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Au-delà du 10 septembre : le combat du pays réel.
M. François Bayrou a échoué et, à travers lui (après tant d’autres), c’est l’échec d’une République qui n’a pas su saisir les enjeux du temps et les aborder de façon volontaire et positive : le règne de la facilité, doublée d’une part de démagogie et saupoudrée de discours lénifiants, est une forme de tyrannie contemporaine qui peut s’appuyer sur l’aliénation des masses à la société de consommation et de loisirs, ce que Philippe Muray appelait « la société distractionnaire ». Or, toute société juste et équilibrée repose sur une part d’efforts et de partage de ceux-ci selon les catégories (d’âge, de métier et de revenus, ces trois-là pouvant évidemment se combiner), quand l’individualisme remet en cause cette exigence sociale au nom de l’individu et de sa liberté principielle. Comment « faire société » aujourd’hui quand chaque individu revendique d’être « premier servi », sans égards pour le contexte et le bien commun ? Brisées en mille morceaux et discréditées par le pays légal qui y voient des restes de corporatisme ou de provincialisme, les solidarités concrètes et anciennes ont laissé la place, au moins officiellement, à celles des partis et des groupes d’intérêt purement économiques et sociaux, dans un retour du féodalisme peu respectueux de l’Etat, de son autorité et de sa légitimité : depuis une bonne trentaine d’années au moins, nous sommes revenus à l’ère carolingienne (mais celle d’après Charlemagne…), en somme, et les diverses formes d’insécurité dont souffrent nos concitoyens (insécurité physique ou insécurité sociale, entre autres) peuvent expliquer cette sourde révolte contre des élites « qui ont trahi » et le besoin de retrouver de « nouveaux » maîtres qui, parfois, peut se traduire par une demande de pouvoir fort et indisputé, voire indiscuté… Un chiffre pour démontrer ce dernier élément : selon une récente enquête du Cevipof (1), 41 % des Français « se disent désormais favorables à un dirigeant qui gouvernerait sans Parlement ni élections » (2). Cela peut expliquer que, en définitive, de nouvelles élections législatives ne résoudraient pas, à elles seules, la crise de confiance des Français à l’égard de l’Etat et des institutions politiques.
La crise du régime est désormais avérée mais cela signifie-t-il pour autant que celui-ci tombe par terre comme un fruit trop mûr, voire gâté ? Rien n’est moins sûr : « la République gouverne mal, mais elle se défend bien », ironisait Anatole France, et il faut noter que les contestataires du 10 septembre, s’ils en appellent à en finir avec M. Bayrou (il semble qu’attendre le 10 n’aura pas été nécessaire…) et, pour nombre d’eux, avec la caste politicienne elle-même (et sur les grandes largeurs, d’abord le bloc central, mais aussi les périphéries de droite comme de gauche…), paraissent beaucoup moins unanimes sur « l’après-10 septembre », en particulier sur ses formes politiques.
Le mouvement de blocage du mercredi 10 septembre n’est d’ailleurs pas exempt de contradictions, malgré des motivations compréhensibles et des intentions souvent louables à défaut d’être réalisables. Dénoncer la suppression de deux jours fériés, mais aussi le poids trop lourd de la fiscalité sur le travail (et, par là-même, sur les travailleurs) ; en appeler à une plus grande justice fiscale, l’une des conditions majeures de la justice sociale ; rappeler à l’Etat ses devoirs de service public et de protection sociale, particulièrement envers les plus fragiles dans notre société ; demander une meilleure prise en compte des intérêts du monde du Travail face aux pressions du monde de la Finance… Tout cela est sain, et éminemment légitime, même si les moyens de parvenir à répondre favorablement à ces demandes peuvent être, eux, fort divers et, parfois, antagonistes. Mais, si la contestation s’en prend à ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, elle ne doit pas s’arrêter à cette immédiateté : il paraît nécessaire, logique, d’aller plus loin. S’en prendre aux conséquences sans s’interroger sur les causes de la crise sociale contemporaine reviendrait à un coup d’épée dans l’eau, certes jouissif mais bien peu utile et constructif. Omettre l’aspect institutionnel serait invalider toute la dénonciation des désordres sociaux, de ce que l’on nomme, aussi, injustices…
Dans la première mouture du mouvement « Bloquons tout » (formule qui, bien que sémantiquement efficace, me semble maladroite et inachevée…), les fortes responsabilités de l’Union européenne dans la crise actuelle n’étaient pas oubliées, et les derniers renoncements de Mme Von der Leyen face à M. Trump ainsi que les velléités de celle-ci à conclure des accords de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (entre autres) auraient dû renforcer ce mouvement de défiance, voire de rupture avec la politique et, surtout, l’idéologie de l’Union européenne et de sa Commission. Or, la récupération éhontée du mouvement par la Gauche jacobine et robespierriste de M. Mélenchon a largement effacé cet aspect de la contestation initiale : il est permis de le regretter…
Quoiqu’il en soit, cette rentrée politique et sociale précoce aura le mérite de poser quelques bonnes questions et d’ouvrir quelques perspectives politiques qui pourraient bien ne pas plaire au vieux républicain Mélenchon ni aux caciques du pays légal. Ces chouanneries qui se font jour dans nos villes et nos campagnes bien au-delà de l’annonce chaotique du 10 septembre, et qui ne se satisfont guère des rodomontades politiciennes des oppositions électorales, méritent de ne pas être négligées, malgré tout, et cela sans céder à la démagogie, mauvaise conseillère et pire des politiques. Un royaliste conséquent pourra y trouver quelques motifs de satisfaction sans céder à l’euphorie : encore lui faudra-t-il « saisir la verte fortune » pour rendre « possible ce qui est nécessaire ». Un beau et grand défi politique à relever, en somme…
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Le Cevipof est le Centre d’études et de recherches politiques de Sciences Po.
(2) : Pascale Tournier, Carole Sauvage, dans La Vie, 4 septembre 2025. Nous reviendrons prochainement sur cette observation et ses éventuels débouchés politiques : au-delà de la démocratie contemporaine (parfois surnommée « dénicratie »…), il importe de penser ce qui pourrait changer dans les institutions pour redonner la parole et des pouvoirs aux citoyens du pays réel, et surtout la confiance sans laquelle, en définitive, aucun régime ne peut vraiment survivre dignement, respectueusement et respectablement…
Le plan Bayrou, ou la république sans véritable projet.
Alors que la France entrait tout doucement dans cette semi-léthargie politique et sociale qu’annonce ordinairement la célébration du 14 juillet, le premier ministre François Bayrou a choisi de présenter ses pistes de travail pour le budget de la France pour 2026, espérant peut-être que le temps des vacances apaiserait les contestations politiques, sociales et syndicales qui ne pouvaient que se faire jour au moment même où il prononçait son discours. Une espérance vite déçue, et l’intitulé de son pupitre, « le moment de vérité », a paru fort dérisoire au regard des enjeux comme des résistances à ses projets budgétaires. Pourtant, l’urgence est bien là, mais cela fait un long temps déjà qu’elle est invoquée sans que ne changent vraiment les choses, si ce n’est une aggravation régulière et apparemment interminable des déficits et des carences de l’État, au détriment de la force française et de sa crédibilité à l’échelle de l’Europe et du monde, mais également au regard de ses populations de citoyens-contribuables et de son tissu économique, industriel, agricole comme tertiaire. La menace régulièrement avancée d’une intervention du FMI en France, en violation de sa souveraineté, n’est pas si anodine que cela, malgré son caractère pour l’heure purement hypothétique (1) et, d’une certaine manière, idéologique (2) : elle est, en fait, plus révélatrice que réaliste, mais elle fait partie de ses signaux qui indiquent que notre puissance est menacée, et elle nous rappelle que la dette est un boulet, non par sa seule existence, mais par son importance, sa démesure même, et ses conséquences sur les finances de l’État, comme le poids des intérêts à payer chaque année à nos créanciers, poids de plus en plus lourd le temps passant et dépassant désormais l’actuel budget de la Défense nationale, ce qui n’est pas de bon aloi ni de bon augure…
Les mesures annoncées par M. Bayrou sont d’abord conjoncturelles, et non structurelles : c’est sans doute cette absence de politique de long terme et d’enracinement institutionnel qui est problématique (et condamnable), et qui laisse craindre que, non seulement ces mesures soient inefficaces, mais qu’elles soulèvent plus de contestations (là encore, toutes ne sont pas égales ni forcément justifiables de la même manière) que d’adhésion au moment même où l’unité sociale devrait être la plus forte pour sortir de la situation d’ensablement de l’économie française. Bien sûr, il y a quelques mesures d’urgence à prendre, mais le mieux ne serait-il pas de les inscrire, comme une préface, dans un vaste plan de restructuration (certains diraient restauration…) économique et sociale ? Or, les annonces de M. Bayrou sont plutôt décevantes et ne préfigurent pas vraiment une remise en état de ce qui doit l’être pour assurer à notre pays et à nos concitoyens un avenir serein… La suppression de deux jours fériés, par exemple, est-elle vraiment déterminante pour redresser les comptes publics ? N’est-elle pas, en revanche, un élément de blocage « sentimental » pour une possible acceptation pour les salariés de la nécessité avancée de « travailler plus » ? N’aurait-il pas été plus intéressant d’évoquer la possibilité de travailler un certain nombre d’heures en plus dans le cadre du calendrier actuel sans le remettre en cause ? Sans compter que le secteur du tourisme et celui de la restauration voient d’un mauvais œil cette disparition programmée de deux jours fériés qui, généralement, profitent à leurs activités, surtout au printemps, et qui peuvent rapporter de quoi, aussi, emplir un peu plus les caisses de l’État.
D’autres propositions avancées par M. Bayrou semblent condamnées à n’être que des expédients sans lendemain, même s’ils peuvent donner temporairement un peu d’air aux Finances : le principe de « l’année blanche » peut être intéressant s’il est suivi d’une véritable politique d’investissement des sommes ainsi économisées, et non d’un simple colmatage de quelques brèches dans le navire de l’État. Quelques remarques néanmoins : d’abord, cela ne peut être véritablement et utilement pratiqué que pour une année ; d’autre part, le même principe doit être appliqué à tous et cela interdit a priori toute exonération ou toute exception, qui ruinerait le principe de cette année blanche et en amoindrirait les résultats (3) ; sans oublier qu’elle n’est vraiment possible et socialement acceptable que si l’inflation est basse, ce qui est actuellement le cas mais n’est pas forcément assuré pour les mois prochains si de nouvelles tensions sur les matières premières ou les sources d’énergie, par exemple, apparaissent.
Toutes les mesures annoncées par un premier ministre qui, pour avoir écrit un livre sur le roi Henri IV, n’en est pas Sully pour autant, s’inscrivent dans le temps d’une République qui, en fait, risque de tout remettre en cause dès la prochaine échéance électorale, qu’elle soit présidentielle (en 2027, a priori) ou législative (quand ? Rien n’est sûr, désormais…) : ce « temps court » d’une République, redevenue Quatrième par le jeu incessant des partis et les maladresses répétées de l’actuel locataire de Mme de Pompadour (4), est le principal obstacle (mais pas le seul, loin de là) à une politique économique de long terme qui puisse être économiquement efficace et convaincante tout autant que socialement juste, ce dernier élément ne devant jamais être négligé si l’on suit les préceptes du royalisme social (5).
(à suivre)
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : C’est Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, qui estime, dans un entretien au quotidien Le Parisien (samedi 19 juillet 2025), que « la France n’est pas la Grèce de 2009-2010 », et qu’il n’est pas « nécessaire de faire peur avec la menace du FMI », ce en quoi il a parfaitement raison (pour une fois, pourrait-on dire…), du moins pour le moment et le futur proche.
(2) : Ce sont les libéraux les plus acharnés à dénoncer l’endettement de l’État et la présence de l’État dans l’économie (pour de bonnes ou de mauvaises raisons, d’ailleurs, et il peut y avoir débat sur ce sujet), qui agitent frénétiquement l’épouvantail du FMI, semblant l’espérer comme le Messie, dans une posture qui, à bien y regarder, n’est guère civique ni juste. Que la menace existe (plus proche qu’hier, sans doute, mais encore – Dieu merci – lointaine et imprécise), c’est indéniable ; qu’elle soit inéluctable, en revanche, n’est pas encore écrit… En fait, c’est plus par idéologie que par réalisme que les libéraux en appellent au FMI pour mener des réformes de déconstruction de l’État social qui, pour nous, ne sont ni nécessaires ni justes au regard des équilibres et de l’unité de notre nation.
(3) : Si cette pratique égalitaire de la mesure paraît justifiée, est-elle toujours juste pour autant ? Car les catégories aisées de la population en ressentiront moins les effets, souvent indolores pour elles, que les catégories les plus fragiles, surtout en période d’incertitude économique et d’insécurité sociale. Le risque est d’aggraver, par là-même, la « crise des ciseaux » entre les plus aisés et les plus précaires (voire prolétaires). Cette perspective inquiétante ne peut être négligée, surtout si la justice sociale est la boussole de l’État (mais est-ce vraiment le cas aujourd’hui ?).
(4) : Le palais de l’Elysée, aujourd’hui occupé par M. Macron, est l’ancienne résidence de la marquise de Pompadour, un temps favorite du roi Louis XV, résidence acquise en 1753 et qu’elle conservera jusqu’à sa mort, survenue en 1764.
(5) : La justice sociale est la colonne vertébrale de la pensée royaliste sociale, depuis le préfet Villeneuve-Bargemont et le théoricien René de La Tour du Pin, l’un pouvant être considéré comme un véritable promoteur de l’État social au XIXe siècle et l’autre comme le valorisateur de la justice sociale en un temps où ce sont le progrès et la croissance industrielle qui semblent primer sur toute autre considération dans les classes économiques dirigeantes…
TRADITION ET MODERNISME
« Tout l’avilissement du monde moderne, […] vient de ce que le monde moderne a considéré comme négociables des valeurs que le monde antique et le monde chrétien considéraient comme non négociables. »
Charles Péguy
Faisons dans un premier temps une comparaison entre trois générations de Français. Un de 1814, un autre de 1914 et un dernier de 2014. Observons ce qu’était le Français en 1914. C’est loin d’être une erreur que de constater que le Français issu de la société du début du XXè siècle aurait parfaitement pu se reconnaître dans celle de 1814. La société française durant le siècle qui sépare ces deux années avait très peu changé. On a affaire à une France rurale et traditionnelle dans la majorité. Un Français de 1914 propulsé en 1814 aurait pu aisément avoir des conversations avec les Français de cette époque. Les us et coutumes, les traditions et la pratique religieuse sont, dans l’ensemble, restés intacts malgré les divers changements de régimes et les guerres jalonnant ce siècle. Il n’aurait pas été pleinement dépaysé et aurait pu aisément faire sa place dans cette France de 1814, sans aucun problème. Maintenant, faisons un comparatif mais cette fois-ci entre un Français de 2014 avec celui de 1914. Imaginons donc un Français de 1914 propulsé dans le futur et évoluant dans la France de 2014. Que verrait-il en comparaison de son époque ? Il verrait une France devenue essentiellement urbaine et où la paysannerie est réduite à son strict minimum. Il verrait des églises vides, des centres commerciaux pleins et de la publicité partout. Il verrait les Français enfermés chez eux devant la télé ou Internet et ne communiquant le plus souvent qu’avec des téléphones portables. Il verrait un peuple devenu excessivement individualiste et surtout très consommateur et matérialiste. Il constaterait l’américanisation de la société, s’abreuvant de films, séries et musiques américaines, mangeant au mac do, buvant du coca, et parlant un jargon mi français mi anglais. Il constaterait l’hégémonie de l’automobile devenue envahissante, ainsi qu’une pollution devenue excessive en comparaison de 1914. Il verrait un peuple déraciné ou les us et coutumes ancestrales ont quasiment toutes disparu, faisant place aux « gay pride » ou « techno-parades » et autres stupidités de ce monde moderne. Il verrait les problèmes des cités et l’absence d’autorité du gouvernement face aux divers problèmes que rencontre la société de 2014. Il verrait des familles instables avec un taux de divorce particulièrement élevé. Sans oublier les mariages entre homosexuels… et la liste est encore malheureusement bien longue !
(suite…)Préservons les emplois d’ArcelorMittal en France !
Dans quelques semaines, la multinationale de l’Acier ArcelorMittal va licencier environ 630 salariés, des administrations aux usines, de Fos à Dunkerque.
Au moment même où la situation géopolitique internationale nécessite le réarmement rapide et durable de la France ;
Au moment où l’on parle d’une non moins nécessaire réindustrialisation du pays ;
Au moment où la décarbonation de la production de l’acier est un enjeu majeur pour la protection de l’environnement…
La multinationale préfère, pour dégager plus de bénéfices pour ses actionnaires, délocaliser les emplois de France vers l’Inde…
Et que fait la République pendant ce temps-là ? Rien, ou presque…
Que faudrait-il faire ?
Soutenir la décarbonation de la production de l’acier en France par un financement approprié et suivi pour éviter que ce financement soit détourné pour les actionnaires, et rappeler à l’Union européenne ses promesses de soutien à cette filière industrielle (promesses qui tardent à être tenues…) ;
Favoriser la création et la valorisation de nouvelles filières industrielles en France en soutenant la recherche et l’innovation, et en diminuant certaines charges fiscales sur les entreprises qui embauchent et maintiennent leurs emplois dans notre pays ;
Imposer à la multinationale ArcelorMittal de maintenir les emplois en France, ou de reconvertir certains postes menacés dans des fonctions liées à la société, voire de mettre en place une convention de détachement pour les salariés concernés pour leur permettre de travailler dans des entreprises industriellement et spatialement proches sans perte de salaire.
Avec les Royalistes sociaux, refusons le fatalisme et préservons les emplois en France, encore et toujours !
Comment préserver la filière automobile française ?
Dans les années cinquante-soixante-dix du vingtième siècle, les voitures ont envahi les villes occidentales avant de conquérir celles des pays du Sud dans les décennies suivantes. Longtemps, la France a paru être une nation automobile, autant pour la production que pour la qualité de celle-ci, et pour la consommation, aussi bien domestique que sportive : L’usine Renault de Boulogne-Billancourt et la course des Vingt-quatre heures du Mans appartenaient au patrimoine français, et chacun se retrouvait, selon ses centres d’intérêt ou ses problématiques personnelles, dans l’une comme dans l’autre. Boulogne-Billancourt était le symbole de la classe ouvrière moderne et combattive quand Le Mans monopolisait toutes les attentions à la veille des vacances d’été et de leurs embouteillages sur la Nationale 7… Tout le monde se souvenait des exploits de Pescarolo ou de Beltoise quand les ouvriers et la Gauche se rappelaient que c’est à Renault que la troisième et la quatrième semaines de congés payés étaient nées. La voiture était alors « la bagnole » et elle représentait, pour les jeunes, la liberté quand les adultes (et les marques automobiles en jouaient) y voyaient plutôt un moyen d’affirmation et de hiérarchisation sociale… Si Mai 68 échoua, c’est aussi parce que les émeutiers avaient osé brûler des voitures dans le Quartier Latin, et la crise pétrolière de 1973 renforça l’impression que c’est l’automobile qui était le thermomètre principal de l’économie et du moral des ménages en France. En fait, tout cela, c’était le monde « d’avant »…
En voulant faire de la planète un seul terrain de jeu économique, la mondialisation a étendu celui de la consommation automobile tout en retirant des espaces d’ancienne production automobile les usines d’icelle : la mythique « Billancourt » a fermé ses portes dès 1992, puis tant d’autres, dans une relative indifférence des automobilistes et des autres, malgré quelques soubresauts à chaque vague de licenciements et de fermetures. La dernière grande usine ainsi sacrifiée sur l’autel de la mondialisation et de la profitabilité fut celle, siglée PSA, d’Aulnay-sous-Bois, qui employait plus de 3000 salariés. Mais celles qui restent aujourd’hui redoutent désormais chaque nouvelle annonce venant de la direction, de moins en moins française d’ailleurs… Comme le titre Le Figaro-économie du 26 juin dernier : « Sochaux, Poissy, Douai… les usines historiques se réduisent comme peau de chagrin », ce qui peut se traduire, socialement parlant, par : « près d’un emploi industriel (automobile) sur quatre pourrait disparaître en dix ans en France », soit environ 75000 postes d’ici 2035.
Pour autant, l’histoire est-elle déjà écrite, et l’Automobile française condamnée à disparaître du paysage industriel productif français ? Après tout, quelques éléments d’espérance subsistent et méritent que l’on y prête attention, et évidemment aide et soutien. D’abord, l’automobile individuelle et familiale est encore utile et adaptée, malgré les nouveaux enjeux urbains et rurbains (ou à cause d’eux…) : elle reste un mode de locomotion pratique, « de porte à porte » (ce qui n’est pas toujours possible avec les transports en commun) et susceptible de réparations, voire de recyclage rapide (sous diverses formes : récupération de pièces ou refonte de certaines pièces, par exemple). Elle reste populaire dans la population, particulièrement chez les ruraux ou les rurbains, et ceux-ci n’imaginent pas en être privés, malgré les risques sur les prix de l’énergie et les taxes, droits de péage et de stationnement, qui ne cessent de suivre une voie ascendante, sans parler des forfaits de post-stationnement, nouveau nom politiquement correct des contraventions, dont les tarifs en constante augmentation peuvent dissuader purement et simplement de venir en famille en centre-ville… Bien sûr, je ne méconnais pas les questions environnementales liées à la production comme à la circulation automobile, telles que les pollutions atmosphériques ou l’épuisement des ressources nécessaires à la fabrication des batteries électriques, par exemple. Et je rappelle que je prône un usage mieux partagé et plus modéré de l’automobile, entre solidarité véhiculaire et valorisation d’alternatives de mobilité.
Cela n’empêche pas de vouloir une industrie automobile forte en France qui puisse répondre d’abord aux besoins domestiques français tout en améliorant les qualités circulatoires et techniques des véhicules et en travaillant à l’amélioration de leur espérance de durée : en somme, des voitures solides et durables, performantes et économes en énergie, agréables et appropriées aux nouveaux enjeux contemporains, autant industriels qu’écologiques. Sans oublier leur accessibilité à un vaste public… Certains ironiseront et m’expliqueront que je cherche le mouton à cinq pattes : non, chercher le meilleur tout en restant le plus commun possible n’est pas une lubie d’intellectuel en chaise longue, mais une nécessité économique, sociale et environnementale pour qui souhaite inscrire l’industrie automobile française dans la durée et ne pas dépendre des marques étrangères qui concurrencent durement les nôtres sans tenir compte d’autre chose que de l’aspect de profitabilité…
Quelques pistes ont été sans doute (encore trop) timidement initiées, comme la règle du contenu local, qui commence à être évoquée en France et chez ses voisins, et qui incite « à réclamer en Europe une part de « contenu local » parmi les composants pour lutter contre leurs concurrents chinois. (…) « Au départ, les constructeurs n’étaient pas très enthousiastes sur la règle du contenu local, rappelle Luc Chatel (1). Aujourd’hui se dégage une position favorable de l’ensemble de la filière automobile au principe de contenu local. Pourquoi ? Parce qu’il faut arrêter d’être naïf. Les Américains, les Chinois l’imposent dans leur pays. Je ne vois pas pourquoi nous serions les seuls à ne pas le faire, en Europe. »
« Cette mesure pourrait limiter le déferlement de véhicules chinois électriques assemblés dans des conditions déloyales. Mais elle ne suffira pas à elle seule à inverser la tendance. (2) » C’est sans doute là que l’Etat (français) peut jouer un rôle, même au niveau européen, non en prenant en charge la production automobile (ce n’est pas son rôle, et il faut préserver le régalien en évitant de vouloir que l’Etat se mêle de tout et de n’importe quoi, parfois…), mais en rappelant quelques règles simples de « concurrence loyale » et en menant une stratégie d’industrialisation intelligente fondée sur l’incitation, le conseil, l’innovation et le soutien aux entreprises françaises et à leurs usines présentes sur le territoire. Offrir un cadre protecteur à la filière automobile en France ne peut et ne doit surtout pas être confondu avec un étatisme forcément dévastateur car déresponsabilisant et paralysant : c’est en donnant aux entreprises les moyens de faire valoir leurs atouts et leurs initiatives qu’il est possible de préserver une filière automobile digne de ce nom, pas en faisant leur travail ou en les commandant directement, au risque de mal faire… L’Etat doit savoir rester à sa juste place pour être, dans ce secteur comme en d’autres, le plus efficace possible.
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Luc Chatel, ancien ministre du président Sarkozy, est désormais président de la Plateforme automobile qui fédère les entreprises du secteur automobile en France.
(2) : Valérie Collet, Le Figaro-économie, jeudi 26 juin 2025.
Protéger les ressources de la mer.
Dans une indifférence populaire assez tragique, se tient le troisième sommet de l’ONU sur les océans qui doit évoquer les mesures à prendre pour protéger les mers et les fonds de celles-ci d’une dégradation malheureusement fortement avancée et accélérée ces dernières années en conséquence du déploiement de la société de consommation et de croissance dans le monde, en particulier dans les pays du Sud global, ceux-là mêmes qui veulent accéder au paradis consommatoire sans beaucoup de précautions sur les moyens d’y parvenir. C’est un triste constat : les mers se vident, et « nous regardons ailleurs », pour paraphraser l’ancien président Chirac… Sur les étals du poissonnier, il n’y a jamais eu autant de poissons, dirait-on : pourtant, la part de poisson sauvage, elle, ne cesse de diminuer au fil des ans pour être remplacée par celle des poissons d’élevage. Sans doute parce que les prises de nos pêcheurs français, par exemple, si elles ne sont pas forcément mauvaises, pèsent de moins en moins dans la balance, le nombre de professionnels et de petits chalutiers ne cessant de diminuer. J’ai le souvenir que, dans ma jeunesse des années 1960, le port de Lancieux (en Côtes d’Armor) comptait une demi-douzaine de ces petits navires qui partaient pour la journée et revenaient les flancs chargés de produits de la mer, comme disent aujourd’hui les marchands et les économistes. J’ai aussi le souvenir que le petit pêcheur à pied que j’étais se glorifiait de ramener pour le dîner nombre de bigorneaux et de bouquets, quand, désormais, les rochers du littoral sont fort dépeuplés de leur petite faune comestible. La désertification des côtes n’est pas moindre que celle des fonds marins, même si elle est plus directement perceptible pour les anciens qui se lamentent devant le spectacle des trous d’eau et des dessous d’algues vides de toute présence animale.
Et pourtant, ce ne sont pas les alertes et les conseils pour préserver les ressources marines qui manquent, de la plage sur laquelle des panneaux bien illustrés expliquent la taille minimale des prises et les attentions nécessaires pour éviter de dévaster la biodiversité locale, aux magazines audiovisuels qui insistent, à raison, sur ces gestes simples qui peuvent permettre à la petite faune marine et littorale de se reproduire et de prospérer à nouveau. C’est évidemment utile, mais est-ce suffisant ? Malheureusement, j’en doute…
Ce qui est vrai pour les rochers de mon village côtier et les sables de mes fonds de baie, l’est aussi pour toutes les mers, aussi loin que le regard et la présence humaine puissent porter : là où il faudrait de la mesure et de la raison, c’est l’hubris consommatoire qui l’emporte, et qui emporte tout sur son passage, au détriment de la nature et de ses ressources, de ses richesses que l’homme veut s’attribuer dès maintenant et sans entraves. Que faudrait-il faire, concrètement, pour limiter cette dévastation ? Au-delà de la prise de conscience universelle (qui semble peu probable, malheureusement), quelques mesures simples (sans être simplistes) peuvent être avancées et appliquées : au niveau local, le gel annuel ou bisannuel d’une partie du littoral (jusqu’à une part, aussi, de ce que découvrent les grandes marées) pour laisser la petite faune se reproduire et prospérer (1) ; au niveau régional ou national, la mise en place d’une véritable politique de la Pêche qui concilie préservation des ressources halieutiques et intérêt bien compris des pêcheurs eux-mêmes (trop souvent oubliés par les oukases de quelques administrations peu conciliantes avec ceux qui vivent des produits de la mer) pour permettre à ces derniers de poursuivre dans de bonnes conditions leur métier et de pouvoir en vivre dignement (2) ; au niveau national et étatique, une politique de protection et de valorisation des Zones économiques exclusives de la France (y compris dans les zones polaires), que le gouvernement actuel semble vouloir promouvoir (insuffisamment, néanmoins), par exemple en interdisant le chalutage de fond ou le mouillage de plaisance dans certaines « aires marines protégées », celles qui, selon Mme Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, comptent les fonds marins « les plus sensibles et les plus riches en biodiversité »… Mais cette politique n’est possible que si la France engage une véritable stratégie de réarmement maritime (au double sens du terme, d’ailleurs…) et qu’elle se dote d’un grand Ministère de la Mer, autrement plus important que les « petits » ministères des dernières années et décennies, aussi peu crédibles qu’efficaces… La grande question de la souveraineté maritime française mérite mieux que quelques communiqués gouvernementaux ! C’est aussi vrai pour la question environnementale, et c’est même complémentaire et obligatoire pour qui souhaite que la France reprenne sa place dans le concert des puissances susceptibles d’assurer la protection des océans sans rien céder à la voracité des multinationales alimentaires, ces nouvelles féodalités plus économiques qu’écologistes…
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Chaque commune littorale pourrait, avec l’aide des scientifiques, des naturalistes et des pêcheurs locaux (principalement amateurs là où il n’y a plus de professionnels), déterminer cette zone à geler (c’est-à-dire à interdire, non d’accès, mais de prélèvement de poissons, de crustacés et de coquillages sur une période donnée, plus ou moins longue selon l’état initial de la ressource concernée), et faire respecter cette interdiction temporaire de pêche en l’accompagnant, autant que faire se peut, d’activités pédagogiques de découverte et d’observation pour les habitants locaux et les estivants de passage.
(2) : Il n’est pas impossible d’imaginer une gestion par une forme (locale, régionale ou même nationale ? Ne fermons aucune piste de travail…) de Corporation des pêcheurs (ou des travailleurs de la Mer) qui aurait, statutairement et avec l’aval des autorités concernées, la mission d’assurer la bonne tenue des stocks des ressources comestibles marines ; fixerait les conditions et des quotas de pêche ; financerait, sur son propre patrimoine corporatif, les activités et une part des revenus minimaux des pêcheurs empêchés de prélever en période de disette halieutique ou de reconstitution du cheptel marin.
Sauvons la production d’acier en France !
Ce mercredi 23 avril est un jour noir (un de plus) pour le tissu industriel français, déjà si abimé par une mondialisation qui ne profite ni aux classes ouvrières, ni aux territoires anciennement industrialisés du Nord et de l’Est de la France…
Aujourd’hui, la direction d’ArcelorMittal France a annoncé qu’elle mettait 600 salariés sur le carreau, dont 370 ouvriers …
ArcelorMittal veut délocaliser une part de ses activités hors de notre pays (en Inde, semble-t-il), au moment même où la France a besoin de toutes ses forces industrielles, en cette période de périls géopolitiques et géoéconomiques : ce n’est pas acceptable !!
Soutenons les salariés français d’ArcelorMittal !
Les fonctionnaires méritent mieux que la République.
Dans la crise de la dette que connaît actuellement notre pays, il est parfois de bon ton de chercher (et de trouver…) des boucs émissaires : les fonctionnaires en font souvent d’excellents, semble-t-il, et les enseignants particulièrement, ce qui n’est pas forcément juste ! Bien sûr, certains verront dans mon propos une réaction corporatiste, par le simple fait que je suis moi-même professeur de l’éducation nationale, et cela depuis environ trente-cinq ans, ce qui m’a néanmoins laissé le temps d’apprécier les qualités et les défauts de la « classe enseignante ». Je n’ignore rien des légitimes sentiments et ressentiments à son égard. Mais ce n’est pas, pour l’heure, l’objet de mon propos : d’autres notes de ce site les évoqueront dans les mois prochains…
En fait, je voudrai ici rappeler une simple chose : les fonctionnaires sont utiles, leur fonction l’est, presque par définition, puisqu’il s’agit de faire fonctionner les rouages de l’Etat, et cela même s’ils sont parfois pesants, trop nombreux ou complexes, voire kafkaïens. L’Etat a besoin de fonctionnaires, mais sans doute peut-on penser que « tant vaut l’Etat, tant vaut sa Fonction publique », et, par là-même, ses fonctionnaires… J’avais trouvé, il y a déjà quelques années, un texte publié dans le numéro de mars 1933 du Bulletin mensuel des groupes d’Action Française de la Mayenne intitulé « Le Maine », bulletin dont j’ai désormais une belle petite (mais encore bien incomplète) collection. Un texte dont il me paraît intéressant de republier quelques phrases sur les fonctionnaires, au moins pour rappeler les responsabilités premières de l’Etat lui-même, Etat qui se dit « République » et, pourtant, oublie le sens latin du terme, de cette Res Publica qui n’est pas exactement celui de la République contemporaine, système idéologique et institutionnel (« l’absence de roi », disait Anatole France) souvent coupé du pays réel et de ses citoyens concrets : « Ce n’est pas à l’Action Française qu’on crie : « A bas les fonctionnaires » ; il est d’un régime sain d’honorer, de bien traiter ses fonctionnaires ; trop nombreux ? Certes ; trop lourds au budget ? Sans doute ; à qui la faute ? Aux institutions, pas à eux. Il est aussi d’un régime sain de protéger, d’encourager le commerce, l’industrie, la terre : à force d’user les richesses des individus on ruine le pays. Mais il est d’un régime fol de susciter les jalousies, d’attiser les rivalités, d’exciter des intérêts qui semblent opposés ; la République s’y emploie actuellement avec une science remarquable de l’intrigue et de la félonie. Habiletés, manœuvres, ficelles, qui ne remplissent pas les coffres. » En quelques mots, tout (ou presque) est dit : alors, il importe de ne pas se tromper de colère, et il importe encore plus de cibler les vraies responsabilités.
Sous la Restauration, le baron Louis s’écriait : « Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ». La formule vaut pour aujourd’hui comme elle valait pour hier, et elle peut s’appliquer, aussi, aux fonctionnaires eux-mêmes… « Faites-moi de bonne politique, et je vous ferai de bons fonctionnaires » ! Cela s’avère urgent, au regard des défis contemporains, d’autant plus en cette période de disette budgétaire…
Jean-Philippe Chauvin