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La leçon politique de Jeanne d’Arc.

Les royalistes, en particulier ceux du Groupe d’Action Royaliste et, bien avant lui (chronologiquement parlant) ceux de l’Action Française, ont toujours accordé une grande importance à Jeanne d’Arc et à son culte, plus politique que religieux, et cela dès les origines du mouvement maurrassien. Aussi, chaque année, le second dimanche du mois de mai, a lieu le « cortège traditionnel » d’hommage à Jeanne d’Arc dans un Paris désert et largement indifférent et oublieux, malheureusement. Un défilé qui, invariablement et logiquement, se termine devant la statue de la « Sainte de la Patrie », place des Pyramides.

Cette année, la préfecture de police a cru bon d’interdire ce cortège qui existe pourtant depuis plus d’un siècle ! Bien mal lui en prit, puisque la justice a annulé cette scandaleuse interdiction et que plusieurs centaines de royalistes ont ainsi défilé sous l’objectif des caméras de BFM-TV, pourtant peu soupçonnable de sympathies monarchistes… Nombre d’articles de presse ont relaté le déroulement de cette « manifestation » royaliste traditionnelle.

Du fait de ses mésaventures préfectorales et judiciaires, le cortège n’a pas, cette fois, été parasité par les différents groupes d’extrême droite qui, à défaut d’exister les autres jours, profitent de celui-là pour bomber le torse et jouer la provoc’. Ainsi, les royalistes, et peu importe le nombre quand il y a la ferveur et l’ardeur, ont-ils rendu à Jeanne d’Arc son sens éminemment politique et national, au-delà des caricatures et des récupérations en tout genre malheureusement habituelles.

En effet, Jeanne d’Arc était « politique d’abord » comme Charles Maurras l’a démontré maintes fois : alors que la stratégie militaire aurait nécessité la poursuite des Anglais après ses premières victoires, Jeanne ouvre d’abord la « voie du sacre » à Charles VII. Instinctivement, ou rationnellement, elle comprend qu’il faut d’abord « fonder le Pouvoir et forger l’Autorité » par cette reconnaissance de la condition politique de l’incarnation et de l’action libre de l’État par le Souverain. D’abord le Roi pour que vive, en sa personne et par sa liberté, la France.

Bien sûr, les temps ont changé mais les conditions d’un État libre et durable restent les mêmes et il faudra bien s’en convaincre pour poser, à nouveau, la question institutionnelle, au-delà des blocages inhérents au régime des partis et de l’impuissance d’un État qui s’est laissé lier les mains par une Union européenne oublieuse des libertés des nations et des peuples qui les constituent : c’est le meilleur hommage que nous pourrons rendre à Jeanne, celui de suivre sa leçon éminemment politique !




Liberté d’expression pour les royalistes !

Le Groupe d’Action Royaliste est une structure royaliste indépendante de toutes les organisations royalistes, et il est très attaché à cette indépendance. Il revendique une part de l’héritage des Camelots du Roi, et soutient toutes les initiatives royalistes utiles au bien du pays, des peuples de France et de leur patrimoine historique.


Or, La préfecture de police de Paris vient d’interdire deux manifestations royalistes de l’Action française prévues en cette fin de semaine, un colloque annoncé samedi et le traditionnel cortège de Jeanne d’Arc que l’AF organise depuis plus d’un siècle. Les motifs invoqués pour cette double interdiction sont absolument délirants et extrêmement inquiétants pour qui est attaché à la liberté d’expression et de réflexion : ainsi, certains thèmes abordés par le colloque pourraient menacer l’ordre public… En somme, la préfecture de police vient de rétablir le délit d’opinion, en toute tranquillité !


En ces circonstances particulières, le Groupe d’Action Royaliste apporte tout son soutien à l’Action française-Restauration Nationale, et continuera à rappeler à la république que « la liberté, ça ne se renifle pas. La liberté, ça se respire ! ». Et, puisque c’est un cri séditieux pour la préfecture de police de Paris, les militants, compagnons et sympathisants du GAR vont tout de même le répéter, que cela plaise ou non au préfet de police : vive le roi ! ⚜️

Rendre vie et pouvoir(s) aux corps intermédiaires.

La République macronienne peut-elle se réjouir du passage en force d’une réforme des retraites qui, si l’on en croit quelques ultras du libéralisme et les experts de la Commission européenne, ne peut être que provisoire et considérée, ainsi, comme inachevée ? Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est pourtant rejeté par 93 % des Français actifs (1), ce qui est révélateur du malaise social ambiant et de la défiance du monde des travailleurs à l’égard du gouvernement. Mais ce qui est encore plus marquant dans cette confrontation entre les promoteurs de la réforme et ses opposants, c’est l’absence de considération du pouvoir en place et de son premier magistrat à l’égard des corps intermédiaires, dans une logique similaire à ce que fut celle des constituants de la Révolution française quand ils rédigèrent et votèrent les lois d’Allarde et Le Chapelier en cette triste année 1791, la pire pour les travailleurs sur le plan social de toute notre histoire contemporaine : même les syndicats et les revues économiques commencent à le reconnaître à nouveau, après un long déni de plus d’un siècle et demi (2), et c’est toujours cela de gagné, ne serait-ce que pour la compréhension de la question sociale en France.

C’est ainsi, ce mois d’avril 2023, la revue Alternatives économiques (3) qui évoque la difficulté d’établir des compromis sociaux en France depuis la Révolution française : « C’est une longue histoire qui remonte à la Révolution française. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, celle-ci fut avant tout un grand moment de libéralisme sur le terrain économique et social. Une des premières tâches que se donnèrent les révolutionnaires fut en effet d’abolir les corporations qui freinaient le dynamisme économique du pays. (4)
« Mais, avec elles, ils interdirent aussi toutes les formes de syndicalisme naissant et de négociation contractuelle avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier adoptés en 1791. Devant la Convention, Isaac Le Chapelier posait clairement les enjeux : « Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. » Entre l’Etat et le citoyen, la République ne veut connaître aucun « corps intermédiaire ». » Il y aurait quelques précisions à apporter à ces extraits, en particulier sur le fait que la Révolution, d’abord individualiste et libérale, ne pouvait faire autrement, en bonne logique, que de supprimer les libertés concrètes et les protections du monde des travailleurs pour assurer le plein triomphe d’une Liberté du travail qui n’était rien d’autre que la liberté de celui qui avait les moyens de le financer : désormais, l’Argent l’emporte sur le Travail, et ce dernier change, en définitive, de fonction sociale. C’est aussi l’une des causes du mal-être au travail pour nombre de salariés aujourd’hui et de sa dévalorisation, y compris aux yeux de ceux qui en tirent un profit financier (autre que le simple revenu du travailleur lui-même) : ceux-ci se moquent bien que ce soit un être humain ou un être d’acier et de plastique qui produise pourvu que ce qui est produit leur soit le plus bénéfique possible, qu’ils soient actionnaires ou dirigeants d’entreprise (souvent à la façon d’un mercenaire, recruté pour optimiser la valeur de l’entreprise sans avoir d’autre lien avec celle-ci que le contrat qui l’attache, provisoirement, à l’histoire de l’entreprise).

Mais les syndicats n’ont pas remplacé les corporations, et cela même si leur action peut être bénéfique en certains cas, au cœur des entreprises ou des administrations, pour assurer la défense des droits des travailleurs : ne les accuse-t-on pas alors, d’ailleurs, de « corporatisme », comme si c’était un crime (et cela le serait aux yeux de M. Le Chapelier…) de défendre les intérêts des travailleurs d’une branche d’activité professionnelle en faisant appel à la mobilisation d’un corps constitué (sur des intérêts communs à un groupe socioprofessionnel) se voulant représentant de ceux-ci ? Mais la lutte des classes que, longtemps, les syndicats ont promue de façon plus idéologique et mécanique que véritablement pratique et efficace, a parfois limité la portée de leur existence même. Vecteurs de grandes mobilisations qui ont eu leur utilité, et c’est encore vrai aujourd’hui (5), les syndicats souffrent d’une marginalisation croissante dans une société dominée par l’individualisme et la balkanisation des appartenances : environ 7 % seulement des salariés sont officiellement syndiqués dans notre pays, ce qui peut servir d’argument pour décrédibiliser la parole des syndicats, même si certains d’entre eux se décrédibilisent très bien tout seul par des actions irréfléchis et, parfois, irresponsables, au risque de fragiliser, au-delà de leur propre image, l’activité économique elle-même des entreprises ou l’efficacité des services et des administrations.

Ainsi, si les syndicats sont plus que jamais nécessaires à la vie sociale de notre pays, il paraît tout aussi nécessaire de repenser le cadre de leur action et les institutions ou instances de discussion et de proposition qui puissent jouer un rôle de médiation entre les autorités politiques et les forces actives du monde du travail : en somme, il s’agit de rendre aux corps intermédiaires une organisation qui leur permette de dédramatiser les situations de crise, voire de les désenfler ou de les désarmer avant qu’il ne soit trop tard et que le ressentiment n’empêche toute concorde nationale et toute possibilité de sortie de crise honorable et juste pour chacun des acteurs engagés dans un bras de fer social. Néanmoins, le rôle de l’Etat ne doit pas être d’imposer une organisation socio-professionnelle qui serait « à sa main », mais bien plutôt de susciter cette organisation (éventuellement de lui fournir un cadre institutionnel légal) qui doit être l’œuvre des acteurs sociaux eux-mêmes, des syndicats de salariés aux associations patronales, des entreprises aux conseils de consommateurs, etc. En revanche, l’Etat pourrait réfléchir à la valorisation de l’actuel Conseil économique, social et environnemental sous la forme d’une sorte de « sénat des métiers et services » qui pourrait se combiner au sénat actuel.

En fait, ce ne sont pas les idées et propositions qui manquent, mais bien plutôt le manque de volonté politique, au-delà même de quelques blocages idéologiques, autant du côté de l’individualiste pro-Le Chapelier qu’est le président actuel que de celui des jacobins qui l’entourent mais aussi chez certains syndicalistes marqués par le refus des compromis (confondant ceux-ci avec les compromissions) et du dépassement de la lutte des classes, cette dernière devenant nihiliste et contre-productive quand elle se fige en dogme définitif… (6)

Certains diraient que la société est bloquée : en fait, c’est plutôt la République actuelle qui est bloquante, et le comprendre, c’est déjà ouvrir le champ des possibles vers d’autres perspectives institutionnelles, non comme une fin, mais bien plutôt comme un moyen, un simple moyen mais un moyen nécessaire pour débloquer ce qui doit l’être, et permettre l’épanouissement des corps intermédiaires et des libertés socio-professionnelles et corporatives…




Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : C’est une étude publiée en janvier dernier par l’Institut Montaigne, pas particulièrement de gauche, qui l’affirme, en se basant sur un échantillon représentatif de 5001 actifs (et non de retraités ou de jeunes en cours de formation…) : cette quasi-unanimité pose problème sur l’acceptabilité de la réforme qui, si elle est appliquée, se heurtera sans doute à un effet d’effort décroissant de la part des travailleurs les plus proches du moment de départ. La productivité générale pourrait s’en trouver affectée, ce qui serait dévastateur, d’une part à cause d’une création de valeur plus coûteuse sans être plus efficace, d’autre part à cause de l’impossibilité de faire appel à de nouvelles énergies dans les professions concernées par le souci évoqué auparavant sans alourdir les frais de fonctionnement des entreprises et des administrations.

(2) : En fait, le déni n’était pas si complet que cela, et les socialistes et les syndicalistes de la première moitié du XIXe siècle dénonçaient la loi Le Chapelier et l’interdiction de toute grève et toute association ouvrières qu’elle portait en ses articles 2 et 8… Mais la politique, peu à peu, l’a emporté sur le social, et la Révolution est devenue, aux yeux des partisans de gauche, un « bloc » dont il était désormais malvenu de critiquer quelque aspect qu’il soit : du coup, les lois autorisant la grève (loi Ollivier de 1864) et les syndicats (loi Waldeck-Rousseau de 1884) firent oublier les causes législatives et révolutionnaires du malheur ouvrier français du temps de l’industrialisation…

(3) : L’article d’Alternatives économiques de ce mois d’avril est signé par Guillaume Duval, pages 28-31.

(4) : Cette assertion sur le frein au dynamisme économique que les corporations constitueraient n’est pas exactement vérifiée par l’histoire économique et sociale de notre pays : mais elles limitaient effectivement les appétits des puissances d’argent (réelles ou potentielles) par l’exigence de l’appartenance au Métier de ceux qui souhaitaient en tirer profit financier et par celle de l’obligation de qualité, autant de production que de service, et de respect de bonnes conditions de travail des ouvriers (respect parfois plus théorique que réel, mais néanmoins contrôlé par les corporations elles-mêmes et juridiquement confirmé à l’occasion…). Ce modèle économique et social particulier de celle qui était alors la première puissance économique d’Europe était, en tout cas, un frein au capitalisme débridé et aurait pu constituer, si la Révolution française, ne l’avait pas détruit légalement et juridiquement, une véritable alternative au modèle anglo-saxon qui devint ouvertement dominant depuis le XIXe siècle…

(5) : Le rôle des syndicats dans la contestation de la réforme des retraites est important et nécessaire, et la négligence du gouvernement et du président à leur égard peut expliquer le surprenant sondage de ce mercredi 5 avril 2023 qui évoque une possible (et nette !) victoire de Mme Le Pen face à M. Macron si le second tour de la présidentielle avait eu lieu aujourd’hui est éminemment révélateur ! « Tout se paye », dit le proverbe…

(6) : La lutte des classes est un fait dans les sociétés dites capitalistes, et il n’est pas certain, qu’en suivant sa logique jusqu’au bout, à la fin, ce soit forcément les travailleurs qui gagnent… D’où la nécessité de la suivre parfois, mais de toujours penser qu’elle doit être dépassée et qu’il s’agit de construire une société politique où ce soit plutôt la conciliation des classes (et non leur confusion ou disparition) qui l’emporte, dans l’intérêt de tous et, au-delà, du pays lui-même et de son avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », selon l’heureuse formule maurrassienne…


Macron, l’inverse d’un roi de France

Décidément, cette réforme des retraites nous rappelle que, en France, le temps compte parfois plus que les affaires d’argent, et vouloir reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (1) n’est pas politiquement crédible, comme le souligne le politologue Jérôme Fourquet dans les colonnes du Point cette semaine : « (…) le fond de la réforme est particulièrement impopulaire. Sur le sujet des retraites, il y avait déjà eu de grandes mobilisations contre la réforme de 2010 voulue par Nicolas Sarkozy. Mais, à l’époque, 53 % des Français jugeaient « acceptable » le recul de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. L’Ifop a posé la même question la semaine dernière, sur le recul de l’âge de 62 à 64 ans… Il n’y a plus que 37 % de Français à considérer que c’est acceptable. Cet écart de 16 points change la donne et illustre un degré d’acceptabilité bien plus faible. » Or, il n’y a pas de politique possible sur le long terme s’il n’y a pas un accord minimal des populations avec l’Etat chargé de la pratiquer durant le quinquennat : non pas que le sentiment populaire soit divin, mais il importe d’en écouter les murmures, les battements de cœur, les colères. La République eurofrançaise (maëstrichienne selon l’expression mille fois répétée du philosophe Michel Onfray) ne raisonne plus « du pays vers le monde » mais, a contrario, suivant une logique de mondialisation et d’adaptation à celle-ci, logique terrible qui place les personnes après les intérêts économiques. Non qu’il faille oublier les contraintes de l’économie et nos devoirs nationaux à l’égard de nos partenaires, que cela soit dans le cadre de l’Union européenne ou, plus largement, à l’échelle du monde et de l’histoire, mais il s’agit de remettre les priorités dans l’ordre.

Le soulèvement des Gilets jaunes avait marqué le premier quinquennat de M. Macron mais le président avait habilement manœuvré et il a su profiter de la « grande peur des bien-pensants » pour reprendre la main et se faire réélire en suivant la même stratégie, non celle de l’élan démocratique mais plutôt de la défense républicaine contre un hypothétique péril pour la République incarné par celle qui se rêve en Giorgia Meloni française… Mais aujourd’hui la contestation de la réforme Borne s’est muée, comme le signale à raison M. Fourquet, en une contestation de la présidence Macron, et le fusible primo-ministériel est déjà grillé, plaçant le locataire de Mme de Pompadour en première ligne ! La dyarchie républicaine (selon le droit constitutionnel…) ne préserve plus le souverain électoral présidentiel, et c’est la monocratie républicaine (souvent confondue à tort avec la Monarchie royale) qui apparaît désormais menacée, dans un schéma de crise des institutions qui dépasse ceux qui les occupent aujourd’hui : « (…) c’est très compliqué de se sortir d’un tel bourbier. J’ai tendance à penser qu’un remaniement ne produirait rien. On peut changer les fusibles en nommant un nouveau gouvernement. Mais remplacer des inconnus par d’autres inconnus, ça n’a jamais servi à grand-chose. Le point de crispation s’appelle Emmanuel Macron, et sa lecture très jupitérienne des institutions. » (2) Jupiter, en imposant à son Premier ministre Mme Borne de frapper l’Assemblée nationale d’un 49.3 (49.3 qui, par essence, a foudroyé toute discussion sur le débat en cours) s’est transformé, aux yeux de nombre de nos concitoyens, en un incendiaire irresponsable et a réactivé une contestation qui semblait en passe de s’épuiser. Et son discours de justification de mercredi dernier a prouvé à qui en doutait encore que n’est pas de Gaulle qui veut, ou alors celui de l’intervention télévisée ratée du vendredi 24 mai 1968…

Néanmoins, certains manifestants, dans leurs slogans, ont confondu le président avec un roi, et lui ont promis le sort de Louis XVI qui, pourtant, fut l’inventeur de la formule « justice sociale » en 1784 et celui qui, sans le dire expressément, a mis en place la première expérience française de suffrage universel en même temps qu’il demandait à tous les peuples de France, dans leurs paroisses et leurs métiers, de rédiger des cahiers de doléances (il y en eut alors 60.000 sur tout le royaume) : en fait, il y a un grand malentendu sur ce qu’est un roi, ce que le philosophe Marcel Gauchet avait compris et explicité en quelques lignes qu’il importe de reprendre ici : « Un roi, ce n’est pas un manager, pas un patron de start-up qui secoue ses employés pour qu’ils travaillent dix-huit heures par jour pour que les Français, par effet d’entraînement, deviennent tous milliardaires ! Dans la tradition française, un roi, c’est un arbitre. Quelqu’un qui est là pour contraindre les gouvernants à écouter les gouvernés. Quand les gens accusent Macron d’être le président des riches, ils lui reprochent surtout de ne pas être l’arbitre entre les riches et les pauvres. » (3). La fonction arbitrale de Chef de l’Etat est, aujourd’hui, une demande forte des citoyens, ne serait-ce que parce qu’un arbitre aurait l’avantage, majeur à leurs yeux, d’écouter les doléances du pays tout entier, au-delà même d’un pays légal qui ne leur apparaît pas forcément le plus légitime pour les représenter… Puisque la République ne semble plus en mesure de répondre à cette attente des citoyens, il n’est donc pas interdit de penser qu’une nouvelle forme institutionnelle de la magistrature suprême pourrait être pensée, voire établie : une nouvelle, une vraie Monarchie royale ? Pour ma part, le point d’interrogation est superflu : il s’agit désormais de le faire savoir, autant que faire se peut, à nos compatriotes…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : Ce fameux report de l’âge légal de départ à la retraite que certains peuvent voir ou vivre, dans les professions les plus exposées aux risques industriels ou fonctionnels, comme un âge désormais létal… Il est vrai que l’espérance de vie des travailleurs de force, par exemple, est inférieure d’environ 7 ans à celle d’un professeur, voire de 12 ans si on la compare avec les classes les plus aisées de notre société.

(2) : Toujours Jérôme Fourquet, dans Le Point, 23 mars 2023.

(3) : Entretien avec Marcel Gauchet, dans le journal belge Le Soir, le 25 décembre 2018.


La susmulgation, pour en finir avec la réforme des retraites ?

Un nouveau mot commence à se murmurer dans les rangs des opposants mais aussi de quelques partisans effrayés de la réforme des retraites de Mme Borne : susmulgation ! Ce mot barbare cache en fait une réponse à l’impasse politique actuelle et ce qu’il recouvre a déjà été appliqué il y a un peu moins de vingt ans, en 2006, après l’adoption (sans acceptation…) et la promulgation du Contrat Première Embauche (CPE) défendu par le Premier ministre de l’époque Dominique de Villepin, puis plus récemment en 2020, comme le rappelle L’Opinion dans son édition des 17 et 18 mars derniers : ainsi, après cette adoption forcée du texte sur le CPE par le recours au 49.3 (décidément !), « si la loi est promulguée, son application est suspendue – on parle de « susmulgation » face à la bronca des jeunes. (…) Le 29 février 2020, Edouard Philippe met fin à l’obstruction des opposants à la réforme systémique des retraites. Le texte est adopté, mais son application est suspendue du fait de la crise sanitaire, puis abandonnée. » En somme, deux fois en moins de vingt ans, la susmulgation a envoyé deux textes importants aux oubliettes légales, parfois sans vraiment d’envie de la part de ceux qui les avaient prônés d’aller les y repêcher. Cela pourrait-il être le destin de la nouvelle (mais pas l’ultime) réforme sur les retraites ?

Pour cela, il y faudrait plusieurs conditions, pas encore réunies à ce jour : 1. Une contestation (dans les rues et dans les lieux d’études et de travail, principalement) si importante que le président de la République soit obligé de lâcher du lest envers une opinion publique et une France du Travail majoritairement hostiles au report de l’âge légal de départ à la retraite de 64 ans ; 2. Une remise à plat de la question et du débat sur les retraites et leur financement, voire du système même de solidarité intergénérationnelle et des formes d’épargne (individuelle ou « corporative ») susceptibles d’assurer un revenu aux populations sorties du « temps de l’emploi rémunéré » ; 3. Une situation économique qui renoue avec une certaine prospérité susceptible de dégager des marges de manœuvre financières et sociales…

La troisième condition ici évoquée est, avouons-le, peu probable dans l’immédiat, du fait de la guerre froide économique qui, aujourd’hui, caractérise la mondialisation (ou la bi-mondialisation en train de naître avec la guerre en Ukraine ?) et fragilise les positions françaises malgré les velléités de réindustrialisation de M. Le Maire : l’augmentation du nombre de défaillances d’entreprises en France ces derniers mois ; la persistance d’une inflation importante (en particulier sur les prix alimentaires) et les risques de pénuries énergétiques mais aussi la sécheresse hivernale qui n’annonce rien de bon pour le secteur de la production agricole cette année ; tout cela n’est guère favorable à la prospérité économique, même si cette mauvaise passe est surmontable ou, au moins un temps, supportable…

Restent les deux autres conditions : la première, celle d’une contestation sociale (et politique ?) triomphante ou, au moins, assez bruyante pour couvrir la voix de l’exécutif et gêner le travail législatif, n’est pas impossible mais est aussi la plus glissante si elle n’est pas ordonnée à un véritable projet politique, à une alternative crédible (fut-elle audacieuse), et si elle risque de dégénérer en poussée nihiliste qui nous rappelle la mise en garde de Maurras : « la politique du pire est la pire des politiques ». Les rues dévastées et les hôtels attaqués (comme à Rennes la semaine dernière), les poubelles enflammées (et fondues…) et les vitres des commerces brisées, rien de cela ne peut être bon quand les slogans qui les accompagnent participent d’un folklore extrémiste et d’une violence, non pas anarchiste mais anarchique. Pour autant, au-delà des désordres de la rue, il n’est pas impossible de penser que les risques d’une inflammation tournant à l’embrasement pourraient amener le Pouvoir à revoir sa position et à appliquer cette susmulgation de façon plus ou moins discrète, par exemple en annonçant un report de la promulgation ou de l’application du texte adopté (par défaut, en fait…) ces jours derniers. Cela peut se faire sous le couvert d’une nouvelle forme de « grand débat national » comme au sortir de la crise des Gilets jaunes, et qui valoriserait la deuxième condition que j’évoquais plus haut : une façon de sortir « par le haut » de la crise en renouant avec les différents acteurs sociaux (et, donc, remettre les corps intermédiaires en selle, alors que le président les snobe allégrement depuis sa première élection ?) ou directement avec les citoyens-électeurs, et de repopulariser, au moins en apparence sa présidence ?

Pour l’heure, les propos présidentiels de ce mercredi 22 mars ne sont guère apaisants et les soirées prochaines risquent d’être difficiles pour le repos des citadins des métropoles françaises, quand les journées seront occupées par les défilés incessants des protestataires (dont je suis sans partager forcément les couleurs, ayant les miennes qui sont, encore et toujours – et plus que jamais – fleurdelysées, couleurs que je ne cache nullement à mes voisins de promenade revendicative). Au-delà de cette révolte sociale sur le sujet du temps de travail, il paraît tout de même urgent de repenser la question sociale mais aussi les conditions économiques d’une prospérité qui, en créant de la valeur, peut favoriser un nouveau partage plus juste des fruits du labeur… Et si cela passait, d’abord, par le politique ? « Faites-nous de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis à François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe ; ce même baron Louis qui, déjà, avait avec la même philosophie redressé les finances de la France sous la Restauration, après 1814… Il n’est pas sûr que la République ait son baron Louis, mais il est de plus en plus certain que la République, au moins depuis une quarantaine d’années, ne fait pas cette « bonne politique » qui permettrait la prospérité et, au-delà, la justice sociale…



Jean-Philippe Chauvin

Les retraites ne sont pas solubles dans le 49.3 !

Ces derniers jours ont été bien agités dans les villes de France, et les slogans des manifestants n’ont pas suffi à étancher la colère qui, sur les lieux de travail ou de convivialité, s’exprime de façon de plus en plus imagée et, en définitive, de moins en moins tranquille : autant dire que le 49.3 a jeté une immense bassine d’huile sur un feu qui ne demandait qu’à se transformer en incendie ! Est-ce de la maladresse de la part d’un président qui paraît de plus en plus absent à la France ou du cynisme, une façon de provoquer une opinion publique qui, malgré les manifestations syndicales des dernières semaines, tendait pourtant à se résigner à cette mesure impopulaire du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans ?

Il est étonnant de constater que ce président qui emploie souvent le vocabulaire de l’audace et du courage se réfugie, à la fois craintif et arrogant, derrière un article qui, tout constitutionnel et démocratique qu’il soit, n’en reste pas moins, dans le cas présent, comme un soufflet aux parlementaires, à ce pays légal (de l’Assemblée nationale mais aussi du Sénat) qui d’ordinaire se plie aux apparences de la dispute politique au sein des assemblées et sur les plateaux de télévision et qui, aujourd’hui, se trouve frustré par le Chef de l’Etat de son occupation principale : car, que reste-t-il aux parlementaires d’opposition, par exemple, si ce n’est la seule voie du courage suicidaire ? Si la motion de censure la plus réaliste (1), celle des centristes, réussissait à renverser le gouvernement d’une Madame Borne déjà condamnée au départ prochain, l’Assemblée nationale serait immédiatement dissoute et de nouvelles élections législatives, si l’on en croit les derniers sondages, ne changeraient pas fondamentalement les équilibres actuels, au risque de verser un peu plus dans une sorte de retour à feue la Quatrième République et, donc, à une ingouvernabilité qui serait la pire des politiques pour une France qui, en fait, a besoin d’une direction claire, affirmée et, surtout, volontaire et indépendante, en un mot : souveraine !

En fait, à moins d’une grande surprise (2), le gouvernement ne tombera pas, et la réforme des retraites de 2023, qui entrera alors en vigueur dès cette année, n’est que le prélude à celle de 2027 (déjà annoncée par quelques prétendants au siège élyséen et voulue par les instances européennes comme par les milieux financiers) destinée à aligner l’âge légal de départ à la retraite sur les recommandations de la Commission européenne (3), soit 67 ans…

Alors, que faire ? Il m’apparaît nécessaire de continuer à dénoncer un report désormais toujours plus loin de l’âge de départ à la retraite, particulièrement injuste pour les classes laborieuses (au sens fort du qualificatif) et populaires, ouvrières, paysannes et d’employés, sans négliger néanmoins que certains peuvent vouloir poursuivre leur profession au-delà de l’âge légal de départ à la retraite et qu’il faut aussi leur ouvrir cette possibilité : un peu de souplesse dans le système d’accès à la retraite est évidemment nécessaire, ce que la réforme Borne, mal ficelée et fort incomplète en plus de ne pas être socialement juste, n’évoque même pas, preuve de son caractère purement technocratique et financier… Mais il faut aller plus loin dans la réaction et rappeler qu’il ne pourra y avoir de pérennité du système de retraites par répartition que s’il s’accompagne d’autres formes d’épargne en prévision du temps de l’après-travail, qu’elles soient corporatives ou socio-professionnelles (cela existe déjà pour certains secteurs d’activité et professions, et parfois depuis fort longtemps), ou qu’elles soient constituées par une « épargne sur les bénéfices des entreprises », dont les formes peuvent varier selon le moment ou l’activité, et selon les profits réalisés eux-mêmes. De plus, il y a trois éléments qu’il ne faut pas négliger pour équilibrer le système de solidarité intergénérationnelle (qui, d’ailleurs, doit fonctionner dans les deux sens et sur des synergies entre générations, entre autres) : 1. Une politique démographique qu’il n’est pas abusif de qualifier de nataliste ; 2. Une politique de l’emploi destinée à garantir, autant que faire se peut, une continuité de celui-ci durant le temps professionnel, y compris pour les travailleurs âgés (je rappelle que ce qualificatif d’âge ne s’applique pas forcément de la même manière selon la profession et la charge de travail, mais aussi selon les forces physiques et la santé des personnes : un ouvrier du bâtiment vieillit plus vite qu’un professeur d’université, en général) ; 3. Une politique de création de valeur (de richesses, si l’on préfère) qui peut être soutenue par une stratégie d’incitation et d’impulsion de l’Etat, et qui doit permettre aux entreprises, quelles que soient leur taille et leur puissance, de valoriser leur activité et d’exploiter intelligemment les atouts français (espaces ; potentialités énergétiques, agricoles ou industrielles ; savoir-faire et matière grise, etc.).

La République actuelle peut-elle mener cette politique sociale juste et nécessaire dont le pays et ses habitants ont besoin pour envisager l’avenir sans le poids trop lourd de l’inquiétude ? Au regard des blocages qu’elle semble se créer elle-même, il est logique de douter de ses capacités… A bien y regarder, cette crise sociale et désormais politique (mais ne l’a-t-elle pas toujours été, en fait ?) peut être l’occasion de réfléchir sur les institutions politiques elles-mêmes et leur rapport avec le monde du travail, rapport qui, pour être constructif et crédible, doit largement reposer sur une bonne compréhension de la justice sociale et sur la concertation permanente avec les corps sociaux productifs, partie prenante d’une économie dont ils sont aussi les acteurs incontournables…




Jean-Philippe Chauvin


Notes : (1) : Quand j’écris que la motion de censure présentée par les centristes est la plus réaliste, cela ne signifie pas qu’elle soit la plus satisfaisante mais qu’elle est simplement en mesure de rassembler des voix de tous les bords de l’Assemblée sans être accusée de servir les intérêts des uns ou des autres et, donc, qu’ de mobiliser le maximum des voix possible et nécessaire pour arriver à ses fins, communes à des groupes politiques qui, d’ordinaire, se détestent et s’excommunient rageusement les uns les autres…

(2) : Qui sait ? Après tout, n’est-il pas bien connu que « le désespoir en politique est une sottise absolue » ?

(3) : Depuis janvier 2011, la Commission européenne recommande de retarder l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, et certains pays ont déjà cédé à cette insistante demande, et cela même s’ils étaient dirigés par des partis de gauche, voire de gauche dite radicale : en Espagne, pour 2027 ; au Portugal, c’est 66 ans et 7 mois, mais avec une possibilité d’élévation prochaine en fonction de l’espérance de vie des retraités eux-mêmes ; en Italie, en Allemagne, en Belgique, c’est aussi officiellement 67 ans, à plus ou moins long terme…







Vers une nation paysanne ?

La France n’est plus un pays agricole, avec moins de 500.000 exploitants agricoles, mais peut-elle redevenir une « nation paysanne » ? Il ne s’agit pas de prôner un hypothétique retour à la terre, mais de penser le rapport du pays au monde des campagnes.
Loin de toute démagogie et de tout idéalisme, quelques propositions royalistes pour un nouvel enracinement paysan français, sans oublier que l’État, lui, reste un État urbain.


La France, vers une nation paysanne ?

Chaque année à la fin de l’hiver, la France se rappelle, quelques jours, qu’elle a été une grande nation paysanne, d’abord paysanne : c’est le Salon de l’Agriculture qui est l’occasion de ce rappel, de ce souvenir, de cette nostalgie même. Mais c’est aussi le temps des discours convenus des politiques et des officiels du Pays légal, qui viennent caresser les bêtes et leurs éleveurs dans le sens du poil, et qui les oublient la semaine suivante et toutes les autres, sauf, étrangement, en période électorale. De toute façon, le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer, et leur poids électoral avec : quand certaines communes bretonnes ne comptent plus un seul agriculteur en activité, que les néo-ruraux imposent leur mode de vie aux campagnes quand les résidences et les lotissements ont remplacé les près et les champs, comment les agriculteurs peuvent-ils se faire entendre et être entendus ? Il y a plus de noms de paysans sur les monuments aux morts de nos villages que dans les registres des Chambres d’agriculture et du Ministère de la même fonction… C’est d’ailleurs la guerre, et plus exactement la Grande, celle de 1914-1918, qui a désarmé, démographiquement parlant, le monde agricole et, au-delà, le monde rural, quand la société de consommation des Trente Glorieuses (les mal nommées, sans doute) va leur porter le coup de grâce ou, plus exactement, de disgrâce.

Aujourd’hui, la France compte environ 500.000 agriculteurs, ce qui représente 1,4 % de la population active, quand cette part était encore de 2,6 % (près du double) il y a vingt ans ; le nombre d’exploitations agricoles reconnues comme telles, lui, est passé en cinquante ans, de 1.588.000 (1970) à moins de 390.000 aujourd’hui… Ce processus d’effacement démographique de la population agricole n’est, semble-t-il, pas fini, et je me souviens que, dans un manuel de Géographie de 1ère il y a quelques années, il était expliqué que le nombre de 600.000 exploitants agricoles (à l’époque) était encore trop élevé au regard de l’objectif de 200.000 que le professeur narrateur considérait, à le lire, comme idéal : en fait, c’est bien l’objectif de la bureau-technocratie, qu’elle soit européenne ou parisienne, d’atteindre un tel chiffre dérisoire qui ferait de ce monde agricole une simple activité économique sans véritable enracinement ni visibilité humaine ou démographique. Une invisibilisation programmée en somme, pour effacer le mauvais souvenir pour la République d’un monde trop réactif ou trop rétif à ses commandements, comme l’histoire l’a abondamment prouvée depuis la Révolution française, de la réaction vendéenne de 1793 face à la levée en masse destinée à envoyer les jeunes paysans de l’Ouest faire la guerre loin de chez eux (ce que la Monarchie royale avait largement évité, malgré un tirage au sort léger mais toujours impopulaire) à la révolte des Bonnets rouges en 2013 ou à la résistance paysanne au projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en plein bocage !

Pourtant, la France a tous les atouts pour rester ou, plutôt, redevenir une nation paysanne. Ne nous méprenons pas sur le sens de ce propos, mais précisons-le, justement pour éviter tout malentendu : la France, comme Etat, s’est construite par l’action royale puis républicaine à partir des villes, Paris (ou Versailles au XVIIIe siècle) en étant le cœur, et, en cela, la France est une construction historique urbaine, comme l’était avant elle la plupart des grands Etats de l’Antiquité, d’Athènes à Rome ou à Constantinople. Mais la nation française, comme être sensible de l’histoire (fondé par celle-ci depuis le Moyen âge), est éminemment paysanne dans ses racines et son âme, dans son rapport à la vie longue de la société… C’est ce qui, longtemps, lui a permis de vivre et de survivre dans les moments les plus durs et malgré les malheurs, et pas seulement sur le plan nourricier : les campagnes ont été le lieu des sociabilités enracinées qui, sans se soucier de l’Etat (juste aperçu par les populations rurales à travers le profil des pièces de monnaie ou perçu, pas toujours positivement, à travers le percepteur) de la capitale (parfois itinérante, avant le temps de Versailles et de Paris), ont incarné la pluralité française, cette marqueterie de particularités dont l’Etat royal incarnait jadis l’unité sans se sentir obligé de tout repeindre d’uniformité…

Comment renouer avec cet esprit de nation paysanne ? Il ne s’agit pas d’obliger à un retour autoritaire à la terre, dont on comprend aisément les limites et les risques, comme l’a montré à l’envi la terrible expérience chinoise des années 1960 ; le fait de marteler « nation paysanne, nation paysanne… » suivant la méthode Coué n’est pas non plus souhaitable ni efficace ! En fait, c’est une politique d’Etat qui doit permettre d’atteindre cet objectif et d’assumer cet esprit sans tomber dans une forme d’exclusivisme qui oublierait la ville comme aujourd’hui la République oublie ou, au mieux, néglige le monde paysan.

L’Etat peut (doit, même !) favoriser ce que les royalistes qualifient de « redéploiement rural » : ce n’est pas la rurbanisation (1), bien au contraire, mais une intégration active des populations venues des villes dans les lieux et les fonctions des campagnes, sans en négliger la mémoire et le patrimoine bâti comme historique et spirituel. Cela doit s’accompagner d’une revitalisation de la petite et moyenne agriculture, par des aides à l’installation et la mise à disposition de nouveaux « communs », gérés par la commune ou par la Chambre d’agriculture locale, voire par une organisation syndicale agricole (2) ; une promotion des métiers de la terre (et pas seulement de production agricole) dès l’école primaire (en complément d’un éveil à la nature et aux enjeux environnementaux dès les premiers jours d’école maternelle) et avec une valorisation de ceux-ci tout au long du cycle scolaire jusqu’aux classes préparatoires ; une évocation plus affirmée dans les programmes scolaires de l’histoire rurale de la France (histoire des techniques agricoles, des communautés paysannes, de leurs cultures particulières, etc.), histoire aujourd’hui absente (ou très discrète…) dans les programmes et les manuels scolaires ; une mise en place de stages de travaux agricoles pour les élèves de lycées et de classes préparatoires, voire un « service civique et social agricole » en complément du Service National Universel, par exemple ; etc.

Dans un monde globalisé dominé par une métropolisation triomphante à défaut d’être mesurée et équilibrée, il importe que l’Etat reprenne sa place de serviteur des populations dont il a la charge, héritage de l’histoire et devoir de service obligent, et qu’il soutienne cet effort pour refaire de la France une nation qui, sans être esclave de la terre, des usages et des travaux de celle-ci, reconnaisse en chaque habitant du pays un héritier conscient et enraciné, et non un simple électeur nomade balloté au gré des besoins de l’économie mondiale et des promesses électorales…



Jean-Philippe Chauvin




Notes : (1) : La rurbanisation est l’inverse même de l’esprit de nation paysanne et du redéploiement rural : elle est, en fait, l’imposition du mode de vie urbain et de la société de consommation de celui-ci au monde des campagnes, et une forme de volonté de domination des nouveaux venus sur un monde rural qui les précédait, sans beaucoup d’égards pour lui. La rurbanisation « remplit » les communes rurales mais elle ne les fait pas vraiment vivre : les rurbains préfèrent faire leurs courses à la ville voisine, dans les centres commerciaux plutôt que d’aller acheter ou manger dans les commerces et cafés-restaurants de la commune dans laquelle ils se sont installés… En fait, ils ne sentent pas obligés de s’intégrer à la commune d’accueil, mais sont très soucieux de leurs droits, parfois au détriment des traditions et des usages locaux, et ils ne supportent pas, le plus souvent, les contraintes ou les cycles de la vie à la campagne…

(2) : Je rappelle qu’il s’agit ici de propositions qui peuvent être discutées, complétées ou critiquées, pourvu que des arguments crédibles soient avancés…

J’ai vu « Vaincre ou mourir »

Enfin un film sur les Guerres de Vendée, pourrions-nous dire. Un film français qui met en exergue des héros de notre histoire, ce n’est pas vraiment ce qui court les salles obscures du monde cinématographique « français » républicain. On se souvient du film de Luc Besson traitant d’une grande héroïne de notre histoire, et pas des moindres, puisqu’il s’agissait de notre très Sainte Jeanne d’Arc. Ce film, qui date déjà de 1999, est un véritable navet grotesque qui s’acharne à faire ce que les Anglais n’avaient su faire à cette époque, à savoir, rendre folle notre Sainte héroïne. Héroïne incarnée par l’hystérique Milla Jovovitch. Bref ! Une vraie bouse insultant notre histoire et notre religion, mais qu’attendre de plus de la part d’un anti-français comme Besson ?

Avec « Vaincre ou mourir » c’est doublement surprenant. Car, non seulement il s’agit d’un film retraçant d’une manière assez fidèle, les péripéties d’un de nos grands héros de notre histoire, mais qui plus est, un héros en lutte contre les forces révolutionnaires, et donc par extension, contre la république ! Double crime au regard du monde moderne républicain, américanisé et wokiste !

Sortie le 25 janvier, ce film a déjà fait l’objet de quelques critiques dans les colonnes (infernales) du « journal » Libération. C’est une certaine Elisabeth Franck-Dumas, journaliste de ce torchon, qui nous a fait part de son incroyable maîtrise de la bêtise et de l’ignorance. Les républicains de Libération sont exaspérés par l’existence même de ce film, qui représente à leurs yeux tout ce qu’ils détestent le plus au monde : la France ! En tant que royaliste, il était donc tout naturel pour ma part que j’aille voir ce film qui suscite autant de dégoût chez l’anti-France, mais surtout parce qu’il s’agit du général Charette.

« Vaincre ou mourir » est la première production de « Puy du Fou Films » avec pour réalisateurs Paul Mignot et Vincent Mottez (Vinsorus) pour ceux qui ont connu… On comprend déjà mieux l’origine de l’existence même de ce film. Le parc du Puy du Fou qui est déjà à lui seul une véritable vitrine à la gloire de notre histoire mais aussi, en partie, de la contre-révolution ! Après le parc, voici qu’arrive maintenant un film ! De quoi donner la jaunisse à nos chers républicains…

Au premier abord, la présence de quelques acteurs m’avait un peu gêné, entre autres, l’acteur Jean-Hugues Anglade qui n’est pas vraiment réputé pour son côté patriote ! C’est peut-être pour cela d’ailleurs qu’ils l’ont cantonné à jouer le rôle du conventionnel Albert Ruelle (1754-1805) chargé de diriger la lutte contre les Vendéens.

Néanmoins, je paie mon billet comme tout le monde et m’installe sur un strapontin du cinéma. Le film commence par une intervention de l’historien Reynald Secher. Oui ! Celui qui, de par ses travaux, a mis en évidence le fait que ce qui s’était passé en Vendée durant la révolution, relevait du génocide ! Ça commence bien ! Je comprends mieux pourquoi cette chère Elisabeth Franck-Dumas s’est sentie dans l’obligation de nous pondre une incroyable analyse digne d’une télé-réalité.

Sans vouloir divulguer le contenu du film, par respect pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, voici quelles sont mes impressions. Certes, c’est un film qui dispose malheureusement de beaucoup moins de moyens que le « Jeanne d’Arc » de Besson. Cela se ressent quelque peu, mais dans l’ensemble, c’est une jouissance ! Voir un film au cinéma, avec des drapeaux « Pour Dieu et le Roi », entendre Charette dire à ses hommes, tous flanqués d’un sacré-coeur : « Nous sommes le dernier rempart d’un royaume de mille ans » chose qui caractérise toujours les Royalistes d’aujourd’hui. Voir enfin, le vrai visage des armées républicaines de cette époque, leur férocité dans le carnage et leur fanatisme ! Ça change des récits imaginaires de l’Éducation dite « Nationale » sur ce sujet.

Dans ce film, les répliques du général Charette sont assez percutantes, même si l’acteur a tendance à s’exprimer sur un ton uniforme. Dommage quand même de lui avoir fait dire que nous étions la jeunesse du « monde » ! Dans la citation d’origine, il dit à ses hommes que nous sommes la jeunesse de Dieu, et pas celle du monde, ce qui religieusement fait toute la différence ! Jean-Hugues Anglade tient la route dans son rôle, les autres acteurs aussi. Les scènes de combat sont assez bien réalisées dans l’ensemble.

Bref ! C’est un film qu’il faut impérativement aller voir, ne serait-ce pour s’abreuver du courage et du sacrifice consenti de la part de tous ces combattants contre-révolutionnaires. Cela fait du bien de voir un film qui fait la part belle au panache français et au sens de l’honneur, dans un monde qui est l’aboutissement des idéaux révolutionnaires. Un grand merci à toute l’équipe du Puy du Fou pour tout ce travail. Espérons que « Vaincre ou mourir » n’est que le premier d’une longue série à la gloire de notre histoire et de nos glorieux ancêtres.

Plus que jamais, aujourd’hui comme en 1793, pour Dieu, la France et le Roi !

P-P Blancher

Non au report de l’âge légal de retraite.

Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, annoncé mardi soir par Mme Borne, n’est qu’une étape avant un report vers un âge encore plus élevé, comme le suggèrent déjà les journalistes économiques sur les ondes radiophoniques, en attendant qu’ils l’écrivent, une fois de plus et noir sur blanc, dans leurs éditoriaux des jours prochains. Déjà, la scénographie syndicale se prépare, à grands renforts de manifestations, de slogans, de calicots couleur fluo, et la Gauche, celle-là même qui a préparé les 43 ans de cotisation pour avoir une retraite à taux plein (réforme Touraine, sous le quinquennat de M. Hollande), monte sur ses grands chevaux, son amnésie en bandoulière et son hypocrisie en oriflamme : triste spectacle d’un pays légal qui dévalorise la parole politique pour quelques pourboires électoraux. J’avoue avoir plus d’estime pour un Laurent Berger, syndicaliste dont je ne partage pas forcément les préjugés et les timidités dans l’action, que pour un Olivier Faure, apparatchik d’un parti sans colonne vertébrale et sans honneur, mais je ne méconnais pas non plus les insuffisances et la démagogie de syndicats qui, trop souvent, ont été les supplétifs d’un système socio-économique qu’ils partageaient avec les classes gouvernantes tout en faisant semblant de le contester. Dès les années 1900-1920, Georges Valois, promoteur d’un débat prometteur mais inachevé entre les syndicalistes ouvriers et les royalistes sociaux (1), dénonçait les faux-semblants d’un syndicalisme devenu quasiment officiel et régimiste au risque de s’interdire de repenser les bases du Travail et les conditions de son organisation. Il en est ainsi aujourd’hui, et c’est fort regrettable. Cela signifie-t-il qu’il faille se détourner totalement des syndicats et de leurs initiatives quand le combat social s’engage ? Non, je ne le pense pas, et je suis partisan d’un certain pragmatisme politique en ce domaine.

Soyons clair : je refuse toute démagogie, et toute contestation, si elle veut être crédible, doit être argumentée et, mieux encore, constructive. Dans le combat qui s’engage à nouveau, plus encore que les slogans, ce sont les propositions qui pourront crédibiliser l’opposition au report de l’âge de départ à la retraite, et il ne sera pas inutile de les porter, d’une manière ou d’une autre, au sein des cortèges syndicaux ou des coordinations professionnelles (un journaliste les qualifiait l’autre jour de « corporatives », ce qui n’est pas totalement faux au regard de la définition même de ce qu’était une corporation…), ou dans les discussions et débats que ne manqueront pas de soulever les projets de Mme Borne.

Les syndicats seront-ils ainsi capables de motiver une contestation qui soit capable d’aller au-delà d’elle-même ? Leurs échecs récents et leur perte de crédit dans le monde du Travail lui-même peuvent nous inciter à la prudence, et il faudra sans doute, non se passer d’eux complètement mais savoir les « déborder » : non par l’outrance mais par l’espérance (2) ; par la force des convictions et celle des propositions. C’est ce que je vais essayer d’initier ici, en tant que royaliste social soucieux de réfléchir aux conditions nécessaires à l’équilibre, à la justice et à l’avenir de la société française dans laquelle s’inscrit, en priorité, ma pensée et mon action.

Le refus d’un report de l’âge légal de départ à la retraite au-delà de 62 ans (limite qui, en soi, n’est pas inamovible, et qui peut elle-même, et selon les métiers et leurs contraintes, être discutée « à la baisse ») s’entend en priorité pour les professions liées au travail d’usine, du bâtiment, de la terre et du soin médical (entre autres, la liste précédente n’étant pas exhaustive), et à celles qui exposent au péril physique (fonctions de secours et de lutte contre le feu et les catastrophes, maintien de la sécurité publique, etc.). Ce refus ne doit pas, pour autant, prendre la forme d’une interdiction : qui veut poursuivre son activité professionnelle au-delà de l’âge légal de départ à la retraite doit, après examen médical et entretien de motivation dans certains cas, pouvoir le faire et être assuré d’être accepté au sein de l’entreprise ou de l’organisme d’origine, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, d’ailleurs. Mais obliger des travailleurs à poursuivre leur activité professionnelle au-delà de leurs propres limites physiques et mentales parce que la loi y oblige en âge ou en trimestres travaillés, voilà qui paraît bien peu social et qui risque, à rebours de toute velléité d’amélioration des conditions de travail et de vie, d’amplifier le sentiment d’amertume et de ressentiment qui, désormais, semble parcourir la société toute entière, de part en part. Si les conditions de « l’acceptabilité sociale » ne sont plus réunies, il est fort à parier que le mal-être sensible aujourd’hui dans notre pays n’en sera que plus fort et, à terme, plus dangereux pour l’unité même de la nation : les risques d’une « sécession multiple » des catégories les plus affectées par la conjoncture économique actuelle et par des mesures gouvernementales déconnectées des réalités sociales humaines sont bien réelles, et le soulèvement des Gilets jaunes de l’automne 2018 nous rappelle que l’injustice sociale, quand elle est trop criante, porte en elle la révolte comme la nuée porte l’orage, peut-on affirmer en plagiant Jaurès (3).


(à suivre)






Notes : (1) : Georges Valois eut un parcours politique et idéologique complexe, mais sa période royaliste (qui dura tout de même plus de vingt ans, jusqu’à sa rupture brutale avec l’Action Française en 1926…) fut d’une grande densité intellectuelle et d’une richesse conceptuelle et pratique sur laquelle il n’est pas interdit de se pencher et de réfléchir.

(2) : L’outrance se marque souvent par un activisme désordonné qui vise à déstabiliser le Pouvoir sans s’assurer de ce qui pourrait suivre quand l’espérance, elle, s’inscrit dans le temps long et cherche à fonder un nouveau rapport de forces ou, mieux encore, un nouvel ordre des choses, le premier visant, en fait, à promouvoir le second.

(3) : Le socialiste Jean Jaurès, lors d’un déplacement à Lyon le 25 juillet 1914, quelques jours avant d’être assassiné, déclare dans un discours resté célèbre (autant que lettre morte, d’ailleurs) : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! ». Une semaine après, la Grande Guerre faisait ses premières victimes…





Jean-Philippe Chauvin, royaliste social.

La retraite à 65 ans, avant celle à 67 ?

Les débats sur les retraites sont relancés et les hostilités sociales et politiques à nouveau engagées sur ce terrain délicat autant pour tout gouvernement que pour les organisations syndicales et les acteurs sociaux. Et là encore, la République actuelle se retrouve prisonnière de ses propres principes et de ses contradictions institutionnelles, montrant au passage son incapacité systémique à résoudre efficacement et justement la question sociale, jamais résolue (c’est une question éternellement renouvelée, en fait, de génération en génération…) mais question qu’il convient de prendre en compte pour éviter les deux maux extrêmes de l’injustice et de l’inefficacité.

Madame Borne, Premier ministre de son état, issue de la Gauche socialiste, s’avère être en première ligne (un propos sans doute à nuancer si le Président, comme il le fait ce dimanche dans Le Parisien, s’engage à son tour sur ce terrain pourtant périlleux pour lui) et dévoile, avant de l’officialiser le 15 décembre prochain, la réforme des retraites voulue et pensée officiellement par le Président de la République, sous le contrôle peu discret de la Commission européenne qui, régulièrement, appelle la France à « faire les réformes nécessaires » : cette dernière formule toute faite désigne en réalité les exigences de cette Union européenne si peu sociale que cela en est gênant, en particulier pour ceux qui pensent en termes de justice sociale et de bien commun (l’un étant peu dissociable de l’autre).

Quelques remarques préliminaires : la date choisie est-elle l’effet du hasard, ainsi posée à dix jours de la Nativité ? J’ai du mal à le croire, évidemment, et j’y vois, sinon une forme de provocation, du moins une tentative, peu fine, de profiter du relâchement programmé des fêtes pour passer en force sur un sujet clivant et particulièrement explosif. Bien sûr, nombre de débats, de tribunes, de colloques, voire de contestations, ont déjà eu lieu, et il serait faux de parler de nouveauté ou de surprise à la lecture des intentions et projets gouvernementaux. Durant la campagne présidentielle elle-même, le Président alors candidat à sa réélection a bien annoncé la couleur : le report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et, entre les deux tours, à 64 ans (mais avec l’objectif final de … 65 ans !). Qui n’était pas au courant qu’une fois réélu, il chercherait à tenir sa promesse de campagne en arguant qu’une majorité des électeurs avaient, dans le même temps que sa personne, avalisée cette mesure annoncée ? Personne n’a été pris en traître, pourra-t-il affirmer ! Certains diront qu’il néglige le fait que nombre de ses électeurs l’ont été juste de manière occasionnelle, pour écarter l’autre candidat, mais eux semblent oublier, ou méconnaître, que l’élection est, en plagiant Clemenceau à propos de la Révolution française, « un bloc »…

L’argument classique du gouvernement et des libéraux est de souligner le risque d’une sorte de faillite et de disparition du système de la retraite par répartition si les comptes ne sont pas consolidés : il est tout à fait vrai que le coût du financement des retraites ne cesse d’augmenter, du fait de l’élévation (heureuse) de l’espérance de vie des Français, de la baisse (moins heureuse et plutôt malvenue aujourd’hui) de la natalité et, donc, de la proportion trop faible désormais de personnes en activité professionnelle abondant les caisses des retraites (1,6 cotisant environ pour 1 retraité quand c’était 4 pour 1 après la Seconde Guerre mondiale) mais aussi d’un taux de chômage qui reste encore préoccupant quand, de plus, les emplois précaires (donc rapportant beaucoup moins aux finances de l’État) sont en nette augmentation, confortant une sorte de précariat désormais constitutif de notre économie contemporaine nationale. Aussi, aborder la question des retraites sous le seul angle d’une mesure d’âge et, en l’occurrence, du report de l’âge de départ à la retraite, est une erreur flagrante pour tout État digne de ce nom : il n’y a donc pas une, mais un ensemble de réponses et de propositions qu’il faut penser, valoriser et pratiquer, sans oublier la complexité des nécessités, des activités et des vœux de la société française et de ses éléments.

Pour en revenir au report de l’âge de la retraite à 65 ans, il n’est qu’une étape avant un report à 67 ans, mesure préconisée depuis 2011 par la Commission européenne et qui a déjà été étendue (ou en voie de l’être) à nombre de pays de l’Union européenne, en particulier (au-delà de l’Allemagne promotrice de cette politique et à l’origine de la préconisation de l’UE) à ceux sur lesquels ladite Commission pouvait faire pression en raison de leurs difficultés économiques et de leur dépendance au système monétaire européen, c’est-à-dire à l’euro, « monnaie unique » aux règles parfois iniques : la Grèce, l’Italie par exemple, le Portugal étant sur la même voie avec une retraite à 66 ans et 7 mois. D’autres pays, ceux-là considérés comme « riches », ont déjà mis cette mesure en place : l’Allemagne déjà évoquée, le Danemark, quand les Pays-Bas sont à 66 ans et 7 mois, mais les raisons ne sont pas liées aux difficultés économiques mais bien plutôt aux problèmes démographiques de renouvellement de la population active et à une culture protestante plus « franklinienne ». En tout cas, la majorité des États de l’Union européenne ont déjà adopté (ou sont restés à) un départ à la retraite à 65 ans, sachant que, là encore, la Commission européenne prévoit que ce n’est qu’une mesure d’étape et non une décision définitive !

Certains m’accuseront d’exagérer, j’en suis bien certain, et évoqueront un pessimisme social sans fondement. Alors, évoquons, en historien du « social », le cas si révélateur de la Pologne, pour illustrer mon propos précédent. En 2012, pour suivre les recommandations de la Commission, le gouvernement libéral de Donald Tusk a reculé l’âge de départ à la retraite à 67 ans (elle était fixée auparavant à 65 ans, comme le veut M. Macron aujourd’hui pour la France), en une réforme fort impopulaire dans un pays qui avait, contrairement à tant d’autres en Europe, échappé aux effets de la crise de 2008. Cela provoqua un très fort mécontentement des Polonais et entraîna bientôt le retour des conservateurs-catholiques au pouvoir qui, en 2017, ramenèrent l’âge de départ à la retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes ! Donald Tusk, lui, fut recyclé dès 2014 (et jusqu’en 2019) par les instances de l’Union à la présidence du Conseil européen, sans doute en remerciement des services rendus à la « cause »… Mais quand la Pologne « revint en arrière » (selon l’expression en cours dans les couloirs de la Commission européenne), elle dût faire face à une véritable offensive de l’UE contre sa nouvelle réforme des retraites, avec deux arguments « européens » qui se voulaient alors définitifs : d’une part, cette réforme allait entraîner un effondrement de l’économie polonaise (effondrement qui, en fait, n’eut pas lieu…) ; d’autre part, elle contrevenait à l’égalité hommes-femmes en permettant à celles-ci de partir 5 ans avant les hommes, et l’UE commença d’évoquer des sanctions contre la Pologne pour cette dernière raison jugée discriminatoire, du moins jusqu’au moment où l’Autriche fit remarquer qu’elle aussi avait mise en place cette mesure « inégalitaire » ! La Commission européenne, vaincue, se contenta alors de grommeler sans insister mais en cherchant à discréditer cette mesure en l’accusant de… renvoyer les femmes à la maison !

Cet exemple, peu évoqué par les médias français et européens, montre en fait les véritables intentions de la Commission européenne et celles qui animent, sans doute, la plupart des ministres européistes français et leur président, « européiste en chef ». En s’opposant aujourd’hui en France au passage de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, on s’oppose en fait à la retraite légale à 67 ans voulue par la Commission.




Jean-Philippe Chauvin