Antoine Blanc de Saint-Bonnet

Antoine_Blanc_de_Saint-BonnetA prendre leur état civil, c’est de Le Play qu’il faudrait d’abord parler, puisque, né en 1806, il est de neuf ans l’aîné de Blanc e Saint-Bonnet. Mais, si nous prenons la chronologie de leur oeuvre, c’est au cadet qu’il faut donner le pas. Lorsque Le Play, publiera, en 1855, ses fameux Ouvriers Européens, il y aura déjà onze ans que l’ancien mousquetaire noir de Louis XVIII, M. de Salvandy, devenu Ministre de l’Instruction Publique de Louis-Philippe, a décoré de la Légion d’Honneur un jeune sociologue de 29 ans, pour un imposant ouvrage en trois volumes, De l’Unité Spirituelle, ou de la Société et de son But au delà du Temps. A vingt-cinq ans, ce provincial, en écrivant un opuscule intitulé : Notion de l’Homme tirée de la notion de Dieu, avait déjà annoncé quel problème ferait l’objet des réflexions, des études et des approfondissements de toute sa vie. C’est le problème de la Contre-Révolution. La Révolution est l’aboutissement logique d’une philosophie matérialiste qui veut voir en l’homme indéfiniment perfectible le Dieu de l’avenir ; pour combattre la Révolution et son oeuvre de mort, il faut opposer à cette philosophie la Théologie, qui nous enseigne que, depuis la faute d’Adam, l’Humanité est infirme et ne peut avancer qu’en s’appuyant sur son Rédempteur. « Voici le fait : il y eut une Chute, il y a le mal, il est au sein de l’homme. Il faut le préserver des suites et lui rendre le bien, ainsi que la vérité perdue. Il faut, à l’aide du secours divin, que l’homme remonte à l’état de vertu et de charité, qu’il aurait dû primitivement atteindre » (1).

Antoine de Saint-Bonnet appartient à la bourgeoisie aisée. Celui qui a écrit : « Qu’est-ce que le bourgeois ? Un homme du peuple qui a économisé » sait fort bien que sa particule n’est là que pour le localiser, et, littéralement, le particulariser. Blanc est un patronyme assez commun ; pour éviter des confusions, Joseph Blanc, père d’Antoine, avait pris l’habitude de signer Blanc-Saint-Bonnet, du lieu dont sa famille était issue et où, en qualité d’homme d’affaires des moines de Savigny, il avait acquis une propriété. Plus tard, le tiret se transforma en particule. Ce Saint-Bonnet-le-Froid, qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme du Velay, est un hameau des monts du Lyonnais, que l’on peut gagner, soit par Grézieu-la-Varenne, soit par Vaugneray, et qui n’est guère qu’à cinq lieues de Lyon. De ses 700 mètres d’altitude, on a une très belle vue sur les monts du Beaujolais au point où ils touchent au Forez. Le château, aujourd’hui mi-ferme, mi-auberge, voisinait avec une chapelle ruinée par la Révolution et reconstruite par le philosophe. C’est lui pareillement qui avait entouré la vieille demeure d’une forêt de sapins maintenant décimée. Antoine, né à Lyon le 28 janvier 1815, passera son enfance dans cette solitude. Plus tard, les étés ramèneront le collégien, puis l’étudiant, sous les frais ombrages de Saint-Bonnet ; plus tard encore, vers 1840, il en fera sa résidence principale. S’il est vrai – et c’est vrai – que l’homme, pétri du limon de la terre, garde l’empreinte des paysages que son enfance a aimés et qui restent le cadre de son activité, rien d’étonnant à ce que l’oeuvre de Blanc de Saint-Bonnet porte la marque de la puissante et austère majesté qui émane de la montagne et de la forêt. Ses parents le destinaient au notariat, mais il avait peu de penchant pour grossoyer des actes. La mort prématurée de son père lui donnera licence de se laisser aller à son goût pour les sciences politiques. Sans doute y fut-il aidé par l’impulsion qu’avait donnée à son esprit son professeur de philosophie, l’abbé Noirot, qui deviendra Inspecteur général de l’Instruction Publique et aidera plus tard Le Play à retrouver la pratique religieuse. Il faut bien que l’influence de ce prêtre ait été forte pour que l’homme qui devait proclamer en 1851 : la démocratie triomphe, et je viens combattre la démocratie, ait accepté en 1848 de solliciter les voix des électeurs lyonnais – vainement d’ailleurs! – sur la même liste que l’abbé Noirot et que son ami Victor de Laprade, en déclarant : « La République est la forme naturelle de la Société chrétienne ! »

Cette illusion, partagée alors par tant d’excellentes gens, se dissipera vite devant la leçon des événements. Il ne fut pas long à découvrir que la démagogie ruineuse sort inéluctablement de la démocratie, et qu’Alphonse Karr avait raison de dire « Il suffit de quelques grelots au bonnet de la Liberté pour en faire le bonnet de la Folie ». Trois ans après sa candide profession de foi démocratique, il publiera le fruit de ses réflexions dans son maître livre, La Restauration Française, à propos duquel Montalembert lui écrira : « Nul n’a vu de si haut ni plus loin que vous. » Quelques citations nous feront mesurer le cheminement de sa pensée « Vu l’état où le voltairianisme et les gouvernements ont mis les masses, la République, c’est la démocratie: la démocratie, c’est le socialisme; et le socialisme, c’est la démolition de l’homme. » … « Le socialisme n’est que la religion de l’Envie. » … « Par l’effet de sa chute, l’homme est à l’état d’envie. Quand le peuple entendit pour la première fois ces mots La propriété, c’est le vol, il a senti le raisonnement justificateur de ce qui sommeillait en lui depuis qu’il a perdu la roi. Et sa conscience ainsi faite, il a marché d’un trait dans la Révolution. » … « Vous ne vouliez rien de divin, vous saurez ce que les moyens humains coûtent ! Vous vouliez l’institution à la place de la conscience, vous saurez ce que produit l’institution ! Payer dix militaires, quatre employés et deux mouchards où il n’y avait qu’à nourrir un prêtre, n’est pas le moyen de couvrir ses frais. » L’expérience des ateliers nationaux, ouverts par décrets du 25 février 1848, – et dont l’Assemblée Constituante dut ordonner la dissolution immédiate le 21 juin parce que leur inutilité n’en coûtait pas moins 150.000 francs par jour -, lui fait écrire :
« Les hommes, dans leur méfiance, ont cru que le christianisme était faux. Ils ont dit : l’homme naît bon ; ils ont dit : il est ici bas pour jouir ; ils ont dit : la richesse est toute faite ; ils ont dit : tous y ont un égal droit ; ils ont dit : il faut égalité des salaires ; et l’on ouvrit les ateliers nationaux. Et qu’a fait l’homme bon ? Il a fait comme le sauvage, il s’est couché, déclarant que c’est à la Société de le nourrir. Si la méthode eût été générale, le pain manquant, il eût fallu, comme dans l’antiquité, forcer les bras au travail. Eh ! Nous y voilà donc… Ou le christianisme, ou l’esclavage. »
Et ce raccourci étonnant qui contient toute la réfutation de l’utopie collectiviste : « Le socialisme suppose une immaculée conception de l’homme. » Si Jean-Jacques Rousseau avait raison ; si l’homme était naturellement bon ; si l’envie du bien d’autrui, ou de sa supériorité, n’habitait pas, dès sa tendre enfance, sa pensée ; si la paresse, sous l’euphémisme de loi du moindre effort, ne freinait pas d’ordinaire son activité ; si aucune convoitise, aucune violence, aucun désir de nuire à son prochain ne se trouvaient en germe dans son coeur, alors, évidemment, on pourrait imaginer une Société reposant sur le principe du collectivisme, autrement dit sur la mise en commun des efforts de chacun et sur la distribution des richesses créées par le travail de tous, entre chaque membre de la communauté, selon ses besoins. Malheureusement, l’homme n’est pas né sans tache.

Tous les péchés capitaux sommeillent en lui, et justement tout l’art des meneurs de peuples consiste à faire concourir au bien commun les défauts mêmes de l’humanité, comme un habile navigateur sait utiliser les vents contraires pour aller de l’avant. Si l’homme est certain d’avoir ses besoins essentiels assurés par la collectivité, quelle que soit sa propre activité, il se laissera aller à sa nonchalance naturelle, et la paresse de chacun engendrera vite la misère de tous. Mais si vous mettez en jeu son égoïsme inné en promettant à l’effort accru une rétribution supplémentaire, la perspective de pouvoir satisfaire des convoitises nouvelles forcera au labeur son indolence native. Etre intéressé est, certes, un vilain défaut ; mais c’est un défaut que l’on peut faire servir à l’amélioration des conditions de vie d’un individu, d’une famille, voire d’une société. En transformant les « stakhanovistes » en une manière de héros civils au sort enviable, le régime bolcheviste reconnaît lui-même que l’esprit de vanité et de convoitise, stimulé par des avantages divers, est le plus efficace ressort d’une production intensifiée. Mais, du coup, les grands prêtres de la religion nouvelle ont renié le dogme fondamental de l’égalité entre les hommes et désavoué Rousseau : l’humanité n’est pas naturellement portée au bien. Et cela frappe de vanité toutes les Salentes bâties dans les nuées par tant de théoriciens socialistes. Cependant, il est des lieux qui s’en rapprochent. On voit ça et là de vastes demeures où, sans contrainte extérieure, des hommes et des femmes s’affairent à leurs travaux tout au long du jour, s’asseoient à la même table pour un frugal repas, et témoignent par leur visage calme et souriant que cette vie de labeur régulier, dont ils ne tirent aucun profit personnel, leur parait la plus belle du monde. Seulement ces hommes ou ces femmes, pour réaliser cet idéal collectiviste, ont dû se lier vis-à-vis d’eux-mêmes par un triple serment : renoncer à toute propriété personnelle, se refuser aux joies du foyer et des enfants qui le peupleraient, accepter d’avance et sans discussion les ordres du chef qu’ils auront choisi.

Le socialisme ne peut se réaliser sans caricature que si l’on décide de vivre en communauté à l’abri des trois voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Autrement dit, et pour en revenir à la définition de Blanc de Saint-Bonnet, le socialisme suppose une immaculée conception de l’homme, ou, en tout cas, l’effort constant pour l’homme de se maintenir en état de grâce avec l’aide du Rédempteur. Mais, comme les cités et les nations ne reposent pas sur des célibataires chastes, mais sur des familles, et qu’un peuple de couvents s’éteindrait en une génération, il faut bien que, dans ce monde tel que Dieu l’a voulu, il y ait un système social plus adapté à la nature de l’homme que le collectivisme. Son fondement est la propriété. La propriété est de droit naturel parce qu’elle est la récompense du mérite. Ecoutons Blanc de Saint-Bonnet nous parler d’elle et du capital qu’elle constitue : « Le capital commença le jour où quelques hommes, ayant satisfait leurs besoins, eurent la possibilité d’épargner. Si la propriété n’eût pas immédiatement surgi, les besoins eussent éternellement étanché les produits ; ce capital précieux, qui fait tout l’avenir de l’humanité, ne serait pas encore fondé, nous serions à l’état sauvage. Le capital suit la loi de l’irrigation. La comparaison est charmante. Une faible source sort de terre ; ce filet d’eau est absorbé par les trois ou quatre mètres de sol qui l’entourent. Creusons un bassin pour Ie recevoir et bientôt le flot accumulé court arroser une surface de huit ou dix mille mètres. L’eau revenant au réservoir, l’opération recommence sans cesse. Que le pré d’alentour eût demandé la destruction du bassin qui retient ces eaux, et trois ou quatre mètres pourris sous les joncs remplaceraient la fécondité d’un hectare. La propriété est le réservoir du capital ». Mais ne vous hâtez pas de crier au bourgeois lyonnais tapi dans sa maison des champs enfermée dans de hauts murs, â Calixte caressant son coffre-fort avec volupté. Pour Blanc de Saint-Bonnet, comme pour tout vrai chrétien, l’argent est un utile serviteur, ce n’est jamais un maître. Alors que l’esprit de pauvreté, lui, est une vertu. Vertu indispensable chez ceux qui ont mission de nous guider.

Chez les ministres de Dieu d’abord : « La simple commodité dans la maison du prêtre justifie le luxe dans la maison des grands. Le peuple alors perd en la sienne son doux modèle de douleur et d’abnégation. Ce serait un grand malheur si un jour le pauvre rie pouvait plus voir un frère dans le prêtre, mais le frère du riche. Dès ce moment, le peuple n’appartiendrait plus à l’Eglise ». Et ceci encore : « Il faudrait que l’Eglise eût la moitié des richesses de la terre, et que le Clergé restât pauvre ». Entre parenthèses, la République a fait le nécessaire pour que ce vœu fût réalisé pour la seconde moitié. Bien loin de rendre à l’Eglise les biens qui lui permettaient, avant la Révolution, d’assumer le monopole de l’éducation et de l’assistance, Marianne III lui a enlevé en 1905 le peu qui lui restait, et a réduit le clergé de France à la mendicité du denier du culte. Sans absoudre pour autant le vol dont il demeure la victime, on peut constater avec fierté que ce clergé, devenu le plus pauvre du monde, est aussi le plus riche en dignité de vie et en prestige. « II n’est pas défendu de gagner de l’argent, mais alors il ne faut pas se porter à la tête d’une nation. Le fondement des peuples est la vertu, celui des classes gouvernementales est au moins l’honneur ; on ne peut y substituer à ce point les deux principes contraires ». Ses préférences pour la monarchie traditionnelle viennent sans doute de ce qu’elle repose essentiellement sur une autorité paternelle et sage ; il n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il écrit : « Quand l’autorité souveraine réside dans le monarque, de telle sorte néanmoins que cette plénitude de pouvoir soit paternelle, qu’elle soit tempérée par l’observation des lois fondamentales et des coutumes anciennes et que le souverain se propose uniquement l’avantage des sujets, le gouvernement, comme en France, est la monarchie pure ». Mais il soulignera que l’un des caractères de cette monarchie est de préférer la vertu et l’honneur à l’accumulation des richesses : « La mère de Saint-Louis dit à son fils : j’aimerais mieux vous voir mort que souillé d’un péché mortel. La mère de Bonaparte répète aux siens, arrivés sur les trônes : Mettez de côté, cela ne durera pas toujours. » On ne peut cependant présenter Blanc de Saint-Bonnet comme un doctrinaire du catholicisme social. Vous ne trouverez chez lui aucune invite à l’élaboration de lois particulières concernant le monde des travailleurs. Non pas qu’il ignore la misère d’autrui ; non pas surtout qu’il ne désire qu’elle soit soulagée.

Il est trop profondément chrétien pour cela. Mais il est contre-révolutionnaire avec trop d’intransigeance pour admettre que l’Etat ait, au nom de l’égalité, à intervenir dans l’atténuation de cette misère. Le devoir de charité que nous impose la loi du Christ doit y suffire. « Vous répétez que l’Evangile a proclamé l’égalité des hommes, et c’est faux ; il a proclamé l’égalité du mérite, autrement dit l’équité. L’égalité n’est qu’un faux nom de la justice. L’Evangile savait si bien l’inégalité qui résulte de notre liberté, qu’il institua la Charité pour ce monde, et la Réversibilité pour l’autre ». N’hésitons pas à dire que Blanc de Saint-Bonnet, si puissant dans ses vues politiques, est infiniment plus faible dans ses considérations sociales. Non seulement, lui qui a pourtant prévu que le matérialisme des philosophes risquerait de livrer un jour l’Europe aux Cosaques ne paraît pas avoir soupçonné les problèmes qui naîtraient de l’industrialisation et du libéralisme économique, mais il ne semble pas avoir réfléchi à la misère imméritée des travailleurs – pour reprendre l’expression dont se servira plus tard Léon XIII -, à cette misère qui résulte pour un foyer soit du chômage, soit de la maladie, soit de l’accident, soit de la vieillesse du chef de famille, soit du trop grand nombre de bouches à nourrir, soit d’un salaire rogné par la loi d’airain de la libre concurrence. Pour lui, l’aumône doit suffire, avec les oeuvres privées. Ses propos là-dessus sont difficilement supportables à nos esprits. Il écrira par exemple : « On ne peut que répéter la vérité : pour ne pas développer du même coup l’insouciance et la paresse, d’où provient la misère, il ne faut point que l’assistance soit publique, il faut qu’elle soit particulière. La religion qui, certes ! a su poser la question, n’a reconnu publiquement que les malades, les vieillards et vos enfants abandonnés. Toute autre misère est chargée de sa destinée… ».

C’est oublier la répartition de l’assistance dans les moeurs de l’ancienne France. L’Eglise avait en effet tout un réseau serré d’hôtels-Dieu, d’hospices, d’orphelinats pour les épaves physiques de la vie. Mais, à côté d’elle, les corporations, avec leur patrimoine propre, étaient là pour aider dans leurs difficultés ceux de leurs membres dont le malheur ne venait ni de leur paresse, ni de leur insouciance, ni de leur inconduite. Et, dans les paroisses rurales, les Confréries tenaient lieu de Sociétés de secours mutuel : au début du siècle dernier on voyait encore des pénitents qui allaient, en corvées bénévoles, labourer le champ de la veuve afin que les orphelins ne manquassent pas de pain. Mais, au milieu du XIXè siècle, alors que la Révolution, si justement accusée et si énergiquement combattue par Blanc de Saint-Bonnet, avait ruiné l’appareil charitable de l’Eglise et rasé l’édifice corporatif, on comprend mal que notre philosophe des monts du Lyonnais ait pu estimer suffisants pour le soulagement de toutes les misères humaines les établissements d’assistance que la générosité privée avait pu restaurer. Et cependant, la place de Blanc Saint-Bonnet est marquée dans une étude sur le mouvement social chrétien. D’abord, par son combat victorieux contre l’esprit révolutionnaire, fils naturel de l’anarchie et du libéralisme semés par les théories de J.-J. Rousseau et de sa séquelle. Ensuite, par sa critique aiguë du socialisme qui montre que le retour à un christianisme vécu est indispensable au salut de la Société. Là-dessus, son enseignement n’a pas vieilli :
« Le socialisme est plus facile que la civilisation. Il ne faut pas s’étonner si tant de gens veulent en être. Une fois le carnage achevé, vivre comme le socialisme l’indique est chose, pendant quelques jours, très facile. Elle consiste à consommer ce que les siècles ont recueilli : tout le monde est bon pour cela. Le socialisme est d’autant plus dangereux qu’il ne demande ni effort, ni raison, ni doctrine ; qu’il répond à nos appétits, à notre envie, à notre orgueil, à notre rage. Il suffit que le christianisme se retire de l’horizon, pour que la raison humaine, jusque-là soutenue, retombe dans le socialisme. Dés que le soleil disparaît, le serein redescend sur la terre. Avec quelle arme combattrez-vous le socialisme ? Il faudrait la puissance entière du christianisme pour relever de nouveau la raison chez les peuples, et comprimer les appétits.
On peut vaincre une erreur, on ne détruit pas l’erreur, c’est-à-dire le vieil homme, c’est-à-dire le mal. On chasse une ombre, on ne fait pas disparaître la nuit. On a la Foi, ou tout rentre dans les ténèbres ».
Et, pour finir, arrêtons-nous sur cette citation qui annonce la pensée maîtresse de Frédéric Le Play, celle qui, après lui et derrière lui, nourrira l’action d’une puissante équipe de catholiques sociaux : « Si la morale était suivie, il n’y aurait pas besoin de lois. On dit que, depuis la Révolution, trente mille lois ont été promulguées en France : pour les rendre à peu prés superflues, il suffirait de suivre les dix commandements de Dieu ».
Blanc de Saint-Bonnet annonce bien le sociologue qui fondera toute sa doctrine de relèvement des sociétés sur le Décalogue.

 

(1) Politique réelle, page 39, éditions Stanislas Rey, 1966.