Baudouin IV pure effigie du Roi français :

Vidéo disponible sur Odysee : CLIQUEZ ICI

Les croisades dérangent et notre histoire a mauvaise presse… Nous avons accepté la destruction du Liban, terre d’accueil et pays-frère. Là ou pendant des siècles, avait vécu pacifiquement chrétiens et musulmans. Les croisades, présentées officiellement comme une ruée de barbares sanguinaires fut d’abord un réflexe d’aide fraternelle motivée par la libération du Saint Sépulcre, les ravages en Asie Mineure par les Turcs Seldjoukides et l’oppression des chrétiens de Syrie. Il ne faut pas oublier les massacres d’Arméniens, vieux peuple Chrétien, qui en subiront d’autres plus tard dans l’indifférence générale… 

Le royaume de Jérusalem était guidé par le jeune Baudouin IV, roi depuis l’âge de 13 ans. Il est l’image de la chrétienté médiévale, celle de l’élévation dans l’image pure du chevalier, un exemple pour nous. On disait de St Louis ce que l’on pourrait dire de Baudouin  «  du plus beau chevalier que jamais ne vis »… Guillaume de Tyr s’aperçut que le jeune Baudouin était atteint  de la lèpre, terrible maladie. Les années avaient passé et il fallait mettre fin à la terreur des mameluks de Salâh ad-Din dans les environs de la cité de David…

Ce jeune roi se battit durant toute sa brève existence à un contre vingt…« Une figure de légende, dévorée de souffrance et vivant d’héroïsme quotidien » disait Régine Pernoud. Pour mettre fin à cette terreur turque aux portes de la cité Sainte, Baudouin s’adressa aux chevaliers et leur dit qu’il ne regarderait pas son royaume partir en fumer sans réagir.il gardait le sens des responsabilités malgré les souffrances de son corps meurtri par la maladie, montrant à son entourage ou était le devoir.

Cette terre Sainte en 1177, était défendue par une poignée de chevaliers parfaitement assimilés au monde oriental. À tel point, que les musulmans aimaient vivre sous la justice féodale franque. Un respect mutuel existait entre Baudouin et Saladin. Cet adolescent rongé par la lèpre qu’il sait fatale, fait face aux priorités dans les heures douloureuses, véritable roi biblique portant les péchés de son peuple… « Une figure de Christ, ce jeune roi lépreux, souffrant dans son corps, par avance, la décomposition de son royaume ».

Aujourd’hui, notre geste familier, c’est l’index accusateur, dénonçant toujours le mal chez l’autre ; restons humble, car leur geste à eux consistait à se frapper la poitrine « pour nos pêchés Dieu nous châtie »… Craignant Baudouin, Salâh ad-Din  s’avançait vers Jérusalem, balayant tout sur son passage. Sans pitié, comme le révèle le chroniqueur du «Livre des deux jardins » lorsqu’il fait trancher les têtes des nombreux prisonniers francs, ombre qu’il lui sera difficile de faire oublier. Baudouin ne disposait que de quelques chevaliers face à l’énorme marée humaine sarrasine.

Il décréta la levée immédiate de toute la chevalerie franque d’Ascalon et envoya l’ordre d’abandonner Gaza à Odon de St Amand afin de rallier l’ost du roi. La petite armée chrétienne sortit par la porte de Jaffa et longea le rivage de la Méditerranée. En tête avec Baudouin, Aubert évêque de Bethleem portant la dernière espérance du royaume : la Vraie Croix, signifiant que personne ne devait rester derrière et dont la prise était inconcevable…On est loin des caricatures d’ecclésiastiques dans « Kingdom of Heaven », car ceux-là sont à cheval avec les chevaliers dont Jocelin III de Courtenay et tant d’autres preux… Ils avancent à un rythme effréné parallèlement à  Saladin plus à l’est.

Ashdod, Khirbet, Sukrier, une halte à Ibelin ou Yebna, tout était désolé… puis on fait un mouvement tournant vers l’est, au sud de Ramla, les lieux s’enchaînent : El Monghar, Aquer et Niane. Odon de st Amand et 80 templiers rejoignent l’ost du roi  près des montagnes judéennes, portant l’effectif à 500 chevaliers et quelques hommes à pied… 

Écoutons Guillaume de Tyr : « ainsi comme ils s’en allaient tous en la bataille, grande volonté avaient de venger les outrages que les mécréants avaient faits en ce pays. grand courroux et grande hardiesse leur mettait au cœur le feu des villes qu’ils regardaient de toutes parts ». Saladin voulait détruire les deux forteresses franques près de Ramla, dont ibn al-Athir et divisait ses forces de tous côtés pour ravager le pays.

C’était un vendredi 25 novembre de l’année 1177 vers 13h, jour saint pour les musulmans, le VII des calendes de décembre pour les chrétiens « fête de st Catherine » en hiver. Saladin arriva au pied du Tell el-Gezer que les francs nomment Montgisard, petite élévation à quelques km est de Niane et aperçut Baudouin arrivant… 

Surprise complète, tout fut fait, tambours et trompettes, pour rallier les Sarrasins éparpillés. Les francs se préparèrent et, laissons à Pierre Aubé le soin de raconter comment l’ost de Baudouin s’ébranla : 

« L’évêque de Bethléem éleva dans ses mains la Vraie Croix et la présenta à ceux qui allaient verser leur sang pour la liberté du royaume… Baudouin, que cette chevauchée à bride abattue avait épuisé, parut tellement affaibli que ses soldats succombèrent un instant au doute. « Mais le Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles, écrit Michel le Syrien, inspira le roi infirme. Le reste de ses troupes se réunit autour de lui. Il descendit de sa monture, se prosterna la face contre terre devant la croix et pria avec des larmes. A cette vue le cœur de tous ses soldats fut ému. Ils étendirent tous la main sur la croix et jurèrent de ne jamais fuir et, en cas de défaite, de regarder comme traître et apostat quiconque fuirait au lieu de mourir. Ils remontèrent à cheval et s’avancèrent contre les Turcs qui se réjouissaient pensant avoir raison d’eux. En voyant les Turcs dont les forces étaient comme une mer, les Francs se donnèrent mutuellement la paix et se demandèrent les uns aux autres un mutuel pardon… »»

Le seigneur de Ramla, terre sur laquelle se déroulait la bataille nommée aussi Baudouin demanda l’honneur de charger en premier… Écoutons le chroniqueur Arabe Abou Shâma : 

« Soudain se montrèrent les bataillons des Francs. Ils surgirent, agiles comme des loups, aboyant comme des chiens, et ils attaquèrent en masse, ardents comme la flamme… ».

Le chroniqueur Ernoul, écuyer de Balian, décrit l’arrivée foudroyante du seigneur de Ramla et de son frère le preu Balian d’Ibelin : 

« Ils choisirent la plus forte bataille que les Sarrasins avaient et fondirent sur eux… Jamais Roland et Olivier ne firent tant d’armes en Roncevaux comme les deux frères firent en la bataille».

La chevalerie franque métrisait le choc frontal et moult officiers sarrasins de Taqi al-Din rejoignirent la demeure éternelle…Le roi Baudouin arriva et la bataille prit des allures apocalyptiques… À ce moment la mêlée devint confuse au milieu des Turcs, dans l’Histoire d’Eracles on y lit que les preux « commencèrent avec leurs épées à se frayer un passage…qu’ils n’avaient plus ni peur ni doute. Grand défrichage faisaient de leurs ennemis, et ils faisaient couler le sang à grandes rigoles parmi les champs… ».

La joie des Turcs pensant avoir raison des Francs se transforma en panique pendant qu’Ernoul chanta les exploits individuels : 

« Hugues de Tibériade et Guillaume son frère, jeunes chevaliers étaient…se comportèrent moult bien en la bataille, et moult y firent d’armes et grande gloire y recueillirent. Les Templiers et les Hospitaliers combattirent moult bien, autant comme ils avaient de gens. Et dans la compagnie du roi était robert de Boves qui moult bien s’y comporta…» et Renaud de Châtillon, seigneur de Kerak, en prouesses comme un beau diable…

Saladin dut bientôt faire, seul face à l’impétuosité des Francs… Mais les officiers mouraient et ils perdirent pied. Dans ce combat disproportionné, les chevaliers retrouvaient la foi de leurs pères..

Les Turcs, pris de panique, fuyaient de tout part et pour assurer sa retraite, Saladin lança sa garde personnelle dans la bataille. Composée d’anciens esclaves et prisonniers de guerre, le millier de Mamelouks, soumis à un entraînement intensif, et reconnaissables au jaune safran recouvrant leur haubert, fut littéralement exterminé sous le regard effaré de Saladin assistant à la fin de son rêve.

À la tombée de la nuit, s’en était fini de l’armée de Saladin, durement étrillés et cherchant refuge de toute part. Ils furent pourchassés jusqu’à « li cannois des estornois » vers ain qassata au bord du wadiel-hasi qui se jette dans la Méditerranée entre gaza et ascalon. On ramassa moult équipement abandonné par l’énorme armée de Saladin en déroute, même les Bédouins se joignirent à la curée. Quelques jours plus tard, le 8 décembre après 15 jours de désert, Saladin entra dans le Caire, prostré entouré de quelques guerriers loqueteux comme sortie de l’enfer. « Sous le coup de cette défaite et tout couvert de honte, il se revêtit de noir et s’enferma plusieurs jours » écrivit Michel le Syrien. 

Baudouin IV fit une entrée triomphale dans Jérusalem à la tête d’une poignée de preux chevaliers ayant sauvé la terre Sainte. La foule en liesse les accueillit et fit de son roi des ovations, oubliant un instant ce corps couvert de pustules et de plaies qui le rongeaient. On se bousculait pour regarder son heaume étincelant qui cachait la souffrance pendant qu’il se dirigeait à la basilique du St Sépulcre pour rendre grâce à Dieu.

Avril 1179, Saladin trouvera sa revanche dans la destruction des colonies agricoles chrétiennes et l’écrasement des Templiers à Merdj’ayoun, pendant qu’à bride abattue arrivaient trop tard Baudouin et les renforts. La forteresse du « Gué de Jacob » sera le tombeau des Templiers qui y mourront dans les flammes. Puis ce fut le désastre de Hattin en juillet 1187…

Que reste-t-il de cette histoire ? Cet événement oublié  de nos livres d’histoire reste l’un des plus hauts faits d’armes du Moyen Âge. On y vit comme pour Jeanne d’Arc, le doigt de Dieu. Quelques hommes que tout condamnait vainquirent, à 1 contre 20, une marée humaine d’invasion. La bataille de Montgisard reste la victoire d’un roi de 17 ans, rongé par la maladie mais menant à cheval son host guerrier au combat. Le seul à vaincre Saladin, cet adolescent, debout, sachant qu’il allait mourir, suppléant à ses défaillances physiques par sa volonté, quelle image pour la jeunesse. La lèpre terrassa Baudouin à 24 ans et il fut enterré au Golgotha sur la colline où le Christ avait été crucifié. Laissons René Grousset, historien des Croisades, finir : 

« …stoïque et douloureuse figure, la plus noble peut être de l’histoire des Croisades, figure où l’héroïsme, sous les pustules et les écailles qui le couvrent, confine à la sainteté, pure effigie du roi français…»                                                                                                   

Frederic Winkler