Penseurs & doctrinaires

Le corporatisme raisonné de La Tour du Pin (1)

Le 4 décembre 1924 décédait René de La Tour du Pin, théoricien du Royalisme social et du Corporatisme français. 101 ans après, il reste à lire, à relire, parfois à découvrir : son œuvre est un continent !

Il y a un an se tenait à Paris un colloque co-organisé par le Groupe d’Action Royaliste. Nous publions ici la première partie du texte de l’intervention de Jean-Philippe Chauvin sur le corporatisme raisonné de La Tour du Pin.



Le corporatisme raisonné de La Tour du Pin.


Un aveu, tout d’abord : quand j’ai appris qu’il y avait la possibilité de faire un hommage sous la forme d’un colloque à René de La Tour du Pin, j’en ai été ravi, et en même temps, un peu effrayé. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il y a peu d’études qui ont été écrites ces dernières années sur La Tour du Pin. A ma connaissance, la dernière a été publiée en 2017 (1)… René de La Tour du Pin, « le très ignoré La Tour du Pin », selon Edmond Michelet, le ministre du général de Gaulle : ce n’est que trop vrai, malheureusement, et on le voit justement par cette faiblesse historiographique qu’il serait bon de corriger dans les années prochaines.

La Tour du Pin, c’est un personnage et c’est une écriture d’une très grande richesse. Personnage riche au niveau de la pensée, particulièrement économique et sociale, et parfois tellement complexe qu’il faut souvent s’y reprendre à deux fois avant d’en saisir tout le sens et toute la portée. Une petite anecdote révélatrice, à ce sujet : il y a quelques jours, l’on me demande, pour faire un « visu » du centenaire de sa mort, une citation pas trop longue de La Tour du Pin. En fait, je n’en ai pas trouvée, tout simplement parce que les citations de La Tour du Pin ne sont pas des slogans, ni même des éléments de communication : ils sont d’abord des éléments de réflexion. Donc, il m’a fallu prendre quelques unes de ses phrases, les triturer, en faire une espèce de résumé, mais ce n’était qu’un résumé. La pensée de La Tour du Pin ne peut se réduire à quelques slogans, ni en quelques citations. Aussi, le thème que je vais aborder maintenant, en quelques phrases, c’est La Tour du Pin et le corporatisme. Soyons clairs : ce terme de corporatisme n’a pas très bonne presse aujourd’hui. Là encore, une anecdote : Mme Amélie de Montchalin, lors d’une conférence à laquelle j’assistais et qu’elle donnait au lycée Hoche de Versailles à la fin novembre, qui a été ministre (2), puis représentante permanente de la France à l’OCDE, a évoqué son refus, net, du corporatisme comme si c’était quelque chose d’extrêmement négatif, sans sursis aucun. Un refus définitif sans que le corporatisme soit simplement défini… C’est-à-dire que le corporatisme apparaît aujourd’hui comme un repoussoir sans même qu’on prenne le temps de le définir. C’est désormais un discours récurrent dans les cercles politiques comme économiques. Il y a quelques années, un universitaire états-unien, Steven L. Kaplan, s’était amusé de voir que le corporatisme semblait cumuler tous les maux économiques et sociaux de nos sociétés, et que lorsqu’il fallait dénoncer une revendication même légitime, on la taxait de corporatisme. Qui veut tuer son adversaire pourrait le taxer de corporatisme, au moins sur le plan social ou économique ! Et ce terme est réapparu encore lors des dernières grèves où ceux qui condamnaient ces grèves évoquaient des réflexes corporatistes. Or, Steven L. Kaplan montre que le mot corporatisme, en définitive, qui renvoie aux anciennes corporations, est un mot qui cache plusieurs types de réalités et ne mérite pas tant d’indignité (3)…

Tout d’abord, le corporatisme de la Tour du Pin n’est pas l’étatisme ou le « statocorporatisme » qu’on va pouvoir trouver dans certains pays qui se réclament du mot mais déforment le fait comme la définition. Alors, de quoi parle-t-on en définitive quand on parle du corporatisme de la Tour du Pin ou du corporatisme en France ? D’abord, il faut faire un détour par l’histoire sociale et économique de notre pays et tenter de définir, en quelques mots, ce que furent les corporations de l’Ancien Régime, ou sous l’Ancien Régime plus exactement. Pour commencer, le terme corporation lui-même est apparu très tardivement, au moment où ce qu’il est censé désigner est menacé de disparition ou d’abolition. Les premières occurrences du mot, c’est à la veille même des mesures de Turgot qui visent à abolir ces corporations. Auparavant, on emploie plutôt le terme de métier, de guilde, de jurande ou tout autre terme qui signifie en fait une sorte d’union au sein des professions, au sein des métiers. Cela peut être des métiers du cuir, des métiers de bouche, etc : c’est très différent selon les endroits. Et historiquement, ces corporations sont nées d’une manière spontanée, au milieu du Moyen âge ; puis, il y a eu des réorganisations à l’époque de Saint-Louis, à l’époque de Colbert qui les ont rendues plus efficaces dans certains cas. Et puis, évidemment, il y a une première abolition par le ministre libéral Turgot, en 1776, qui dissout brutalement les corporations, par idéologie mais aussi surtout pour récupérer le patrimoine de celles-ci (loin d’être négligeable) sans avoir à en répondre à qui que ce soit. Mais elles vont être restaurées par la signature de Louis XVI, qui évoque alors la nécessité de préservation des ouvriers.

En fait, la deuxième fois sera la « bonne » (sic), d’une certaine manière. Ce n’est pas en 1789, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, que les corporations vont être abolies mais en 1791, à travers deux lois, l’une qui est d’abord un décret puis l’autre une loi pleine et entière : le décret d’Allarde de mars 1791 devenu loi d’Allarde, du nom d’un baron qui a toujours fait de très mauvaises affaires dans le commerce, puisqu’il sera ruiné sous la Révolution, puis à nouveau sous Napoléon, et la loi Le Chapelier, en juin. Le décret d’Allarde abolit les corporations, et le décret Le Chapelier interdit ensuite toute association ouvrière, toute grève, toute coalition qui serait alors une atteinte à la sacro-sainte Liberté du travail, qui n’est guère celle des travailleurs1791 date d’une certaine manière la naissance du prolétariat, c’est-à-dire le prolétariat comme condition d’ouvriers, de travailleurs qui n’ont plus la maîtrise de leur métier, de leurs outils, quand c’est désormais le capital (l’argent) qui domine et qui organise à sa façon le monde du travail sans tenir compte du sort des travailleurs eux-mêmes, considérés comme une simple main-d’oeuvre taillable et corvéable à merci. Alors, dans le courant contre-révolutionnaire des décennies suivantes, il y a d’abord ce refus de 1789. Mais 1791, cela semble moins simple à contester, et la Restauration et les monarchies qui suivront ne vont pas restaurer en tant que telles les corporations, ni remettre en cause les lois d’Allarde et Le Chapelier. Et cela même si le roi Louis XVIII les contourne avec la loi de sacralisation du Dimanche en 1814 pour rétablir un repos dominical supprimé par la Révolution, par exemple, tandis que le préfet Villeneuve-Bargemont, préfet de Charles X, évoque (et milite pour) la restauration souhaitable des corporations.

(à suivre)




Notes : (1) : Abel Rivener, En relisant René de La Tour du Pin, éditions Dominique Martin Morin, 2017.

(2) : Au moment du colloque sur La Tour du Pin, Amélie de Montchalin était ancienne ministre : quelques jours après, elle rentrait dans le gouvernement Bayrou, en tant que ministre chargée des Comptes publics.

(3) : Les premières pages du livre de Steven L. Kaplan intitulé « La fin des corporations » rappellent quelques préjugés fréquents sur le terme de corporatisme, et en souligne le peu de pertinence…


René de la Tour du Pin, théoricien royaliste.

Il y a un siècle, le 4 décembre 1924, s’éteignait le marquis René de La Tour du Pin. Catholique fervent et royaliste non moins fidèle, La Tour du Pin a lutté à la fois contre le capitalisme libéral et contre le socialisme marxiste : il a souhaité la concorde sociale et milité pour le respect des travailleurs et la dignité du travail sans céder aux facilités de la démagogie ou de la posture activiste. Il a dénoncé le système économique capitaliste dont il disait qu’il était « la souveraineté de l’argent ». Son espérance s’incarnait dans la Monarchie fédérative et sociale par essence.
Cent ans après sa disparition, un colloque lui sera consacré samedi 7 décembre, à Paris.

Bernanos, pèlerin de l’absolu :

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Georges Bernanos, toujours et peut être aujourd’hui plus qu’hier, reste d’une redoutable actualité pour qui comprend, voit et analyse notre quotidien qu’une pente semble diriger vers le néant d’un nouvel ordre mondial, celui des numéros et des robots. Bernanos est un « chevalier », de ceux qui ne renoncent jamais et qui égrènent de leur présence, notre histoire, à la fois révolté mais fidèle aux promesses du baptême de notre France. Avec ceux qui arrivent à décrypter les pensées d’Orwell, d’Huxley jusqu’à Tolkien, nous voyons avec Bernanos, une ligne d’avertissements dans la défense de cette dentelle du rempart civilisationnelle qui, comme une peau de chagrin, est menacée par un « prêt à penser » totalitaire. Il nous reste le panache pour reprendre le flambeau de la résistance, comme nos grands Anciens pour l’éternité intemporelle de nos libertés.

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Histoire des libertés sociales :

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Depuis des années l’historiographie officielle, Gauche en tête, sous la complaisance servile d’une « droite » molle, maintient la légende d’une libération sociale, fruit d’années de lutte consommées par ses idées ! Les travaux de Maître Murat et d’autres permirent de remettre en lumière la réalité sur ces acquisitions sociales, que nous bénéficions aujourd’hui. Les grands noms comme les dates sont retranscrits et vérifiables pour tout esprit curieux, en quête de vérité. Le lecteur sera alors devant cette épopée, ces aventures d’une poignée d’hommes oubliés, parce que contraire à l’idéologie dominante du « prêt à penser ». Ils forment cette permanence historique de l’alliance entre l’aristocratie et le peuple nous venant du fond des âges. Cette étude représente une approche permettant de comprendre ce qui fait l’esprit Français et le sens communautaire qui permit de traverser les écueils des drames historiques comme de survivre aux idéologies mortifères qui nous gangrènent encore aujourd’hui. Notre passé est une base de travail afin de comprendre notre présent pour anticiper l’avenir et c’est nous, comme le disait Bernanos, qui faisons cette histoire.

Notre jour viendra !

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Bernanos, pèlerin de l’absolu :

Voici quelques lignes de Bernanos, pèlerin de l’absolu :

« Il n’est aujourd’hui qu’un seul problème, rendre aux hommes une signification spirituelle, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien » A. de Saint Exupéry, lettre au général X
« J’ignore pour qui j’écris, mais je sais pourquoi j’écris, j’écris pour me justifier. Aux yeux de qui ? Je vous ai déjà dit, je brave le ridicule de vous le redire. Aux yeux de l’enfant que je fus… » Georges Bernanos (Les enfants humiliés)

Qui est Bernanos ?


« Le scandale n’est pas de dire la vérité, c’est de ne pas la dire tout entière, d’y introduire un mensonge par omission qui la laisse intacte au dehors, mais lui ronge, ainsi qu’un cancer, le cœur et les entrailles » (Scandale de la vérité). Il fut durant toute sa vie, tourmenté par la mort, la peur de l’Enfer, conscient comme tout chrétien, que la mort spirituelle est pire que la mort physique. C’est aussi cette peur de vieillir présente dans la majorité d’entre nous avec particulièrement chez lui comme propre à de nombreux êtres aussi cet idéal de l’enfance restant à nos côtés chaque jour. Cyrano ne l’aurait pas renié dans un monde dominé par le mensonge, la veulerie, l’hypocrisie, la haine et l’ennui… « Depuis longtemps – à cause de ma jeunesse maladive et des précautions qu’on me faisait prendre- je crains la mort… » (à l’abbé Lagrange, mars 1905). On pourrait prêter d’ailleurs à Cyrano ces quelques mots : « juré de nous émouvoir, d’amitié ou de colère, qu’importe ». Bernanos est un croyant comme l’étaient ceux des temps médiévaux qui servaient l’Eglise tout en expliquant bien les limites du temporel et du spirituel, dans la continuité d’un Saint Louis par exemple. A la question de Frédéric Lefèvre en 1931 disant qu’il défendait l’Eglise tout en la critiquant il répondait qu’il était pour le règne de Dieu : « La civilisation parie pour la partie basse de l’homme. Nous parions pour l’autre. Etre héroïque ou n’être plus », « Car la sainteté est une aventure. C’est même la seule aventure » …


Bernanos est un être atypique, de ces chevaliers perdus dans une époque loin de ces idéaux : « Je crois toujours qu’on ne saurait réellement « servir », au sens traditionnel de ce mot magnifique, qu’en gardant vis-à-vis de ce qu’on sert une indépendance de jugement absolue. C’est la règle des fidélités sans conformisme, c’est-à-dire des fidélités vivantes ». Nous connaissons ces angoisses, comme ces doutes mais tout bien réfléchi, qui est dans le vrai ?


Bernanos est touché par le romantisme, somme toute comme beaucoup d’homme amoureux d’une éthique chevaleresque tournée vers le service à autrui. Son adhésion au maurrassisme lui permet de canaliser cette tendance, écoutons Serge Albouy : « Deux tendances antagonistes coexistent en effet chez lui : une tendance « virile », énergique, intransigeante, et une tendance romantique, émotive et hypersensible. Très tôt il confie à son ami, dans des lettres empreintes d’une très grande sentimentalité, ses tendances au « vague à l’âme » et à la mélancolie, sa prédilection pour les « rêveries romantiques », sa sensibilité débordante, son instabilité, sa hantise précoce et permanente de la mort. C’est d’ailleurs probablement cette hantise de la décomposition, transposée au plan des sociétés, qui devait contribuer à donner à la peinture de notre époque, une si sombre coloration. » (Bernanos et la politique).

Ce n’est pas pour rien qu’il rejoint un jeune mouvement politique comme l’Action française naissante, mouvement sans concession contre « le monde moderne », qui choque les vieux milieux royalistes, vivants dans la nostalgie comme dans l’acceptation résigné de la défaite…

Frédéric Winkler

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La Tour du Pin et le salut par le Corporatisme :

  • Introduction

« Une propagande vraiment apostolique consiste à gagner à une entreprise des esprits neufs et des cœurs encore libres, à les enflammer de sa passion, à les soutenir de son énergie, à les diriger par son jugement, à être en un mot l’âme d’une association que l’on va organiser et développer dans son cadre à mesure qu’elle se recrute par ses premiers zélateurs. C’est là qu’est le secret d’une action vraiment puissante sur les idées et les institutions, qu’il s’agisse soit de les battre en brèche, soit de les réformer, soit de les mettre en honneur… » (La Tour du Pin)

Voici quelques passages de René de la Tour du Pin, que mon vieil ami Antoine Murat analysait dans son ouvrage « La Tour du Pin en son temps ». J’ai tiré de ces écris quelques lignes que je livre à ceux qui me liront. Ce que souhaitait Antoine et ce que je souhaite aussi, c’est d’en extraire l’esprit qui anime les saines solutions sociales et économiques dont notre pays peut s’inspirer, s’il décide de se redresser d’une pente inéluctable vers la mort, qu’entraîne le libéralisme financier. Nous avons longuement discutés ensemble. Je connaissais Maître Murat depuis les années 80, depuis la parution de son volume « Le Catholicisme Social en France » où je ferai part de son intervention d’alors. Il fut chef de groupe Camelot et eut sous ses ordres Guy Steinbach, qui me relatait ses souvenirs. Maître Murat, l’année de ses 100 ans m’écrivit le 9 juin 2008, l’émotion qu’il eut de partager ses repas avec moi au pied de son hôtel parisien, des Arènes de Lutèce, lorsqu’il venait sur Paris : « Je ne saurais oublier ni les paroles ni vos démarches…Tant de gentillesse et de dévouement sans ostentation, tant de fidélité et de désintéressement au service de la Cause, celle de la France et du Roi, sont des signes de la Providence. Un encouragement du Ciel… ». Je retourne à Maître Murat l’honneur qu’il me fit, me sentant bien humble, devant tant de compliments, j’essaierai d’être digne de sa mémoire. Il tint d’ailleurs à remettre en priorité l’insigne souvenir des Camelots du Roi à « Fanfan », officialisé plus tard par Guy Steinbach en personne. J’ai souvenir de son passage dans des locaux où il s’adressa fier et digne, devant un auditoire de jeunes qui, pour la plupart ne comprenaient pas l’importance de ce moment, cela motiva d’ailleurs, la création du « Groupe d’Action Royaliste », fruit d’une volonté créatrice. Il fut donc à l’origine, de notre existence aujourd’hui, par ses conseils et recommandations, comme François Algoud, Jean D’Orgeix, Guy Steinbach, Lavo et Jean Marie Keller. Si le « GAR » existe, c’est grâce à eux. Ils furent mes motivations pour continuer inlassablement, humblement, le travail que nous apportons à la cause du Roi…

Depuis la Révolution, certains maux apparaissent dans la vie professionnelle tels que :

  • L’accroissement du prolétariat
  • la désorganisation des familles
  • la désaffection des ouvriers aux patrons
  • L’instabilité des rapports
  • La décroissance de la capacité professionnelle
  • L’insécurité de l’exploitation
  • Les indices de la décadence économique après la consommation de la décadence morale, l’ensemble des phénomènes les plus néfastes de la désorganisation sociale apparaissent sous des formes variées
  • Les délocalisations…

Les causes en sont partout les mêmes dans la rupture des liens sociaux, l’individualisme, bref les fruits du libéralisme conquérant notre société depuis la Réforme, privilégiant le visible à l’invisible et mit au pouvoir par la Révolution. Le principe du régime corporatif est « dans la reconnaissance d’un droit propre, tant à chaque membre de l’association qu’à celle-ci dans l’Etat et à l’Etat envers celle-ci. C’est là le principe qui présidait à toute l’organisation du Moyen âge… ». Le monde médiéval se composait d’un enchevêtrement de droits et devoirs correspondants à des contrats entre collectivités pourvues chacune de privilèges, traitant entre elles, avec leurs membres pour l’édification d’un statut commun. Apprentis, compagnons ou maîtres, avaient leurs propres droits garantis par les statuts associatifs des corporations et sauvegardés par leur magistrature. L’ouvrier avait une « possession d’Etat », un titre comme l’ont aujourd’hui les avocats et médecins. Rappelons que ces associations avaient un capital, un patrimoine corporatif permettant de subvenir aux nécessiteux du métier, aux femmes perdant leur mari où aux enfants du métier. D’autre part ce patrimoine, financier, biens matériels et immobilier, permettait d’assurer l’apprentissage, les formations, les déplacements et bien d’autres choses encore. Faudrait-il parler du vol honteux que firent les révolutionnaires sur ces biens qui manquèrent aux ouvriers durant le scandaleux XIXème siècle antisocial de la république triomphante. Les révolutionnaires supprimèrent aussi les structures protectrices des corps de métier, faisant de l’ouvrier possesseur de son travail, un prolétaire-esclave livré à une « bourgeoisie », libérale victorieuse, transformant la société traditionnelle en société de masse, prolétarisée, numérotée, conditionnée, robotisée. Proudhon rajouterai : contrôlé, amendé, emprisonné, fusillé… Il est temps de retrouver le chemin oublié, de la reconnaissance de la capacité professionnelle du salarié comme de l’entrepreneur. La création du patrimoine corporatif participant à la prospérité de l’industrie. Le régime corporatif offre ce double avantage de « l’arrêt de la décadence économique par la loyauté de la concurrence et la prospérité du métier, l’arrêt de la décadence morale par la conservation des foyers et le retour à la vie de famille. »

« Le capitalisme est aujourd’hui pratiqué dans toute l’économie sociale qui ne tend uniquement qu’à faire porter des rentes au capital et, pour cela, qu’à diminuer le prix de revient du produit en se procurant à meilleur marché possible, la matière première et la main-d’œuvre et employant du produit le moins possible de l’une et de l’autre en qualité et en quantité… la concurrence, dit-on, est l’âme de la production ; mais elle existait aussi bien jadis, même avec le monopole corporatif qui, d’une part, ne permettait pas la surélévation au-delà du juste prix parce que les magistratures publiques y veillaient, et, d’autre part, ne toléraient pas la décadence du produit parce que les jurandes y tenaient la main. Il y avait concurrence entre les maîtres de la même corporation à qui livrerait, aux mêmes conditions de tarif pour la main d’œuvre, la matière première, et la vente, le meilleur produit. » (La Tour du Pin)

METHODE VIVANTE et CONCRETE !

OBSERVATION du PASSE pour le PRESENT !

COMPARAISON (EMPIRISME), ANALYSE (causes et risques)

CRITIQUE des RESULTATS !

JUGEMENTS et REMEDES

Le libéralisme est le fruit de l’individualisme sauvage rejetant toute vie communautaire, d’entraides sociales. Au nom des valeurs abstraites de la République, comme liberté-égalité-fraternité, on a détruit et pillé les anciennes corporations, qui assuraient l’équilibre des rapports sociaux. Au nom de la fausse croyance du « laisser faire, laisser aller », les libéraux ont jeté l’individu hors du métier organisé, pour le soumettre à la « libre concurrence », à « l’homme-masse », bref au joug de l’argent.

Cette voie oubliée et non enseigné, et pour cause, est celle de nos racines historiques, celle de la vie, celle des coutumes qu’édifièrent nos pères à travers cette magnifique construction nommée France. Le « vrai » revient toujours parce qu’il est naturel et contre les idéologies matérialistes de mort et d’exploitation de son prochain. Cette œuvre doit être connue et j’espère que ma modeste extraction et mes commentaires, vous inciterons à découvrir le chemin de notre libération car « Notre jour viendra ! »…

 Frédéric Winkler

Charles Péguy contre le monde moderne :

XIR266920 Portrait of Charles Peguy (w/c on paper) (b/w photo) by Laurens, Jean-Pierre (1875-1932); watercolour on paper; Musee des Beaux-Arts, Chartres, France; (add. info.: French poet (1873-1914); essayist; political journalist; socialist; writer; author; Catholic; killed at the battle of the Marne); Giraudon; French, out of copyright

« Je l’ai dit depuis longtemps. Il y a le monde moderne. Le monde moderne a fait à l’humanité des conditions telles, si entièrement et si absolument nouvelles, que tout ce que nous savons par l’histoire, tout ce que nous avons appris des humanités précédentes ne peut aucunement nous servir, ne peut pas nous faire avancer dans la connaissance du monde où nous vivons. Il n’y a pas de précédents. Pour la première fois dans l’histoire du monde les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Et pour être juste, il faut même dire : Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et du même mouvement et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement qui est le même ont été refoulées par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un seul mouvement et d’un même mouvement ont reculé sur la face de la terre. Et comme une immense ligne elles ont reculé sur toute la ligne. Et pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est maître sans limitation ni mesure. Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul en face de l’esprit. (Et même il est seul en face des autres matières.)

Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul devant Dieu.

Il a ramassé en lui tout ce qu’il y avait de vénéneux dans le temporel, et à présent c’est fait. Par on ne sait quelle effrayante aventure, par on ne sait quelle aberration de mécanisme, par un décalage, par un dérèglement, par un monstrueux affolement de la mécanique ce qui ne devait servir qu’à l’échange a complètement envahi la valeur à échanger.

Il ne faut donc pas dire seulement que dans le monde moderne l’échelle des valeurs a été bouleversée. Il faut dire qu’elle a été anéantie, puisque l’appareil de mesure et d’échange et d’évaluation a envahi toute la valeur qu’il devait servir à mesurer, échanger, évaluer.

L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde.

C’est un cataclysme aussi nouveau, c’est un événement aussi monstrueux, c’est un phénomène aussi frauduleux que si le calendrier se mettait à être l’année elle-même, l’année réelle, (et c’est bien un peu ce qui arrive dans l’histoire); et si l’horloge se mettait à être le temps; et si le mètre avec ses centimètres se mettait à être le monde mesuré; et si le nombre avec son arithmétique se mettait à être le monde compté.

De là est venue cette immense prostitution du monde moderne. Elle ne vient pas de la luxure. Elle n’en est pas digne. Elle vient de l’argent. Elle vient de cette universelle interchangeabilité.

Et notamment de cette avarice et de cette vénalité que nous avons vu qui étaient deux cas particuliers, (et peut-être et souvent le même), de cette universelle interchangeabilité.

Le monde moderne n’est pas universellement prostitutionnel par luxure. Il en est bien incapable. Il est universellement prostitutionnel parce qu’il est universellement interchangeable.

Il ne s’est pas procuré de la bassesse et de la turpitude avec son argent. Mais parce qu’il avait tout réduit en argent, il s’est trouvé que tout était bassesse et turpitude.

Je parlerai un langage grossier. Je dirai : Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est le maître du curé comme il est le maître du philosophe. Il est le maître du pasteur comme il est le maître du rabbin. Et il est le maître du poète comme il est le maître du statuaire et du peintre.

Le monde moderne a créé une situation nouvelle, nova ab integro. L’argent est le maître de l’homme d’Etat comme il est le maître de l’homme d’affaires. Et il est le maître du magistrat comme il est le maître du simple citoyen. Et il est le maître de l’Etat comme il est le maître de l’école. Et il est le maître du public comme il est le maître du privé.

Et il est le maître de la justice plus profondément qu’il n’était le maître de l’iniquité. Et il est le maître de la vertu plus profondément qu’il n’était le maître du vice.

Il est le maître de la morale plus profondément qu’il n’était le maître des immoralités. »

(Ed. Gallimard, coll. La Pléiade, Œuvres en prose complètes, tome III, pp. 1455-1457)

Charles Péguy « Note conjointe sur M. Descartes » (1914)

Pierre-Joseph Proudhon, le visionnaire :

Voici quelques lignes tirés des travaux de mon ami regretté Pierre Bécat dans « L’anarchiste Proudhon, apôtre du progrès social ». Je n’ai fait que reprendre ce qui me semblaient essentiels afin d’aider les esprits à retrouver le chemin vers l’élévation. Il nous faut sortir d’un système créateur de misère et d’esclavage au profit du capitalisme libéral. Le choix sera simple où continuer vers un monde fabriquant des numéros avec des consommateurs devenus « des robots » aux ordres de financiers, où retrouver la voie d’un humanisme pour demain où l’homme libre reprendra sa place…

Notre jour viendra !
F. Winkler

René de la Tour du Pin (1834-1924) :

René de la Tour du Pin

René de la Tour du Pin

Le lieutenant colonel René de la Tour du Pin Chambly, marquis de la Charce, est né le 1er avril 1834 à Arrancy, non loin de Laon en Picardie.

Il est issu d’une vieille famille dauphinoise, catholique et royaliste, il entre à Saint-Cyr en 1852. Jeune officier, il sert sous le Second Empire en Crimée, en Italie et en Algérie avant de participer à la guerre contre la Prusse en 1870. Fait prisonnier cette même année, lors de la chute de Metz, il sympathise en captivité avec Albert de Mun. En septembre 1871, de la Commune, alors qu’il est encore capitaine aide de camp du gouverneur militaire de Paris, il s’engage, à la demande de Maurice Maignen (des Frères de Saint Vincent de Paul) dans l’ « Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers » avec son ami de Mun. Son action est alors inspirée des travaux de Frédéric Le Play. En 1877 il est nommé attaché militaire en Autriche Hongrie et rencontre le « comte de Chambord », prétendant légitimiste au trône de France, dans son exil de Frohsdorf. À Vienne il est également marqué par l’influence des catholiques sociaux autrichiens, le plus représentatif d’entre eux étant le baron Karl von Vogelsang (1818-1890) qui anime la revue Vaterland.

En 1881, il démissionne de l’Armée et se retire sur ses terres d’Arrancy, dont il sera maire. À la mort du  comte de Chambord, en 1883, La Tour du Pin reporte logiquement sa fidélité royaliste sur l’aîné des Orléans, Philippe d’Orléans,  comte de Paris  qu’il rencontre à Eu. Au début 1885, de passage à Rome, il est reçu par le Pape Léon XIII. En 1891, contrairement à Albert de Mun, il refuse le Ralliement des catholiques français à la République. Le futur maréchal Lyautey, qui publie au même moment son Rôle social de l’officier, largement inspiré de l’expérience des « cercles catholiques » demeurera pareillement fidèle à ses idées royalistes.

En 1892 le marquis épouse sa cousine, Marie de La Tour du Pin Montauban. La même année, il rencontre pour la première fois le jeune Charles Maurras, encore républicain, amorce d’une correspondance qui devait se poursuivre jusqu’à la mort du colonel. Une fois l’Action française fondée en 1899, La Tour du Pin apporte son concours. Il livrera ainsi trois études à la Revue grise d’AF entre 1904 et 1906, sur la noblesse, la représentation professionnelle et l’organisation territoriale de la France. En 1907 il publie son maître livre, imposant recueil d’articles écrits à partir de 1882 : Vers un ordre social chrétien. Le marquis René de La Tour du Pin meurt à Lausanne le 4 décembre 1924 à 90 ans révolus.

L’ Action française constituera la principale postérité de la pensée de La Tour du Pin. Comme dira Charles Maurras : « Ce n’est pas La Tour du Pin qui est à l’Action française, c’est l’Action française qui est de La Tour du Pin. » La pensée de la Tour du Pin marquera également le général de Gaulle. En 1970, Edmond Michelet, ministre du général, faisait remarquer à ce sujet « s’il est un personnage que le général de Gaulle connaît mieux que Marx, c’est peut être le très ignoré aujourd’hui La Tour du Pin »

La Tour du Pin et Albert de Mun sont les grands représentants de l’école des catholiques sociaux. Tous deux s’inspirent dans leurs écrits et dans leur action des travaux de Frédéric Le Play et puisent leur sagesse dans les enseignements spirituels et sociaux de l’Eglise.

La contribution de marquis de La Tour du Pin à la Contre-Révolution réside essentiellement dans sa doctrine économique et sociale.
Le fil conducteur de cette doctrine est à chercher, comme il en fait la remarque, dans la lutte acharnée qu’il a menée contre le libéralisme sous toutes ses formes et principalement contre sa forme économique. Il a condensé l’essentiel de sa pensée dans un maître-ouvrage intitulé :  « Jalon de route vers un ordre social chrétien ».

Partageant avec son maître Le Play la conviction que « la vie sociale de l’homme se meut autour d’un axe dont les deux pôles sont le foyer et le métier »,  le marquis et colonel de la Tour du Pin en a justement déduit que le régime d’économie libérale, qui se fonde sur la loi de l’offre et de la demande, aussi bien en matière d’emploi qu’en matière de ventes et d’achats, «  fonctionne à l’inverse de la loi naturelle et divine » .

Cette erreur, au sujet de la loi de l’offre et de la demande, est bien le signe que l’économie d’inspiration libérale repose sur des principes aussi néfastes que faux. Le libéralisme se trompe, en effet, dès l’origine, quand il définit l’économie comme  » chrématistique « , c’est-à-dire comme science des richesse car il méconnait ainsi la finalité profonde du travail humain. Le véritable objet de l’économie n’est pas exclusivement ni direstement la richesse mais l’homme car  » le travail n’a pas pour but la production des richesses mais la sustentation de l’homme «  . Il est vrai qu’en définissant ainsi la science économique les libéraux ne commettent pas une simple erreur, ils procèdent à une opération de diversion et de camouflage car  » que signifient dans la vie économique la liberté du travail, la liberté du commerce, la liberté de la propriété, si ce n’est la facilité au déchaînement de toutes les cupidités contre toutes les faiblesses  » ?

Comme tous les grands contre-révolutionnaires, La Tour du Pin voit dans l’individualisme la racine du libéralisme. Son originalité consiste à mettre en relation l’individualisme libéral avec une certaine conception matérialiste de la propriété.

Il en résulte que la lutte contre  le libéralisme doit passer par le rejet des  » erreurs philosophiques, politiques et économiques dont le capitalisme nous a empoisonnés « .
A cette conception de la propriété, il est indispensable d’opposer la conception traditionnelle et chrétienne que le jeune La Tour du Pin avait reçue de son père et fidèlement gardée :  » Rappelle-toi toujours que tu ne seras que l’administrateur de cette terre pour ses habitants  » .

La solution que La Tour du Pin préconise pour mettre un terme à la question sociale ne consiste évidemment pas à remplacer le libéralisme par le socialisme qui n’en est, à ses yeux, que le  » contre-coup  » et l’insupportable aggravation.
Elle ne consiste pas davantage dans une attitude exclusivement morale, comme l’était encore le patronage de son maître Le Play, mais dans l’instauration d’un régime corporatiste moderne.

Grâce à La Tour du Pin, les Français devraient aujourd’hui savoir qu’il existe, non pas deux, mais trois écoles d’économie politique :

 » celle où l’on considère l’homme comme une chose « ,
c’est le libéralisme,
 » celle où on le considère comme une bête « ,
c’est le socialisme,
 » celle ou on le considère comme un frère « ,
il s’agit alors du corporatisme.

Le Docteur Louis René Villermé (1782-1863)

« C’est la Révolution, avec l’appui des forces financières, qui a créé la masse prolétarienne, en spoliant les corporations avec l’interdiction de les reconstituer, sous peine de mort »
P. Bécat

Villermé 6La Révolution en détruisant le système social de l’Ancien régime livra le peuple aux puissances d’argent. L’interdiction de s’associer faisant suite à la destruction des corps de métiers et le vol de leurs biens servant à l’organisation sociale, créa le prolétariat. L’ère nouvelle vit des semaines de 10 jours, la suppression des dimanches et jours fériés avec à la clef, l’obligation du travail pour manger à partir de 5 ans, sans limite d’heure avec la nuit et sans distinction de sexe…
Devant l’intolérable qui ne gênait pas les parvenus de 89, fidèles à l’enseignement évangélique, des royalistes sociaux se levèrent pour dénoncer et soulager leurs frères dans la misère et c’est leur histoire oubliée volontairement par la République que nous allons vous révéler… En 1936, le Front Populaire reprendra à son compte les revendications sociales des royalistes montant ainsi la validité et la cohérence de ces précurseurs qui avaient vu juste…
Alphonse Karr déclarait : «Il suffit de quelques grelots au bonnet de la Liberté pour en faire le bonnet de la folie»

Contre l’exploitation des enfants, en révolte contre la misère sociale :

Louis René Villermé Né en 1782 et mort en 1863, fut dans les premiers royalistes à se battre pour la cause sociale après la Révolution. Il fut médecin et se pencha sur les problèmes de mortalité selon les conditions sociales et très vite, avec d’autres, il se rend compte que le machinisme était pour quelque chose. En 1837 à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, il prononce un discours publique où les thèmes essentiels suivants furent abordés :

– Une quantité considérable d’ouvriers sont dans un état réel de souffrance
– Le travail est pénible, ils sont chargés de famille nombreuse
– Le salaire est en dessous du nécessaire
– Les vêtements sont hors d’état
– Les logements sont humides et malsains
– L’alimentation est grossière et insuffisante

Contre la misère des enfants

– Ils vivent dans un excès de travail et de misère
– Chaque jour on les garde jusqu’à plus de 15h avec 13h de travail effectif
– Les loyers sont trop élevés et ils vivent parfois très loin du travail ou pour venir il faut marcher 7km…
– Certains enfants qui ont à peine 7 ans, d’autres moins « abrègent leurs sommeil et leur repos de tout le temps qu’ils doivent employer pour parcourir deux fois par jour cette longue et fatigante route »
– Les enfants sont maigres, couverts de haillons. « sous leur vêtement rendu imperméable par l’huile des métiers tombée sur eux, le morceau de pain qui les doit nourrir jusqu’à leur retour »
– Les lieux de travail sont souvent des pièces fermées ou il faut tenir debout pendant plus de 10 heures, « c’est une torture»
– « Le remède…serait une loi qui fixerait un maximum à la durée journalière du travail »

Dans la région Lilloise, il constatera, après avoir observé une soixantaine de métiers que les ouvriers vivent dans des conditions repoussantes, entassés dans des caves ou des greniers. Il passe en revue la Haute Normandie, la Marne, l’Aisne, les Ardennes avec les industries lainières, cotonnières et toutes ses observations sont soigneusement consignées. Certains horaires de travail vont jusqu’à 17 heures par jour ! Il continu dans la Vallée de la Somme, Lodève et Carcassonne, les industries de la soie. Dans les Cévennes ou il écrit en voyant les femmes : « Il serait difficile de se faire une idée de l’aspect sale, misérable, de la malpropreté de leurs mains, du mauvais état de santé de beaucoup d’entre elles et de l’odeur repoussante « sui generis» qui s’attache à leurs vêtements, infecte les ateliers.»

Les doigts de ces pauvres femmes étaient devenus insensibles à cause des bassines d’eau bouillante des ateliers de tissus.

– Il constate une grande mortalité infantile avec des enfants écrouelleux et de nombreux ouvriers dans les villes sont scrofuleux.
– Il demande l’instruction pour les enfants
– Il demande une loi interdisant le travail en dessous de 9 ans avec un travail graduelle selon les âges
– Il demande l’interdiction du travail de nuit avant 15 ans
– Il demande la nécessité d’un certificat médical
– Il pose des questions sur la misère en faisant porter attention sur la mortalité, les maladies, la garde des enfants etc…
– Il remet en cause le « Livret de travail » avec les avances sur salaire servant de moyen de pression sur les ouvriers
– Il propose la création de caisses de secours pour les accidents du travail
– Il porte l’attention sur les problèmes de sécurité des machines
– Il propose des indemnités journalières
– Il propose la création de caisses de maladie et de retraites
– Il porte l’attention sur les locaux industriels et la salubrité

Certaines de ses propositions aboutiront par la loi de 1841, signé par Louis-Philippe aux Tuileries. La durée de travail passait à 8 heures jusqu’à 12 ans et 12h de 12 à 16 ans. Le travail de nuit fut interdit avant 16 ans, le repos obligatoire, les jours fériés, 2 ans d’études primaires obligatoires avant l’usine avec des mesures de santé…

L’Archevêque de Rouen dit alors : « Il fallut une loi de fer pour défendre de tuer les enfants au travail» Les débats furent houleux car le chimiste Gay Lussac s’y opposait en prétextant l’intrusion de l’Etat dans les industries, que l’on ne pourrait rien sur la salubrité et que tout cela serait un retour au St Simonisme. Le Comte de Tascher répliqua : « C’est quand on nous révèle une telle immoralité qu’on refuserait d’y pourvoir…le nerf de bœuf est placé en permanence sur les métiers dans certains ateliers. Et c’est en présence de telles abominations qu’on voudrait refuser au gouvernement le droit de les faire cesser » Il faudra attendre le vote à la Chambre des Députés le 29 décembre 1850.

Souvenons-nous du docteur Villermé !

Nous continuerons inlassablement à sortir la vérité des placards. A clamer dans l’obscurité d’une république vautrée dans les scandales ce que fut la misère du peuple depuis la destruction de l’ordre ancien. Pour l’honneur de ses femmes, des enfants et des hommes qui souffrir et sont morts parce que le libéralisme devait passer avant tout humanisme. Nous ne lâcherons rien, depuis que nous avons commencé à découvrir une voie de libération, une issue à une soi-disant crise. Notre travail basé sur l’empirisme et non sur le romantisme dirige nos conclusions vers l’image apaisante, voir écologique du royaume des lys…

Frédéric Winkler