erreur de calcul, la formidable forteresse Française de Louisbourg ne pouvait vivre qu’avec la protection de l’arrière pays Acadien comme pour le Canada avec le tampon Acadien sur le continent. La Galissonnière l’avait compris comme La Jonquière, pas Vaudreuil…L’hiver 1756-57 sera terrible pour ces Acadiens et Amérindiens car ils manquaient de tout et le gouverneur n’enverra rien. Il échappe à une embuscade (Janv.1756) sans perte à Cocagne. Il fallut chercher à manger et plusieurs périrent de faim dans l’hiver glacé. «Tous les enfants moururent…On se nourrit ensuite des peaux de castor qu’on put trouver. On mangea jusqu’au souliers faits de peaux de chevreuil» dit Boishébert.Tout cela jusqu’au 16 Mai ou arriva un navire de provision. 17 Mars 1756 il est capitaine et en 1757 son QG est à la rivière Miramichi, lieu de refuge et de résistance à l’oppresseur britannique…

Voilà le triste sort d’un peuple abandonné par la métropole mais jamais vaincu, attaché à la France et ses traditions. L’époque dite des « Lumières » voyait en France certains philosophes comme Voltaire détourner l’opinion pour influencer le Roi en résumant l’Amérique à « Quelques arpents de neige ». Il est vrai que Voltaire avait des intérêts aux Antilles avec la canne à sucre et qu’il fallait tout faire pour en récolter les fruits.9 Septembre 1758, attaque du Fort Saint George, les godons tendent une embuscade qui se retourne contre eux, écoutons Boishébert : les Anglais « furent battus avec perte de 46 hommes et de 22 prisonniers.MM de Boucherville, Cery de Richerville, et Saint-Simon…se distinguèrent beaucoup. Le dernier, quoique blessé au bras, ne contribua pas peu au succès de cette rencontre…» Vaudreuil rajouta le 18 octobre 1758 : « Ce détachement anglais attira M de Boishébert dans une embuscade. Mais il fonça avec tant de vivacité sur l’ennemi qu’il tua le commandant, plusieurs autre Anglais…»

Quel beau sujet de roman ou de film que le sieur de Boishébert…

Frédéric WINKLER

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