Le précurseur de la Justice Sociale – Alban de Villeneuve Bargemont

Alban de Villeneuve Bargemont :

Le vicomte Alban de Villeneuve Bargemont fut le précurseur, fils d’une lignée de provençaux royalistes, il servit la France et l’Empire. Au retour des Bourbons, sa famille donna cinq excellents préfets à la Restauration, Louis XVIII disait :
« Je voudrais avoir autant de Villeneuve qu’il y a de départements en France : j’en ferais quatre-vingt-six préfets! »
Exploitation_enfants_AngleterreSon activité le fit passer du monde agricole au département du Nord industriel en 1828. Ses enquêtes lui ouvrirent les yeux sur l’état malheureux où furent réduits la plupart des ouvriers du textile ; et, dans son premier rapport annuel à son ministre, il insère ses observations et ses suggestions sociales. Il constate que, sur moins d’un million d’administrés, il compte 150.000 indigents. Il entend par là, non pas seulement les vieillards ou les infirmes, incapables de travailler et réduits, de ce fait, à vivre de la charité privée, mais les ouvriers, tant agricoles qu’industriels.
Villeneuve Bargemont demande :
– le remplacement des taudis par des logements salubres (affaire des travaux publics)
– l’épargne obligatoire
– décongestion des centres urbains et observer l’exemple des colonies agricoles hollandaises
Le ministre Martignac et Charles X mettent les projets en route mais la Révolution de 1830 y met un terme…Il y perdra dans la tourmente son poste de préfet mais restera député du Var. Désireux de comprendre les maux de son temps, il analyse le système économique issu de la Révolution dont il constate les effets néfastes.
Il faut que les ouvriers possèdent quelques heures pour la vie de famille. L’absurde loi Le Chapelier votée par les révolutionnaires en 1791 prétendait libérer l’ouvrier de la tyrannie corporative, quand les ouvriers s’unissent, la répression tombe par les articles 414 et 416 du Code pénal républicain interdisant toute coalition… La classe ouvrière est en fait privé de la liberté du travail face à un patronat que la concurrence empêche d’être généreux. Joli résultat des « Droits de l’homme» et des thèses du Contrat Social…

Son Traité d’économie politique chrétienne paraît en 1834 et lui vaut d’être élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1845. Villeneuve-Bargemont constate qu’Adam Smith et ses disciples ne se sont préoccupés que de la production, inauguré en Angleterre, provoquant « la détresse générale progressive des populations ouvrières ». Ecoutons Antoine Murat « La protection de l’homme conduisait Villeneuve-Bargemont à une conception terrienne de l’économie, à l’opposé de la conception industrielle et mercantile de l’école anglaise et libérale ». Dans la préface de son traité, Villeneuve précise :
« Le système anglais repose sur la concentration des capitaux, du commerce, des terres, de l’industrie ; sur la production indéfinie ; sur la concurrence universelle ; sur le remplacement du travail humain par les machines ; sur la réduction des salaires ; sur l’excitation perpétuelle des besoins physiques ; sur la dégradation morale de l’homme. Fondons, au contraire, le système français sur une juste et sage distribution des produits de l’industrie, sur l’équitable rémunération du travail, sur le développement de l’agriculture, sur une industrie appliquée aux produits du sol, sur la régénération religieuse de l’homme, et enfin sur le grand principe de la charité. »

De ces maux, de ces misères, de ces dégradations, où est la source ? Villeneuve-Bargemont n’hésite pas à la dénoncer dans le libéralisme économique.
« …Si l’on recherche les causes nombreuses de cette misère ainsi généralisée et perpétuée, on est forcé de reconnaître que la première et la plus active de toutes se trouve dans le principe d’une production presque sans bornes, et d’une concurrence également illimitée, qui impose aux entrepreneurs d’industrie l’obligation toujours croissante d’abaisser le prix de la main-d’oeuvre, et aux ouvriers la nécessité de se livrer, eux, leurs femmes et leurs enfants, à un travail dont l’excès ne suffit pas toujours à la plus chétive subsistance ».

En 1840, il est député du Nord et il intervient :
– sur le repos dominical
– sur les conditions de travail des enfants

Il monte plusieurs fois à la tribune pour remédier à la misère ouvrière. Il est face à Thiers et au ministre Guizot. Il remet en cause ce système industriel anglais, admiré par les héritiers de la Révolution et dont souffre le peuple. Les libéraux Thiers et Guizot n’ont pas fini de s’étonner des propos de M. le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont. Le voilà qui fait l’éloge de l’esprit des corporations et la critique de leurs abus, tenant sur l’Angleterre des propos qui, un siècle plus tard, l’eussent à tout de moins conduit dans une Maison de Force pour outrage à un pays allié. C’est aussi l’époque ou le paysan irlandais est affamé par les landlords…

Louis XV, en son temps observait avec effarement le paupérisme des ouvriers, femmes et enfants anglo-saxon en prenant soin d’en préserver la France alors que déjà ceux que l’on appellera les « Lumières » en admiraient l’institution…

Le 22 décembre 1840, il demande une véritable législation du travail étendue au monde ouvrier : « La restauration des classes inférieures, des classes ouvrières souffrantes, est le grand problème de notre âge. Il est temps d’entreprendre sérieusement sa solution, et d’entrer enfin dans la véritable économie sociale, trop souvent et trop longtemps perdue de vue au milieu de nos stériles agitations politiques. »
Antoine Murat écrivait : « Comme il est bon de montrer l’odieux de la calomnie d’indifférence portée contre les catholiques et royalistes du XIXe siècle » voici un extrait du discours que Villeneuve « prononça le 22 décembre 1840, à l’occasion d’un projet de loi sur le travail des enfants dans les manufactures » :
« …La question du travail des enfants dans les manufactures ne saurait se séparer, ce me semble, de la situation de leurs familles et de la condition générale des populations manufacturières. L’image des maux qui frappent, en ce moment, l’enfance des ouvriers, n’est, il faut bien le dire, qu’une scène détachée du drame triste et douloureux qui se déroule incessamment à nos regards. Or, si ces maux sont, comme je le crains , l’effet d’une doctrine qui développe constamment un principe de misère, de souffrance et d’immoralité au sein des classes manufacturières, et qui menace l’ordre social de plus d’un danger, ce serait beaucoup, sans doute, que d’avoir garanti immédiatement d’un abus oppressif les êtres faibles et précieux dont la société, à défaut de la famille, doit être la protectrice ; mais est-ce assez pour l’humanité, est ce assez pour la justice, pour la société ? Dans l’intérêt même de ces enfants, n’est-ce pas les classes manufacturières tout entières qu’il s’agit de soustraire aux causes de malheur et de dégradation dont elles subissent l’influence ? »

En 1841, grâce à son combat, une première loi réglemente le travail des enfants…
Il reste sans conteste, le pionnier du catholicisme social en ce début du XIXè siècle, le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, préfet de la Restauration, gentilhomme d’escorte de la duchesse de Berry, précurseur de la justice sociale parce que royaliste !

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