Royalisme social

La retraite à 65 ans, avant celle à 67 ?

Les débats sur les retraites sont relancés et les hostilités sociales et politiques à nouveau engagées sur ce terrain délicat autant pour tout gouvernement que pour les organisations syndicales et les acteurs sociaux. Et là encore, la République actuelle se retrouve prisonnière de ses propres principes et de ses contradictions institutionnelles, montrant au passage son incapacité systémique à résoudre efficacement et justement la question sociale, jamais résolue (c’est une question éternellement renouvelée, en fait, de génération en génération…) mais question qu’il convient de prendre en compte pour éviter les deux maux extrêmes de l’injustice et de l’inefficacité.

Madame Borne, Premier ministre de son état, issue de la Gauche socialiste, s’avère être en première ligne (un propos sans doute à nuancer si le Président, comme il le fait ce dimanche dans Le Parisien, s’engage à son tour sur ce terrain pourtant périlleux pour lui) et dévoile, avant de l’officialiser le 15 décembre prochain, la réforme des retraites voulue et pensée officiellement par le Président de la République, sous le contrôle peu discret de la Commission européenne qui, régulièrement, appelle la France à « faire les réformes nécessaires » : cette dernière formule toute faite désigne en réalité les exigences de cette Union européenne si peu sociale que cela en est gênant, en particulier pour ceux qui pensent en termes de justice sociale et de bien commun (l’un étant peu dissociable de l’autre).

Quelques remarques préliminaires : la date choisie est-elle l’effet du hasard, ainsi posée à dix jours de la Nativité ? J’ai du mal à le croire, évidemment, et j’y vois, sinon une forme de provocation, du moins une tentative, peu fine, de profiter du relâchement programmé des fêtes pour passer en force sur un sujet clivant et particulièrement explosif. Bien sûr, nombre de débats, de tribunes, de colloques, voire de contestations, ont déjà eu lieu, et il serait faux de parler de nouveauté ou de surprise à la lecture des intentions et projets gouvernementaux. Durant la campagne présidentielle elle-même, le Président alors candidat à sa réélection a bien annoncé la couleur : le report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et, entre les deux tours, à 64 ans (mais avec l’objectif final de … 65 ans !). Qui n’était pas au courant qu’une fois réélu, il chercherait à tenir sa promesse de campagne en arguant qu’une majorité des électeurs avaient, dans le même temps que sa personne, avalisée cette mesure annoncée ? Personne n’a été pris en traître, pourra-t-il affirmer ! Certains diront qu’il néglige le fait que nombre de ses électeurs l’ont été juste de manière occasionnelle, pour écarter l’autre candidat, mais eux semblent oublier, ou méconnaître, que l’élection est, en plagiant Clemenceau à propos de la Révolution française, « un bloc »…

L’argument classique du gouvernement et des libéraux est de souligner le risque d’une sorte de faillite et de disparition du système de la retraite par répartition si les comptes ne sont pas consolidés : il est tout à fait vrai que le coût du financement des retraites ne cesse d’augmenter, du fait de l’élévation (heureuse) de l’espérance de vie des Français, de la baisse (moins heureuse et plutôt malvenue aujourd’hui) de la natalité et, donc, de la proportion trop faible désormais de personnes en activité professionnelle abondant les caisses des retraites (1,6 cotisant environ pour 1 retraité quand c’était 4 pour 1 après la Seconde Guerre mondiale) mais aussi d’un taux de chômage qui reste encore préoccupant quand, de plus, les emplois précaires (donc rapportant beaucoup moins aux finances de l’État) sont en nette augmentation, confortant une sorte de précariat désormais constitutif de notre économie contemporaine nationale. Aussi, aborder la question des retraites sous le seul angle d’une mesure d’âge et, en l’occurrence, du report de l’âge de départ à la retraite, est une erreur flagrante pour tout État digne de ce nom : il n’y a donc pas une, mais un ensemble de réponses et de propositions qu’il faut penser, valoriser et pratiquer, sans oublier la complexité des nécessités, des activités et des vœux de la société française et de ses éléments.

Pour en revenir au report de l’âge de la retraite à 65 ans, il n’est qu’une étape avant un report à 67 ans, mesure préconisée depuis 2011 par la Commission européenne et qui a déjà été étendue (ou en voie de l’être) à nombre de pays de l’Union européenne, en particulier (au-delà de l’Allemagne promotrice de cette politique et à l’origine de la préconisation de l’UE) à ceux sur lesquels ladite Commission pouvait faire pression en raison de leurs difficultés économiques et de leur dépendance au système monétaire européen, c’est-à-dire à l’euro, « monnaie unique » aux règles parfois iniques : la Grèce, l’Italie par exemple, le Portugal étant sur la même voie avec une retraite à 66 ans et 7 mois. D’autres pays, ceux-là considérés comme « riches », ont déjà mis cette mesure en place : l’Allemagne déjà évoquée, le Danemark, quand les Pays-Bas sont à 66 ans et 7 mois, mais les raisons ne sont pas liées aux difficultés économiques mais bien plutôt aux problèmes démographiques de renouvellement de la population active et à une culture protestante plus « franklinienne ». En tout cas, la majorité des États de l’Union européenne ont déjà adopté (ou sont restés à) un départ à la retraite à 65 ans, sachant que, là encore, la Commission européenne prévoit que ce n’est qu’une mesure d’étape et non une décision définitive !

Certains m’accuseront d’exagérer, j’en suis bien certain, et évoqueront un pessimisme social sans fondement. Alors, évoquons, en historien du « social », le cas si révélateur de la Pologne, pour illustrer mon propos précédent. En 2012, pour suivre les recommandations de la Commission, le gouvernement libéral de Donald Tusk a reculé l’âge de départ à la retraite à 67 ans (elle était fixée auparavant à 65 ans, comme le veut M. Macron aujourd’hui pour la France), en une réforme fort impopulaire dans un pays qui avait, contrairement à tant d’autres en Europe, échappé aux effets de la crise de 2008. Cela provoqua un très fort mécontentement des Polonais et entraîna bientôt le retour des conservateurs-catholiques au pouvoir qui, en 2017, ramenèrent l’âge de départ à la retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes ! Donald Tusk, lui, fut recyclé dès 2014 (et jusqu’en 2019) par les instances de l’Union à la présidence du Conseil européen, sans doute en remerciement des services rendus à la « cause »… Mais quand la Pologne « revint en arrière » (selon l’expression en cours dans les couloirs de la Commission européenne), elle dût faire face à une véritable offensive de l’UE contre sa nouvelle réforme des retraites, avec deux arguments « européens » qui se voulaient alors définitifs : d’une part, cette réforme allait entraîner un effondrement de l’économie polonaise (effondrement qui, en fait, n’eut pas lieu…) ; d’autre part, elle contrevenait à l’égalité hommes-femmes en permettant à celles-ci de partir 5 ans avant les hommes, et l’UE commença d’évoquer des sanctions contre la Pologne pour cette dernière raison jugée discriminatoire, du moins jusqu’au moment où l’Autriche fit remarquer qu’elle aussi avait mise en place cette mesure « inégalitaire » ! La Commission européenne, vaincue, se contenta alors de grommeler sans insister mais en cherchant à discréditer cette mesure en l’accusant de… renvoyer les femmes à la maison !

Cet exemple, peu évoqué par les médias français et européens, montre en fait les véritables intentions de la Commission européenne et celles qui animent, sans doute, la plupart des ministres européistes français et leur président, « européiste en chef ». En s’opposant aujourd’hui en France au passage de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, on s’oppose en fait à la retraite légale à 67 ans voulue par la Commission.




Jean-Philippe Chauvin

La Monarchie royale, forcément sociale.

Et si la Monarchie royale était ré-instaurée ? Bien sûr, cette situation semble relever, à ce jour, de l’hypothétique, mais cela ne préjuge en rien de la possibilité monarchique pour les prochaines années ou décennies. Il me semble d’ailleurs que, en l’évoquant, cela permet de la rendre plus compréhensible à ceux qui, pour l’heure, n’en connaissent rien d’autre que ce que les manuels scolaires d’histoire en disent ou, trop souvent, en médisent… En tout cas, il paraît nécessaire, autant que « faire la Monarchie », de la penser et d’en tracer les grands axes d’action et de projection. L’article ci-dessous porte ainsi sur la Monarchie sociale et sur ses raisons comme sur ses capacités propres.



La Monarchie française est éminemment sociale, ou a le devoir impérieux de l’être, ne serait-ce que pour légitimer sa nécessité et son autorité : c’est un élément que je ne cesse de mettre en avant, suscitant parfois une certaine circonspection de la part de mes contradicteurs mais aussi parfois des sympathisants monarchistes eux-mêmes…
 
Sans doute faut-il expliquer ce point de vue, et l’approfondir sans cesse, au regard de l’actualité, malheureusement cruelle aujourd’hui envers ceux qui travaillent ou qui cherchent un emploi : si la Monarchie n’est pas un remède miracle, elle est le régime qui peut permettre, avant tout, de garantir la justice sociale et de ne pas abandonner ceux qui souffrent d’une crise (en fait, d’un processus de mondialisation…) dont ils ne sont guère, en tant que tels, responsables !
 
L’indépendance de l’institution royale, de par le fait que la naissance ne doit rien à la fortune, lui donne l’occasion (qui est, en fait, un devoir) de parler au-dessus des simples intérêts privés, y compris des plus riches, que ceux-ci soient des individus ou des sociétés privées. Un Louis XIV n’hésita pas, en son temps, à embastiller Nicolas Fouquet, l’homme le plus riche du royaume, sans doute plus comme un rappel que l’Argent ne faisait pas le bonheur et, en tout cas, ne commandait pas à l’État royal en France, que comme le règlement d’une simple affaire de corruption…
 
De plus, le Roi n’est pas le représentant des classes dominantes (une sorte de suzerain capitaliste, en somme) mais un souverain qui s’impose à tous et encore plus à ceux qui possèdent, et qui a le devoir de n’oublier personne dans son souci politique. S’imposer ne veut pas dire être un dictateur qui terroriserait les riches et flatterait les autres, mais simplement rappeler à tous que l’État n’est pas « une place à prendre » mais un pays à servir, au-delà des différences et des libertés particulières qu’il faut organiser, ou plutôt laisser s’organiser dans le respect des équilibres sociaux et de la justice nécessaire à toute œuvre sociale. Dans un monde où l’Argent a pris une telle importance, cela ne sera sans doute pas facile mais la Monarchie a ainsi quelques atouts et il serait dommage pour le pays de ne pas les utiliser… L’indépendance royale, certes menacée par les jeux des groupes de pression financiers dans cette mondialisation qui cherchera à fragiliser l’État politique, est un levier important dans la capacité de l’État et de son gouvernement, quelle qu’en soit la couleur électorale, à faire accepter les réformes à ceux qui, d’ordinaire, cherchent à s’en abstraire ou à en fuir les conséquences quand elles ne leur conviennent pas. Mais la Monarchie n’oublie pas de permettre à tous, y compris les groupes de pression, de s’exprimer et de proposer, voire de contester : néanmoins, c’est bien aussi la Monarchie qui arbitre et préserve l’État et l’intérêt commun, tout en laissant le gouvernement faire son travail et œuvrer au quotidien.
 
La Monarchie active « à la française », de par son rôle majeur (sans être omnipotent ni même omniprésent) d’arbitrage politique et  de protecteur social, marque son territoire d’action par sa capacité de décision dans quelques grands domaines, ceux que l’on nomme régaliens (ce qui, d’ailleurs et même en République, veut dire … « royaux » !) : la grande finance, la diplomatie et les affaires militaires, et la garantie de « la protection de tous », en particulier sociale.
 
Si la Monarchie instaurée (le plus tôt sera le mieux !) veut s’enraciner sans se renier, il lui faudra assurer et assumer son rôle éminemment social : dans un monde incertain, face à une mondialisation menaçante, elle doit tracer un sillon social profond en rappelant aux puissants d’aujourd’hui, d’ici comme d’ailleurs, que toute politique crédible et efficace passe par la prise en compte des populations et par le souci de préserver la justice sociale, ciment des sociétés et facteur d’unité nationale. Il lui faudra aussi lancer le grand chantier d’une nouvelle organisation sociale, par le biais d’un syndicalisme vertical qui prenne en compte, dans ses structures, tous les échelons de la hiérarchie, et par la mise en place d’espaces de réflexion et de décision, voire de redistribution dans certains cas (intéressement, actionnariat salarial ou populaire, patrimoine « corporatif », etc.), espaces qui réunissent tous les acteurs de l’activité économique locale, communale, régionale ou nationale, y compris en y intégrant des acteurs extérieurs et étrangers (mais qui ne devront pas avoir vocation à diriger ce qui doit rester aux mains des producteurs locaux) comme les investisseurs ou les représentants des institutions internationales (ceux de l’Union européenne, par exemple) ayant une part dans l’activité économique concernée.
 
A l’heure où la République tremble devant les oukases de la Commission européenne et les injonctions d’un Marché devenu incontrôlable, il est temps d’en appeler, fortement, à l’instauration d’une Monarchie sociale pour la France, non par caprice ou utopie, mais par réalisme et nécessité !
 
C’est, d’ailleurs, sur le terrain social, que le royalisme a, aujourd’hui, le plus de chances de faire entendre sa « musique particulière », au travers de la contestation des mesures antisociales de cette « Europe-là » et de cette République (aujourd’hui macronienne après avoir été hollandaise et sarkozienne) si oublieuse de ses promesses électorales de justice sociale… Mais, au-delà de cette régence sociale que nous assumons, il faut poser, ici et maintenant, les conditions d’une vraie politique sociale inscrite dans le marbre des institutions à venir…

Jean-Philippe Chauvin
 
 

Histoire des libertés sociales :

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Depuis des années l’historiographie officielle, Gauche en tête, sous la complaisance servile d’une « droite » molle, maintient la légende d’une libération sociale, fruit d’années de lutte consommées par ses idées ! Les travaux de Maître Murat et d’autres permirent de remettre en lumière la réalité sur ces acquisitions sociales, que nous bénéficions aujourd’hui. Les grands noms comme les dates sont retranscrits et vérifiables pour tout esprit curieux, en quête de vérité. Le lecteur sera alors devant cette épopée, ces aventures d’une poignée d’hommes oubliés, parce que contraire à l’idéologie dominante du « prêt à penser ». Ils forment cette permanence historique de l’alliance entre l’aristocratie et le peuple nous venant du fond des âges. Cette étude représente une approche permettant de comprendre ce qui fait l’esprit Français et le sens communautaire qui permit de traverser les écueils des drames historiques comme de survivre aux idéologies mortifères qui nous gangrènent encore aujourd’hui. Notre passé est une base de travail afin de comprendre notre présent pour anticiper l’avenir et c’est nous, comme le disait Bernanos, qui faisons cette histoire.

Notre jour viendra !

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Non à la retraite à 67 ans !

Jusqu’où iront-ils ? L’ancien premier ministre Edouard Philippe, dans un entretien paru dans Le Parisien, dimanche 9 octobre, évoque la possibilité d’un recul de l’âge d’accès à la retraite, comme le souhaite d’ailleurs la Commission européenne depuis 2011, à 67 ans, en attendant, pourquoi pas, 68, 69 ou plus, qui le sait ? Ce même triste sire, déjà en campagne pour la présidentielle de 2027, est bien celui qui durant trois ans a gouverné la France avec le succès que l’on sait, et les conséquences que l’on subit. Certes, il n’a rien fait d’autre que suivre une pente déjà empruntée par ses peu glorieux prédécesseurs, et que l’actuelle locataire de l’Hôtel Matignon s’empresse elle aussi de suivre : cette constance dans l’erreur mérite d’être saluée autant que dénoncée et condamnée… Mais il est parfois désespérant de constater que ceux qui nous gouvernent au nom du pays légal, semblent ne rien avoir appris de l’histoire, qu’elle soit politique, économique ou sociale, et que les préjugés des précédents sont aussi ceux des successeurs, dans une spirale infernale d’une forme de fatalisme qui montre le peu d’imagination et d’audace véritable de nos élites devenues routinières pour éviter les remises en cause douloureuses et, qui sait, « renversantes ».

Le dossier des retraites n’est pas un insoluble problème même s’il est éminemment complexe et délicat, et il ne peut être question de renvoyer le débat sur cet épineux sujet aux calendes grecques, c’est-à-dire aux générations suivantes. Et, là encore, il n’y a pas une seule solution mais bien plutôt un ensemble de possibilités et de propositions utiles pour envisager la pérennité d’un système de distribution de retraites aux travailleurs de notre pays, le terme de « travailleurs » étant employé ici à dessein pour signifier que ce sont bien eux en priorité qui doivent être concernés par une stratégie sociale privilégiant le travail et non la rente ou l’assistanat. Une véritable politique familiale digne de ce nom et une lutte plus efficace contre le chômage, entre autres, sont des moyens de sortir de la nasse : pourquoi la première proposition est-elle si absente des discours du pays légal contemporain, comme s’il y avait un abandon de toute ambition démographique qui consisterait, non à surcharger la planète, mais à remplir un peu plus nos berceaux, nos crèches, nos écoles, nos campagnes ? N’oublions pas que quelques dizaines de milliers d’enfants supplémentaires chaque année entraîneraient le maintien ou la création de plusieurs milliers d’emplois en crèche, dans nos écoles, collèges et lycées à moyen terme, et, donc, de nouveaux cotisants pour abonder les caisses de retraites. Or, les services de l’Education nationale, aujourd’hui, nous annoncent, sans s’en inquiéter outre-mesure, une diminution d’effectifs dans les cinq prochaines années d’un demi-million d’élèves ! Cela explique peut-être que le Ministère se préoccupe si peu du non-renouvellement des générations (aujourd’hui fortement vieillissantes…) d’enseignants qui, pourtant, devrait entraîner une véritable stratégie active (plus encore que réactive) de remplacement et d’enracinement de nouvelles équipes de professeurs dans nos établissements publics et privés : s’il y avait encore un Etat digne de ce nom à la tête des institutions de la République, il oserait une politique familiale et scolaire qui pourrait permettre de dépasser certains blocages actuels. Mais, apparemment, la République n’a plus besoin de professeurs ni d’enfants, juste de consommateurs et de contribuables assagis et raisonnables, sans autre ambition que de suivre les modes et les ordres du moment : vers la servitude volontaire ?

Cette piste démographique n’est qu’une piste parmi d’autres pour résoudre la question des retraites et de leur financement : il y en a tant d’autres encore possibles, et le basculement progressif vers un système de « patrimoines corporatifs » pris en charge par les différents acteurs du monde économique et social plus encore que par l’Etat, peut en être une autre, complémentaire, et qui mériterait d’être discutée, tout en prenant en compte la modification des formes et des structures du Travail en France. Va-t-on attendre la prochaine République ou la Septième, ou la Dixième, pour ouvrir enfin la boîte à idées et la chambre à débats ? Il y a urgence et, visiblement là encore, mieux vaut la Monarchie royale et sociale, et le plus tôt possible : pour penser cet avenir que la République, elle, limite toujours à la prochaine présidentielle quand la Monarchie l’imagine et le prépare sur le long terme, non des élections, mais des générations…

En attendant, il n’est pas inutile de redire à M. Philippe qui se rêve déjà en calife à la place du calife : non, nous ne voulons pas de vos solutions sans imagination, injustes et antisociales ! Sans doute faudra-t-il le crier encore plus fort dans quelques jours ou dans quelques semaines.

Jean-Philippe Chauvin



Louis XVIII face à la question sociale.

Il faudra bien écrire, un jour, un livre sur le roi Louis XVIII face à la question sociale, un thème peu abordé par les universitaires, ce qui est bien dommage. Voici ci-dessous une ébauche de réflexion sur ce sujet très révélateur de la façon dont un roi considère les travailleurs face au pouvoir de l’Argent…



« Si vous étudiez l’histoire sociale française, vous constaterez aisément que la Révolution française fut le pire moment « libéral » de l’histoire de France, en particulier à travers les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 qui détruisent les corporations et tout le modèle social corporatif quand les lois de 1790 contre l’Église avaient déjà entraîné une hausse immédiate de la pauvreté, en particulier dans les campagnes… Ces deux lois révolutionnaires interdisaient la grève et l’association ouvrière, et permettaient la « libéralisation » (sic) du temps de travail. Le dimanche, d’ailleurs, perd alors son statut de jour de repos pour les ouvriers et il faudra attendre le roi Louis XVIII pour qu’il le redevienne, en 1814, pour tous les travailleurs… Les royalistes sociaux ont été les premiers à lutter pour redonner des droits aux classes laborieuses qui en avaient été privés par la Révolution, la République et l’Empire, ce que Marx (pas vraiment royaliste…) a lui-même remarqué…



« Pourquoi le roi Louis XVIII n’a-t-il pas remis officiellement en cause les lois de 1791 ? Sans doute parce que la bourgeoisie, qui venait de « lâcher » l’empereur, ne s’est ralliée à la Monarchie que du bout des lèvres, craignant de tout perdre de ses nouveaux pouvoirs économiques et politiques acquis sous la Révolution et confortés par l’Empire, et que le roi, soucieux de refaire l’unité française plutôt que de raviver les blessures, a préféré contourner la bourgeoisie plutôt que de la braquer. En légalisant le repos dominical (1) par le biais d’une loi dite de « sanctification du dimanche », il semblait déplacer la question sur le terrain religieux sans s’en prendre directement à la bourgeoisie elle-même, et il permettait à cette dernière, peu conciliante sur ses « droits » issus de la « liberté du travail » de 1791, de ne pas perdre la face. En somme, une habileté royale en attendant que l’État monarchique restauré soit assez puissant pour imposer d’autres concessions à la bourgeoisie… Mais la Restauration, malgré certains de ses préfets qui alertent sur les terribles conditions de travail des ouvriers dans les régions minières et manufacturières (Villeneuve-Bargemont, en particulier), n’en aura ni l’occasion ni le temps, la révolution de 1830 renforçant la bourgeoisie tout en affaiblissant la Monarchie, désormais sous le risque permanent d’une nouvelle révolution libérale.




« Si la Monarchie n’a pas eu toute la latitude nécessaire pour agir sur la question sociale, elle en a au moins eu la conscience et ce n’est pas un hasard si les premières lois sociales visant à soulager les ouvriers, le plus souvent en « contournement » plutôt qu’en affrontement direct avec la bourgeoisie, sont votées et appliquées dès le roi Louis XVIII qui, en 1818, met aussi en place le livret d’épargne (aujourd’hui livret A) qui doit permettre à tous les Français de pouvoir « mettre de l’argent de côté » dans l’idée d’enraciner (au-delà des possédants et des bourgeois) les classes moyennes et les travailleurs (indépendants ou salariés) au cœur de la société : puisque les corporations protectrices n’existent plus, l’idée est de les remplacer (en attendant mieux…) par une épargne individualisée et garantie par l’État qui prend ainsi le relais des institutions professionnelles encore interdites. La stratégie royale est habile, n’est pas inutile, et nous en mesurons encore les effets aujourd’hui avec le recours massif à ce livret en période d’incertitudes, non pour « faire du profit » mais pour préserver « ce que l’on a » en attendant des jours meilleurs pour sortir cette épargne de son nid et permettre la reprise des activités économiques et commerciales dans les meilleures conditions qui soient, la prudence prévalant plutôt que l’avidité…



« Tout l’intérêt d’une Monarchie royale en France est de « prendre son temps » pour bien faire les choses. Mais, convenons-en, cela peut, dans les périodes de restauration, de nouvelle instauration ou de ré-instauration, être une faiblesse, parfois fatale : cela doit donc nous inciter à poser les bases théoriques avant que d’être pratiques d’une Monarchie royale qui doit mener, dès son avènement, une politique véritablement sociale et qui s’appuie sur les forces productives et pas seulement financières, ces dernières devant être sérieusement encadrées dès le premier jour si la Monarchie veut pouvoir s’enraciner vraiment. L’élément fort de la légitimation de la nouvelle Monarchie ne peut être, en ce domaine, que l’application « sanctoludovicienne » de la justice sociale. Le comte de Paris des années 1930 l’avait fort bien compris, lui dont l’un des premiers et plus importants écrits portera sur ce thème et s’intitulera « Le Prolétariat » qui aurait pu être sous-titré : « Comment mettre fin à l’indignité sociale par la Monarchie sociale… ».





(à suivre)





Notes : (1) : Napoléon 1er avait toujours refusé de remettre en place le repos dominical en prétextant que les ouvriers pouvaient travailler ce jour-là aussi puisqu’ils mangeaient bien tous les jours de la semaine… Argument désarmant de cynisme et de mauvaise foi, mais qui convenait à la part la plus libérale de la bourgeoisie !


L’indécence sociale contre le Travail français.

J’appartiens à une famille de pensée « royaliste sociale » dans laquelle la question de l’argent n’est jamais première sans pour autant qu’elle soit négligée ou oubliée : simplement, l’argent est remis à sa place qui est de servir et non d’asservir. L’Eglise catholique enseignait jadis que l’argent peut être « un bon serviteur » mais qu’il est un « mauvais maître », et que toutes les richesses de Crésus, d’Harpagon et d’Onassis ne leur assuraient pas, en tant que telles, leur place au paradis. Ces leçons simples n’ont visiblement plus court dans un monde dominé, au sens fort du terme, par l’Argent avec un « A » majuscule, et c’est même l’hubris qui semble désormais tout écraser, avec le mépris envers les autres qui, le plus souvent, l’accompagne. J’en veux pour preuve deux informations de ces derniers jours, révélatrices, et qui concernent, même si cela semble en partie plus « mondialisé » que strictement national, notre pays, la France, celle que courtisent les deux finalistes de l’élection présidentielle…

La première est celle du salaire « astronomique » (selon l’expression consacrée) de Carlos Tavares, et que même le président-candidat a qualifié de « choquant et excessif », quasiment dans les mêmes termes que sa concurrente du 24 avril, sans que l’on sache bien (et cela a-t-il vraiment de l’importance ?) qui a « tiré le premier » sur ce symbole du capitalisme « sans frein » (selon les paroles du chant La Royale, l’hymne de l’Action Française). L’article du Parisien de ce jour (lundi 18 avril) nous donne quelques précisions : « Voici les chiffres, en espèces sonnantes et trébuchantes : Carlos Tavares touchera 19 millions d’euros pour 2021, dont 13 M d’euros de variable, et des dizaines de millions d’euros d’ici cinq ans si certains objectifs (sur le cours de Bourse notamment) sont atteints d’ici là… ». Bien sûr, certains diront que c’est moins que le salaire annuel du joueur de balle-au-pied Lionel Messi (environ 63 millions pour une année au Paris Saint-Germain, dont 41 millions nets de tout impôt) : cela n’en reste pas moins choquant au regard de la situation sociale actuelle, d’une part, et de la simple raison d’autre part (1). L’argument des néolibéraux selon lequel le salaire du patron de Stellantis serait inférieur à ceux des patrons d’Outre-Atlantique montre ainsi que l’impudence n’a pas de frontières mais il serait bon qu’ils se souviennent qu’à défendre l’inacceptable, ils se condamnent à n’être plus entendables par les populations de ce côté-ci de l’Atlantique… La CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) et les autres syndicats représentés dans les usines automobiles du groupe Stellantis (PSA-Citroën, Chrysler, Fiat) résument le scandale en quelques mots : « L’écart ne cesse d’augmenter entre les plus bas salaires et les plus hauts salaires, pointe Franck Don, le délégué syndical central CFTC. Tavares est un très bon capitaine d’industrie mais à un moment donné, il faut rester raisonnable. » Chez FO aussi, c’est « l’écart » avec la base qui est dénoncé. « Le groupe devrait mieux partager le gâteau, dans un contexte d’inflation galopante » (…) ». Ce qui rejoint la réaction de certains actionnaires de l’entreprise : « Pareils montants sont non seulement exagérés, mais par ailleurs totalement inacceptables dans une entreprise en pleine restructuration, tempête Denis Branche, le directeur général de Phitrust, une société de gestion, actionnaire minoritaire de Stellantis. Carlos Tavares fait du bon travail, mais ce n’est pas parce qu’il réussit qu’il doit être payé autant. Il n’a pas non plus inventé la voiture qui vole ! ». » Mais, malgré un vote négatif des actionnaires (52,12 % des votants), vote dont le Conseil d’Administration souligne qu’il n’est « que » consultatif, le salaire de M. Tavares a été validé, au motif que, selon le président de Stellantis John Elkann, l’état-major de l’entreprise avait choisi « d’opter pour la « méritocratie » et « de récompenser les performances » », ce qui laisse songeur, tout de même, sur cette drôle de « méritocratie » ainsi vantée et rémunérée… Qu’il soit normal de récompenser le directeur général pour avoir sauvé un groupe jadis en difficulté me semble évident mais, répétons-le, c’est la démesure de la somme qui laisse songeur au regard de la prime d’intéressement et de participation de 4.000 euros brut minimum concédée aux salariés, et de la hausse de 2,8 % des salaires ouvriers. D’autant plus que, si la tendance favorable à l’entreprise se démentait dans les années suivantes, ce sont les ouvriers qui, les premiers, en paieraient le prix le plus lourd quand la Direction, elle, verserait des « parachutes dorés » à ceux qui auraient mal mené le navire amiral…

La seconde information est l’absence d’accord sur les salaires entre la direction d’Amazon France et les syndicats de l’entreprise, et qui montre, là aussi, l’indécence sociale de certains grands groupes commerciaux et l’oubli de leurs devoirs sociaux, au détriment de ceux qui, pourtant, sont indispensables au fonctionnement de l’entreprise, à la base. « Alors qu’Amazon va facturer aux vendeurs une taxe de 5 % pour le carburant et l’inflation, la direction annonce ne vouloir augmenter nos salaires que de 3,5 % et nous dit clairement qu’elle n’ira pas plus haut », s’indignent [les syndicats]. La direction continue de nous mépriser, ne voyant que les intérêts plutôt que de penser à ses salariés qui peinent à vivre dignement. » L’intersyndicale réclamait une hausse des salaires de 5 % tandis que l’inflation, selon l’Insee, a atteint 4,5 % sur un an en rythme annuel. » (2). Bien sûr, l’entreprise argue de quelques mesures portant, à chaque fois et pour chaque salarié, sur quelques centaines d’euros (le doublement de la prime inflation, par exemple, à 200 euros), mais, là encore, c’est la démesure entre les profits du géant de la distribution et les salaires de ses employés qui peut, légitimement, choquer, surtout quand on constate, d’une part les difficiles conditions de travail dans ses entrepôts, d’autre part la position dominante (écrasante ?) de l’entreprise du commerce numérique dans le monde. Doit-on rappeler les chiffres d’Amazon, là aussi astronomiques, pour l’année 2021 : 470 milliards de dollars de chiffres d’affaires dans le monde, soit 22 % de plus que l’année précédente, et, ce qui est plus significatif pour ce qui nous intéresse, 33 milliards de dollars (soit environ 28 milliards d’euros) de profits, soit 57 % de plus qu’en 2020, dont très peu (et, disons-le, trop peu !) reviennent à ceux qui, là encore, sont une pièce maîtresse de ces résultats considérables, c’est-à-dire les simples salariés. Comme si le travail valait bien moins que la spéculation sur celui-ci, ce qui n’a rien de normal, au regard de la simple décence sociale, surtout quand on sait que la valorisation boursière de l’entreprise Amazon est de… 1.480 milliards de dollars (environ 1.370 milliards d’euros) !

Il est un point qui me semble révélateur de la faiblesse de la République face à l’Argent, c’est que ces deux informations paraissent alors que nous sommes entre les deux tours d’une élection présidentielle et que l’on pourrait penser qu’elle allait inciter les directions d’entreprise à une plus grande réserve ou prudence, ce qui visiblement n’est pas le cas, comme si elles avaient intégré le fait, avéré désormais, que, quoiqu’il en soit, l’Etat est impuissant à peser sur des décisions prises ailleurs et cela même si elles concernent des travailleurs français ou des sociétés liées à notre pays ou implantées sur son territoire. L’indignation du président-candidat n’a absolument pas impressionné le Conseil d’Administration de Stellantis et Amazon, selon Le Figaro économie, reste maître du jeu : « Si les syndicats ne signent pas, elle [l’entreprise] pourra passer outre ». Cela augure mal de la suite, mais cela démontre aussi qu’il est temps de renforcer l’Etat, non en l’engraissant mais en le musclant. Tout comme il est temps de redonner de la force aux salariés pour qu’ils puissent négocier dans de meilleures et plus saines conditions, non par la grève comme ils sont trop souvent poussés (ou réduits) à le faire, mais par la refondation d’institutions du Travail que l’on pourrait qualifier de « corporatives », institutions dans lesquelles le travail serait privilégié et reconnu à sa juste valeur, non à travers la seule « profitabilité » mais par sa qualité.


Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) : Lorsque les Royalistes sociaux du Groupe d’Action Royaliste dénoncèrent à l’été 2021 les 41 millions d’euros de salaire sans impôts de M. Messi en soulignant que cela représentait l’équivalent des salaires cumulés de 1.300 infirmières, de nombreux internautes nous saturèrent de commentaires fort peu sympathiques, voire injurieux, comme si nous avions commis un blasphème : les dieux du stade sont intouchables, semble-t-il… et leur maître suprême l’Argent ne peut être rappelé à la raison ! Quelques mois après, alors que les résultats sportifs du salarié millionnaire n’étaient pas à la hauteur des espérances des soutiens du club, les mêmes interpellateurs et injurieurs s’en prirent à lui avec des termes que les Royalistes sociaux n’avaient même pas formulés à son encontre…

(2) : Le Figaro-économie, vendredi 15 avril 2022.




La grande faute sociale de la Droite.

Les soirées électorales sont devenues, depuis longtemps, des moments gênants de la vie démocratique française, surtout en temps de présidentielle : chacun y va de sa langue de bois ou de velours, pour finir en incantation et appel aux valeurs de la République, toujours menacées et donc à sauver, ce qui devient lassant et peu convaincant à la fin. C’était, dimanche soir, le bal des hypocrites, et le temps de décence n’était plus de mise pour se rallier au président sortant, avec quelques précautions oratoires bien sûr, mais qui ne trompaient personne. Ainsi est-il demandé à ceux qui craignent le report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans de voter pour celui qui a assuré, depuis le début de sa campagne, vouloir le mettre en place dès le début de son nouveau quinquennat : cette question-là n’aurait-elle pas mérité une négociation avant le ralliement, ne serait-ce que pour donner plus de poids aux négociateurs (partis et syndicats, par exemple) et pour éviter une forme de désespoir social des électeurs non-macroniens (voire antimacroniens) une nouvelle fois abandonnés à leurs inquiétudes par ceux-là mêmes qui prétendaient les défendre la veille encore ? Et l’annonce par le président-candidat d’un possible référendum sur cette question peut paraître, même, comme un moyen de couper l’herbe sous le pied à une éventuelle contestation qui ne devrait pas grand-chose aux ralliés mais plutôt aux « hors-partis » qui pourraient être tentés de se servir du bulletin de vote Le Pen pour empêcher la réforme promise et redoutée par tant de Français de tous les âges (d’avant 65 ans surtout, si l’on en croit les sondages…).

Quoiqu’il en soit, la campagne présidentielle a aussi démontré les insuffisances sociales d’une Droite (qu’elle soit libérale ou conservatrice) oublieuse, une fois de plus, de ses héritages et de ses principes traditionnels de bienfaisance et de service : nous sommes bien loin de la Droite d’Albert de Mun ou de La Tour du Pin, catholique sociale, souvent royaliste, mais déjà peu appréciée des partis « bourgeois » classés à droite ou au centre de l’échiquier politique. Cette indifférence sociale n’est qu’une des raisons, sans doute, de l’échec des candidats Zemmour et Pécresse, mais elle ne me semble pas forcément négligeable car, en oubliant les préoccupations sociales des populations du Travail, le risque est certain d’être considéré comme appartenant au « bloc élitaire » évoqué par l’analyste politique Jérôme Sainte-Marie et opposé, sociologiquement parlant, au « bloc populaire », mieux représenté selon les électeurs par M. Mélenchon à gauche et Mme Le Pen à droite. L’indécence de Mme Pécresse, jadis adversaire de l’assistanat, implorant les dons de ceux qui avaient voté pour elle et excipant du fait qu’elle s’était « personnellement » endettée de 5 millions d’euros quand elle en annonçait presque le double en possession propre dans sa déclaration de patrimoine d’il y a quelques semaines, a eu un effet dévastateur dans l’opinion publique et a exacerbé l’agacement à l’encontre de ceux-là mêmes qui disent aux autres de se serrer la ceinture et s’inquiètent de leurs « millions » perdus quand tant de nos concitoyens comptent leurs revenus annuels en quelques milliers d’euros…

Les actuelles promesses des candidats de la présidentielle de 2022 (anciens ou finalistes) autour du pouvoir d’achat des Français – aujourd’hui bien écorné par la succession de crises et de pénuries qui risquent bien de devenir, pour ces dernières, structurelles à plus ou moins long terme (du fait de l’épuisement des ressources fossiles, mais aussi de la surexploitation des ressources dites renouvelables, qu’elles soient alimentaires ou forestières, par exemple) – ne sont pas suffisantes pour faire une politique sociale digne de ce nom et convaincante sur le long terme. Là où il faudrait une réflexion sur le travail et ses finalités autant que ses moyens, il n’y a trop souvent que des slogans et des annonces qui ont peu de chance de devenir réalités, car le système même de l’économie mondialisée ne raisonne qu’en termes d’avantages comparatifs et de « profitabilité » quand il faudrait penser en termes de besoins humains concrets et de « sens » de la production ; quand il faudrait évoquer et préserver les travailleurs des excès de l’Argent et de ses exigences parfois inhumaines ; quand il faudrait poser la grande question de la justice sociale et de la meilleure répartition des fruits du travail, etc. Bien sûr, cela impose aussi de remettre en cause quelques préjugés propres à l’idéologie dominante, matérialiste et « consommatoire », et ceci qu’elle se pare des attributs du libéralisme ou de l’assistanat, deux faces aussi désagréables l’une que l’autre.

En adoptant un langage économique qui négligeait trop souvent les aspects sociaux (ou antisociaux, en fait…) des politiques envisagées, la Droite (mais aussi une part de la Gauche modérée) a manqué à ses devoirs sociaux, au risque de ne plus être entendable par une part des populations du Travail, celle des ouvriers d’usine et du bâtiment, des employés mais aussi des artisans et des petits commerçants qui ne sont pas exactement des assistés… L’orientation de l’économie vers une forme de « dictature actionnariale », en rupture même avec l’ancien capitalisme des capitaines d’industrie, a accéléré le divorce entre les catégories vivant des activités productives et une Droite qui, trop souvent, a préféré vanter les mérites d’une économie plus financiarisée et mondialisée, et cela au nom d’une globalisation qui était censée être « heureuse » pour les consommateurs français, en faisant mine d’oublier que nombre d’entre eux étaient aussi des producteurs ou des employés d’ici, et que délocaliser les entreprises pour produire « moins cher » ailleurs pouvait évidemment avoir des conséquences sociales malheureuses : la désindustrialisation, jamais vraiment enrayée depuis les années 1980, a paupérisé une part non négligeable des « classes laborieuses » tout en leur ôtant « l’identité du travail » et les réduisant à devenir les assistés d’un Etat qui, à défaut d’être protecteur et incitateur, se voulait « providence »… La Droite, tout à son discours sur la modernité économique, n’a pas su (pas voulu ?) mettre des limites à une mondialisation qu’elle confondait avec une simple internationalisation des rapports économiques quand elle était l’imposition d’un seul modèle aux nations destinées à se fondre dans ce Grand Marché global. Croyant « désétatiser » le monde en réponse au modèle étatiste (dit « socialiste » de l’autre côté du rideau de fer), puis en remplacement de celui-ci après 1991, la Droite n’a fait que le livrer aux seules féodalités de l’Argent… « La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille » : la citation du président de Gaulle était désormais considérée comme le souvenir d’un âge « pré-libéral » qu’il fallait dépasser, voire oublier, malgré les avertissements du prix Nobel d’économie Maurice Allais, inquiet de ce glissement vers un libéralisme « loi de la jungle » et désormais dominateur avant que de se vouloir « obligatoire », dans une logique toute thatchérienne. Pour la Droite, cela se paye en larmes du dimanche soir, cette fois ! Mais celles des travailleurs sacrifiés sur l’autel de la mondialisation me touchent, en définitive, beaucoup plus que celles de cette Droite-croco, et m’incitent à ne jamais oublier les devoirs sociaux que la Monarchie que je souhaite devra respecter pour légitimer son retour, son existence et son enracinement



Jean-Philippe Chauvin

Le corporatisme. Notre avenir pour nos métiers :

Corporatisme ! S’il y a bien un mot qui est totalement galvaudé à ce jour, c’est bien celui-là. Dans l’esprit de beaucoup de personnes, il est synonyme de communautarisme sectaire ou caste oeuvrant essentiellement pour ses intérêts privés au détriment du bien commun. Pourtant, au-delà de cette définition erronée, que désigne véritablement ce mot ?
Le sociologue René de la Tour du Pin a formulé lui-même une réponse simple et claire sur ce que désigne avant tout le corporatisme. Il définit le corporatisme comme étant la troisième école d’économie politique. Selon lui, il y a :
« Celle où l’on considère l’homme comme une chose », c’est le libéralisme.
« Celle où on le considère comme une bête », c’est le socialisme.
« Celle ou on le considère comme un frère », il s’agit alors du corporatisme.

C’est de cette troisième école d’économie politique dont il est question dans ce livre. Nous allons vous faire découvrir une approche différente de la gestion du monde du travail, au-delà des doctrines libérales ou marxisantes qui ont, depuis trop longtemps déjà, façonné notre vie économique et professionnelle. Le régime corporatif que nous proposons est celui qui a largement fait ses preuves dans l’histoire des peuples européens. Il est celui des bâtisseurs de cathédrales, eux-mêmes héritiers des bâtisseurs de la Grèce et la Rome antique. Il est celui qui sut donner une réelle noblesse professionnelle aux artisans de jadis, qui façonnèrent de par leur savoir-faire, notre beau pays qu’est la France. Il est le régime qui fit largement ses preuves durant les siècles de notre histoire, avant d’être supprimé arbitrairement par les révolutionnaires de 1791, au profit d’un libéralisme économique qui institua le règne de l’argent, avec pour conséquence, la prolétarisation du monde ouvrier.

Adapté aux réalités de notre époque, le corporatisme pourrait redéployer toute sa puissance pour forger une génération de professionnels qui retrouveraient leurs responsabilités dans la gestion de leurs métiers et de l’économie qui en découle. Plus que jamais, le corporatisme se présente comme une solution d’avenir possible pour un monde du travail libéré du joug de la haute finance et du parasitisme.

Découvrez et faites découvrir cette étonnante école qu’est le corporatisme, et puissiez-vous avoir à votre tour, la conviction d’un avenir possible avec cette solution, à la fois traditionnelle dans ses principes, et originale et moderne dans sa pratique.

Pour la justice sociale, Monarchie royale !

La France ne peut oublier cette exigence de justice sociale que crient les peuples de notre pays, au sein de leurs villes et campagnes, au travers de leurs professions et activités économiques, mais aussi au gré des contestations contemporaines : cette exigence, d’ailleurs, n’est pas à sens unique et elle doit être l’occasion de repenser les fonctions économiques et les rapports sociaux, non dans une logique, vaine et souvent créatrice d’injustices, d’égalitarisme social, mais selon les critères de bien commun, de nécessaire solidarité et entraide, de service et non d’égoïsme ou de grivèlerie économique…

La grande question des retraites, qui commence à préoccuper nombre de nos concitoyens, doit être l’occasion de réaffirmer la nécessité d’une justice sociale qui doit inclure plutôt qu’exclure ou marginaliser, qui doit inciter au partage et à la mise en commun et non au repli sur soi de chaque classe sur ses seuls intérêts ou jalousies : elle ne pourra être résolue positivement que par la prise en compte des qualités et des fragilités de chacun, au sein de son cadre socio-professionnel et « d’enracinement », et selon le contexte local et national. En ce sens, une réponse « corporative », c’est-à-dire qui pense le travail dans un cadre professionnel et local, selon des règles établies par branche d’activités ou corps de métier (et cela sans méconnaître les mutations du travail ni les mobilités contemporaines, mais en leur fixant un cadre légal et approprié à ces particularités), apparaît possible et, même, souhaitable : au-delà de la justice sociale, cela assurerait une visibilité et une prévisibilité à des systèmes de retraites qui doivent s’inscrire dans la durée pour satisfaire aux besoins des travailleurs d’hier comme à ceux d’aujourd’hui et de demain.

Encore faudrait-il que l’État, qui doit être le garant suprême de la justice sociale entre (et pour) tous les corps et citoyens de ce pays, retrouve les moyens d’assurer et d’assumer son rôle de justicier : pour avoir la légitimité et la force d’incarner ce souci éminemment politique, il lui faut être indépendant des jeux de partis et des grandes féodalités financières et économiques, mais aussi des pressions de la « gouvernance » (sic !) de l’Union européenne et de la mondialisation. Il n’est pas certain que, désormais, l’élection du Chef de l’État au suffrage universel assure solidement l’indépendance de la magistrature suprême de l’État, car les jeux économico-politiciens l’ont prise en otage. Reconquérir l’indépendance pour l’État passe par un mode de désignation qui ne doive rien à l’élection sans, pour autant, la dénier pour les autres constituants de la sphère politique (assemblée nationale ; sénat ; municipalités ; chambres économiques, professionnelles, agricoles, etc.) : ainsi, la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’État apparaît comme la plus simple et la plus pérenne à long terme pour s’abstraire des égoïsmes politiciens ou particularistes. Que pour la Monarchie royale en France, la main de justice ne soit pas un simple hochet mais un symbole fort et nécessaire de sa vocation sociale, nous paraît comme le signe le plus évident mais aussi le plus exigeant de sa nature politique : si la Monarchie réinstaurée l’oubliait ou le négligeait, elle en paierait le prix le plus élevé, celui du discrédit et de la chute finale, comme le signalait avec véhémence le plus fidèle des royalistes, notre capitaine Georges Bernanos…

Les accidents du travail sont une calamité, pas une fatalité.

Le thème de l’insécurité sociale est trop largement sous-estimé dans le débat présidentiel actuel, et il faut le regretter : non que l’on n’en parle pas, mais il n’est abordé, principalement, que sous l’angle de la poussée inflationniste et de la perte de pouvoir d’achat des consommateurs et, de façon trop discrète, sous celui, moins prégnant dans la campagne, de la désindustrialisation dévastatrice et de la nécessaire réindustrialisation, souvent promise et jamais vraiment engagée… Or, l’insécurité sociale, c’est aussi le risque au travail et ses formes les plus dramatiques, les accidents du travail. Un livre récent vient nous le redire, intitulé : « Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles », souligné d’un sous-titre terrible : « 14 morts, 12.500 blessés par semaine en France » (livre signé de Véronique Daubas-Letourneux, 310 pages, édité chez Bayard) ! Chiffres terribles, jamais évoqués dans les grands médias audiovisuels à ma connaissance, et qui peuvent (et doivent) inciter à la réflexion, sans négliger le recueillement possible pour les victimes de ces drames ! Un petit calcul montrera aussi l’ampleur de cette question, celui qui consiste à rapporter ces chiffres hebdomadaires à l’année entière : plus de 700 morts et environ 650.000 blessés sur le lieu du travail chaque année… Bien sûr, tous les métiers ne sont pas concernés de la même manière : peu de cadres et de professeurs, mais nombre d’ouvriers (principalement du bâtiment avec 14 % des accidents et 19 % des décès, des transports et de l’agroalimentaire), ainsi que de la main-d’œuvre féminine des services de soins.

Dans un article publié par La Croix L’Hebdo dans son numéro du samedi 22-dimanche 23 janvier 2021 et qui évoque ce livre, Antoine d’Abbundo résume les données chiffrées du sujet : « En Europe, une enquête de 2007 relève que plus de 3 % des travailleurs de l’Union – soit 7 millions de personnes – ont eu un accident dans l’année précédente. En ce domaine, la place qu’occupe la France n’est guère enviable. En 2012, elle se classait à l’avant-dernière place des Etats membres avec un taux d’incidence de plus de 3 000 accidents graves pour 100 000 travailleurs. En 2019, le secteur privé enregistrait encore 733 morts sur l’année, hors accidents sur le trajet (…). » Cela a d’ailleurs des conséquences sur les chantiers du bâtiment eux-mêmes, comme le souligne à La Croix (vendredi 14 janvier 2022) l’assurance-maladie : « Pour les entreprises du secteur, les arrêts de travail pour cause d’accidents représentent l’équivalent de 36 000 emplois à temps plein » et de « 5 % du coût total des bâtiments », des chiffres qui, de surcroît en cette période de tension de sortie de crise sanitaire, ne sont pas négligeables !

Quelles causes à ces accidents du travail beaucoup trop fréquents aujourd’hui ? Selon l’enseignante Véronique Daubas-Letourneux citée par La Croix L’Hebdo, « la montée, depuis quelques décennies, d’un management « à l’objectif » – et les cadences qui vont avec – comme la précarisation des statuts, en particulier chez les jeunes, accroissent la pression sur les travailleurs et les rendent plus vulnérables. Ce qui explique sans doute pourquoi, après une baisse continue du nombre d’accidents de 1950 à 2000, l’indice de fréquence et le taux de gravité ont tendance à repartir à la hausse. »

Que faire, dès maintenant, pour éviter au maximum que la mortalité au travail n’augmente ? Multiplier les interventions de l’inspection du travail qui, en 2019, « ont ainsi mis fin à 4 632 chantiers jugés dangereux », est une nécessité mais qui ne peut se faire efficacement que s’il existe une véritable stratégie de recrutement et de formation de nouveaux inspecteurs du travail, ainsi qu’une mise sous pression des entreprises qui utilisent des sous-traitants, en améliorant la « traçabilité » de ces derniers et leur encadrement pour leur éviter une trop grande exposition aux dangers ; retracer les contours d’une véritable politique de santé et de prévention des risques liés aux activités professionnelles ; responsabiliser les entreprises, leur direction et leur encadrement, pour mieux sécuriser les espaces de travail et préserver les travailleurs eux-mêmes ; etc. (liste de propositions non exhaustive, évidemment).

Bien sûr, toute activité professionnelle comporte des risques et le « zéro accident » est impossible, ne serait-ce que parce qu’il y aura toujours cette part d’impondérable et du « triste hasard », qui s’avère parfois mortel. Mais, il est tout à fait possible de faire baisser le nombre d’accidents professionnels et de limiter les risques (ou de les prévenir). Il ne s’agit pas d’entraver la vie des chantiers ou des usines par des lois supplémentaires mais juste de faire appliquer celles qui existent déjà, sans tomber dans un formalisme inutile et contre-productif. Mais, au-delà, il est une philosophie qu’il faut appliquer au monde du Travail, dans un esprit à la fois corporatif et « personnaliste » : considérer que l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse (ce qu’a rappelé le pape Jean-Paul II, dans l’encyclique Laborem Exercens sur le travail, en 1981), et qu’elle ne doit pas négliger ce qui fait, aussi, l’équilibre d’une société, c’est-à-dire l’intégrité physique et mentale des travailleurs.