Royalisme social

Aux origines de la Question Sociale 2 :

Après un rapide tableau de la situation économique de la France royale avant la fin du XVIIIe siècle et l’évocation des corporations et de l’ordre socio-professionnel de cette époque, il n’est pas inutile d’évoquer succinctement l’état d’esprit dominant sous les Lumières, véritable révolution dans la pensée du service et du temps (entre autres), à rebours de la conception royale de la justice : le règne de l’Argent et de la classe qui en vit et qui en fera système s’annonce…

 

L’organisation corporative de la société et de la production françaises a longtemps convenablement fonctionné et la puissance avérée et significative de l’économie nationale sous la royauté fondatrice et fédérative est indéniable. Mais cela signifie-t-il, pour autant, que la Monarchie d’Ancien Régime ne connaissait pas de problèmes sociaux ou qu’elle était un système parfait et intangible, insensible aux temps et à leurs contraintes, leurs évolutions ? Bien sûr que non !

Nous connaissons tous les révoltes paysannes mais aussi urbaines qui émaillent les temps les plus difficiles du Moyen âge, en particulier après le XIIIe siècle. Elles traversent aussi l’époque dite moderne, et peuvent nous laisser une image plus que contrastée des temps anciens. Nous savons également que ce qui nous semble simple et naturel aujourd’hui (comme la disponibilité – payante, généralement – des produits de consommation alimentaire ou technique), ne l’était pas forcément hier : mais ne confondons pas les progrès techniques, souvent utiles et même salvateurs quand ils sont maîtrisés (1), avec les questions sociales, sans pour autant négliger les rapports et les tensions que les uns et les autres, dans toute société humaine, peuvent entretenir.

Or, ce qui est marquant dans l’exercice et la justification de la Monarchie, c’est son souci politique de la justice, symbolisé par la main de justice remise au roi lors du sacre de Reims et par l’histoire exemplaire (et présentée comme telle par les historiens de la dynastie) du roi Louis IX, devenu saint peu de décennies après sa mort devant Tunis. (2) C’est aussi le souci de garantir « le plus grand bien » aux peuples du royaume, ceux-ci étant indissociables de l’essence même de la Monarchie, ce que symbolisait l’alliance remise au roi, toujours lors de la cérémonie du sacre. Sans oublier sa fonction thaumaturgique qui voit le roi toucher les écrouelles (3) et laver, à l’imitation du Christ, les pieds de quelques miséreux à Pâques…

Or, l’idéologie des Lumières va remettre tout cela en cause, et c’est ainsi que la justice sociale va en être, au niveau des principes en attendant que cela soit au niveau des pratiques, la grande victime expiatoire, tout comme l’équilibre des sociétés et les classes populaires que les Lumières se chargeront, bientôt, d’invisibiliser.

Dans un récent article passionnant de La Nouvelle Revue Universelle (4), Antoine de Crémiers décrit le processus idéologique qui se met en place au XVIIIe siècle, sous un titre de paragraphe particulièrement évocateur, « La liberté du travail, « valeur » suprême de l’oligarchie » : « Comme l’a si bien démontré Karl Polianyi, qu’il s’agisse du mercantilisme ou des formes antérieures de régulation du travail, la valeur du travail – comme l’économie en général, d’ailleurs – est toujours subordonnée à d’autres exigences – religieuses, morales, politiques – qui en forment le cadre et viennent « l’encastrer » dans le social. C’est le libéralisme qui, peu à peu, va dégager l’économie de ces encastrements pour la rendre autonome et indépendante de tout lien avec la religion, la morale et la politique. Et c’est au nom de la liberté du travail que ce processus de dégagement va s’accomplir. C’est une fantastique et redoutable révolution.

 Hannah Arendt résume très clairement les étapes de cette conception nouvelle : « L’ascension soudaine, spectaculaire du travail passant du dernier rang à la place d’honneur et devenant la mieux considérée des activités humaines, commença lorsque Locke découvrit dans le travail la source de toute propriété. Elle se poursuivit avec Adam Smith qui affirma que le travail est la source de toute richesse ; elle trouva un point culminant dans le système du travail de Marx où il devint la source de toute productivité et l’expression même de l’homme. » Adam Smith élabore une idée promise à un grand avenir et qui triomphe aujourd’hui, celle d’un marché « libre » permettant la libre circulation des marchandises et l’accumulation sans aucune limite des richesses. Pour que ce marché puisse se constituer, il faut que les produits du travail puissent s’y échanger en fonction de leur coût et cela ne peut se faire que si le marché du travail est également « libre » et indépendant de toute considération d’ordre moral, religieux et social susceptible d’en perturber le fonctionnement. Le travail est désormais une marchandise vendue comme tous les autres produits au prix strictement déterminé par la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande.

 Ainsi, la véritable découverte que promeut le XVIIIe siècle n’est pas celle de la nécessité du travail – on la connaissait depuis toujours -, mais celle de la nécessité de la liberté du travail et, pour y parvenir, la destruction, la disparition des modes d’organisation du travail qui venaient la limiter et la contraindre. » C’est aussi ce que promeut Turgot à travers ses écrits et ses actes lorsqu’il sera lui-même aux commandes de l’économie française, avant que le roi ne mette fin à cette « expérience libérale » (sur le plan économique) qui avait entraîné la première dissolution des corporations, en 1776, ensuite rétablies avant que la Révolution, éminemment libérale, ne les interdisent purement et simplement par les lois de 1791 : « Dans un article de L’Encyclopédie, Turgot résume fort bien la philosophie politique du libéralisme : « Ce que l’Etat doit à chacun de ses membres, c’est la destruction des obstacles qui les gêneraient dans leur industrie ou qui les troubleraient dans la jouissance des produits qui en sont la récompense. » Pour Turgot comme pour Adam Smith, l’intérêt est le véritable régulateur économique et c’est l’économie qui fait société. » Ainsi, les libéraux légitiment ce que l’on pourrait nommer l’égoïsme économique contre les solidarités professionnelles incarnées par les corporations.

Autre révolution issue des Lumières, celle du temps, ou plutôt de sa conception et de sa compréhension, synthétisée et symbolisée par le raisonnement d’un Benjamin Franklin qui va « financiariser », « marchandiser » le temps, le ramener à une simple dimension utilitaire et matérielle : « Le temps, c’est de l’argent », traduction un peu maladroite mais explicite de son « Time is money » (5). Une formule terrible qui va légitimer la destruction de tout ce qui n’apparaît pas « utile » ou rentable aux yeux des possédants ou des actionnaires, et va permettre, en toute « bonne conscience » et dans le cadre de la Loi, l’imposition de rythmes inhumains, mécaniques et réglementés aux travailleurs d’usines comme de la terre…

Jean-Philippe Chauvin

 

(à suivre : les grandes dates de la naissance de la question sociale en France)

Notes : (1) : la Technique est-elle toujours un « progrès » ? S’il s’agit de la meilleure connaissance (et de sa pratique) des savoirs et des moyens de les maîtriser sans en devenir totalement dépendant, la réponse sera positive ; mais s’il s’agit d’une Technique qui s’imposerait aux hommes et serait aux mains de ceux qui la possèdent sans les garde-fous du « Bien commun » et de la nécessité du « partage du meilleur », il est évident que notre réponse sera négative ! C’est ce que le républicain Michelet évoque en partie dans son ouvrage peu connu intitulé « Le peuple », dans lequel il dénonce le machinisme, idéologie « patronale » de la Machine… C’est aussi ce que dénonce le royaliste Bernanos dans la série d’articles de « La France contre les robots », véritable charge contre le règne des Machines étendu aux sociétés modernes toutes entières.

(2) : Louis IX est ainsi représenté comme celui qui rend la justice sous le chêne de Vincennes, et qui conseillait à son fils d’être d’abord du côté des plus pauvres quand un procès les opposait à de plus riches, et cela pour permettre, non d’influer sur le verdict, mais d’assurer l’équité du procès lui-même et éviter que la puissance des uns ne favorise ceux-ci au détriment de la justice elle-même. Aujourd’hui, saint Louis passerait, près de certains, comme un odieux gauchiste…

(3) : les écrouelles se marquent par des fistules purulentes, localisées principalement dans le cou, et que les rois de France, sans doute depuis les carolingiens, étaient censées guérir en les touchant : le seul roi Louis XIV en touchera plus de 200.000 durant son règne… Mais, en fait, ce n’était pas le roi lui-même qui était guérisseur, mais son intercession entre Dieu et les malades qui devait permettre à Dieu de décider qui devait guérir…

(4) : Nouvelle Revue Universelle, 1er trimestre 2019, numéro 55.

(5) : quand Benjamin Franklin écrit cette phrase, il ne pense alors qu’au temps du travail et à sa productivité. La société de consommation, qui est la deuxième grande phase de développement et d’imposition de cette conception utilitariste du temps, va étendre la formule au temps libre, faisant de celui-ci une des plus importantes sources de revenus contemporaines, des parcs d’attraction aux films d’Hollywood, des jeux électroniques au tourisme international…

 

 

Cercle Lutétia : Aux origines de la Question sociale :

Le Cercle Lutétia a pour vocation de faire connaître les fondements et les raisons du royalisme et de la Monarchie en France, et d’étudier ceux-ci, avec l’aide des travaux et des réflexions menés sur la société française, ses évolutions et ses institutions, selon une perspective historique mais aussi et surtout politique. Le texte ci-dessous est la première partie d’un cercle d’études sur les origines de la question sociale en France, et il doit être l’occasion de discussions, de précisions ultérieures et de critiques constructives : il n’est donc qu’une ébauche, celle qui appelle à la formulation et à la rédaction d’une étude plus vaste et mieux construite sur cette question qui préoccupe tant nos contemporains et à laquelle les royalistes sociaux du Groupe d’Action Royaliste consacrent aussi tant de temps et d’énergie, dans leurs réunions et publications comme sur le terrain, dans la rue ou sur leur lieu de travail…

 

Lorsqu’on évoque la question sociale en France, on oublie souvent ses racines, ses origines, son histoire tout simplement, et l’on se contente trop souvent de quelques idées reçues, confortant l’idée, largement fausse, que seule « la gauche » (1) s’y serait intéressée et s’y intéresserait encore, comme une sorte d’avant-garde revendiquée des travailleurs ou de la « classe ouvrière ». Mais il est tout à fait possible, et encore plus convaincant, de rétorquer que la première mention de la « justice sociale » est attribuée au… roi Louis XVI, celui-là même qui va affronter la tempête révolutionnaire et, malheureusement, être emportée par elle, tout comme l’édifice social et corporatif qui, jusque là, constituait un modèle original et une alternative véritable et tout à fait crédible au modèle anglosaxon pas encore totalement dominant quand il avait, pourtant, conquis déjà les esprits des nobles et des bourgeois éclairés, anglophiles et libéraux.

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Pour une Monarchie sociale et corporative :

Pourquoi préconisons-nous le système Monarchique comme élément essentiel à la prospérité du régime corporatif ? Le système républicain ne pourrait-il pas s’en charger lui-même ? Le problème ne vient-il pas de nos dirigeants et non du système de gouvernement en tant que tel ?

La réponse à ces questions légitimes est clairement : NON !

Premièrement, parce que contrairement à une idée reçue, de par le passé, la Monarchie française et les classes laborieuses ont toujours fait bon ménage. C’est grâce à la Monarchie que, dans l’ancienne France, le régime corporatif a pu s’établir, durer et prospérer. La Monarchie reste et cela depuis les grecs anciens tel Aristote, le couronnement des 3 pouvoirs : démocratie dans la commune, l’aristocratie dans la province avec la monarchie dans l’Etat. La Monarchie possède en son institution le principe de subsidiarité, cher aux chrétiens, qui est l’autonomie complète du citoyen au sens grec bien évidemment. Cela veut dire que tout ce que le citoyen peut et doit gérer lui-même dans ses sphères d’attribution et responsabilités : famille, métier, associations, ville, commune… ne doivent pas être gérer par l’Etat. Deuxièmement, la Monarchie est intéressée à la réorganisation corporative, seule garantie d’une vraie liberté du travail. La Monarchie ne peut vivre sans les libertés corporatives, comme les libertés régionales, provinciales et familiales. Elle ne se maintient qu’à la condition de les protéger, de même que la république ne subsiste qu’à la condition de les étouffer, car le principe qui est à la base de la république, c’est l’élection ; à la base de la Monarchie française, il y a l’hérédité. Parce que le pouvoir républicain est électif, son existence est à la merci d’un scrutin. Pour durer, il s’arrange de manière à ce que le scrutin lui soit toujours favorable, en faisant de l’individu son débiteur. Or l’individu ne devient vraiment débiteur du pouvoir républicain que lorsque ce pouvoir est le seul dispensateur des grâces, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe pas, pour protéger l’individu, d’autre forteresse que l’Etat républicain. Cela ne veut pas dire que les élections n’existent pas en Monarchie, bien au contraire mais celles-ci sont débarrassées du parasitisme des partis. Les élections, plus nombreuses en Monarchie, sont liées au quotidien des Français, dans tous ce qui les touchent de près : organisation citadine, des métiers, représentants aux conseils de province, impôts, écoles, etc…

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La justice sociale, notre boussole nécessaire ! :

Depuis des années que je prône une Monarchie sociale, je constate parfois une certaine indifférence des milieux monarchistes sur cette fameuse question sociale qui, pourtant, ne cesse d’interroger notre société et les classes populaires comme, de plus en plus, les classes moyennes qui, jusqu’à cette dernière décennie, se croyaient à l’abri des dysfonctionnements de la mondialisation. Peut-être cela est-il dû à la sociologie des partisans de la Monarchie, qui se recrutent plus dans le monde des « intellectuels » (et ce n’est pas péjoratif sous ma plume) et de certaines élites sociales moins concernées par le chômage que la plupart de nos concitoyens. Bien sûr, nombre de royalistes militants ont lu Valois ou les écrits du Cercle Proudhon, mélange d’étudiants d’Action Française et d’ouvriers anarcho-syndicalistes, et dénoncent les excès du libéralisme économique, tout en clamant un « ni droite ni gauche » qui, s’il est théoriquement satisfaisant, est beaucoup moins compréhensible et pratiqué dans la réalité. Pourtant, il y a toujours eu des royalistes sociaux, depuis ces artisans attachés à leurs corporations dissoutes par les lois de 1791 et les légitimistes des années 1820-1880 dont certains n’hésiteront pas à se former en une « Montagne blanche » ouvriériste et « révolutionnaire » face au nouvel ordre bourgeois né de l’industrialisation du XIXe siècle, jusqu’aux militants de L’Accord Social de Firmin Bacconnier et à ses successeurs de Notre Avenir Français de Robert Lecompte qui, dans les années 1960-1990, maintenaient la flamme de ce royalisme social ordonné autour des écrits et idées de La Tour du Pin…

 

Le Groupe d’Action Royaliste est né, il y a une bonne dizaine d’années, autour de la volonté de renouer avec ce royalisme social et populaire d’antan, non pour entretenir une nostalgie, mais pour travailler sur la question sociale et ouvrir des pistes de proposition dans une France traversée de part en part par une globalisation qui n’est pas qu’économique : c’est la justice sociale qui est notre boussole, et il n’est pas indifférent de rappeler que c’est le roi Louis XVI à qui est attribué le premier usage de cette formule qui, bien plus tard, deviendra aussi le titre d’une revue royaliste du premier vingtième siècle ! Justice sociale qui ne signifie pas dogmatisme mais volonté de ne pas oublier les hommes dans la société, et de ne pas laisser les inégalités (1) devenir des injustices parce qu’elles sombreraient dans la démesure qui est l’ennemi de tout bien si l’on n’y prend garde.

 

Or, les années dernières semblent avoir renoué avec la « lutte des classes », et c’est un milliardaire états-unien qui, il y a déjà quelques temps, avouait qu’elle avait tournée à la victoire des plus riches ! A bien y regarder, nous assistons effectivement à un écart des ciseaux de plus en plus large entre les plus fortunés, très liés aux réseaux de la mondialisation et de la métropolisation, et les moins aisés, fragilisés socialement et culturellement mais aussi fascinés, pour nombre d’entre eux, par le système même qui les exploite et les aliène, celui de la société de consommation. En lisant nombre de textes sur la condition ouvrière au XIXe siècle en France et en Angleterre, j’ai remarqué une certaine gêne ouvrière, à partir du milieu de ce siècle de fer et d’acier, à s’en prendre au système de production et aux machines qui, pourtant, étaient l’un des éléments majeurs de leur exploitation souvent brutale. Pourtant, en 1811, les tisserands anglais, ruinés par la concurrence des machines, avaient engagé la destruction de celles-ci, au grand dam des propriétaires industriels : cette révolte contre les machines, baptisée « luddisme », était-elle hostile aux progrès techniques ou, bien plutôt, à leur usage désormais réservé à ceux qui avaient les moyens financiers de se les approprier ? C’était surtout un cri de désespoir de ceux qui ne voulaient pas mourir pauvres mais vivre de leur travail, librement, dignement. Il ne fut pas entendu mais, au contraire, fortement réprimé : en février 1812, une loi est votée par le parlement de Londres qui condamne à la peine capitale les destructeurs de machines… Ainsi, désormais, une machine vaut plus que la vie d’un homme ! Cet événement est l’un des plus importants de l’histoire sociale en Europe, mais il est totalement éludé aujourd’hui, à part quelques études universitaires souvent confidentielles et des textes militants des partisans de la décroissance qui en font état. Pourtant, avec les lois françaises de 1791 détruisant les corporations et le modèle social français (décret d’Allarde et loi Le Chapelier, mars et juin), c’est sans doute la date la plus révélatrice et symbolique de la violence du mode de développement industriel et économique issu de l’idéologie franklinienne, de ce « Time is Money » qui fait passer les intérêts de tous les hommes du Travail après ceux de l’Argent et de ses possesseurs fortunés.

 

Or, après cette résistance des artisans et ouvriers anglais de 1811-1817, et celle des Canuts de Lyon face aux mêmes enjeux sous la Monarchie de Juillet, les recrues de l’industrialisation, généralement issues des campagnes, paraissent renoncer à la contestation du système économique, aspirant plus à en profiter qu’à le remettre fondamentalement en cause, si ce n’est sur le seul rapport de domination : les luttes se font souvent anti-patronales ou salariales, et évoquent les questions statutaires des travailleurs sans poser la question du système de la Technique au service de l’Argent. Pourquoi ? La question mérite d’être posée, d’autant plus que le même système de développement industriel et économique s’est répandu sur le monde, accéléré encore ces trente dernières années par la mondialisation, et que la même gêne ouvrière, ou la même retenue des travailleurs, semble dominer, que cela soit en Chine ou en Malaisie, au Vietnam ou en Ethiopie (nouvel eldorado du travail sous-payé et des firmes transnationales…). A bien y regarder, j’en déduis que les travailleurs nouvellement entrés en usines ont acquis la certitude que leur exploitation est la voie d’accès pour l’intégration, « leur » intégration, dans la société de consommation à laquelle ils aspirent, sinon pour eux, du moins pour leurs enfants, puisqu’elle leur est présentée comme l’avenir radieux auquel mène forcément le « Développement » dont ils sont les soutiers, et ils représentent, intimement et sans le saisir parfois eux-mêmes, une « classe sacrificielle » (2). Ainsi, cette « aliénation » à ce millénarisme consumériste est le meilleur moyen de ce système de domination de l’Argent et de ses « plus fortunés », de cette « Fortune anonyme et vagabonde » qui vit de la mondialisation et de sa « fluidité » et qui sait se défendre malgré les révoltes sociales qui, un peu partout dans le monde, semblent surgir sans réussir à s’ordonner.

 

Et la Monarchie là-dedans ? Firmin Bacconnier avait bien compris, à la suite de La Tour du Pin, que celle-ci, si elle voulait se refonder solidement, devait s’enraciner dans une légitimité de « service social », et incarner, face aux féodalités financières et économiques, la Justice sociale. Mais la Monarchie royale « à la française » dispose d’un atout qu’elle a parfois hésité à engager dans le passé et, en particulier, au XIXe siècle : celui de son indépendance de situation, le roi ne tenant son sceptre ni de l’élection ni de l’Argent qui fait trop souvent cette dernière, et qui peut lui permettre de poser des actes politiques forts et éminemment sociaux. Le roi Louis XVIII, contre l’avis de certains de ses ministres et de ses « nouveaux » conseillers issus de la bourgeoisie d’affaires jadis chouchoutée par l’empereur alors déchu et exilé à l’île d’Elbe, avait fait adopter, dès sa montée sur le trône en 1814, une loi dite de « sanctification du dimanche » qui interdisait de commercer et de produire le jour du Seigneur alors que Napoléon, lui, affirmait que l’ouvrier pouvait bien travailler tous les jours puisqu’il mangeait au même rythme… Cette loi voulue par le roi fut combattue par les industriels, mais elle fut appliquée jusqu’en 1830 sans beaucoup d’exceptions, ce qui ne fut plus le cas dès le lendemain des Trois Glorieuses de Juillet : le coup « final » (en fait, temporaire…) porté au repos dominical le fut en 1880 quand les députés républicains, au nom de la « liberté du travail » (qui n’était, en fait, que celle de ceux qui avaient les moyens d’en fournir dans leurs usines…), abolirent cette loi dans laquelle, hypocritement, ils dénoncèrent un « reste de superstition » lié au dimanche et prôné par une Eglise considérée comme rétrograde !

 

La volonté sociale peut ainsi trouver en la Monarchie royale, et mieux qu’en République (celle-là même tenue par les puissances de l’Argent que dénonçait le président du conseil Emile Beaufort – Jean Gabin – dans son célèbre discours devant les députés, dans le film « Le Président »), le bras armé institutionnel et politique capable de s’imposer aux féodalités, non pour les asservir mais pour leur rappeler leurs devoirs sociaux sans laquelle aucune société ne peut satisfaire à la nécessaire justice sociale. Sur une affiche du métro parisien, un graffiti fleurdelysé visiblement écrit d’une main ferme déclarait il y a peu : « Sans Monarchie royale, pas de Justice sociale ! ». Nous en sommes bien persuadés aussi, non selon notre seul désir, mais par l’étude raisonnée de l’histoire sociale de notre pays. Et l’histoire ne doit pas rester au fond des bibliothèques, mais fournir des outils intellectuels pour penser ce qui est nécessaire au pays et à tous ceux qui y travaillent et aspirent à ce que leurs labeur et ouvrage soient reconnus, justement, par la société et payés de juste manière…

 

Jean-Philippe Chauvin

 

Notes : (1) : Les inégalités ne sont pas forcément mauvaises en elles-mêmes, la diversité des situations et des aspirations étant la nature de toute société équilibrée. Ne les confondons pas systématiquement (comme le font les égalitaristes) avec les injustices, qui n’en sont que le dévoiement !

 

(2) : La « classe sacrificielle » (que l’on peut aussi évoquer au pluriel) accepte ainsi une exploitation brutale contre laquelle elle se révolte peu, par peur de briser l’espérance qu’elle a de parvenir, un jour, à l’étage de « consommateurs ». C’est Henry Ford qui, l’un des premiers, a saisi tout l’intérêt de nourrir cette espérance d’accès à la société de consommation pour désarmer toute révolte : s’il ne renonce pas à l’exploitation ouvrière dans ses usines, il favorise la possibilité de se hisser dans la hiérarchie de la société de consommation par des salaires plus élevés et des horaires de travail moins contraignants (la contrainte étant déplacée sur l’acte de travail lui-même, par la « chaîne », si justement décrite par Simone Weil dans « La condition ouvrière » et dénoncée par Charlie Chaplin dans « Les temps modernes »…). Ainsi, l’aliénation au « rêve de consommation » permet de garantir « la fin des révolutions », du moins celles qui détruiraient en profondeur la société capitaliste par une forme de « décroissance » ou de « mesure » économique qui favoriserait d’autres types de propriété que celle qualifiée de « privée », sans pour autant abolir complètement cette dernière…

 

 

 

La république en lutte permanente contre la paysannerie :

Alors que nous descendons tous de ruraux, les paysans ne représentent plus que 4% de la population active et sont aussi oubliés des médias que piégés par l’endettement où conduit l’agriculture productiviste. Pourtant, au fond, l’impasse agricole n’est qu’une facette de l’impasse collective d’une société ayant perdu ses racines et son lien à la terre et, de ce fait, soumise à la mal-bouffe et à une vie urbaine largement pathogène. Le salut sera commun ou ne sera pas! + d’infos : le-cep.org

La justice sociale, une exigence politique et royale ! :

La question sociale mérite que l’on y prête attention et que l’on y réponde, autant que possible et selon les règles d’une justice sociale que nombre de nos concitoyens semblent parfois avoir oubliée : il est vrai que la lecture des manuels scolaires ou universitaires démontrent une certaine négligence sur le sujet, comme on peut le constater dans les manuels de géographie de Première des nouveaux programmes qui n’évoquent la question du chômage en France, par exemple, que par le biais d’une photo ou d’un titre de presse, sans s’y attarder plus longuement, comme si les quelques cinq millions de Français confrontés à ce drame étaient destinés à l’invisibilité ! Comment pourrait-il en être autrement quand la mondialisation, vantée sous tous les angles et couplée avec une métropolisation conquérante, est présentée comme le progrès par excellence, ce progrès obligatoire et « évidemment accepté par tous » (ou presque), désormais un peu verdi par les projets dits de développement durable, un progrès auquel il faut s’adapter pour accroître « l’attractivité », nouveau maître-mot des programmes d’aménagement du territoire ? Du coup, chômeurs et territoires en déshérence ne sont plus vus que comme les « perdants de la mondialisation », formule dont, le plus souvent, on ne retient que le premier mot, péjorativement prononcé et compris comme symbole d’un échec à imputer, non au système économique ou politique, mais aux seuls chômeurs ou aux territoires désertés… Le plus grave est peut-être que cette opinion négative est intégrée par les victimes mêmes de cette situation, un peu de la même manière que lorsque les petits Bretons ou Basques étaient moqués pour leurs langues et coutumes particulières dans l’école de Jules Ferry, au nom d’un progrès qui, à l’époque, se déclinait dans les manuels scolaires sous la formule de « République une et indivisible », et qu’ils en développaient parfois un complexe d’infériorité.

 

Le mouvement des Gilets jaunes a réveillé ce « peuple des perdants » comme le nommait récemment un sociologue sans acrimonie à leur égard, et la République en a tremblé quelques semaines avant de reprendre ses mauvaises habitudes de déni social et de suffisance. Que le gouvernement nommé par M. Macron, et malgré quelques bonnes volontés en son sein qu’il ne s’agit pas de dénigrer (preuve de la complexité du régime macronien, de cet « enfer pavé de bonnes intentions » selon un de ses adversaires), apparaisse comme le « bras armé politique de la mondialisation en France », n’est pas un contresens mais bien une triste réalité qu’il s’agit, elle, de dénoncer et de vouloir changer, non par pur idéalisme, mais par souci politique de la justice sociale. Cette dernière ne naît pas naturellement du monde dirigeant et décisionnaire de l’économie, de cette oligarchie qu’il faudrait plutôt nommer ploutocratie si l’on veut être complètement honnête, mais c’est bien par le moyen du politique, de l’exercice de l’Etat qu’elle peut être respectée et honorée comme elle doit l’être. La République peut-elle être cet Etat soucieux de la justice sociale, elle qui semble parfois avoir remplacée la main de justice par la matraque de Castaner ? J’en doute, et d’autant plus depuis les débuts de cette crise sociale inédite dont notre pays n’est pas sorti depuis un an qu’elle a commencé sur les ronds-points de France.

(suite…)

Pour éviter à la France la retraite à 69 ans… :

Au moment où le gouvernement français s’apprête à s’engager dans une réforme délicate sur l’avenir des retraites et leurs formes, l’Allemagne rouvre ce même dossier sous des auspices peu engageants, comme le signale Le Figaro de ce mercredi 23 octobre en ses pages « économie », sous le titre « Les Allemands devraient travailler jusqu’à 69 ans ». En fait, il s’agit d’une recommandation de la Bundesbank qui se veut prospective, au regard des perspectives démographiques et économiques : l’Allemagne connaît une démographie en berne, avec un taux de fécondité bien inférieur à celui de la France, lui-même en déclin depuis quelques années, et prévoit une élévation de l’espérance de vie globale, même si l’espérance de vie sans incapacité (en bonne santé, en somme) est, elle, mal connue ou sous-valorisée dans les travaux des économistes et des banquiers. Pourtant, « les Allemands pensaient le débat clos. La réforme de 2012, qui avait relevé par étapes de 65 à 67 ans d’ici à 2031 l’âge du départ légal en retraite après un vif débat, semblait une garantie suffisante pour la stabilité du système. » Mais, c’est une vis sans fin, et ce sont toujours les mêmes arguments qui sont évoqués par les banques et les économistes pour augmenter la pression sur le travail et les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants : ainsi, il semble que, désormais, le temps de travail payé soit condamné à s’élever toujours, quoiqu’il se passe et quoique l’on fasse.

 

Mais ce n’est pas la seule Bundesbank qui prône ce nouveau relèvement de l’âge légal de la retraite, comme le rappelle opportunément Nathalie Versieux dans l’article cité : « Plusieurs organisations – Commission européenne, FMI, OCDE – ont également recommandé à l’Allemagne de « continuer à augmenter l’âge de la retraite »  avec la hausse de l’espérance de vie, argumente de son côté la Bundesbank », trop heureuse de trouver des alliés au sommet même de l’Union européenne et de la « gouvernance » (sic !) autoproclamée de la mondialisation… Des « recommandations » que ces mêmes instances font de manière insistante, depuis de nombreuses années, pour tous les pays d’Europe mais que, en France, la population semblait ne pas prendre au sérieux jusqu’au milieu des années 2010 ! Se souvient-on que, dans l’hiver 2011, quelques membres du Groupe d’Action Royaliste organisèrent la première dénonciation dans la rue, non loin de l’église de Saint-Germain-des-Près, de la « retraite à 67 ans » que, déjà, prônaient l’Allemagne et la Commission européenne ? A l’époque, mes collègues professeurs m’assuraient que cela n’arriverait jamais en France, que c’était impossible et ils haussaient alors les épaules quand je leur citais les articles de l’époque, rares, qui évoquaient cette perspective. Et maintenant, les mêmes préfèrent se réfugier dans une sorte de fatalisme que je ne peux partager, courbant le dos en espérant que le vent du boulet ne les défrisera pas trop…

 

Il n’est pas souhaitable de suivre l’exemple allemand qui, en ce domaine comme en tant d’autres, ne peut être un modèle : la France n’est pas l’Allemagne, et l’appartenance de notre pays à la même Construction européenne ne saurait être interprétée comme une confusion entre toutes les nations y trouvant place. L’Union européenne, la mal nommée, n’est pas et ne peut être une démission des nations devant une Commission peu crédible et trop « économiste » pour être vraiment sociale et politique.

 

Il est d’abord une simple raison démographique qui évite de confondre la France avec l’Allemagne : la première, toute République qu’elle soit et malgré qu’elle le soit, a développé un modèle démographique original depuis les années 1930, qui parvient à concilier vie familiale et activité professionnelle, sans doute de manière pas totalement satisfaisante mais suffisante néanmoins pour permettre un certain équilibre démographique, ce que prouve, a contrario, le déclin provoqué par les mesures fillonistes puis hollandistes moins favorables au bon développement de notre démographie nationale. Néanmoins, et malgré les difficultés et les maladresses (?) des gouvernements, la démographie française fait preuve d’une certaine résilience, même si le taux de fécondité des Françaises d’ancienne appartenance est moins élevé que celui des Françaises de fraîche naturalisation, et il s’agit désormais de redresser ce taux dans des délais assez courts pour éviter l’élargissement d’une « vallée » démographique préjudiciable à long terme à notre pays et à son système de retraite par répartition.

 

Pour maintenir un niveau des retraites le plus socialement juste, il est trois pistes majeures sur lesquelles travailler pour tout Etat digne de ce nom : la valorisation des naissances et le bon accueil des populations naissantes et à naître ; la diminution forte du chômage des nationaux en France ; la possibilité d’un âge légal (de l’accès à la retraite) modulable selon les professions, les fonctions de chacun au sein de celles-ci et le désir, qui doit être pris en compte s’il est clairement exprimé, d’aller au-delà des limites d’âge légales pour ceux qui le souhaitent et sont reconnus médicalement et professionnellement comme susceptibles de poursuivre leur activité professionnelle usuelle dans de bonnes conditions, avec les aménagements nécessaires si besoin est… Mais il est aussi d’autres pistes à étudier comme celles d’une meilleure intégration au travail en France de ceux qui y ont étudié et dont les études ont été financées par les contribuables français, et cela pour freiner une émigration des cerveaux français vers les grandes puissances étrangères, émigration qui, en définitive, accroît les déficits publics français ; la création dans toutes les branches professionnelles dans lesquelles cela est possible de caisses de retraites autonomes, qui constituent une sorte de « patrimoine corporatif » destiné à assurer des retraites honorables à leurs cotisants sans aggraver la pression sur les fonds publics ; le « redéploiement rural » pour organiser de meilleures conditions d’accueil pour les retraités de tous niveaux de ressources dans des zones moins coûteuses pour ceux-ci ; etc. Cette liste de quelques mesures n’est évidemment pas exhaustive, mais elle cherche à prouver que ce ne sont pas les propositions qui manquent mais bien plutôt la volonté politique pour les initier et les ordonner, ou, au moins, pour les essayer…

 

En fait, la République est aujourd’hui bloquée et, plus grave encore, bloquante : quand il faudrait une véritable stratégie qui ne soit pas qu’économique et financière, mais aussi sociale et politique, aussi bien nationale qu’ouverte aux solutions provinciales ou communales, publiques comme privées, la République se contente d’une approche comptable et trop souvent « kafkaïenne » de l’immense question des retraites professionnelles, au risque de ne pas saisir les enjeux de demain et de mécontenter tout le monde sans résoudre l’épineuse question des financements nécessaires, question importante mais qu’il faut intégrer dans la question plus large de notre société, de ses équilibres et de sa pérennité historique.

 

Il n’y a pas, certes, de réponse « absolue » à la question des retraites, et la Monarchie royale n’a pas un sceptre magique qui lui permettrait de tout résoudre d’un coup et définitivement, mais l’inscription de la magistrature suprême de l’Etat dans le « temps long » peut être une garantie supplémentaire de recherche et de volonté de résolution d’une question qui risque d’être, encore, évolutive : or, le devoir du politique d’Etat est de protéger les populations qui sont sous sa souveraineté, et d’assurer au mieux les conditions, parfois difficiles à cerner, de sa prospérité, y compris face aux pressions de la mondialisation et de l’idéologie dominante parfois cruelle pour les plus faibles. A défaut de pouvoir appliquer les mêmes solutions que celles pratiquées par le saint roi Louis IX en son temps, il faut du moins retrouver au cœur de l’Etat et de sa pratique contemporaine l’esprit de justice sociale cher au monarque médiéval…

Jean-Philippe Chauvin

Petite vidéo réalisée par SACR TV sur le rejet de la retraite à 67 ans… C’était en 2011 !

Contre la spoliation des caisses de retraites autonomes par la République ! :

La question des retraites n’a pas fini d’agiter le pays ces prochains mois, et les premières manifestations de vendredi et de lundi derniers ont montré, à qui en doutait encore, qu’elle était éminemment sensible, même s’il est évident que leur gestion nécessite une réforme, voire une « révolution » de son approche et de sa résolution. Le système général des retraites apparaît à bout de souffle et, plus sûrement encore, à court d’argent frais, au risque d’entraîner, si l’on n’y prend garde, un véritable écroulement de l’économie des retraites et un appauvrissement forcé des populations sorties du monde du travail. La réforme est nécessaire mais pas n’importe laquelle, et pas en détruisant ce qui fonctionne au nom d’un principe d’égalité qui oublierait celui de justice, en particulier sociale.

 

Or, le projet gouvernemental, qui s’appuie sur la promesse électorale macronienne bien hasardeuse de la mise en place d’un régime universel, signifie (s’il est voté et appliqué tel qu’il se dessine aujourd’hui) ce que les avocats qualifient de « spoliation » : en effet, le projet prévoit la fin des régimes particuliers (que l’on pourrait qualifier de « corporatifs ») et des caisses autonomes de retraites développées et gérées par nombre de professions libérales, et souvent excédentaires quand le régime général, lui, menace faillite… Un vieux royaliste m’affirmait l’autre jour, avec un brin d’ironie, que M. Macron préparait « un nouveau 1791 », en référence à la dissolution des corporations et à la fin de leurs garanties et avantages particuliers liés aux métiers et à leur organisation, ainsi qu’à leurs patrimoines respectifs (1)… A y bien y regarder et même si, dans un premier temps, la manœuvre gouvernementale pourrait s’apparenter à une forme de « nationalisation » des fonds de ces caisses aujourd’hui autonomes (« Près de 30 milliards d’euros sont en jeu », affirme le quotidien L’Opinion dans son édition du lundi 16 septembre…), elle ouvrirait néanmoins la voie à une forme de « libéralisation » (de privatisation « douce » ?) du système des retraites au profit d’organismes financiers ou de compagnies d’assurance, par le biais d’une « capitalisation » non pas imposée mais fortement valorisée ou favorisée par la réforme elle-même, pas forcément dans le texte mais dans son esprit, ce qui paraît plus habile et non moins dangereux pour les indépendants comme pour les salariés…

Or, au lieu de les supprimer en les « intégrant » (ici synonyme de « confisquant »…) au régime général, ne serait-il pas plutôt intéressant de s’en inspirer et de les étendre à nombre d’autres professions ou secteurs ? Si l’on lit la tribune du collectif SOS Retraites qui regroupe des organisations de métiers fort différents comme avocats, médecins, infirmières, kinésithérapeutes, orthophonistes, etc., l’on comprend mieux l’enjeu : « Nous avons en effet en commun d’avoir été tenus « à côté » du régime général de retraite depuis sa création pour les salariés et les fonctionnaires en 1945. Nous nous sommes organisés, profession par profession, pour créer nos régimes de retraite. Pas spéciaux, autonomes. (2)» N’est-ce pas le processus qui, en d’autres temps, a formé les Métiers, appelés aussi corporations à partir du XVIIe siècle, et qui a permis de garantir au fil des temps des conditions acceptables pour tous ceux qui y travaillaient et qui, un jour, accéderaient à un repos professionnel mérité ? C’est en tout cas ce que les royalistes sociaux, qualifiés parfois de corporatistes, prônent en réclamant « la propriété du métier » et « le patrimoine corporatif », et que certaines professions ont, concrètement, mis en pratique ! Mais, là encore, la République ne sait pas créer, au sens professionnel du terme, et elle préfère spolier, confisquer, récupérer ce que la sueur des hommes a ensemencé, et cela dans une perspective purement idéologique et comptable : la logique de la République « une et indivisible » ne peut que difficilement (et provisoirement) accepter que des associations professionnelles, des corps de métiers ou des corporations, s’organisent « hors d’elle », et l’actuel projet de réforme le démontre à l’envi. On comprend mieux pourquoi, dans les discours officiels comme ceux des idéologues libéraux, le « corporatisme » est un terme toujours employé dans un sens péjoratif quand, dans la réalité concrète des professions libérales, celui-ci est la meilleure garantie des libertés et des droits professionnels, y compris après le temps du travail.

 

De plus, ces caisses autonomes sont généralement plus efficaces que la République ou que les syndicats officiels pour maîtriser les dépenses et valoriser les revenus de la profession. Comme le souligne le collectif SOS Retraites, « nos régimes autonomes sont tous équilibrés, alors que le régime général est gravement déficitaire. Peut-être parce que nous avons été prévoyants là où les gouvernements successifs ont procrastiné : nos régimes autonomes ont anticipé le choc démographique, y compris en prenant des mesures contraignantes ». Or, à défaut de prévoir et de gouverner, et comme je l’évoque plus haut, la République préfère taxer ou spolier « au nom de (sa) loi », ce que dans l’édition du lundi 16 septembre du Figaro (pages économie) rappelle Paule Gonzalès à travers un exemple concret : « le projet de réforme (…) va obliger la profession [des avocats] à fusionner son régime des retraites avec le régime général. (…) Il va aussi résulter de cette fusion imposée le versement dans le pot commun de 2 milliards d’euros de provisions, réalisées au fil des ans par une profession prudente, anticipant l’évolution démographique », anticipation et bonne gestion que le régime général et les gouvernements successifs de la République n’ont ni voulu ni su faire, prisonniers qu’ils étaient d’un système politique qui repose sur l’élection et la promesse plutôt que sur la raison et la prévision… En pensant en termes de clientèle plutôt que de corps de métiers et de bien commun, la République sacrifie ce qui « marche » quand cela semble échapper à son contrôle, ce que Fanny Guinochet résume dans les pages de L’Opinion à propos de cette réforme : « Surtout, s’installe cette petite musique négative que cette réforme ne fera que des perdants » (…). Non seulement des perdants… mais sanctionnera aussi les bons élèves ! »

 

Oui, le vieux royaliste que j’évoquais plus haut a raison : c’est bien « un nouveau 1791 » que le gouvernement de la République nous prépare… Il faut souhaiter que, connaissant la triste histoire sociale de cette année-là et ses conséquences, les principaux intéressés ne se laisseront pas faire. Mais, sans doute faut-il aller plus loin et en appeler à la constitution de nouveaux régimes (et caisses) autonomes de retraite pour toutes les professions qui le veulent et le peuvent, librement et publiquement, sans possibilité pour l’Etat de les confisquer ou d’attenter à cette « propriété corporative ». En somme, entre un modèle libéral peu soucieux des « autres » et un modèle étatiste confiscatoire du travail et de ses fruits, il est temps de penser plus globalement un autre modèle qui existe déjà à travers ces régimes autonomes de retraite pour nombre de professions : un modèle dans lequel le travail est reconnu et sa qualité garantie, un modèle qui ordonne la profession et assure les accidents ou les lendemains du travail par la constitution d’un « patrimoine corporatif »… Un modèle d’organisation corporative approprié à notre pays et à ses particularités professionnelles, pour que capacités productives, garanties de qualité et de pérennité, et justice sociale s’accordent plutôt que se combattent.

Jean-Philippe Chauvin

 

Notes : (1) : le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de mars et juin 1791 qui abolissent les corporations et interdisent toute association professionnelle, mais aussi suppriment le droit de grève et les systèmes corporatifs d’entraide et de solidarité au sein d’un métier donné… Les lois les plus « antisociales » de toute l’histoire de France !

 

(2) : Dans Le Figaro (pages économie), une avocate complète la dernière formule : « Un régime autonome, et non pas spécial, qui n’a pas coûté un centime au contribuable », ce qui n’est pas négligeable, tout de même !

 

 

Les lois libérales de 1791, ces oubliées de l’histoire officielle :

Les nouveaux manuels scolaires, désormais entre les mains des professeurs avant d’être entre celles des élèves de lycée dans quelques jours, sont toujours révélateurs des tendances idéologiques du moment comme de la plus ou moins grande implication du Pouvoir en place dans la formation des esprits et des intelligences, mais aussi des « tabous » de celui-ci. Evidemment, la période de la Révolution française, « matrice » de notre contemporanéité, attire l’œil des royalistes tout autant que celles des républicains et de la République elle-même, en tant que système idéologico-politique dominant et forme actuelle du Pouvoir en France. Or, alors que les programmes de Première (l’année d’étude de la Révolution dans les nouveaux programmes) y consacrent les premières heures d’étude de l’histoire, et qu’ils accordent une place un peu plus importante que les années précédentes aux question sociales (ouvrières comme paysannes) à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, il est frappant de constater que ce même thème est absent des cours sur la période des années 1789-99, et cela est, tout compte fait, dans la logique de l’Education nationale héritée des « Jules », Ferry et Michelet. Car la Révolution française, c’est aussi la « naissance du prolétariat », en tant que « situation sociale » et, en conséquence, de « classes », souvent considérées comme « dangereuses » au XIXe siècle par les pouvoirs politiques comme par les possédants qui vivaient largement de leur asservissement et exploitation.

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La mondialisation nourrit le chômage en France :

Le chômage est un mal endémique qui touche notre société depuis les années 1970, devenant structurel après être resté longtemps conjoncturel et limité. Aujourd’hui, c’est un véritable fléau qui mine l’harmonie sociale et fonde le ressentiment profond d’une part des catégories sociales, souvent populaires et, parfois déracinées ou dépossédées, mais aussi de plus en plus des classes moyennes et des catégories tertiaires. Le président François Mitterrand, qui s’était fait élire en 1981 sur la promesse d’un chômage qui n’atteindrait jamais les deux millions de personnes (ce qui se produisit quelques mois après…), avait baissé les bras et son action s’était réduite à créer quelques pansements sociaux, au grand dam des mineurs et ouvriers qui, dès 1984, brûlèrent son effigie lors des manifestations lorraines et parisiennes en criant à la trahison : la Gauche entamait alors son grand déclin et entérinait ses grands renoncements, au nom d’une Construction européenne qui remplaçait désormais la résolution de la question sociale… Et le chômage, presque cinquante ans après la fin du plein-emploi, est toujours là, inquiétant, épuisant, destructeur autant des métiers que des vies et des familles.

 

Mais si l’on veut le combattre, car il faut le combattre (ce dont ne sont pas sûrs un certain nombre de libéraux qui y voient un mal nécessaire), encore faut-il en discerner les causes et s’y attaquer, non par de simples lamentations ou gesticulations mais par une véritable politique d’Etat, une politique qui ne vise pas à « tout faire » mais à impulser des initiatives et à soutenir des projets (y compris privés), à financer des grands chantiers et à penser des stratégies à long terme. Le fatalisme serait la pire des choses, et le « laisser-faire, laisser-passer » un abandon des responsabilités de l’Etat qui, pour conforter sa légitimité politique, ne doit pas négliger ses devoirs sociaux et nationaux de protection de ses citoyens-contribuables, travailleurs et producteurs. Bien sûr, l’étatisme serait aussi absurde que l’indifférence, et tout aussi dévastateur car il déresponsabiliserait les Français comme il dessaisirait les entrepreneurs quand il faut responsabiliser les uns et les autres et les protéger tout autant dans le cadre social et politique, en assurant l’équilibre social et en rassurant les acteurs et investisseurs économiques.

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